Les hôpitaux universitaires affiliés à l’Université de Montréal et leur orientation ont été, depuis plusieurs décennies, l’objet de décisions graves et malheureuses, d’ordre politique et technocratique, surtout depuis la volonté gouvernementale, il y a environ une quinzaine d’années de créer le CHUM à partir de l’intégration des trois principaux hôpitaux universitaires de l’Hôtel-Dieu, de Notre-Dame et de Saint-Luc.
En même temps, on avait accordé une retraite « en or » pour de nombreux médecins avec une prime de 300 000 $ ! La raison de ces départs des personnes les plus expérimentées dans le système de la santé était supposément de faire place aux jeunes ! Avec la pénurie évidente de spécialistes, la situation qui en est résultée, a forcé le gouvernement à ré-engager à 1000 $ par jour de nombreux anesthésistes et radiologistes qui avaient profité de cette offre gouvernementale ! Mais avant cette malheureuse décision, il faut mentionner le projet farfelu d’un ancien ministre du MSSS de déménager l’Hôtel-Dieu de Montréal à Rivière-des-Prairies !
Le plan d’intégration des trois hôpitaux universitaires de l’Hôtel-Dieu, de Notre-Dame et de Saint-Luc a été un échec. L’initiative suivante fut la décision gouvernementale sur la base d’une étude arbitraire, superficielle, de localiser le CHUM au 6000 Saint-Denis. Cela, sans consultation avec les vrais experts et les « leaders » de la médecine universitaire ! C’est là où le pataugeage a commencé par des multiples dépenses de frais en études techniques, de consultants, de voyages qui ont totalisé au cours des années un montant dépassant 60 000 000 $ et cela dans un climat général d’inertie gouvernementale et d’apathie non seulement du côté académique et des médecins universitaires, mais aussi des médias et du public. La situation est devenue un fouillis tel que son président, M. Claude Béland, a jugé bon, après 15 mois d’exercice, de démissionner avec éclat devant les dépenses de nombreux consultants payés sans soumission de rapports ou preuve d’une réalisation quelconque (The Gazette, 3 et 4 février 2003). Ce choix du 6000 Saint-Denis ne fut pas la meilleure solution comme les événements subséquents l’ont démontré !
Par absence de volonté éclairée du gouvernement et des consultations nécessaires auprès des experts du milieu, la situation s’est aggravée et n’a cessé de « pourrir » : absence de direction compétente, manque de volonté politique, insuffisance de participation active et de leadership des médecins spécialistes universitaires, inertie des médias et des corps intermédiaires… Surtout, aucune vision d’envergure pour une médecine universitaire de calibre et de prestige international à Montréal, du côté francophone. Dans cette période, les bureaucrates avaient totalement rejeté le site idéal de l’Hôtel-Dieu actuel qui n’avait fait l’objet d’aucune étude détaillée et sans consultations appropriées, sauf pour des raisons spécieuses et ridicules. Cela malgré le fait que la surface totale du site augmentée par la bande de terrain le long de l’avenue du Parc, aurait été supérieure à celle du 6000 Saint-Denis et offrait un attrait spécial pour sa vue sur les espaces verts de la montagne et sa position centrale dans Montréal, sa proximité avec l’Institut neurologique, les nouveaux centres de génomique et de protéinomique de l’Université McGill, l’absence de contamination du sol et aucune expropriation ! Et à un coût global très inférieur au site Saint-Luc ! Les propositions faites à plusieurs reprises avaient été totalement ignorées !
Le comité Mulroney-Johnson a rejeté le site 6000 Saint-Denis et favorisé le site Saint-Luc sans faire aucune mention de l’Institut de cardiologie de Montréal et de l’Institut neurologique de Montréal et de leur relation avec le CHUM, sauf que, selon les bureaucrates du MSSS, ce dernier (INM) était appelé à disparaître avec le temps ! La possibilité de situer le CHUM au site de la cour Outremont a forcé le MSSS à former un nouveau comité, composé d’un fonctionnaire, Marcel Villeneuve, et de Daniel Johnson, à ré-étudier la question. Ce dernier comité a donné le feu vert au site de l’hôpital Saint-Luc et a exposé de nombreuses objections au projet de la cour Outremont. Il semblerait maintenant que l’hôpital Saint-Luc deviendrait une construction de 3 à 4 ailes de 17 à 18 étages chacun, concept aberrant pour un hôpital universitaire moderne.
Le multiculturalisme, cher à certains sociologues, combiné avec l’égalitarisme prôné par d’autres (un ancien premier ministre a eu l’honneur d’être l’objet de cet « égalitarisme » lors d’une récente hospitalisation dans une chambre à deux à l’hôpital Saint-Luc) (Le Devoir, 11 décembre 2005, p. A5) peut être un facteur inquiétant pour l’identité du Québec des canadiens-français. Dans toute cette atmosphère, la profession médicale, surtout celle de ses meilleurs experts, c’est-à-dire les spécialistes universitaires, a été ignorée depuis sa marginalisation et son « émasculation » par la réforme Castonguay qui l’avait mise totalement en 1970 à l’écart du système de santé. Si bien que les médecins sont considérés comme des « ouvriers spécialisés » (skilled workers) sous la direction des bureaucrates du MSSS qui, eux, sont imprégnés, sinon dominés, par l’influence des « amateurs » en sciences sociales et des sociologues qui veulent dominer la pensée au Québec ! Par ailleurs, la profession médicale continue d’avoir mauvaise presse, souvent de façon injustifiée, surtout dans les médias écrits qui tiennent à façonner l’opinion publique, et qui sont à l’affût de toute nouvelle sensationnelle préjudiciable à la profession médicale. De plus, les médias ignorent quasi-totalement le milieu scientifique, comprenant très peu les progrès spectaculaires de la science et de la recherche médicale.
Pourtant les médecins canadiens-français ont été en grande majorité des supporteurs enthousiastes du nationalisme bénin de Groulx-Bourassa – (qui a toujours été du genre « patriotisme éclairé » plutôt que celui du nationalisme européen avec ses connotations de violence) – c’est-à-dire dans le sens de fierté d’un peuple, et de la promotion d’un Québec fort et lucide.
La réforme Castonguay, généreuse dans ses objectifs mais avec sa mise à l’écart des médecins dans son système de santé, la diminution du patriotisme et de la fierté d’être canadien-français et la sensation nette d’avoir été marginalisés dans la société après avoir rendu tant de services éminents, font que les médecins actuels sont profondément démotivés et ont perdu tant d’intérêt pour la « chose publique ». Pourtant, le médecin a toujours été choisi en premier lieu dans la considération des diverses classes de la société, comme en font foi à répétition, toutes les consultations publiques !
Nos chefs syndicaux qui jouent un rôle si prédominant et excessif dans la société québécoise, n’ont manifesté que peu de préoccupation de ce côté, ne se souciant uniquement que des objectifs à court terme de rémunération des salariés et des conditions de travail. Cependant, ces mêmes chefs ne se contentent pas de diriger leurs syndicats. Ils n’hésitent pas à s’immiscer dans toutes les questions d’ordre politico-social et parmi celles-là, celle extrêmement complexe du CHUM ! Et de surplus, à cause de leur antipathie viscérale pour tout ce qui a trait à l’apport du « privé », ils ne peuvent accepter ce que Milton Friedman, lauréat du prix Nobel disait récemment dans une conférence à New York en juin dernier : « In area after area, things the Government does, private enterprise can do at half the cost ». (Wall St J – Oct. 2005). La stagnation actuelle a été mise en relief avec les constatations du professeur Marcel Boyer sur le dépérissement de la situation économique d’un Québec encore aux prises avec un concept de sociale-démocratie usée et dépassée, (Cité par Claude Picher, La Presse, 21 janvier 2006) tout comme en Inde de 1960 à 1990 !
Ce qui est aussi important à l’heure actuelle, c’est que le MSSS, depuis la décision finale de la localisation du CHUM du 1000 Saint-Denis (hôpital Saint-Luc), tente des arrangements de complémentarité entre les deux centres hospitaliers universitaires ! Connaissant les milieux universitaires, cela exigera beaucoup de diplomatie, d’expertise et de connaissances précises de ces milieux et des traditions, si l’on veut éviter des confrontations sérieuses ! Mais comment cela n’a-t-il pas été prévu lors de la décision de créer les CHUM, il y a plus de 10 ans ! On aurait pu aussi arriver progressivement pendant cette période à des solutions de part et autre, avec un minimum de confrontations ! Il est déjà bien tard pour la création d’un groupe de travail pour étudier les divers aspects de cette complémentarité, alors que les plans hospitaliers sont en préparation depuis longtemps ! Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Que fera-t-on de l’Institut neurologique (INM) qui refuse de participer au CUSM ou de l’Institut de cardiologie (ICM).
Dans un dossier qu’on a laissé « pourrir » si longtemps, il y a de quoi être plongé dans une profonde « déprime » ! Oh ! qu’il est difficile d’être optimiste pour l’avenir de la médecine à Montréal et pour l’épanouissement culturel et scientifique de l’identité canadienne-française, contrairement à ce qu’on voit pour le monde des spectacles, (cirque en particulier) du théâtre, des festivals où les talents explosent de créativité et d’imagination, peut-être pas toujours avec sagesse et élégance !