S’il est une figure parmi les artisans de L’Action nationale qui a su incarner aussi bien la détermination farouche que l’attachement indéfectible à son peuple et son pays, c’est bien celle de Rosaire Morin. Il a tant fait pour le Québec, ce n’était que justice que la Ligue d’Action nationale honore sa mémoire en créant le prix qui porte son nom.
Mais la célébration de ce soir n’est pas seulement une occasion de témoigner notre fidélité à l’homme admirable et attachant qu’il a été. C’est aussi et surtout le moment de témoigner des idéaux qui l’ont inspiré et qui ont façonné son héritage et solidifier les bases de ce qui nous rassemble ici ce soir. Rosaire Morin brûlait d’un amour du Québec, un amour assez fort pour triompher de tous les obstacles, pour inspirer toutes les patiences.
C’est pour célébrer la force de cet amour du pays que nous remettons ce soir le prix Rosaire-Morin à madame Andrée Ferretti. Nous le remettons à la militante, certes, mais aussi à l’essayiste, à l’auteur, à la polémiste redoutable, à l’oratrice passionnée. Bref, nous le remettons à une femme entière, parce qu’elle est une femme entière. Tout d’une pièce, debout dans ses convictions, droite et tenace dans ses engagements.
Andrée Ferretti n’a pas seulement été une militante de la première heure, une figure rayonnante de l’indépendantisme renaissant du début des années 1960. Elle incarne la pulsion vive, l’élan militant nourri de la seule force capable de venir à bout de tous les obstacles, celle que procure la fidélité à son peuple, à ce qu’il y a de meilleur en lui. Depuis plus de cinquante ans, Andrée Ferretti aura pratiqué un indépendantisme intransigeant, le seul qui sache garder l’espoir rivé sur les balises qui laissent deviner les voies de la liberté dans les chemins semés d’embûches.
L’usage veut qu’en une occasion comme celle-ci l’on relate les accomplissements, qu’on énumère les collaborations, les contributions aux grands moments du combat national. On me permettra de faire ici un accroc au protocole pour souligner d’un seul trait et avec une même reconnaissance non pas les actions d’Andrée Ferretti mais bien plutôt l’ensemble de son œuvre. Un œuvre, c’est-à-dire un mouvement de l’être tout entier qui se jette dans le monde pour y faire trace.
Il n’y a pas de césure entre le travail militant d’Andrée Ferretti et sa démarche de connaissance, tout comme il n’y a pas de hiatus entre son engagement politique et sa liberté créatrice. Ses romans s’enracinent dans ce qu’il y a de plus inspirant dans la culture québécoise qui s’affirme, comme ses essais tranchent dans la pensée flasque des démissionnaires. Ses emportements, faut-il le mentionner, sont légendaires. Mais il faut aussi se rappeler jusqu’à quel point ils ont été et continuent d’être nécessaires. La tiédeur tue. La mollesse est notre pire ennemi.
Il faut saluer son caractère énergique. Andrée Ferretti sait ce que c’est que le dépassement. Ses proches savent que cela donne une couleur particulière à son immense générosité. Car dans le tourbillon de son incessante activité se dessine la figure de la fidélité à tout ce qui, au-delà des ruptures parfois nécessaires, vient réaffirmer l’essentiel.
Rosaire Morin avait une qualité exceptionnelle, il savait deviner la force des êtres. Serait-il avec nous ce soir qu’il aurait fait lui-même la recommandation de remettre à Andrée Ferretti ce prix de la reconnaissance. Parce qu’il savait que rien n’est plus puissant que le regard porté sur les pas qui ont fait le chemin pour mieux juger de l’horizon. Gaston Miron, avec qui elle a beaucoup travaillé et aux côtés de qui elle a mené bien des combats, a trouvé les mots qui donnent à son parcours tout le sens que nous accordons à la remise de ce prix. Nous savons qu’elle « arrive à ce qui commence ».
Grâce à elle, grâce à ce qu’elle incarne et en raison de ce qu’elle inspire, nous savons aussi que « ça ne pourra pas toujours ne pas arriver ».
Andrée Ferretti, c’est un honneur de vous remettre le prix Rosaire-Morin.
Nous ferons l’indépendance. Nous la ferons avec vous. Nous la ferons pour vous. Pour nous, pour la suite du monde.
– Robert Laplante directeur de L’Action nationale
Allocution de la lauréate
Bonsoir à vous toutes et tous, fidèles et indispensables soutiens de L’Action nationale : la Ligue, la Revue, les Cahiers de lecture.
Mesdames et messieurs de la Ligue d’Action nationale, vous êtes incontestablement de parfaits émules de Rosaire Morin, pour avoir une conception du militantisme si large que vous m’avez jugée digne du prix que vous me remettez ce soir et de l’honneur qui en résulte.
Car, évalué à l’aune de la réalisation de l’objectif primordial, visé par mon action militante et mes écrits, il est loin d’être certain que je mérite ce prix. En dépit des multiples débats et durs combats auxquels j’ai ardemment participé avec quatre générations de militants indépendantistes, la nation québécoise n’est-elle pas tout aussi éloignée de son accession à l’indépendance politique qu’il y a cinquante ans ?
J’accepte néanmoins le prix avec reconnaissance, fierté et bonheur.
Précisément, parce que je n’ai rien réalisé, pas la plus infime réforme du système dominant, n’ayant jamais accepté le moindre compromis qui m’aurait permis, comme cela m’a quelques fois été proposé, d’accéder à certains postes de responsabilité dans les instances de nos institutions politiques et culturelles provinciales.
Précisément, parce que j’ai toujours pensé et pense toujours que ce n’est pas en œuvrant à l’intérieur de ses cadres et dans le respect de ses règles qu’on renversera l’ordre établi. Au mieux peut-on y corriger les pires effets délétères des conditions d’existence de notre nation. Pour un temps, comme le montre à l’évidence le désastreux recul du français comme langue officielle et d’usage, malgré l’adoption de la Charte de la langue française, il y a à peine 36 ans. Et l’on peut sans crainte de se tromper prédire le même sort à la Charte des valeurs québécoises dans le cadre constitutionnel actuel.
Précisément, parce que je crois que l’accession à l’indépendance repose sur un militantisme dont la vertu principale est de ne jamais lâcher la proie pour l’ombre ; sur un militantisme dont l’objectif principal est la politisation et la mobilisation du peuple, puisque, comme le disait joliment Hélène Pedneault, seule la force de son désir d’autodétermination peut conduire à la victoire décisive ; sur un militantisme dont l’exigence principale est l’engagement dans une lutte sans détour, ouverte et constante, contre toutes les formes directes et sournoises de domination et d’exploitation qui maintiennent notre nation dans une dépendance de plus en plus destructrice non seulement de ses institutions, mais des caractères même de son identité.
Précisément parce que je crois qu’une lutte victorieuse pour l’indépendance requiert de ses militants une liberté sans restriction de parole et d’action. Car il faut être déjà libre pour communiquer le désir de liberté.
Un soir, alors qu’à son invitation, je le rencontrais dans les hauteurs d’un édifice de la rue Sherbrooke, Rosaire Morin m’a fait part de son estime pour mes justes analyses, mes convictions profondes et mon engagement sans peur. « Vous luttez comme vous respirez », m’a-t-il dit. Avant que je n’aie eu le temps de rougir, il avait déjà commencé à critiquer avec autant de bienveillance que de sévérité l’impétuosité de mon discours et de mon action révolutionnaires.
Lui qui était révolutionnaire dans toutes les fibres de son être. Lui qui n’avait de cesse d’élaborer des stratégies inédites de lutte, telle, pour ne donner qu’un exemple, l’organisation des États généraux du Canada français, à la fin des années 1960. Lui qui n’avait de passion plus grande, d’engagement plus constant que ceux qu’il investissait avec un dévouement et un désintéressement personnel sans égal, dans la lutte pour l’indépendance de sa nation.
Je veux croire que nous unissaient au-delà de négligeables divergences, un même amour de la liberté et la même espérance de voir notre peuple en prendre le risque.
Car, comme le disait Gaston Miron, moins dans une affirmation de confiance que dans un cri désespéré d’espoir : « Cela ne peut pas toujours ne pas arriver ».
Continuons le combat.
Vive le militantisme. Vienne l’indépendance.