Printemps 2017 – L’Action nationale a cent ans

2017printemps250Nous en parlions avec un certain détachement. Nous savions bien que la chose ne pouvait pas être traitée comme un événement ordinaire. Nous le savions, mais comme on sait que le printemps suit l’hiver. Comme un numéro suit l’autre. Après tout, c’est un peu la routine d’un périodique : sitôt conçu, sitôt monté le numéro s’éclipse vite du quotidien, il faut penser au suivant. L’enchaînement des opérations, la pression des échéances avec laquelle il faut composer et à laquelle on ne s’habitue jamais tout à fait donnaient leur lot habituel de tracas et de satisfaction.

2017printemps250Nous en parlions avec un certain détachement. Nous savions bien que la chose ne pouvait pas être traitée comme un événement ordinaire. Nous le savions, mais comme on sait que le printemps suit l’hiver. Comme un numéro suit l’autre. Après tout, c’est un peu la routine d’un périodique : sitôt conçu, sitôt monté le numéro s’éclipse vite du quotidien, il faut penser au suivant. L’enchaînement des opérations, la pression des échéances avec laquelle il faut composer et à laquelle on ne s’habitue jamais tout à fait donnaient leur lot habituel de tracas et de satisfaction.

Et puis, lentement, subrepticement un trac inédit s’est imposé : nous étions en train de préparer le numéro du centenaire d’une revue ! Et tout à coup, à un moment donné qu’on peut situer quelque part entre le montage infographique et la composition du sommaire, une joie certaine s’est emparée de nous. Nous étions partie prenante d’un grand exploit. La conscience heureuse d’être des héritiers s’est imposée dans l’atmosphère de travail. En relisant les épreuves, voilà que souvenirs et réminiscence émergeaient des textes d’Omer Héroux, d’Arthur Laurendeau, de Lionel Groulx et de centaines d’autres, des bonnes feuilles des romans d’Andrée Ferretti aux réflexions sur l’œuvre de Louky Bersianik ou des hommages à Pierre Perrault. Et que dire de la prose si singulièrement fleurie de Rosaire Morin ?

Quel privilège que le nôtre ! Et quelle gratification pouvions-nous tirer non pas seulement du travail accompli pour réaliser un numéro commémoratif, mais encore et surtout de l’avoir fait grâce à la confiance que les auteurs nous ont accordée, grâce aux attentes que les lecteurs nous ont signifiées.

Le numéro du centenaire de L’Action nationale aura été et demeure un temps fort de l’aventure intellectuelle particulière que constitue le travail de cette revue dans la culture québécoise. Un travail de symbiose exceptionnel. Car c’est cela qui s’est imposé avec une évidence lourde de sens à la petite équipe de rédaction et de production : une telle aventure n’aurait jamais été possible sans l’extraordinaire fidélité d’un lectorat qui, à toutes les époques et de diverses manières, a non seulement soutenu la revue, mais également porté à son ultime dénouement le travail des auteurs. La lecture, en effet, constitue une étape essentielle pour définir et accomplir de la portée culturelle du geste d’écrire et de publier.

À cet égard, le périple de L’Action nationale n’a pas d’équivalent dans la vie intellectuelle québécoise : c’est un formidable travail de fécondation de la pensée qu’auront accompli les lecteurs au fil de ce siècle. Une revue, c’est toujours un pacte sans cesse à refaire entre le lectorat, un projet éditorial et le travail des auteurs qui le portent, le réalisent et le déportent également au fur et à mesure que la relation des uns avec les autres fait bouger les repères, déplace la ligne d’horizon.

L’étrange et solide relation qui unit depuis cent ans L’Action nationale à ses lecteurs au moins autant qu’à ses auteurs, c’est également celle qui a rendu possible l’existence des Cahiers de lecture. C’est encore et toujours celle qui inspire la production de chaque numéro, celle qui donne sa résonnance au signalement complice, à la note critique accueillante ou encore à l’évaluation sans complaisance d’ouvrages qui ont toujours, quels que soient leurs mérites, leurs faiblesses ou leur charge de dissidence, le potentiel de dire ou de faire dire ce qui fait que la culture se trouve enrichie de ce que la lecture en fait.

Dans leur dixième année d’existence, Les Cahiers de lecture n’ont certes pas la densité et la place dans la mémoire que peut avoir L’Action nationale. Mais le centenaire et l’effervescence intellectuelle qui l’accompagne dans la communauté invisible des auteurs et lecteurs qui s’y retrouvent à chaque édition ne peuvent faire autrement que rejaillir sur eux. C’est la même intention qui les traverse. La même pulsion, en quelque sorte la même confiance dans la puissance des idées. Les Cahiers sont nés d’une mouvance historique qui prolonge bien au-delà de leur propre longévité une certaine victoire sur l’improbable. Notre périodique tient bon dans ces temps troubles. Il grandit même. Et c’est d’abord grâce à ses lecteurs dont le cercle ne cesse de s’élargir.

Loin du tapage médiatique où la production intellectuelle, celle des essais en particulier, reste marginale et traitée dans une affligeante médiocrité, les Cahiers trouvent dans l’ombre de ce centenaire une inspiration forte. Une si abondante production d’essais, au demeurant livrés avec des standards de très haute qualité, mérite d’être lue avec le plus grand soin. Les Cahiers s’efforcent de placer la lecture de ces œuvres dans une logique de construction de la référence qui ne se peut déployer que dans la longue durée. Et nos lecteurs partagent cette ambition puisqu’ils circulent, à ce qu’on nous en rapporte, au plus près des relations d’échange et de complicité qui font la force du bouche-à-oreille. Les Cahiers de lecture gagnent en force discrète de rayonnement et de reconnaissance.

Et nous y œuvrons avec une assurance tranquille que les textes qui y paraissent trouvent les chemins que nos lecteurs savent non seulement arpenter, mais ouvrir. Toute l’équipe des Cahiers est heureuse de s’associer à l’anniversaire de la revue qui les a fait naître. La vie des livres rapproche du réel pour mieux y faire voir les possibles, en particulier ceux-là qui ne sont pas encore réalisés. Un texte relu, parfois, peut ouvrir des brèches dans le plus opaque avenir. Ce qui s’y révèle entre les lignes peut suffire à donner le goût d’agir pour voir jusqu’où une phrase bien tournée, une idée clairement exprimée peuvent transformer le monde.

Un texte à lire, et voilà qu’une mystérieuse alchimie engage un étrange dialogue entre un auteur et ce qu’il fait naître, pour lui-même, et pour des lecteurs dont il ne saura peut-être jamais rien. Un texte lu et l’horizon bouge. Celui du prochain numéro, du prochain rendez-vous avec ce que la pensée peut donner à vivre.

Robert Laplante
Directeur

 

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