Éditorial – C’est grand temps

Les fruits sont mûrs
Dans les vergers
De mon pays
Ça signifie
L’heure est venue
Si t’as compris

Félix Leclerc, « Le tour de l’île »

L’Action nationale poursuit sa tradition. À chaque moment clé de notre histoire, quand des enjeux majeurs se dressent, la revue, depuis plus de cent ans, se fait le devoir de lancer une Grande Enquête. Le format et l’ampleur de l’effort de pensée ont varié au fil du temps et en fonction de nos modestes moyens. Mais toujours il s’est agi de mettre au débat tantôt des problématiques, tantôt des propositions susceptibles d’éclairer nos choix collectifs. De l’« Enquête sur notre avenir politique » de 1921 à celle sur la « Déportation de l’épargne » de 1998, une même volonté de mieux cerner les contours de nos intérêts nationaux s’est affirmée afin de baliser plus précisément les chemins d’une émancipation qui reste caractérisée depuis le lendemain de la Conquête par une tenace volonté d’achèvement.

Alors que l’idée d’indépendance retrouve sa place au centre de l’arène politique ; alors que le régime canadian se trace une voie messianique dans un multiculturalisme mortifère ; que sa politique d’immigration tient de la pure chimère ; que sa fureur pétrolière engloutit des sommes faramineuses de fonds publics pour continuer de foncer dans le mur climatique ; alors ses finances publiques sont à la dérive, il est plus que temps que le Québec entreprenne de sortir de cette maison de fous. Plus le temps passe et plus ce régime réduit nos chances, non plus de faire l’indépendance, mais bien plus prosaïquement et plus tristement de nous maintenir comme nation viable. Le Canada ne se satisfait plus de notre minorisation définitive, il se conduit en affichant une indifférence totale à notre existence. Les simagrées autonomistes le laissent de glace. Ottawa sait très bien que ce ne sont que hochets pour abuser les candides, les fragiles et pour nourrir les alibis des intermédiaires dont, pour un temps encore, il a besoin pour gérer l’ennoiement.

Dans ce contexte, jamais l’indépendance ne sera-t-elle apparue aussi vitale. Jamais non plus, malgré les vicissitudes, le Québec n’a-t-il eu autant de moyens pour s’assumer à la hauteur de ses rêves les plus ambitieux. Notre paradoxale situation politique atteint un sommet : nous avons d’immenses atouts, un potentiel énorme et pourtant nous nous contentons d’un développement entravé dans des conditions qui ne cessent d’en menacer les fondements. La domination canadian procède et s’exprime par usurpation et détournement. Le Canada parasite le Québec. Nous peinons collectivement à comprendre qu’il détourne des ressources et des énergies qui lui sont profitables et qui sont au fondement de son attachement pour la province.

L’indépendance est une idée de gagnant qu’il faut incarner dans tout ce qu’il faut pour le passage à l’acte. Pour rompre. Et le faire en s’assumant dans l’altérité, en posant notre démarche collective visant explicitement à en finir avec l’hétéronomie, avec l’intériorisation de contraintes que le régime tend à faire penser pour nos limites propres alors qu’elles ne tiennent que de l’empêchement. C’est dire qu’il faudra bien instruire et conclure le procès de légitimité. Nous vivons sous un ordre imposé dont il faut faire voir non seulement l’imposture, mais aussi les faux combats qu’il impose au Québec et aux Québécois.

La Grande Enquête qui s’amorce s’impose avec une urgente nécessité. Et c’est avec confiance que L’Action nationale l’aborde. Confiance en nos moyens certes, mais surtout confiance dans la mobilisation citoyenne qu’elle veut susciter et qui la nourrit d’ores et déjà. Au gré des époques, les collaborateurs n’ont jamais manqué, leur volonté encore moins. L’Action nationale a toujours placé au fondement de son travail l’inébranlable conviction que notre peuple a la capacité de faire son histoire au moins autant que d’en infléchir le cours. C’est encore le cas aujourd’hui.

À l’heure où se multiplient et s’imbriquent des crises qui ébranlent la confiance en l’avenir chez un trop grand nombre de nos compatriotes, il faut faire lever l’horizon. Pour résoudre les problèmes imputables au régime canadian, il faut l’indépendance. Pour s’attaquer à ce qui relève de l’époque et du désordre du monde, il faut des outils inédits et pour lesquels l’indépendance est une condition nécessaire. On concèdera volontiers qu’elle ne sera pas toujours suffisante pour bien des enjeux, mais pour lesquels elle reste incontournable si nous voulons y infléchir un tant soit peu les destins qu’ils nous dessinent.

Pour dénouer les impasses, pour ne pas céder à la résignation et, surtout, pour porter plus loin les espérances des générations qui nous ont conduits jusqu’ici, il faut s’imposer le courage, se faire devoir d’audace et d’imagination. C’est une affaire de gratitude et de dignité. C’est une façon de s’inscrire dans le temps long. Et de le faire en acceptant de voir le parcours pour ce qu’il est : une voie de dépassement.

L’Action nationale entreprend donc pour l’année qui vient (voir : Denis Monière, « Penser le Québec indépendant », juin 2024) une autre Grande Enquête avec l’espoir et l’ambition de susciter l’émergence de nombreux foyers de réflexion qui s’y alimenteront et qui, souhaitons-le, la nourriront en retour. Le projet s’impose à nous parce que l’état du Québec le rend vital. La réponse que nous avons obtenue de tous les collaborateurs et collaboratrices que nous avons invités nous en confirme la pertinence, voire l’urgence. Les matériaux qui seront présentés tout au long des prochaines livraisons ne seront certes pas parfaits, mais nous les voulons suffisamment travaillés pour permettre d’éventuelles esquisses et moyens de construction fiables de la maison Québec.

Les articles qui paraîtront seront donc élaborés selon des perspectives plus ou moins éloignées des considérations programmatiques auxquelles s’en tiennent généralement les partis politiques et les organisations militantes. La Grande Enquête ne cherchera pas à dresser des « listes d’épicerie ». Sa perspective est celle de l’élaboration des possibles et non pas de l’énumération des souhaitables. Pour le dire en jargon plus théorique, sa perspective est moins programmatique que paradigmatique. Elle vise à établir un construit reposant sur trois piliers : 1) les principes à expliciter et à mettre au fondement des diverses fonctions du futur État indépendant ; 2) la définition d’une architecture institutionnelle dans laquelle ces principes seront incarnés ; 3) l’identification des enjeux dans lesquels s’exprimeront les nécessités de la transition d’État.

La perspective est celle de la conquête de l’effectivité réelle, de son opérationnalisation en vue non pas seulement de la succession d’État, mais aussi de la réussite des grands chantiers qu’il faudra lancer. Certaines des tâches devraient même être entreprises avant la déclaration d’indépendance, en particulier en tout ce qui touche le piétinement des compétences de l’Assemblée nationale. Il faut tout de suite commencer à sortir le Canada usurpateur, aussi bien dans le domaine de la culture et des symboles que dans les affaires locales et régionales où il se comporte en intrus arrogant. Cette conquête de l’effectivité trouvera sa légitimité dans le pouvoir instituant d’une constitution, d’abord provisoire avant d’avoir trouvé sa forme validée par la volonté populaire. Les contours du Québec à venir seront donc dessinés, parfois en creux, parfois plus explicitement dans des exposés qui permettront de faire les distinctions entre les fondements de l’État et ses modalités de fonctionnement. On comprend qu’il s’agira d’un premier effort de totalisation.

L’ambition de L’Action nationale est d’abord celle de la mobilisation sur des énoncés qui ne prouveront leurs pertinence et fécondité que dans la mesure où ils seront repris, partagés, discutés et adoptés dans la délibération et l’action collectives, au sens le plus large possible, pas seulement dans le militantisme des partis politiques. Il faut que se développe la conscience claire que toutes les institutions et les règles de gouvernance dictant les façons de faire sont à revoir. Il faut apprendre à faire la part des choses entre ce que nous avons construit et ce à quoi notre statut de minoritaire nous a obligés de consentir. Apprendre à nous lire en dehors des représentations d’un monde séparé, clivé par un ordre politique et juridique imposé depuis toujours et à jamais verrouillé depuis 1982.

Le Québec est en construction. Et il doit, en fait, il est condamné à bâtir en combattant. La candeur des deux précédents référendums et l’étonnement devant les coups fourrés de Patrimoine Canada n’ont plus leur place. Le Canada ne va pas desserrer son étau. Les tenailles capitonnées ou pas ne vont pas disparaitre. Les bonimenteurs ne manqueront pas pour tenter de les faire voir autrement. L’indépendance n’a aucun sens ni même d’avenir si elle ne repose pas sur une volonté partagée de sortir le Canada du Québec. En commençant par le sortir de la tête des Québécois et des Québécoises. Il y a un gouvernement de trop et il faut en traquer les dégâts partout, pour partout s’affranchir des biais cognitifs et des distorsions qu’il instille pour saper la représentation du réel, et imposer la lecture de la condition provinciale. Il faut arrêter de se voir avec les yeux du régime canadian. Il faut les efforts de pensée requis pour s’affranchir des catégories et concepts qui charpentent les dispositifs institutionnels et idéologiques mobilisés pour nous enfoncer le consentement sournois à la minorisation. Le Canada est plus que jamais un pays qui nous est, à tous égards, étranger.

La Grande Enquête ambitionne aussi de servir à débusquer des simulacres et les conduites compensatoires pour faire voir tout ce qui entrave la mise en œuvre des moyens d’agir en cohérence avec nos intérêts nationaux et en congruence avec les aspirations collectives les plus élevées. « Pour se faire une idée de l’indépendance, il faut d’abord avoir de l’indépendance dans les idées », disait Rosaire Morin.

Il serait imprudent et présomptueux de se laisser bercer par l’attentisme et de reporter – au lendemain d’un référendum, par exemple – le travail de conception. L’indépendance ne peut être tenue dans une boîte noire. Il faut sortir de la vision événementielle qui sous-tend le référendisme. Fonder un pays ne peut tenir des seuls mouvements d’opinions. Et encore moins dans un où le Canada pensait bien en avoir fini avec l’indépendantisme et où il a entrepris de procéder à la relégation définitive du Québec comme entité nationale en l’ignorant délibérément dans ses grandes orientations politiques et en déployant une politique d’immigration visant la dissolution programmée de notre statut de majoritaire sur notre territoire.

L’indépendance comme combat et projet ne se tient que dans la maîtrise de ses conditions de réussite. Et ces conditions doivent être réunies dans le même élan mobilisateur pour éviter les reculs que pourraient lui infliger les manœuvres de déstabilisation. L’action collective efficace passe par l’appropriation citoyenne de tous les instruments de lecture de la conjoncture et des prérequis pour le passage à l’acte. C’est pour avoir négligé cet aspect fondamental que le mouvement souverainiste a été si facilement mis sur la défensive par les menaces de toutes natures brandies par les adversaires qui ne se sont jamais privés de « faire peur au monde ». Il faut éviter que le Canada et ceux qui le servent imposent une vision de l’indépendance et un cadre interprétatif qui placerait le débat québécois dans un espace aliéné, dans les termes canadian.

La Grande Enquête n’aura donc rien d’onirique. Elle fera appel au principe de réalité, à l’effort, à la ténacité devant l’adversité. Mais elle le fera avec la conviction profonde que les rendez-vous qu’elle dressera seront ceux où notre histoire – avec tout ce qu’elle comporte de contradictions, de succès et de renoncements – nous a conduits. Et cette histoire, pour nous comme pour tous les peuples en lutte est la sève nourricière.

L’Action nationale aborde le projet d’indépendance comme un autre épisode du farouche combat pour la « reconquête du territoire de l’âme » comme le disait Pierre Perrault. C’est une perspective exaltante qui permettra à tous ceux et celles qui souhaitent se faire un avenir dans cette contrée de s’éprouver vivants et solidaires, soudés par la recherche et la construction d’un destin commun. Pour la suite du monde. Dans le dur labeur et l’audace du dépassement.

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Septembre 2024

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