Stephen Harper, circonvenu par Bush en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, se charge de « normaliser » nos relations avec les Etats-Unis. C’était d’ailleurs déjà fait avec l’envoi de nos soldats dans la zone de combat en Afghanistan… Nous voilà en guerre pour ainsi dire par décret, procédé extrêmement expéditif vu la nature des choses et l’état défavorable de l’opinion. Harper comble ainsi sans tarder les vœux du gouvernement américain et il le fait sans tenir le moindre compte de l’opinion publique. Dérapage. Que sera-ce demain ?
Ce jeu avait d’ailleurs commencé avec les libéraux. Le gouvernement fédéral est-il donc à ce point déterminé à faire ici la politique de Washington? On constate à ce propos la grande nécessité de la présence du Bloc à Ottawa.
D’aucuns, situés à gauche, font maintenant bon marché de l’importance considérable de cette donnée politique, celle du Bloc ou du PQ. Pratiquant un « progressisme » un peu abstrait, ils oublient cette réalité pourtant majeure. Ce dérapage-là est idéologique.
Ce n’est pas la seule tangente. Il y en a d’autres. La politique canadienne dérape vers les Etats-Unis, comme nous disions. Mais on a vu aussi le soudain et dangereux glissement conservateur de l’opinion québécoise depuis la mi-décembre. Où peut conduire cette illusion nouvelle, fraîche et donc encore exempte de méfiance ? Une partie de l’électorat s’est donnée sans condition à une image. C’était inattendu. Ce dérapage naturellement est important. La démocratie a été surprise par ce mouvement aveugle.
La place de l’intrus est maintenant faite. Harper a occupé tout de suite quelques cases-clefs du damier. Relations déjà serviles avec Bush, vers quoi tendait déjà Martin. Politique immédiatement conforme aux attentes de Washington. Par exemple, suppression de l’aide à l’Autorité palestinienne. Conférence canado-mexico-américaine sans grand résultat pour nous. Qu’arrive-t-il, en fait, de la question du bois d’œuvre ? Ceci : d’autres délais, d’autres procédures. De la part de Harper, pendant ce temps, bonnes paroles mais peu concrètes à l’adresse du Québec. Harper prévoit le jour où, ayant les Québécois suffisamment en main, il aura le champ libre, comme jadis les libéraux.
Tout cela fait ensemble de curieux mouvements de l’histoire. De recul, par glissement. Ils atteignent le Bloc, le PQ, facteurs de résistance. Certain affecte aussi l’autonomie internationale du gouvernement canadien. Tel autre met en danger les intérêts du Québec, toujours confiés par ailleurs à Charest, qui est le dérapage en personne. Un glissement compromet aussi la gauche, qui croit à tort pouvoir se mettre en marge de nos partis, ceux-ci seuls solidement en place et sièges de la seule force politique contestataire qui compte. On veut la morceler. S’imagine-t-on qu’un équivalent à gauche reconstruirait cet édifice ?
Plusieurs dérapages, on le voit, nous fragilisent. Il faut tout faire pour éviter de brader les organes politiques que nous avons constitués. Ils ne seront pas remplacés. Il ne faut pas écarter cette masse politique solide, seul vrai gage de résistance, front du Québec, opposable aux coalitions de la réaction domestique et internationale. Le nationalisme québécois est par lui-même un non-conformisme, porteur actuel et potentiel de maints défis. Il ne faut pas le bousiller.
Ce sont ces instruments qu’il faut préserver en premier lieu. Au contraire, certains des nôtres croient devoir s’y attaquer d’abord… Quand le PQ et le Bloc tomberont, ce sera la Résistance qui tombera. Un dérapage de gauche se manifeste, faisant pendant au dérapage de droite survenu aux élections. Dans l’analyse politique, comme le réalisme est difficile !
Les adversaires capitalistes et fédéralistes ne s’y trompent pas. Depuis quarante ans, c’est le PQ qu’ils ont dans leur mire, et depuis les années 1990 c’est aussi le Bloc. Ils ne travaillent pas sur les marges. Ils visent juste et sans répit. La structure ! Mais Françoise David ne semble pas de cet avis.
Elle offre un bon exemple d’une pensée idéaliste dans les deux sens du mot. Son jugement politique n’est pas très sûr.
C’est une personne résolue et passionnée pour la défense de ses idées. Mais elle a tendance à prendre ses emballements pour des analyses, et son idéal pour la mesure des contingences. Cela prédispose à entreprendre des actions vouées à servir des idéologies, mais d’une portée pratique douteuse. Ces idéologies sont alors traitées comme des idéalogies. L’idéal, protégé, cultivé, ne cesse alors de survoler les faits.
Je choisis l’exemple de cette militante, car il a du relief. En projetant son idéal sur un écran, elle croit que c’est la réalité même. Elle est aujourd’hui à la tête d’un parti où l’on semble raisonner de la même façon.
Celui-ci paraît incapable de concevoir que le PQ et le Bloc, par leur existence même, par leur poids, malgré leurs insuffisances, sont de grands instruments de critique et des moyens d’action déjà donnés, prédisposés à contester un ordre établi non seulement constitutionnel mais politiquement plus large, ce qui englobe la politique internationale.
Le Québec, par sa structure idéologique à part, par ses réflexes souvent réfractaires, représente, grâce à son nationalisme, un potentiel de résistance qu’on ne trouve pas ailleurs au Canada, sauf pour une part au NPD. Le Canada est bien plus conformiste que le Québec. Ce dernier est d’ailleurs tenu pour potentiellement plus réformateur par les milieux réactionnaires qui comptent au Canada et aux Etats-Unis. L’indépendantisme est une force qui va dans ce sens-là. Il faut faire attention à cela.
On ne remplacera pas le PQ et le Bloc par quelque chose qui leur succéderait après avoir contribué à leur chute. C’est de l’illusion pure que de croire le contraire et le pire des calculs impolitiques, le plus insidieux d’ailleurs.
La contestation, loin de se solidariser, se fractionnerait. Une large politique tout simplement serait rompue.