La reconnaissance et la consécration des œuvres jouent un rôle important dans la dynamique culturelle. Ainsi le Prix des collégiens et le Prix des libraires s’ajoutent-ils aux diverses instances qui donnent à la vie des livres certaines de ses impulsions les plus stimulantes. Cette année encore, les listes déjà publiées, les prix accordés laissent bien apprécier aussi bien la richesse de la production que la sagacité des lectorats. Il faut souhaiter un rayonnement toujours plus grand aux initiatives de ce genre. Elles contribuent à donner de la densité à la vie intellectuelle. Le Québec, à cet égard, a fait des progrès appréciables. On ne compte plus les bibliothèques publiques qui mettent en valeur les ouvrages primés, qui invitent leurs auteurs à des clubs de lecture ou à des conférences.
L’industrie de l’édition a fait des efforts méritoires. On pense en particulier au succès des divers salons du livre. Cette année on peut même se réjouir d’une modeste augmentation du nombre de librairies indépendantes et de tendances intéressantes dans les habitudes de lecture telles que les documente l’Observatoire de la culture. On peut aussi saluer le succès de la journée du 12 août « J’achète un livre québécois » et celui, plus modeste, mais ô combien inspirant de cette école primaire de Saint-Esprit qui a organisé son propre salon du livre avec le concours d’une librairie de Terrebonne. Rien pour s’asseoir sur ses lauriers, mais suffisamment pour ouvrir des perspectives et pour constater, une fois de plus, la réceptivité du public québécois.
L’heure ne serait-elle pas venue d’une relance de la mobilisation autour du livre et de la lecture ? Une relance qui viendrait renforcer les initiatives en place, les faire bouger en inscrivant certains de leurs succès dans un autre registre d’action culturelle ? Plusieurs formes de mécénats pourraient être évoquées. On se contentera, ici, de n’en souligner qu’une qui se trouve à portée immédiate des acteurs de l’industrie du livre. Ne serait-il pas temps de renouer avec une formule jadis répandues dans le monde scolaire et dans plusieurs programmes d’animation des bibliothèques : le don. On pense en particulier au don de livres aux élèves des niveaux primaires et secondaires, sans oublier les cégépiens. C’était bien souvent des prix de fin d’année, des récompenses aux plus méritoires. Ne pourrait-on pas envisager que le don prolonge désormais le Prix des libraires ou celui des collégiens ? Les imprimeurs ne pourraient-ils pas prendre part ?
On imagine un fond de commandite, alimenté par les dons des imprimeurs qui, en tant que maillons de la chaîne du livre, témoigneraient de leur attachement au rayonnement des œuvres et surtout à la valorisation de la lecture. Il s’agit, après tout d’une industrie qui brasse des dizaines de millions annuellement, elle pourrait dégager des dons annuels sans que sa santé financière n’en souffre. Un tel fond permettrait d’offrir aux élèves des divers niveaux des exemplaires des ouvrages primés. Distribués selon des modalités qui restent à préciser, les livres des récipiendaires pourraient ainsi être mis en circulation dans des circuits non marchands, participant d’un pari sur la découverte, sur l’élargissement de publics qui peut-être ne fréquentent pas les librairies, les bibliothèques. Des exemplaires pourraient être offerts dans les classes, aux élèves qui se montreraient intéressés ou que leurs professeurs choisiraient selon des critères qu’ils établiraient eux-mêmes, etc.
Offrir des livres comme on sème à tout vent ! Les modalités restent à définir. Elles pourraient varier d’un milieu à l’autre : il n’est pas nécessaire d’ameuter des hordes de technocrates et de multiplier les formulaires. On peut imaginer que les professeurs soient mis à contribution, qu’ils inventent les formules les mieux adaptées à la réalité des institutions, qu’ils travaillent en collaboration avec les organisateurs des divers prix afin de bien faire comprendre aux jeunes que saluer les livres et les auteurs, ce n’est pas d’abord une tactique commerciale, mais bien un acte culturel qui élargit la vie. Qui l’élargit d’autant qu’il puisse être prolongé par son inscription dans la logique du don. Un don inconditionnel. Un don à un jeune qui deviendra peut-être lecteur parce qu’un livre aura été placé sur son parcours. Un don à un jeune qui découvrira un auteur. Un don à un jeune qui ne voudra peut-être rien savoir et qui donnera l’ouvrage à un quidam dont il changera peut-être la vie.
Les imprimeurs sont ici interpelés. Mais ils ne sont pas les seuls acteurs de la chaine du livre qui pourraient contribuer. S’ils donnaient l’exemple, on ne sait pas où pourraient mener les campagnes de valorisation des Prix. Il suffit que quelqu’un le veuille, qu’une association professionnelle ou un regroupement d’industriels prenne l’initiative et d’ici deux ou trois ans, des milliers de livres trouveraient peut-être des publics insoupçonnés.
S’inscrire dans l’espace du don, c’est agir avec l’assurance tranquille que la culture québécoise des livres est assez forte pour élargir son public et donner à la jeunesse des horizons qui redéfiniront le monde de ceux qui lisent et, de là, de ceux-là qui les entendent bruire entre les lignes des livres qu’ils imaginent.
Robert Laplante
Directeur
Sommaire du numéro Printemps 2018
des Cahiers de lecture