Éditorial – Un projet de société

2016fevrier250

Le spectacle est affligeant, l’esprit de lynchage qui prévaut dans le traitement des déboires du chef du Parti québécois a certes de quoi dégoûter n’importe qui de la politique. Cette façon de s’acharner, la hargne avec laquelle les anecdotes deviennent matériaux pour construire les potences, la violence médiatique qui se déploie sans vergogne ne doivent pas faire perdre de vue l’essentiel, le sens profond de la manœuvre  la lutte sans merci pour mettre à mort le principal véhicule du projet national est entrée dans une phase cruciale.

Il ne faut pas s’abuser : quel que soit le sort du chef du PQ, quels que soient les motifs ou justifications de ses turpitudes présumées, quelles que soient même les raisons qui pourraient éventuellement l’amener à abdiquer, le sort de son successeur serait le même. La manière et les prétextes changeraient, mais certainement pas l’objectif. Tout chef du PQ, même velléitaire, est un chef en sursis. Car ce qui est en cause désormais, c’est la légitimité même du projet indépendantiste.

Cette remise en cause passe d’abord et avant tout par le brouillage des clés de représentation et de compréhension du réel. On se rappellera le délire médiatique qui aura réussi à travestir un attentat politique contre la première ministre en fait divers pour se convaincre de l’efficacité d’un dispositif de propagande extrêmement puissant. Ce dispositif s’appuie sur un complexe médiatique tantôt complice tantôt instrumentalisé pour déréaliser les fondements aussi bien que les lectures politiques de notre lutte et de notre situation nationale. En ces matières, l’action de propagande de l’État canadian est toujours agissante et d’autant plus efficace qu’elle est relayée par des franges très actives de l’élite d’inconditionnels du Canada qui sont solidement encastrées dans l’ensemble des institutions québécoises. En quelques décennies à peine, ces élites ont été, par consentement, veulerie ou vénalité, des vecteurs de dénationalisation de nos institutions. Dans les universités, les municipalités, les commissions scolaires, les chambres de commerce et dans la plupart de lieux névralgiques où se façonnent les catégories du débat public et de la réflexion institutionnelle, ces agents de canadianisation sapent la référence nationale sans le moindre scrupule à jongler avec le bris de loyauté.

On ne peut que déplorer la candeur avec laquelle le PQ lui-même et une trop large part du mouvement indépendantiste se laissent continuellement déporter dans des chemins de travers, les éloignant toujours plus des trajectoires qu’il faudrait prendre. Il faut dire que le tir groupé de Gesca et de Radio-Canada et de toutes les forces du consentement à la minorisation n’est pas facile à éviter. Mais encore faut-il au moins savoir le reconnaître pour ce qu’il est. Le complexe médiatique est devenu, en fait, une force de déréalisation du Québec, un formidable instrument de corruption de la conscience nationale, une arme de destruction destinée à saper et rendre impossible l’énonciation de l’intérêt national. Le paradigme narratif médiatique est entièrement construit sur la représentation minoritaire du Québec. Le processus d’oblitération de la majorité carbure à la montréalisation de l’actualité construite par les récits médiatiques et s’avère d’une redoutable efficacité à susciter un sentiment d’aliénation grandissant menaçant de détacher la métropole de la dynamique nationale et nourrissant chez les immigrants et allophones une représentation totalement biaisée de la réalité québécoise.

Notre pays est même de moins en moins représenté dans sa diversité de peuplement et ses dynamiques régionales. Le rapport d’influence Communications paru avant Noël est d’une clarté accablante sur le sujet : notre pays disparaît de la référence en information. Cette oblitération n’est pas le fruit du hasard, elle est le résultat d’une pression continue pour dénaturer notre présence, l’atomiser et la réduire aux formats anecdotiques compatibles avec le traitement de l’information imposé par les standards radio-canadiens qui nous réduisent à l’insignifiance d’une mare à l’autre.

Il faut apprendre à penser le combat pour l’indépendance en sachant que les catégories médiatiques qui sont utilisées pour en rendre compte sont toxiques. Des antidotes existent, d’autres sont à inventer, mais une chose est certaine, il faut absolument quitter le terrain de la politique spectacle, cesser de l’alimenter en mettant en œuvre non seulement des tactiques et moyens d’évitement, mais surtout en refusant de penser l’action indépendantiste dans les représentations que le complexe médiatique en fait. Il faut privilégier nos propres instruments de communication et d’analyse, renouer avec le contact direct avec la population, porter dans les lieux de travail et les milieux de vie des messages tout entiers construits sur la promotion de projets incarnant l’intérêt national et facilitant la compréhension des ruses et distorsions produites par le régime de minorisation.

Il faut savoir s’élever au-dessus de la joie mauvaise dans laquelle se vautrent les artisans de la petite politique pour ne pas perdre ses repères. Il ne faut surtout pas céder à la tentation de s’enfermer dans la logique défensive. La force du projet d’indépendance ne jaillit pleinement que lorsqu’il s’exprime comme la seule voie de l’initiative pour la maitrise de notre développement. Il faut dire et faire comprendre toujours et sur tout sujet que jamais la minorisation ne peut constituer une voie de développement. Toujours, notre prospérité ne dépendra que de nous-mêmes. On peut citer des tonnes d’exemples. On n’en retiendra qu’un seul particulièrement parlant, celui du pipeline, qui commence à faire germer ce qui pourrait finir par être une vraie colère et par déciller bien des yeux.

Il ne faut pas se contenter d’un front du refus du pipeline Énergie Est. Il faut inscrire notre opposition dans la perspective large de notre droit à l’autodétermination, de notre intérêt national et de la mise en valeur de notre potentiel. Il n’y a rien à négocier avec le Canada, surtout pas la minimisation du risque et les mesures d’atténuation en échange de quelques promesses de retombées et compensations. Il faut affirmer clairement que notre intérêt national nous dicte plutôt une audacieuse Politique nationale des énergies renouvelables et une immense corvée de transition écologique de l’économie. Il faut raccorder le pays réel avec des projets en phase avec nos possibles et qui contribueront à nous sortir de notre mal développement canadian.

Il n’y a rien à attendre du gouvernement Trudeau. Il gouvernera en fonction de l’intérêt national canadian, dont les paramètres sont ceux du paradigme extractiviste sur lequel il a fondé son développement économique. Ils ne changeront pas parce qu’on va changer quelques règles d’évaluation environnementale. Même le gouverneur de la Banque du Canada l’a reconnu, il faudra des années pour sortir de cette chausse-trappe, à supposer même que la majorité canadian soit prête à y consentir les efforts. Quant à nous, nous n’aurons rien du pétro-État canadian, ni prospérité ni sécurité, car il n’y aura jamais rien à concéder à ceux-là qui auront renoncé au respect d’eux-mêmes. Les tergiversations sur le pipeline sont en fait la métaphore en même temps que le symbole d’un refus de se penser dans le réel. Une manière de chercher à se perdre dans ses propres alibis, de se laisser glisser dans la spirale de la démission collective. Il faut reconnaître que c’est une tentation réelle dans une frange de la population tentée par la démission, à la condition qu’elle soit bien enrobée. Dans le pseudo-pragmatisme libéral ou dans les fleurs de rhétorique d’un nationalisme frelaté.

La régression nationale, prônée en toute connaissance de cause par un François Legault parfaitement conscient de l’irrecevabilité canadian de son approche, pourrait bien servir à quelques-uns de refuge pour le consentement à l’impuissance. Mais par-dessus tout, elle signifierait le déploiement d’un vaste effort d’auto-aveuglement qui détournerait les énergies créatrices et laisserait le Québec enfirouapé dans des solutions bancales, inadéquates sur le plan national et parfaitement soumises aux logiques canadian. Le nationalisme cosmétique cache mal le désir de revenir à l’idéologie de la survivance. C’est la voie agonique qui reste seule quand on a tourné le dos au combat. Elle ne rapporterait que la honte rentrée et quelques prébendes à ses promoteurs. Le pouvoir provincial en serait le salaire, un pouvoir de plus en plus limité, condamné aux lamentations et à la rhétorique compensatoire, mais dont se satisferaient pleinement des élites déclassées. Des limousines, une notoriété dans la bourgade et quelques hochets pour faire du bruit dans l’antichambre d’Ottawa, voilà tout ce que cela rapporterait. Le Québec n’en retirerait que de la monnaie de singe, frappée par des naïfs ou contrefaite par des cyniques qui se trouveraient bien aises de brader l’intérêt national au profit des intérêts particuliers, légitimes ou occultes.

Il faut prendre acte de la radicalisation absolue de notre condition politique. Il n’y a plus de place pour tergiverser, encore moins de temps à perdre. L’effort pour nous arracher à nous-mêmes est sans aucun doute plus important que celui qu’il faudra pour casser le carcan canadian. C’est aux indépendantistes qu’il incombe de le faire d’abord cet effort, de faire ce qu’il faut pour produire les effets d’entraînement. Cela leur demande de commencer par s’affranchir du paradigme médiatique qui déforme le sens et la portée de notre lutte. Il faut sortir des énoncés préformatés qui empêchent de lire adéquatement la conjoncture que façonnent les libéraux.

Il faut cadrer le discours dans un registre affranchi des catégories provinciales. C’est seulement ainsi qu’il deviendra possible de bien nommer – pour mieux faire voir – ce qui se joue actuellement derrière les manœuvres du gouvernement Couillard. Les Québécois sont loin de le réaliser pleinement, mais il s’agit bel et bien d’un projet de société que ce gouvernement tente d’imposer sournoisement. C’est par la société ultralibérale que les libéraux tentent de dissoudre le Québec dans le tout canadian. Ils ne veulent pas seulement rapetisser le Québec et dénationaliser son gouvernement, ils veulent utiliser notre demi-État pour le retourner contre le Québec lui-même, s’en servir pour paver la voie et faciliter les moyens des puissances d’atomisation qui pourraient bien transformer notre peuple en une nébuleuse de consommateurs à la merci des forces du marché et de l’anéantissement culturel.

Depuis des décennies les nationalistes et les péquistes ont englouti des énergies fabuleuses à discuter projet de société et débat d’antériorité du projet national sur le projet social. Pendant qu’ils s’égaraient et se divisaient dans toutes les nuances qui ont fini par prendre les allures d’un débat théologique, les inconditionnels du Canada ont tranché : le laisser-faire économique est devenu entre leurs mains le meilleur moyen de faire primer le national canadian sur toute chose. Ils avancent à couvert, ne dévoilent rien de ce qu’ils veulent faire du Québec. Au nom du pragmatisme, ils fuient les débats ou les détournent de leur substance sans jamais rater une occasion de se moquer de l’expression « projet de société » elle-même. Cela ne les empêche pas pour autant de faire subir à notre peuple une violence sourde et particulièrement douloureuse, celle qui cherche à l’enfermer dans le fatalisme et la conviction qu’il n’existe plus pour lui-même. Leur projet de société c’est celui de nous proposer le non-sens pour être enfin délestés du poids que pourraient nous imposer le goût de vivre et la force de rêver.

Février 2016

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