Rendue publique fin avril, l’Enquête sur les pratiques culturelles au Québec a connu un certain écho médiatique. Cela faisait plaisir de voir un tantinet reconnaître que les faits ne nourrissent pas le défaitisme et les tendances à l’autodénigrement qui, en certains milieux, marquent trop souvent les discours sur l’état de la culture. Les tendances observées ne laissent poindre aucune pathologie sociale. Les statistiques, déclinées sous différentes rubriques, donnent effectivement la mesure d’un dynamisme réel, ce qui ne veut pas dire que tout est parfait et que tous les secteurs se tirent bien d’affaire. Celles qui concernent la lecture des livres ont permis de contrer un tant soit peu les discours catastrophistes. S’il est vrai qu’au cours des dix dernières années, l’enquête révèle une baisse de trois livres par année, passant de 19 à 16 ouvrages, ce résultat, pour inquiétant qu’il soit, ne justifie aucune morosité. Il est possible de l’améliorer par divers moyens.
Par-delà les statistiques cependant, ce qu’il faut d’abord viser c’est le renouveau culturel qui doit présider à redéfinir la place du livre et de la lecture. Les débats sur les habitudes numériques, sur les habitudes de consommation et de fréquentation des librairies et des bibliothèques ne sont pas inutiles, loin de là. Mais, quelles que soient les propositions mises au débat, elles se dessinent toutes sur un fond de scène culturel essentiel : pourquoi lire ?
À l’heure numérique, de l’information jetable et du tourbillon médiatique, à l’époque du mélange et de la cohabitation parfois difficile des cultures, au cœur des enjeux de convivialité et de cohésion sociale, la lecture comme pratique essentielle à la formation de la personnalité aussi bien qu’à celle de la compétence civique doit faire l’objet de la plus grande attention. C’est une pratique qui doit être au cœur de la prime socialisation, intégrée aux divers matériaux et moments de construction de la personnalité et du rapport au monde. À cet égard, les choses ont beaucoup évolué au Québec et il faut s’en réjouir. Mais en ces matières comme en beaucoup d’autres, le principal défi est celui de la constance.
Et en ces matières, si elle ne remplacera jamais le rôle de la famille, l’école joue néanmoins un rôle fondamental. C’est un lieu commun. Mais il faut le répéter : à l’heure où le gouvernement libéral vient de redécouvrir la réussite scolaire comme priorité nationale, il ne faut rater aucune occasion de lui rappeler que c’est par la lecture que se réunissent les conditions premières de cette réussite. Il faut certes des moyens financiers et des spécialistes de tous ordres, mais il faut également assurer une présence constante de la lecture dans le parcours scolaire, de la prématernelle à l’université. Cela peut avoir l’air d’un truisme, mais l’acquisition des habitudes de lectures ne se consolide qu’avec des exigences formelles intégrées à toutes les étapes de la formation. Des exigences plus élevées, faut-il le dire ?
Mais aucune réforme de l’éducation ne trouvera son efficacité maximale, si elle n’est pas soutenue par un ensemble de relais culturels. Les bibliothèques, les chroniques de livres dans les journaux, les recensions dans les périodiques professionnels, les références au livre dans les interventions publiques, tout cela est essentiel non seulement à la vie des livres, mais aussi à la vitalité de la lecture comme pratique culturelle.
Il faut mener un combat de tous les instants contre l’analphabétisme, c’est entendu. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Ce combat n’est fécond que s’il sert à faire reculer l’inculture et l’ignorance satisfaite. Au vingt-et-unième siècle, l’obscurantisme s’avance sous le jour festif de la culture de masse produite par un entertainment business assez disposé à se laisser instrumenter dans les logiques matérialisant l’antique adage : Panem et circensis.
C’est à peine une métaphore, la lecture est le liant essentiel du développement, la sève gardant vivant l’écosystème civilisationnel. Les liens entre la culture première et la culture seconde, selon la distinction faite par Fernand Dumont, ne peuvent être maintenus vivants que par une pratique de la transmission reposant en grande partie sur la lecture. Les livres sont essentiels à la construction d’un monde commun. La lecture est un des processus déterminants à cet égard, puisque c’est par elle, en grande partie, que se constitue la référence culturelle au fondement du débat public, référence indispensable à la cohésion sociale et nationale. Les atermoiements concernant l’établissement d’un corpus littéraire national riche dont la fréquentation serait marquante pour chacune des étapes du parcours académique en disent long sur ce qui reste à accomplir.
Lire pour vivre, tel devrait être le mot d’ordre dans une société amoureuse des livres et soucieuse de placer la connaissance au cœur de son développement comme au service de l’épanouissement des personnes. L’Enquête sur les pratiques culturelles donne une mesure. Les échanges et les réflexions sur la lecture peuvent donner le sens de ces pratiques. Un sens qui se construit lui-même dans la lecture de ce que les livres donnent à penser. Puisse la présente livraison y contribuer. Et ajouter aux plaisirs de ressourcement qui donneront saveur aux douceurs de l’été.
Robert Laplante
Directeur