Extrait du mémoire « Beauport 2020, un projet injustifié et à risques… pour le fleuve, les habitants et les résidents de Québec » présenté à la Commission de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, dans le cadre de l’évaluation du projet d’aménagement d’un quai multifonctionnel en eau profonde présenté par l’Administration portuaire de Québec.
Rédaction : Christian Simard, Gabriel Marquis et Marilyn Labrecque avec l’appui, notamment, des experts en écosystèmes aquatiques : Guy Trencia Pierre Dumont et Charles-Antoine Drolet et de l’historien spécialisé Pierre Ross.
Si le manque d’information concernant le contenu du projet Beauport 2020 – dont une partie seulement est l’objet d’évaluation par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) – rend difficile l’analyse de ses impacts économiques et environnementaux, c’est d’autant plus vrai en ce qui concerne ses impacts sur l’environnement humain. En effet, au-delà des dérangements que pourrait occasionner la phase d’aménagement du quai multifonctionnel sur le paysage, sur certaines activités balnéaires et sur la qualité de l’air, c’est surtout les activités qui s’y dérouleront lors de la phase d’exploitation qui doivent retenir l’attention.
Malheureusement, il demeure ardu de savoir pour le moment avec exactitude quelles activités de transbordement et d’entreposage auront lieu sur le nouveau quai multifonctionnel prévu ni quelles matières seront manipulées. Néanmoins, jusqu’à présent, les indices laissés par l’APQ dans son étude d’impact environnementale nous permettent de conclure que :
- l’occupation projetée du quai pour les activités de transbordement et d’entreposage fera une belle place au vrac liquide (62 %) ;
- les activités de transbordement seront majoritairement maritimes (80 %) et en partie terrestres (20 %), ce qui inclut le transport ferroviaire ;
- basé sur les activités antérieures du Port de Québec, le vrac manipulé pourrait être composé à ± 17 % de pétrole brut et à ± 21 % de produits chimiques, le reste de vrac solide et de carburants divers (essence, diésel, kérosène, méthanol et éthanol) ;
- basé sur les activités antérieures du Port de Québec, le vrac solide pourrait être composé de minerais de fer, de déchets, de débris métalliques, de charbon, d’autres minerais concentrés, de produits agricoles et de biomasse.
Bien que ces hypothèses ne puissent être vérifiées, faute de clients confirmés (aux dires du Port) pour le projet jusqu’à présent, deux constats semblent pouvoir être tirés : le projet Beauport 2020 impliquera le transbordement et l’entreposage d’une quantité non négligeable d’hydrocarbures et de matières dangereuses, de même que de matières pouvant affecter la qualité de l’air. Pour Nature Québec, ces éléments ont des implications pour la sécurité, la santé et les activités humaines […]
L’entreposage et le transbordement de matières dangereuses, un risque permanent
L’entreposage et le transbordement de matières dangereuses comme le pétrole, les carburants et d’autres produits chimiques sont toujours accompagnés d’un risque de déversement, de contamination, d’incendie ou d’explosion. Une des particularités du Port de Québec est d’être situé à proximité d’une zone à forte densité de population (2800 à 6000 hab/km2 pour les secteurs de La Cité Limoilou et Beauport), ce qui implique un facteur de risque décuplé pour la santé et la sécurité humaine. De fait, les activités courantes du Port doivent déjà faire l’objet d’une attention particulière à cet égard. Or, la construction de sept réservoirs de vrac liquide à l’arrière du quai multifonctionnel prévu par le projet Beauport 2020 signifie nécessairement que l’APQ envisage une hausse des activités de transbordement et d’entreposage de matières, dont certaines dangereuses, une fois le projet entré dans sa phase d’exploitation. Selon les informations fournies par l’APQ, nous savons déjà que ces opérations de transbordement seront à 80 % maritimes et à 20 % terrestre, fort probablement via le réseau ferroviaire qui dessert le Port. Cela nous amène à envisager deux types de risques immédiats :
- un accident sur le territoire du nouveau quai et des nouveaux terminaux ;
- un accident ferroviaire impliquant des matières dangereuses en provenance ou en destination du Port, à proximité des zones résidentielles de Québec.
Dans le premier cas, les risques d’explosion, de feu de flaque et de nuage de gaz inflammable ont été abordés dans l’étude d’impact environnemental du Port de Québec, avec leurs conséquences selon le rayon d’impact. À partir d’une étude qu’elle a commandée à la firme JP Lacoursière INC (« Étude des risques technologiques pour le projet d’aménagement d’un quai multifonctionnel au Port de Québec », rapport final réalisé pour le compte de l’Administration portuaire de Québec, 27 septembre 2016), l’étude d’impact du Port de Québec évoque notamment un scénario d’explosion d’un réservoir de 500 000 barils d’essence rempli à 100 % et décrit les conséquences possibles selon le rayon d’action de l’explosion. Dans ce scénario, on remarque que l’explosion mettrait en danger la vie des personnes et la structure des bâtiments dans un rayon de 705 mètres, incluant une bonne partie du Port de Québec et des aménagements balnéaires de la baie de Beauport. Au-delà d’un rayon d’un kilomètre, on pourrait également observer des dommages aux murs porteurs, des bris de fenêtre et des projections de débris causant des blessures.
Afin de tempérer ce scénario, qualifié de peu probable dans l’étude, l’APQ indique que le secteur de Beauport dispose d’un système de protection pour lutter contre les incendies et que les pompiers de la Ville de Québec sont, en tant que premiers répondants, familiers avec ces équipements et ces infrastructures [sic]. L’APQ ajoute que le futur quai sera muni d’un système de protection contre l’incendie performant et adéquat pour les installations qui seront en place et qu’elle mettra à jour son plan de mesures d’urgence. Néanmoins, le consultant émet d’autres recommandations qui incluent l’application d’un film de polymère sur les fenêtres des bâtiments situés à l « intérieur du périmètre pour éviter les bris de vitres, suite au souffle de l’explosion et prend soin d’ajouter qu’“il est impératif de ne pas faire de déchargement de navires lorsque le parc de la baie de Beauport est occupé”. Pour Nature Québec, de telles recommandations montrent bien l’ampleur de la catastrophe potentielle qui pourrait survenir advenant un accident dans la zone du Projet Beauport 2020. Elles font aussi clairement ressortir un conflit d’usage prévisible avec les activités balnéaires de la baie de Beauport.
En ce qui a trait au risque d’accident ferroviaire impliquant des wagons-citernes, il se retrouve essentiellement aggravé par l’augmentation prévue du transbordement qu’occasionnera le projet Beauport 2020 dans sa phase d’exploitation. L’étude d’impact du Port de Québec aborde en partie ce problème en ce qui concerne le transfert de vrac liquide dans des wagons sur le prolongement prévu de la voie ferrée du nouveau quai multifonctionnel qui se retrouvera à seulement 65 mètres de la baie de Beauport. Pour remédier au risque, l’étude suggère de “localiser les postes de chargement de wagons et de camions-citernes le plus loin possible de la plage de Beauport” tout en tenant compte “des impératifs d’opérabilité”. Cependant, jamais on ne précise où seront localisés les postes de chargement.
Avec l’augmentation prévue du transbordement de matières dangereuses par wagons-citernes, un autre problème se pose : la hausse de leur transit en provenance ou en direction du nouveau quai multifonctionnel et de ses terminaux, à proximité de secteurs densément peuplés. En effet, le tracé des voies ferrées qui desservent actuellement le Port de Québec (et qui desservira le projet Beauport 2020) passe à proximité de quartiers résidentiels à forte densité, dont Limoilou. Cette problématique déborde bien sûr du territoire sous administration portuaire et n’a par conséquent pas été traitée dans l’étude d’impact du port de Québec. Cela dit, elle serait une conséquence directe de Beauport 2020. Après une tragédie de l’ampleur de celle de Lac-Mégantic, Nature Québec estime que cette question de sécurité publique devrait faire l’objet d’une évaluation indépendante de la part d’un organisme compétent.
Conflit avec les usages récréatifs et la valeur paysagère de Québec
Outre les risques qu’il comporte pour la sécurité humaine, le projet Beauport 2020 minera inévitablement une partie de l’activité récréotouristique de la région de Québec. Le secteur le plus touché par le projet est bien sûr celui de la Baie de Beauport qui pourrait voir ses usages passablement restreints pendant la phase de construction et d’exploitation du projet.
En fait, on ne voit pas très bien comment la plage de la baie de Beauport pourra mener des activités de villégiature pendant les trois années nécessaires à la construction du projet. Il est en effet assez difficile d’imaginer que les activités de navigation de plaisance, de plage et de baignade puissent y être maintenues, alors qu’on procédera au remblaiement de 17,9 hectares à même le fleuve, au brassage de sédiments, à la construction de brises lames, de réservoirs et d’infrastructures portuaires.
Même lors de la phase d’exploitation, on voit mal comment les usages récréatifs pourront cohabiter avec le transbordement de matières dangereuses. Comme l’a précisé la firme JP Lacoursière, la Baie de Beauport se trouvant en plein dans le rayon d’impact mortel d’une explosion, d’un nuage de gaz inflammable ou d’une flaque de feu, il est inconcevable de procéder au déchargement de navires lorsque le parc de la baie de Beauport est occupé. Afin de rassurer le public, l’APQ a affirmé plusieurs fois sur ce point que le transbordement de matières dangereuses se ferait hors des heures d’ouverture de la plage…
À défaut d’un scénario alternatif pour la sécurité des activités de transbordement de matières dangereuses, peu probable en raison de la proximité du site, les activités balnéaires de la baie de Beauport seront suspendues, peut-être plusieurs fois par semaine, une fois le projet en fonction. Après un investissement de 50 millions, dont 19 millions de fonds publics pour son aménagement en 2008, l’autorisation de la baignade et un achalandage record en 2 016 124, c’est un recul important qui se profile pour l’un des seuls accès directs des résidents de Québec à leur fleuve.
Sur le plan visuel, le projet Beauport 2020 prévoit certes des aménagements qui doivent bonifier l’expérience des utilisateurs des installations balnéaires de la Baie. Sans les détailler ici, il apparaît à Nature Québec que ces aménagements seront bien cosmétiques par rapport à la perte nette de superficie que doit subir la plage et au paysage qui, du point de vue des utilisateurs, sera modifié de manière substantielle.
L’atteinte à la valeur paysagère de la Capitale-Nationale promet d’être importante. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on considère les vues depuis Sainte-Pétronille et depuis le chenal sud de l’île d’Orléans, route fluviale notamment empruntée par les navires de croisières et qui donne aux touristes, cette vue jusqu’ici imprenable sur Québec.
La problématique des poussières, balayée sous le tapis
La pollution atmosphérique causée par les épisodes de poussières de métaux (dont le nickel) est emblématique des difficultés de cohabitation du Port de Québec avec les quartiers à proximité. Ainsi, des études du ministère de l’Environnement (Québec) ont démontré que les concentrations de nickel dans l’air de Limoilou étaient beaucoup plus élevées que les seuils acceptables entre 2010 et 2012 et que le Port en était responsable. Même lorsqu’elles ne dépassent pas les seuils, les concentrations de nickel et de zinc dans Limoilou demeurent significativement plus élevées que dans d’autres quartiers comparables…
D’ailleurs, cette question fait depuis plusieurs années l’objet d’un litige qui oppose les citoyens (qui estiment que leur santé est à risque) à l’APQ et à Arrimage du Saint-Laurent. Le Projet Beauport 2020 arrive donc dans un contexte où la qualité de l’air des citoyens des quartiers à proximité est déjà affectée. Il apparaît à Nature Québec que son promoteur doit faire la preuve hors de tout doute qu’il n’aggravera pas la situation. Malheureusement, l’étude d’impact déposée par le Port de Québec est à cet égard peu convaincante.
Par exemple, au plan de la caractérisation, conformément aux lignes directrices de l’ACEE, l’étude, devait documenter la “qualité de l’air ambiant à l’emplacement du projet et dans le bassin atmosphérique susceptible d’être touché par le projet et identifier les sources de rejets atmosphériques directs et indirects”. Or, cette dernière omet d’identifier les principales sources d’émission de poussière sur le territoire portuaire et ne mentionne pas les activités de manutention et d’entreposage dans le secteur. De plus, alors que pas moins de 16 stations d’échantillonnage sont disponibles pour caractériser la qualité de l’air de la ville de Québec, seules deux ont été utilisées dans l’étude, dont une qui n’est sous influence des activités portuaires qu’environ 15 % du temps, en raison des vents.
Par ailleurs, malgré les inquiétudes répétées de citoyens à cet égard, le promoteur n’a pas pris la peine d’analyser les retombées de poussières liées à ses activités. En effet, ces poussières composées de particules plus grossières qui ont tendance à retomber sur des surfaces proches, ne sont pratiquement pas mentionnées dans l’étude d’impact – sauf à la phase de construction – bien qu’elles puissent être dommageables pour la santé et les bâtiments.
Pour justifier le peu d’importance accordée aux émanations de poussières dans son évaluation des impacts environnementaux de son projet, l’APQ indique d’une part, qu’il comprendra désormais quatre dômes de vrac solide sous couvert et d’autre part, que les émissions de poussières de métal dans le quartier Limoilou “sont chose du passé”. Selon Nature Québec, ces affirmations contournent grossièrement le problème.
Premièrement, l’APQ peut difficilement se fonder sur les données récentes pour prétendre que la problématique des poussières est réglée, puisque, rappelons-le, le port a connu en 2015 son plus faible tonnage en plus de 10 ans. Par ailleurs, si les nouvelles installations de vrac solides du projet Beauport 2020 seront sous couvert, rien n’indique que le Port a l’intention de couvrir ses installations actuelles, alors qu’elles pourraient être appelées être utilisées de manière croissante advenant un fort achalandage dans le futur. Enfin, il apparaît improbable que la phase de construction du projet Beauport 2020 ne produise aucune poussière additionnelle à la pollution atmosphérique avec laquelle les citoyens qui habitent à proximité du Port sont déjà aux prises.