Claude Vaillancourt. La fin du néo-libéralisme

Claude Vaillancourt
La fin du néo-libéralisme. Regard sur un virage discret
Montréal, Écosociété, Collection Polémos, 2023, 200 pages

Après Mainmise sur les services (2006) et Hollywood et la politique (2020) parus chez Écosociété, le romancier et essayiste altermondialiste Claude Vaillancourt s’associe de nouveau à l’éditeur pour son dernier essai, La fin du néo-libéralisme.

L’auteur y défend une thèse qui se présente davantage comme une espérance : l’échec et la fin du « consensus » néo-libéral. Pour étayer sa position, il divise son essai en trois parties : la première expose le modèle néo-libéral et les motifs de son agonie, la deuxième identifie les enjeux de notre monde contemporain qu’il qualifie de « postnéolibéral » et la troisième se veut une projection des possibles sur les ruines du néo-libéralisme. Il applique sa théorie à l’ensemble des phénomènes actuels qu’il dénote, ce qui ne va sans poser certaines difficultés à certains égards, comme nous le verrons en deuxième partie.

Vaillancourt décrit fort bien l’avènement et l’implantation du néo-libéralisme dans nos sociétés et les postulats et certitudes qui l’accompagnaient. Ce système de pensée économique et politique arrivait au terme d’une période de crises (idéologique, économique et politique) et son succès a bénéficié de la chute de l’empire soviétique. Les crises économiques des années 1970-80 avaient nécessité un redressement majeur des finances étatiques et, en l’absence d’autres alternatives (ou en niant leur existence), le néo-libéralisme arrivait en unique sauveur pour bien des États. Pour l’auteur, le succès de ce système a été assuré par l’affaiblissement du « mouvement social » (sic) qui a fait paraître difficile l’émergence de toute autre option viable et crédible. Il rappelle les implacables principes du Consensus de Washington sur lequel s’est appuyé le néo-libéralisme : la discipline fiscale, la déréglementation et le non-interventionnisme étatique. Étant donné leur immense coût social et leur impopularité, il soutient que ces dures mesures ne sont pas près de faire leur retour. Il cite en exemple la dernière tentative de Liz Truss au Royaume-Uni qui a eu raison de son gouvernement.

Quatre événements ou facteurs annoncent, selon Vaillancourt, la fin du néo-libéralisme, soit la Grande Récession de 2008, la crise environnementale, la pandémie du coronavirus et, en filigrane, l’inefficacité intrinsèque du néo-libéralisme.

La crise de 2008, provoquée par la déréglementation massive, non seulement dans la finance, mais dans tous les secteurs, amorce cette remise en question. Les sauvetages des banques par les gouvernements ont choqué l’opinion publique et ont ainsi ébranlé les fondations et les appuis du néo-libéralisme. Ce sont en effet les populations qui ont dû payer « l’incurie de quelques riches » (p. 30) dans les années suivantes, en plus d’en être les principales victimes.

Le réchauffement climatique demeure pour Vaillancourt la principale clé pour contrer cette idéologie et son mode de (sur)production et de surconsommation. Des changements inévitables s’imposent pour instaurer un système économique compatible avec la protection environnementale. Il y consacre un chapitre en deuxième partie où il présente de manière réaliste les nombreux obstacles à la transition écologique. Il attribue plusieurs gains au mouvement social dans cette cause, dorénavant pour lui « la mère de toutes les luttes » (p. 196).

La pandémie de Covid-19 achève d’invalider ce qu’il reste des principes néo-libéraux, notamment par la mise en échec des chaînes d’approvisionnement et la fragilisation des systèmes de santé (due aux coupures budgétaires) qui ont entraîné l’abandon des règles du néo-libéralisme durant cette période. Plusieurs gouvernements ont en effet soutenu massivement leur économie pour éviter le pire. Vaillancourt juge inconcevable de revenir à notre mode de vie prépandémique.

L’auteur constate enfin l’inefficacité de ce système économique et de ses principes. Parmi ces échecs, y figure la théorie du ruissellement1 et les « vertus » du libre-marché. En fait, le néo-libéralisme a surtout induit un accroissement des inégalités sociales.

Malgré le titre de l’essai, il concède que si le système néo-libéral « a du plomb dans l’aile », son héritage est profondément ancré dans nos sociétés et il n’y a pas de « solutions claires de remplacement » (p. 50). Cela laisse planer une forte incertitude sur notre époque postnéolibérale en pleine transformation.

Le cœur de son essai, en deuxième partie, porte sur l’observation de ce monde « postnéolibéral ». Cette section s’avère bien diffuse et éparpillée, reflétant ainsi la particularité de notre époque, soit « la fin des certitudes » (p. 63) économiques et politiques. Les liens qu’il établit entre la fin du néo-libéralisme et certains phénomènes contemporains semblent parfois bien ténus. Il tente de les expliquer à partir du cadre théorique élaboré en première partie, mais force est de constater qu’une vision strictement économique ne peut expliquer à elle seule l’ensemble des phénomènes sociaux. Certaines de ses démonstrations sont plutôt faibles et sont basées sur ses positions idéologiques de militant.

Il relie la fin des certitudes à la prolifération des « faits alternatifs », à la montée de l’extrême-droite et à l’éclatement de l’offre politique dans plusieurs pays. Il constate également un déplacement du centre vers la gauche dans plusieurs pays, dont les mesures demeurent toutefois insuffisantes pour lutter contre les changements climatiques.

Dans le chapitre sur l’extrême droite, il reconnaît le rôle du néo-libéralisme et de la mondialisation dans la montée subséquente du populisme et soutient que ce phénomène a été nourri par la colère des déclassés de la mondialisation. Il y décrit la montée de l’extrême-droite dans plusieurs États en plus de la désigner comme principale menace aux avancées sociales. Vaillancourt semble souvent confondre l’extrême droite avec les positions défendues par la droite « traditionnelle ». Il va jusqu’à confondre la montée des régimes populistes dans plusieurs pays et l’autoritarisme qui prévaut en Russie et en Chine « communiste ». L’invasion russe en Ukraine serait même une conséquence de la montée de l’extrême droite en Russie selon lui. Si on peut qualifier à juste titre le régime Poutine d’autoritaire, Vaillancourt ne montre pas en quoi ce gouvernement est d’extrême droite, il le postule et affirme qu’il en est le « paroxysme » (p. 94)2.

Plus loin, le chapitre 9, « le bal des identités », trouve difficilement sa place dans l’ouvrage, le lien avec la fin du néo-libéralisme est particulièrement mince. Il y défend notamment l’idée que notre société a développé une sensibilité particulière pour les droits de la personne (minorités) depuis le néo-libéralisme, tant que ceux-ci n’entravaient pas les lois du marché. Il discute des phénomènes et concepts en vogue (colonialisme, diversité, intersectionnalité, racisme systémique, BLM, #MeToo…) en passant de l’un à l’autre sans que l’on comprenne véritablement le lien avec sa thèse principale. Tout en admettant que ce vernis progressiste est utilisé par les entreprises et organisations pour bien paraître, il affirme qu’il y a eu de réelles avancées des minorités, sans jamais dire lesquelles. Il semble se contenter d’une représentativité diversitaire superficielle dans différents milieux comme signe de progrès social, alors que cette essentialisation micro-identitaire ne remet pas en question le néo-libéralisme. Sa vision des luttes contre les inégalités s’en trouve donc limitée. Ce chapitre aurait mérité un travail de consolidation pour assurer la cohérence de l’essai.

En dernière partie, il fait une prospective qu’il admet hasardeuse, compte tenu du climat d’incertitudes actuel. Il explique les raisons de la persistance du néo-libéralisme, malgré ses conséquences désastreuses et ses remises en question. L’auteur achève son exposé en analysant de plus près le cas du Québec qu’il trouve généralement conforme à son modèle. Il y constate un changement de paradigme dans la classe politique. La question nationale ne serait plus la raison du clivage entre les partis et ce serait la fin du bipartisme. On reviendrait au clivage gauche-droite, lequel a été occulté et intégré dans les deux partis traditionnels se partageant le pouvoir. Les gouvernements successifs auraient suivi la tendance néo-libérale en dépit d’une une certaine résistance due à notre instinct solidaire, selon Vaillancourt. Il relève une contradiction dans le vote québécois : les électeurs ont souvent voté pour des partis néo-libéraux, mais les nombreux mouvements populaires ont contesté les élus dès que ceux-ci « décidaient de passer à l’acte » (p. 179). Le dernier exemple en date étant le gouvernement Couillard et son austérité budgétaire qui a provoqué la défaite du PLQ en 2018.

Vaillancourt exprime ses appréhensions envers l’extrême-droite, dont il souligne pourtant la marginalité, mais cela ne l’empêche pas de craindre une contagion étant donné la proximité des États-Unis. Même s’il reconnaît notre particularisme, il ne peut s’empêcher d’appliquer une grille d’analyse américaine constructiviste et relativiste à la fin d’un chapitre portant sur le Québec. Ironiquement, il avait consacré un chapitre sur l’hégémonie culturelle américaine et pourtant son essai est malheureusement teinté de son influence.

L’ouvrage se conclut par différents scénarios qu’il envisage à l’aube de la fin du néo-libéralisme et de la lutte climatique, du plus pessimiste au plus optimiste. Pour l’accomplissement de ce dernier, il compte grandement sur le mouvement social. Il termine par un message d’espoir et un appel à la lutte face à la vulnérabilité du système néo-libéral.

Audrey-Anne Arteau
Étudiante au baccalauréat en droit


1 Autrement dit : « […] la richesse des plus aisés finit par profiter à tous » (p. 28), ce qui a justifié la déréglementation et les baisses d’impôts pour les plus riches et les entreprises.

2 Vaillancourt n’est visiblement pas un spécialiste de la question ni des relations internationales. Sur les causes de l’invasion russe, voir notamment la littérature produite par Michel Roche, professeur de science politique à l’UQAC et spécialiste de la Russie, et qui a déjà publié dans ces pages : « La guerre en Ukraine : origine et enjeux pour la Russie », L’Action nationale, mars-avril 2022.

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