Prix Richard-Arès 2000 – Allocution du jury

Allocution de Simon Langlois, membre du jury, prononcée lors de la remise du prix Richard-Arès 2000 à Yvan Lamonde pour son  Histoire des idées au Québec, le 22 mai 2001 à la Bibliothèque nationale du Québec à Montréal.

J’ai le privilège aujourd’hui de présenter l’un des intellectuels-chercheurs les plus en vue du Québec contemporain, un collègue qui poursuit patiemment des travaux de longue haleine, des travaux d’envergure par leur ambition et leur portée. M. Lamonde fait partie de ce groupe restreint de penseurs dont les travaux originaux font avancer la connaissance scientifique de la société dans laquelle nous vivons.

Il mérite aujourd’hui le Prix Richard-Arès pour son bel ouvrage  Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896, un livre qui a impressionné les membres du jury qui était formé de Roland Arpin, Gérard Bouchard, Simon Langlois et Robert Laplante.

Né à St-Tite-de-Laviolette, monsieur Yvan Lamonde a fait des études classiques à Joliette et il a obtenu deux diplômes de maîtrise, l’une en philosophie de l’Université de Montréal et l’autre en lettres (histoire) de l’Université Laval, suivie d’un doctorat en histoire de la même université.

Il a déjà reçu de nombreuses distinctions et prix prestigieux. J’en mentionne quelques-uns :

  • Prix David,
  • Prix du Gouverneur général du Canada,
  • Prix Maxime Raymond,
  • Prix Guy-Frégault,
  • Prix de la Société historique du Canada,
  • sans oublier la prestigieuse Bourse de recherche Killam.

Depuis 1972, il enseigne à l’Université McGill, où il est professeur titulaire, et il a aussi dispensé des cours dans plusieurs autres institutions universitaires québécoises. M. Lamonde a à son crédit une oeuvre déjà considérable. La liste des livres qu’il a écrits lui-même ou qu’il a édités occupe deux pleines pages dans la page de garde de son dernier-né,   Allégeances et Dépendances (Nota bene), qui vient de paraître. La lecture de cette liste impressionnante révèle un itinéraire de chercheur cohérent, structuré, planifié même, orienté vers la construction d’une oeuvre forte.

Monsieur Lamonde est un travailleur prolifique qui scrute l’histoire du Québec et du Canada français et il a planifié depuis de nombreuses années un grand projet : celui d’écrire l’histoire des idées au Québec. Dans cette vaste entreprise de rédaction d’une histoire intellectuelle, il a touché à tous les registres : fabrication d’outils de recherche pour la Bibliothèque nationale, édition de textes, analyses et commentaires d’auteurs, études empiriques, essais, conférences, articles scientifiques, mais il a surtout écrit des livres et des études de synthèse qui vont rester comme des ouvrages de référence incontournables sur des acteurs sociaux de diverses époques – je pense en particulier à Louis-Antoine Dessaulles – des auteurs, des périodes de notre histoire. Ses livres portent tous la marque de son vaste projet intellectuel, et ils constituent les morceaux d’une véritable oeuvre au sens le plus fort du terme. Le livre qui est aujourd’hui honoré est sans doute la pièce maîtresse de cette entreprise d’histoire des idées au Québec.

Monsieur Lamonde est un universitaire modèle et j’ajouterais un  scholar exemplaire dans la grande tradition britannique, mais aussi un intellectuel de haut niveau dans la grande tradition française, marqué par le souci de la critique et de l’éthique. Au début du XXe siècle, André Siegfried a écrit un ouvrage qui a eu à l’époque une grande influence –  L’âme des peuples – une autre manière de caractériser ce qu’on appellerait aujourd’hui l’identité, celle-ci étant définie chez Siegfried à partir de traits objectifs. Il y parlait de l’ingéniosité française, du sens de la discipline des Allemands, du sens des affaires des Américains, etc. Bref, il décrivait l’identité à partir de traits objectifs.

Par la suite, au milieu du XXe siècle, on a plutôt caractérisé l’identité comme étant le fruit d’un discours imaginé, au sens donné à ce terme par Anderson. L’identité apparaît dans cette perspective comme une construction faite par des acteurs, comme une invention même. Hobsbawm de son côté a qualifié la tradition d’inventée, pour bien montrer qu’elle n’avait rien d’immuable, qu’elle pouvait bien changer dans le temps. Fernand Dumont quant à lui, parle de construction de références – à travers les discours que sont l’histoire, la littérature, les idéologies – pour définir les identités et, en particulier, l’identité nationale.

L’oeuvre de M. Lamonde m’apparaît originale parce qu’il réussit à marier ces deux grandes perspectives de recherche, celle qui consiste à examiner les traits d’une situation objective, mais aussi celle qui consiste à s’attarder aux interprétations, aux discours, au lectures, aux constructions qui l’accompagnent et lui donnent sens.

Le Prix Richard-Arès couronne aujourd’hui un grand livre, une oeuvre basée sur une époque importante de notre histoire qui va du milieu du XVIIIe siècle, à la fin du XIXe. Ce livre est d’abord une histoire des idées, une histoire intellectuelle d’une période effervescente, marquée par d’importants mouvements sociaux et des débats forts vigoureux qui font paraître le Canada français d’alors comme une société effervescente, traversée par des conflits vifs comme le sont toutes les sociétés qui cherchent à aménager leur avenir dans un contexte de redéfinition des enjeux collectifs. Rappelons quelques-unes des oppositions analysées dans l’ouvrage qui caractérisent la période étudiée : monarchisme ou républicanisme, démocratie et contre-révolution, loyalisme et nationalisme, libéralisme et ultramontanisme.

Mais c’est aussi un ouvrage qui est marqué par l’approche originale de l’identité canadienne-française – québécoise par la suite – élaborée par Yvan Lamonde, qui l’examine comme étant en tension entre quatre pôles culturels : l’Amérique, la France, la Grande-Bretagne et le Vatican. Pour l’auteur, par exemple, « il paraît clair qu’on ne peut parler de Conquête du Canada par l’Angleterre sans parler du même souffle de Cession de la colonie par la France ».

L’Histoire sociale des idées du Québec est plus qu’une fresque d’histoire intellectuelle, c’est aussi un livre qui offre une clé de lecture, une clé d’interprétation de la société en développement, de la nation en redéfinition. La lecture de ce livre s’impose, non seulement par curiosité pour connaître le passé, mais aussi par la nécessité de mieux comprendre le présent.

Nous attendons maintenant la suite promise et d’ici là, permettez-nous, cher collègue – et je pense me faire le porte-parole de tous ceux et celles qui sont ici ce soir – de souligner l’excellence de votre travail.