Prix André-Laurendeau 2018 – allocution de François Lemieux et Robert Comeau

Mention d’honneur du prix André-Laurendau pour leur article « Montréal n’est pas un territoire mohawk non cédé » paru dans le numéro de Juin-Septembre 2018 Premières Nations et histoire internationale À l’occasion de la remise de cette mention du prix André-Laurendeau par la revue L’Action nationale que nous remercions, nous souhaiterions faire part d’un certain […]

Mention d’honneur du prix André-Laurendau pour leur article « Montréal n’est pas un territoire mohawk non cédé » paru dans le numéro de Juin-Septembre 2018

Premières Nations et histoire internationale

À l’occasion de la remise de cette mention du prix André-Laurendeau par la revue L’Action nationale que nous remercions, nous souhaiterions faire part d’un certain nombre de réflexions.

D’abord, les peuples autochtones constituent bel et bien des nations. C’est d’ailleurs à ce titre et dans un contexte international que nous avons négocié la Grande Paix de Montréal de 1701. Il est bon de rappeler que si c’est Hector de Callières qui a signé le traité, c’est Louis Buade de Frontenac qui a négocié avec les Premières Nations pendant une période de trente ans avec un interlude de dix années. Durant cet intermède, on a d’ailleurs tenté d’appliquer une autre politique que celle de Frontenac, celle du clergé et du gouvernement français. Cela a eu de tragiques conséquences dont le massacre de Lachine en 1689.

Il arrive qu’on évoque l’époque de la Nouvelle-France comme celle de l’empire français d’Amérique. Il serait plus juste de parler de l’empire de Québec en Amérique. C’était d’ailleurs un empire qui était plus comparable à celui du Saint-Empire romain germanique qu’à l’empire napoléonien. C’était un empire où « l’empereur » était désigné par les nations participantes. Ainsi donc, « l’empire français » d’Amérique a été conçu malgré le désaccord du clergé et de Versailles.

La question du statut national des nations de la confédération iroquoise en général et des Mohawks en particulier s’est posée dès cette époque. En effet, si le gentilé Québec vient de l’algonquien et celui du Canada est de l’iroquoien, Mohawk est un terme de langue anglaise. C’est pourquoi, même Frontenac demandait régulièrement aux Iroquois, lors des séances de négociation, s’il s’adressait à des nations souveraines ou à des sujets britanniques. Cette question est d’ailleurs toujours d’actualité.

De nos jours, si le problème des Premières Nations est à Ottawa, la solution est à Québec. Il faut négocier une paix des Braves avec toutes les Premières Nations. Mais, qui dit négociation, dit prudence et réserve. Dans ce contexte, affirmer que Montréal est un territoire mohawk est non seulement faux, mais aussi imprudent. Même le gouvernement fédéral ne considère pas depuis très longtemps les revendications territoriales des Mohawks comme une base de négociation acceptable. Dans ce contexte, par ces déclarations présomptueuses, la ville de Montréal, s’immisce dans un processus de négociations qui ne la regarde pas. Or les enjeux sont énormes. Il y a d’autres Premières Nations sur les territoires revendiqués par les Mohawks. Il faut d’autant être plus prudent que cela peut léser des droits beaucoup plus légitimes de ces autres Premières Nations. L’histoire démontre que négocier avec les Mohawks est compliqué. Cela demeure aujourd’hui, encore compliqué.

La reconnaissance des Premières Nations et la négociation qui en découle ne doit pas être influencée par le jugement qu’on peut porter sur le nombre. Il y a près de 1,4 milliard de Chinois et il n’y a que moins de 8,5 millions de Québécois. Cela n’empêche pas les Québécois de constituer une nation.

Dans la foulée, nous vous soumettons une autre réflexion sur l’histoire nationale. L’histoire du Québec gagnerait à être traitée, voire enseignée, dans un contexte international. Les voyages de Jacques Cartier sont indissociables de la Renaissance française. Il faut comprendre que, par ces expéditions, François 1er cherchait à briser le monopole ibérique que les Espagnols et les Portugais s’étaient octroyés en Atlantique avec la sanction du pape Alexandre VI. La Réforme protestante, le Concile de Trente, les guerres de religions expliquent le XVIIe siècle, le « grand siècle » en France. Ainsi, de la Ligue catholique du XVIe siècle, protagoniste de la guerre civile en France, à la compagnie du Saint-Sacrement, il y a une filiation que tous les historiens français reconnaissent. Or, la compagnie du Saint-Sacrement qui avait été une cible du Tartuffe de Molière a été déclarée illégale notamment pour son intégrisme par le gouvernement de Versailles avec la bénédiction de l’épiscopat français durant les années 1660. Et, François Montmorency de Laval était un membre assumé et en règle de la compagnie du Saint-Sacrement. D’ailleurs le fondateur de l’organisation, le duc de Ventadour avait été le vice-roi de la Nouvelle-France qui avait introduit les Jésuites dans la vallée du Saint-Laurent. Ces faits historiques font mieux comprendre les tiraillements entre le pouvoir civil et militaire et le pouvoir de l’épiscopat.

L’histoire des États-Unis à cette même époque est un autre exemple de contexte international dont il faut tenir compte. L’intégrisme chrétien de la Nouvelle-Angleterre incarné par les protestants n’avait rien à envier au parti dévot catholique. Après tout, Boston a été fondé en 1630 par des Puritains. Le rapport des Protestants avec les Premières Nations en Nouvelle-Angleterre n’a pas été heureux. Ainsi, le chef d’une première nation, le roi Philip qui n’était pas un prince européen, a été vaincu par les Américains avec le concours des Mohawks. Après l’épuration des Amérindiens du Connecticut, on réalisait celle du Massachusetts. C’est à cette occasion que les Abénakis, dont le territoire en Nouvelle-Angleterre débordait au Québec, ont demandé notre appui pour éviter leur propre extermination. Missiquois, Coaticook, Yamaska et Memphrémagog sont des toponymes abénakis.

Incidemment, pour bien comprendre l’histoire du peuple québécois, il est aussi utile de faire quelques anachronismes en distinguant les Québécois des Français, les Américains des Britanniques. Ainsi, le général américain William Phipps est venu attaquer Québec avec des troupes composées d’effectifs américains. Les Britanniques avaient refusé de participer à l’expédition militaire. Et, pour la défense de Québec, Frontenac avait gardé les troupes françaises en réserve. Ce sont des Amérindiens, des milices et des militaires d’origine québécoise qui ont vaincu Phipps. C’est d’ailleurs un Lemoyne, frère de d’Iberville, qui a canonné avec succès la flotte américaine.

De l’histoire américaine, il faut aussi comprendre que la guerre de Sept ans a été déclenchée par ce qui était alors considéré comme un crime de guerre commis par George Washington, alors colonel de la milice américaine. Il s’était attaqué à une ambassade. Moins de quinze ans plus tard, l’indépendance des États-Unis a été proclamée d’abord parce que les territoires amérindiens n’avaient pas été cédés aux Américains au lendemain de la conquête de la Nouvelle-France. Pourtant, les Britanniques leur demandaient de rembourser les dettes de guerre.

Tous les Québécois devraient connaître le contexte international pour mettre en perspective l’histoire nationale du Québec.

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