Christian Saint-Germain
Naître colonisé en Amérique, Montréal, Liber, 2017, 204 pages
Colonialisme, colonisés, colonisateurs, ces vocables ont disparu du discours politique québécois alors qu’à l’origine du mouvement indépendantiste ces mots étaient utilisés pour caractériser la situation du peuple québécois dans le régime politique canadien et l’attitude de beaucoup de Canadiens français qui collaboraient à notre asservissement collectif.
Ce vocabulaire a été évacué pour des raisons idéologiques par le Parti québécois qui ne concevait pas le changement de statut politique comme une rupture avec le Canada, qui ne pensait pas l’indépendance comme une libération nationale parce qu’il se proposait de négocier une nouvelle entente avec le Canada. Comment dans cette logique parler d’une entente d’égal à égal, tout en accusant son éventuel partenaire d’être un oppresseur colonial ?
Le projet de souveraineté-association et la stratégie étapiste étaient donc incompatibles avec la critique de la situation coloniale du Québec. Les Québécois n’étaient pas des colonisés parce qu’ils jouissaient des attributs et du mode de vie d’une société moderne et qu’ils pouvaient se développer grâce aux interventions de l’État provincial incarnées par la Révolution tranquille. Tout ce qui leur manquait pour accéder à la normalité était une série de pouvoirs possédés par l’État fédéral. On ne pouvait tout de même pas nous comparer aux Africains qui s’étaient libérés des puissances coloniales, sans réussir à se décoloniser vraiment.
On pensait qu’il suffisait d’un référendum où une majorité de Québécois diraient OUI pour que s’effacent deux siècles de domination politique. Cette vision candide n’a pas été validée par l’histoire. Mais il y a peut-être un lien de cause à effet entre ce refus de l’indépendance et cette négation de l’oppression coloniale.
Ce livre se propose d’explorer cette relation et de décrypter les rouages de l’inconscient colonial québécois. C’est en somme une description du portrait du colonisé québécois moderne. Mais attention : cœurs sensibles s’abstenir de lire ce livre hors norme, ce chef-d’œuvre de sarcasme et d’ironie décapante. La plume acide du philosophe Saint-germain vitupère les conforts intellectuels de notre bourgeoisie intellectuelle qui règne sur un peuple qui se tord de rire. Pour bien se faire comprendre, l’auteur emprunte lui aussi le chemin de l’humour puisqu’au Québec rien d’autre ne suscite de l’intérêt. Il prend un malin plaisir à tourner en dérision nos vedettes du grand écran et le peuple esbaudi qui les acclame. Pour bien annoncer la couleur, l’auteur a d’ailleurs choisi de mettre en exergue à chacun de ses chapitres une citation des Marx Brothers.
Éclats de rire garantis à tous les chapitres dans ce livre qu’on doit souvent laisser tomber pour cause de fou rire. À consommer à petite dose. L’auteur iconoclaste compare Gabriel Nadeau-Dubois à René Simard, Manon Massé à un char allégorique, Véronique Hivon à Sœur Sourire. Il qualifie Lisée de politicien de l’ombre et de sous-chef et le fustige pour ses rodomontades de l’impuissance. Il s’acharne sur « les splendeurs de l’insignifiance politique nationaliste » (p. 61). C’est un pamphlet vitriolique contre les élites nationalistes responsables, selon Saint-Germain, du démantèlement de la nation.
Le PQ tourne en rond et a rabougri le destin du Québec. L’auteur ne ménage pas les insultes envers ce parti qu’il qualifie de parti de ronds de cuir, de pantouflards. Avec le PQ, « le Québec est devenu un fœtus politique, amas informe, enfant mort-né de la Révolution tranquille » (p. 67). La faute du PQ est d’avoir camouflé et travesti les rapports de force entre le peuple québécois et ses oppresseurs (voir p. 71) faisant ainsi des Québécois les victimes consentantes du fait colonial. La faute du PQ est de ne pas avoir assumé le « caractère ethnique de notre survivance ». Ses dirigeants avaient la terreur phobique de ce que l’Autre, le colonisateur penserait de cette affirmation de soi. Se nier soi-même pour ne pas déplaire à ceux qui dominent et créent les conditions de notre subordination, telle est la logique du colonisé. « Blanchis sous le harnais, le colonisé québécois garde les caractéristiques héréditaires d’une soumission reçue et transmise comme son unique moyen de conservation et de pérennité » p. 114).
Saint-Germain identifie une autre cause de notre incurie nationale soit la culture du prestataire instituée par la Révolution tranquille qui empêche les Québécois de rompre avec le système de dépendance et avec le corporatisme qu’il génère. C’est la conservation de ce qui est établi qui l’emporte sur le désir de changement et tue toute forme de contestation. Il mène une charge en règle contre l’État providence et le modèle québécois qui n’ont servi qu’à engraisser les médecins et à instiller une culture de l’assistance qui a atteint son ultime aboutissement avec l’aide à mourir qu’il utilise comme métaphore pour décrire l’avenir du Québec : abdiquer et disparaître dans la dignité. « Suicidaires avant-gardistes, les Québécois étaient devenus aussi audacieux en matière d’euthanasie active qu’ils étaient restés timorés au regard de leur salut collectif » (p. 163).
Certes, la colonisation des esprits produit une forme d’envoûtement collectif qui entrave l’action historique. Mais comment s’en libérer ? Autant le diagnostic de Saint-Germain est pertinent et percutant, autant l’auteur nous laisse sur notre faim quant aux moyens pour en finir avec le colonialisme. Le « Que faire » est laissé en suspens comme si l’auteur découragé ne croyait plus possible de sortir le Québec de son abyssale insignifiance politique. Tenant cette chronique d’une mort annoncée, il opte pour le « il n’y a rien à faire », avec une certaine mauvaise foi, car pourquoi écrire 200 pages de dérision s’il n’espérait pas un sursaut national. Pour ceux qui ne renoncent pas, ce livre de Saint-Germain peut s’avérer salutaire, car il sonne l’alerte et oblige à sortir du prêt-à-penser qui produit la culture de la défaite péquiste. Nous avons toujours le choix de continuer la lutte et de réfléchir aux moyens de combattre les stratégies débilitantes afin de remplacer l’art de la défaite par celui des victoires.
Denis Monière