L’école au Québec

Brigitte Caulier, Andrée Dufour, Thérèse Hamel (dir.)

L’École au Québec, collection Atlas historique du Québec

PUL, Québec, 2023, 490 pages

« Qui s’instruit s’enrichit » ; c’est le slogan que l’on peut lire dans les dernières lignes de cet imposant volume sur l’histoire de notre système scolaire (p. 461). Nous avions 20 ans, nous faisions nos premières armes à l’université Laval. En nous y rendant sur une route à deux voies (la 132), nous écoutions Le cabaret du soir qui penche avec l’incomparable Guy Maufette. Nous apercevions ce slogan sur les panneaux publicitaires. « L’équipe du tonnerre » de Jean Lesage avec Paul-Gérin Lajoie comme bougie d’allumage menait tambour battant son projet de réforme à laquelle s’opposait le haut-clergé et, surprise, comme on le verra avec le chapitre 5, nul autre que François-Albert Angers, se voulant grand défenseur du cours classique. Pourtant, un évêque, en la personne de Mgr Alphonse-Marie Parent a donné son nom à la commission dont le rapport n’allait mettre en œuvre rien de moins qu’une révolution dans un contexte où les Canadiens français étaient parmi les moins scolarisés du monde industriel. La toute dernière photo d’un ouvrage qui en compte des centaines, montre, entre autres, la bonne sœur Ghislaine Roquet portant son costume d’une époque révolue et, bien sûr, notre Monseigneur, de petite taille, entouré de l’imposant très haut fonctionnaire Arthur Tremblay et de Gérard Filion, ex-directeur du Devoir (1947-1963) au physique tout aussi impressionnant. Ce dernier, vers la fin de sa carrière comme haut administrateur, se fera remarquer par ses « filionades1 ». Derrière eux on aperçoit, se faisant discret, un jeune Guy Rocher à l’aube d’une extraordinaire carrière2. Ce bel aréopage semble vouloir rendre hommage à tous ceux qui les ont précédés. Et ici, comment ne pas penser au frère Jérôme, Jean-Paul Desbiens, l’auteur des Insolences du frère Untel dont on voit la page couverture avec celle de Paul-Gérin Lajoie (p. 459-60). Ce qui conduit à dire que ce précieux ouvrage aurait dû avoir comme sous-titre : « De la Nouvelle-France à la Révolution tranquille ». Car le tout ignore les réformes et contre-réformes teintées de socioconstructivisme et tutti quanti qui caractériseront le monde de l’éducation des 40 dernières années.

De par ses dimensions, l’ouvrage rappelle l’annuaire téléphonique du Montréal de mon enfance. Il comprend six chapitres divisés en différentes parties et en de nombreuses sections. On doit sa rédaction à pas moins de 27 collaborateurs dont plusieurs appartiennent au Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ). Ils sont historiens, sociologues, géographes, etc. Comme il s’agit d’un Atlas historique, on y trouve un grand nombre de cartes se rapportant aux institutions réparties sur l’ensemble du Québec ou dans certaines de ses régions. Elles sont accompagnées de graphiques ou de tableaux contenant des données pouvant s’étendre sur plusieurs années. Ainsi, une page complète décrit, pour les quelque 40 villages de la Mauricie, des données sur leurs écoles allant de 1855 à 1870 (p. 82). Un nombre tout aussi imposant de photos accompagnent le tout, dont, souvent, une seule couvre l’entièreté d’une page complète. Le texte, lorsque dépourvu de photos, de graphiques ou d’illustrations, s’étend sur trois colonnes. La lecture ne manque donc pas.

Il va de soi que Marguerite Bourgeoys, dès les premières pages, reçoit l’honneur qui lui revient. Arrivée en 1653 sur un territoire qui n’a pas eu à être cédé, pendant cinq ans, faute d’enfants, elle s’occupera des malades, avant l’ouverture de la première école. En 1770, suite à un passage à Paris, elle revint avec les lettres patentes de ses « Filles de la congrégation » qui seront 40 à son décès. L’enseignement élémentaire incombe aux religieux comme aux laïcs. Le catéchisme, l’écriture, la lecture et le calcul sont privilégiés. Seuls les garçons plus fortunés ont accès au grec et au latin. Les filles en sont dispensées au prétexte que leur sexe n’est pas disposé à recevoir un enseignement aussi… exigeant (p. 10) (!). Cette discrimination se poursuivra jusqu’au milieu du XXe siècle, car au temps de Frontenac, le niveau secondaire sera réservé aux seuls garçons de « bonne famille ». Leur sort est placé entre les mains des jésuites et des sulpiciens qui inaugurent le fameux cours classique. Les récollets et les ursulines s’occuperont de l’enseignement élémentaire.

Les auteurs ne s’attardent guère sur la période antérieure à la Conquête. Arrivés en 1837, les Frères des écoles chrétiennes, responsables de l’enseignement primaire supérieur (de la 6e à la 12e année), dont a profité l’auteur de ces lignes, obtiennent toute une section. Sans remettre en question l’ordre social, les bons frères ambitionnaient d’adapter leur formation aux besoins d’un monde en voie d’industrialisation. Vient ensuite une section présentant un personnage incontournable à qui nous avions appris à dire : « Bonjour, Monsieur l’Inspecteur ! ». La création de ce poste important, en 1852, fait suite à la « guerre des éteignoirs » dont le récit, à l’aube de l’adolescence, nous impressionnait. Dans les campagnes, on ne voulait pas d’un nouvel impôt pour financer les écoles. Il incombera à l’État d’en prendre l’entière responsabilité. Qui dit inspection, dit vérification des obligations à respecter. Or, qu’en est-il de l’obligation de fréquenter l’école ?

Aller à l’école ou travailler ? Telle est la question que soulève la section se rapportant aux années 1923-1964. On évoque la longue marche vers l’obligation scolaire (p. 105). En fait, la question fait l’objet d’un débat depuis le tout début du XXe siècle. Le Devoir d’Henri Bourassa faisait, entre autres journaux, la promotion de forcer les parents à scolariser leurs enfants. On peut voir les photos d’Honoré Mercier, des Drs Tancrède Boucher et John Thom Finnie dans le camp favorable à l’obligation scolaire. Ce faisant, il fallait affronter le haut clergé catholique qu’incarnait le cardinal Louis-Nazaire Bégin. La position de l’Église s’appuie sur la crainte de perdre son contrôle sur le monde scolaire au profit de l’État. Une photo de très jeunes garçons, employés d’une manufacture d’allumettes, laisse deviner qu’il n’aurait pas fallu leur demander de rédiger une dictée… En conséquence, au milieu du siècle, les jeunes protestants sont nettement en avance au plan scolaire sur les enfants catholiques qui doivent se contenter d’un enseignement primaire minimal. L’arrivée au pouvoir de Jean Lesage favorisera l’adoption en 1961 de la « Grande charte de l’éducation » afin de mettre de l’ordre dans une situation qui en avait grand besoin. Entretemps, l’enseignement destiné à la gent féminine, faut-il s’en surprendre ?, mettait l’accent sur… l’enseignement ménager.

Concernant les protestants, on peut lire qu’ils ont longtemps accusé un retard par rapport aux catholiques en ce qui regarde le secteur public. Fidèles à leurs traditions, leurs établissements privés s’appuyaient fortement sur leur secteur caritatif. Une situation qui allait changer dans les années 1860 à la faveur d’une loi qui allait favoriser le Protestant Board of School Commissioners for the City of Montreal. Une pleine page se trouve également consacrée à Sarah Maxwell qui était la directrice de la Hochelaga School, dans le quartier où je suis né et ai grandi. Cette école fut la proie des flammes le 26 février 1907. Étant parvenue à sortir avec la majorité des enfants, on apprend à Miss Maxwell que ceux de la maternelle étaient coincée à l’étage supérieur. Elle décida de leur venir en aide en montant l’escalier tout enfumé et parvint à libérer une trentaine de gamins lorsque, coincée, elle succomba avec seize autres enfants. Le Montreal Star prit l’initiative d’organiser une collecte de fonds en vue d’ériger un monument à sa mémoire et à celle des petites victimes. Les enfants de la ville y participèrent à coups de 10 sous pour en financer l’érection sur le site des sépultures au cimetière Mont-Royal.

La partie 3 du chapitre 2 s’intitule « Les pensionnats autochtones : sédentariser, civiliser et instruire ? » On comprendra la présence du « ? ». On peut lire que, « même si les missionnaires oblats voulaient tenir compte de leurs erreurs passées, on connaît les conséquences du pensionnat pour ces enfants. Bien souvent arrachés à leurs familles ou envoyés par des parents faisant confiance aux autorités, ces jeunes pensionnaires ont subi un déracinement profond sur le plan affectif et culturel dont ils témoignent aujourd’hui » (p. 195). Trois photos font voir 60 de ces enfants dont une rare en couleurs sur le S.S. North Pionneer à destination de Maliotenam sur la Côte-Nord. Le lecteur remarquera qu’aucun de ces enfants ne sourit… Cette section me rappelle les visites annuelles d’un cousin, un oblat qui venait passer ses cinq jours à la maison dans les années 1950 en provenance de son apostolat dans le nord de la Saskatchewan. Enfants, nous l’écoutions avec autant de curiosité que d’admiration. Je n’ai pas souvenance de l’avoir entendu parler du sort regrettable des enfants retirés de leurs foyers. Un autre cousin, un dominicain, nous impressionnait davantage. Corpulent, on l’imaginait mal tout maigre, prisonnier des Japonais pendant quatre ans aux Philippines. Plus cultivé que son vis-à-vis oblat, il nous entretenait de ses voyages annuels dans la Ville Lumière. Oui, plus intéressant que Prince Albert. Ceci, « pendant que maman nous servait » (merci Claude Léveillée)3. Des religieux qui pouvaient causer d’autre chose que de Dieu.

Mais au fait : où est Dieu ? Si ma mémoire est fidèle, il s’agit de la question 12 du catéchisme dont, enfants, nous devions apprendre par cœur les quelque 350 questions et réponses4. On peut lire dans la partie 3 du chapitre 3 : « La littérature scolaire naît de la littérature religieuse » (p. 233). Du côté des protestants, là aussi le christianisme sert d’assise au système éducationnel en tenant compte des diverses nominations. Ces écoles ouvraient leurs portes toutes grandes aux enfants d’immigrants surtout durant les deux guerres mondiales tant au primaire qu’au secondaire. Une page complète, accompagnée d’une photo, montre une vingtaine d’enfants évacués d’Angleterre (avec, cette fois, le consentement de leurs parents) afin de leur épargner les affres des fameux Messerschmitt allemands et, plus tard, des V1 et V2. On les voit tout souriants lors de leur arrivée au Canada en juillet 1940.

Qui dit école dit, nécessairement, enseignants. C’est à ces derniers que se consacre le chapitre 4 : D’instituteurs à pédagogues, la formation des maîtres catholiques au Québec (1836-1969). On précise que, dans la seconde partie du XIXe siècle, se mettent en œuvre les différentes structures destinées à la formation des maîtres lesquelles prévaudront jusqu’aux années 1960. La profession s’avère peu attrayante, étant donné le bas niveau des salaires. Les Mgr Lartigue et Bourget se verront forcés de faire appel aux communautés religieuses enseignantes tels les Frères des écoles chrétiennes. Ils seront suivis jusqu’au début du XXe siècle par des religieux chassés de France suite à une législation anti-enseignement congressiste. La photo de la magnifique sculpture de Jules Lasalle, montrant une main tendue sur l’azur du ciel, évoque tout le dévouement de ce personnel enseignant portant la soutane. Pour chacune des communautés, des photos réparties à travers la plaine du Saint-Laurent font voir des édifices révélant une aisance financière. Il s’agit de communautés pourtant marquées du sceau relié au vœu de pauvreté. Si, individuellement, ces dévouées enseignantes étaient pauvres, de toute évidence, il en allait différemment vu sous l’angle collectif. Oui, l’union fait la force.

La formation au secondaire et le cheminement vers l’université font l’objet du chapitre 5. « Vous êtes l’élite de demain », se sont fait dire les garçons appartenant en grande partie à la bonne bourgeoisie canadienne-française ayant le privilège de fréquenter un collège classique. En 1965, on évaluait à 117 le nombre de ces collèges fondés depuis 1665 (p. 333) qui ouvraient les portes à la prêtrise et aux professions libérales. Il en allait autrement pour les anglophones, garçons et filles qui, à la faveur de leurs High Schools, avaient accès à l’université. Pour faciliter aux francophones l’accès à certaines disciplines universitaires telles, la gestion, l’ingénierie, l’agronomie et autres beaux-arts, les Frères des écoles chrétiennes ont implanté entre les deux guerres un niveau dit élémentaire supérieur (le secondaire d’aujourd’hui). Le premier ministre, Pierre-Joseph Chauveau, formé au Petit séminaire de Québec et dont les deux enfants ont fait des études classiques, se fera un fervent promoteur d’une éducation « moyenne » sans latin destinée aux classes populaires suivant la conception : « À chacun sa place ». Il favorisera les « collèges industriels » dont il s’était constitué porte-étendard à l’époque où il était surintendant de l’Instruction publique. Ainsi, l’ordre établi ne connaîtra aucune menace. La photo d’adolescents prise en 1914 dans leur classe du collège Mont-Saint-Louis laisse voir des visages affichant l’assurance d’un avenir à la hauteur des attentes dont ils sont investis. Il en va de même de la photo de finissants du collège Ville-Marie devenus de jeunes adultes, en 1923, dont l’admission à l’université semble déjà acquise. Or, la section « Déclin et mort du collège classique » nous conduit à la « Commission Parent ».

C’est ici que nous retrouvons François-Albert Angers qui fut à l’École des Hautes Études commerciales (HEC) le mentor de Jacques Parizeau. Ce porte-étendard du mouvement coopératif fut un indépendantiste de la première heure. On peut dire qu’à l’instar de Maurice Richard, il fait partie de la courte liste (pensons aux signataires du manifeste « Le refus global ») de ceux à qui l’on doit d’avoir secoué les braises de ce qui allait devenir la Révolution tranquille. Dans un article de L’Action nationale, on peut lire que les réformes envisagées s’avèrent à ses yeux rien de moins qu’une attaque contre la civilisation, et la civilisation française en particulier, la dissolution de l’humanisme et des notions d’obéissance, de discipline, de dépassement de soi et leur remplacement par un hédonisme à tendance anarchorévolutionnaire. On sacrifiait la culture sur l’autel de la démocratie (p. 349-50). Étant donné ses services rendus, on lui a pardonné sa vision ultrapessimiste.

L’ultime chapitre « Répondre aux besoins du monde du travail » se rapporte à l’agriculture et à l’industrie comme si l’heure du secteur des services n’était pas encore à l’ordre du jour, mis à part le travail de bureau destiné au monde féminin. Un vibrant hommage est rendu à un grand précurseur, l’abbé François Pilote fondateur de la première école d’agriculture. Pour y parvenir, il lui fallut s’inspirer de l’expérience européenne. Ainsi, en 1859, pendant huit mois, il a parcouru une grande partie de la France pour ensuite en faire autant en Irlande, en Angleterre et en Écosse où il visita pas moins de 13 écoles et une dizaine de fermes. Le tout se termine par les business colleges rendus nécessaires par l’invention de la dactylographie, de la sténographie et de la maîtrise incontournable de l’anglais.

Dans une conclusion générale, avec la fin du régime Duplessis, Brigitte Caulier souligne les inégalités entre les deux grands groupes ethnolinguistiques dues à de plus grandes facilités de financement pour les anglo-protestants, à travers les taxes scolaires. On sait qu’à cette époque seules les Premières Nations affichaient un revenu inférieur à celui des francophones. Il était temps que l’État intervienne pour faire entrer le Québec dans l’ère post-industrielle. Le parti libéral sous le leadership de son chef, Jean Lesage, n’aura pas de mal à convaincre les électeurs de l’opportunité de mettre l’accent sur la réforme de l’éducation. Oui, en étudiant les Québécois se sont enrichis.

On ne peut que savoir gré aux nombreux collaborateurs de ce magnifique ouvrage d’avoir sorti de l’ombre ceux et celles qui ont contribué à faire du Québec ce qu’il est devenu.

André Joyal
Professeur retraité de l’UQTR


1 J’ai retenu celle-ci : se plaignant du fait que l’on formait trop de diplômés en sciences sociales, il estimait que, bientôt, nous aurions plus d’anthropologues que d’autochtones…

2 L’ex-professeur de l’Université de Montréal a célébré ses 100 ans à la fin d’avril 2024.

3 Féministe avant l’heure, notre mère n’appréciait pas à sa pleine mesure cette hospitalité obligée où elle devait se transformer en « servante du seigneur. »

4 C’était la plus facile : « Il est partout ». Une de mes connaissances, devenue athée à l’adolescence, a été punie pour avoir demandé au bon frère : « S’il est partout, pourquoi alors devoir aller à l’église ? »

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