Allocution de remerciement de Robert Laplante pour le prix Chevalier-de-Lorimier remis par la Rassemblement pour un pays souverain
Je suis honoré de la reconnaissance que le Rassemblement pour un pays souverain m’accorde aujourd’hui. Honoré mais intimidé. Ce n’est pas une mince affaire de marcher dans les traces de Chevalier de Lorimier. Des héros comme lui, le Québec n’en a pas produit beaucoup.
La domination que nous subissons n’a que très rarement dans notre histoire montré son vrai visage. Le sort que lui et ses compagnons d’infortune ont subi sur le gibet reste aujourd’hui comme alors un geste odieux, une infâmie à tout jamais gravée dans l’histoire de ce régime que la Conquête a inauguré et qui se perpétue aujourd’hui sous les sourires mielleux du nationalisme postmoderne dans lequel le Canada cherche à nous dissoudre. Or cette domination molle et hypocrite qui pèse sur nous rend plus diffus l’héroisme requis pour y résister.
Et pourtant, il existe cet héroisme, il se perpétue depuis ces jours sombres de 1838. C’est celui de la résistance sourde des humbles et des sans grade qui ont été si bien honorés dans le poème de Michèle Lalonde, Speak white! C’est celui qu’a célébré le chef d’ouvre de Clémence Desrochers dans La vie de fac’trie. C’est celui de mes pères, celui de nos mères. C’est celui de l’entêtement dans le dur désir de durer.
En renouant avec la mémoire de Chevalier de Lorimier nul ne peut s’empêcher de penser que notre lutte ne s’évalue et ne se jouera qu’à l’échelle historique. Il faut relire les lettres qu’il rédige à quelques heures de son exécution pour réaliser jusqu’à quel point cette conscience est vive chez lui. Le combat d’un peuple se joue toujours, pour chacun de nous, à toutes les époques, dans des parcours qui se dessinent au croisement de l’Histoire et de la biographie. De l’engagement personnel et du combat collectif.
De Lorimier l’aura éprouvé jusque dans ses heures agoniques. Et il aura eu la force morale d’assumer. Au point d’inviter sa femme et ses enfants à envisager ce que la vie allait leur réserver à l’aune des valeurs de dignité et de courage qu’il aura placées au fondement de son action parce qu’il les reconnaissait au fondement même de notre existence et de notre combat politique. Aujourd’hui qu’on associe mon travail à son nom, je ne peux que m’engager à redoubler d’ardeur pour essayer de me montrer à la hauteur d’une si grande exigence morale. D’une si grande capacité de dépassement.
L’honneur que vous me faites m’aura obligé à revoir mon parcours. Et j’y ai éprouvé un certain malaise, je dois le confesser. Pas celui que nous cause à tous le temps qui passe toujours trop vite, mais celui de l’inaccompli. Par tempérament aussi bien que par discipline intellectuelle, je suis plutôt porté à regarder en avant, à mesurer davantage ce qui reste à faire qu’à revenir sur ce qui a été fait. En ce printemps 2017, c’est une posture que je ne peux tenir qu’avec un certain vertige : il reste tant à faire!
Nous avons perdu énormément de terrain. Notre régression politique nous inflige et nous infligera des souffrances que nous ne parvenons que très difficilement à nommer. Nous devons reprendre une initiative que nous avons perdue, en partie par nos propres faiblesses, en partie parce qu’une offensive de guerre psychologique sans précédent brouille nos repères symboliques, sape notre capacité de cohésion nationale. Même Jacques Parizeau en a été ébranlé, lui qui en ses dernières années ne voyaient qu’un champ de ruines au bout de son si exigeant parcours.
Mais c’est la voix du poète qu’il faut entendre pour saisir la portée d’un tel constat. Roland Giguère l’a bien fait remarquer dans un recueil saisissant: le défaut des ruines est d’avoir des habitants. Manière de dire que rien n’est joué tant que la vie peut se faire des matériaux avec ce qui la menace. C’est vrai, le Québec est encore et plus que jamais un Pays sans bon sens.
Mais nous continuons de l’aimer et de le porter avec une patience qui nous oblige à bien juger nos propres efforts. À l’échelle de nos vies, certes, mais avec cette certitude que dans l’Histoire qui continue nous pouvons faire advenir des circonstances qui défieront la fatalité. Toute notre aventure sur les bords du Grand Fleuve n’aura jamais été qu’une victoire sur l’improbable. De Lorimier nous en a fait une exigence morale. Et nous en sommes redevables devant sa mémoire comme devant les générations qui lui ont succédé et devant celles qui viendront.
Les temps confus que nous traversons ne dureront pas toujours. Il faut savoir tenir en se répétant que dans ces périodes-là, des idées couvent, des conjonctures se préparent. Avec tous les artisans de L’Action nationale nous nous efforçons de le faire à chaque numéro. La reconnaissance que vous m’accordez aujourd’hui, je veux la partager avec tous ceux et celles qui croient suffisamment dans la force de la pensée pour faire vivre cette revue.
Le Québec va continuer de persévérer dans son être. Nous finirons par réussir notre indépendance. Et nul ne peut prétendre savoir quand et comment, des gestes, des personnages ou des pensées nous en donneront la force et la volonté. Avec vous tous aujourd’hui, je veux redire ici que je trouve réconfort et force de continuer dans ces très beaux vers de Gilles Vigneault :
Je vous entends passer comme glace en débâcle
Je vous entends demain
Parler de liberté.
22 mai 2017