Les Québécois forment un drôle de peuple. À plusieurs reprises, on nous a dépeints comme étant habités de désirs contradictoires, et d’une incapacité à trancher. Nous voulons un Québec libre dans un Canada uni, comme disait l’autre. Ce trait d’ambiguïté révèle peut-être une forme d’immaturité collective et le signe d’une conscience nationale détournée, mais toujours tapie au fond de notre être. Notre intuition la plus haute, dans des moments fugitifs, sait ramener nos aspirations fondamentales à la conscience dans les temps d’adversité. La crise du coronavirus montre comment notre peuple est capable du meilleur comme du pire, mais aussi que son destin national n’est pas encore résolu. Entre le ti-counisme des ruées vers le papier hygiénique et la générosité spontanée des milliers de C.V. au réseau de la santé et de la mobilisation pour les des dons de sang, on dirait que le Québécois ne connaît pas de juste milieu.
Tout le monde l’a vite remarqué, François Legault et Justin Trudeau détonnent par leur approche respective. Le premier ministre du Québec incarne toute la sagesse de notre personnalité collective, travaillée par le temps long des bouleversements historiques et des hivers sans merci. Sa volonté de fer illustre l’obstination du paysan canadien-français, son éternel moyen de moyenner, et ce que Alexis de Tocqueville nommait « cette crainte salutaire qui fait veiller et combattre. » Ces conférences de presse quotidiennes, attablées devant une file de fleurdelisés, sur fond noir, à côté de ses acolytes Horacio Arruda et Danielle McCann, savent dégager l’esprit de sérieux et la fidélité nationale qui animent nos gouvernants. Pas de détours, seulement des propos qui vont droit au but : le bilan de la situation et les nouvelles mesures, point barre. De jour en jour, Legault a su habituer les Québécois à apprendre à composer avec leur nouveau mode de vie. Son initiative pour inviter les jeunes à ne pas tout gâcher est un coup de force. Certes, on aimerait parfois qu’il hausse un peu son registre de langage, lequel donne l’impression que le père en lui parle à ses enfants. Mais face à l’ampleur du défi à surmonter, on a tendance à laisser de côté ces questions de forme, et à rire gentiment de ce défaut.
De son côté, le porte-parole du Canada – parce qu’il n’y a plus de premier ministre dans cette fédération – se trouve aux antipodes de son homologue québécois. Distant, absent, perdu, faiblard, presque indifférent : on est en droit de se demander s’il y a encore âme qui vive dans ce corps qui nous promettait, il y a si peu, « les voies ensoleillées ». Confiné avec « sa Sophie » – pour reprendre Charlebois –, il donne l’impression d’être aussi plongé dans les nuages que le chanteur d’« Entre deux joints ». Transworld, Nord-East, Eastern, Western, pis Pan-American: toutes les lignes aériennes demeurent ouvertes ! Évidemment, la réalité a fini par le rattraper. Comme toujours, il excelle dans l’art de l’esquive, mais cette fois-ci, le peuple la trouve moins drôle.
Dans le monde précoronavirus, on pouvait passer toute une carrière politique à débiter des insignifiances mondialistes sur tous les toits. L’égoportrait était encore cool dans des sociétés pacifiées sans taux de chômage trop élevé. Mais ce temps est terminé : la crise sanitaire en cours est le fruit de cette mondialisation « heureuse ». Beaucoup ont perdu leur emploi, voire leur commerce, et n’ont aucune idée de ce que l’avenir sera fait. Malgré les annonces du fédéral de soutiens aux particuliers et aux entreprises, on peut s’attendre à des complications bureaucratiques qui rendront la vie dure à des citoyens mal compensés. Il ne serait pas étonnant que le Québec soit maltraité dans cette affaire, comme dans maints autres dossiers. L’entêtement de Trudeau à laisser son pays n’être qu’une passoire relève de l’irresponsabilité légendaire. Au nom de la science, il nous affirmait que la fermeture des frontières n’était qu’une illusion, pour ensuite se raviser 24 heures plus tard. Surprise, la science avait subitement changé de camp ! Xénophile jusqu’à l’absurde, il renforce le danger public en laissant encore passer les clandestins au chemin Roxham – la médiatisation du phénomène l’a au moins poussé à les placer en isolement1.
L’homme en poste traduit l’inconsistance de son pays, qu’il aime à décrire comme n’ayant pas d’identité profonde. Pourtant, on ne célèbre pas la naissance d’un État postnational, car cela signifie la promesse de son éclatement. Toute société a besoin de s’unir autour d’un destin commun et d’une mémoire qui l’habite. Trudeau reflète la superficialité de la fédération qu’il est censé diriger. Son air fringant et ses costumes lui sont inutiles face à la gravité de la situation. Force est de constater que ce sont les hommes qui habitent l’Histoire qui sont capables d’y faire face et de faire plier le cours des événements. Les dirigeants-mannequins ne sont pas faits pour autre chose que la couverture magazine : face aux crises, ils se dérobent et suscitent les huées.
Bon nombre de Québécois se rendent bien compte qu’Ottawa pose un sérieux problème dans cette crise sanitaire. En jetant un coup d’œil à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, on peut avoir une idée de ce à quoi ressemble une pandémie mal contrôlée. À l’heure où ce texte est écrit, on apprend, entre autres, que l’Italie enregistre plus de morts que la Chine, pourtant habitée d’un nombre bien plus important de citoyens. La France, quant à elle, tenait le premier tour de ses élections municipales avec un taux d’abstention record (et pour une fois, on s’en réjouira !). En Grande-Bretagne, les autorités politiques songent encore à appliquer la méthode controversée de « l’immunité collective », qui fait craindre le pire pour nombre d’experts2. C’est par cette inquiétude légitime d’un enlisement sans précédent que plusieurs Québécois voient renaître en eux le vieil instinct national de l’indépendance. Tous savent très bien que si Québec avait présentement les pouvoirs de contrôler les frontières et les lignes aériennes, on ne se retrouverait pas dans la même conjoncture. Or, avec le retard qu’a pris le gouvernement canadien pour agir, il n’est pas exclu que la fédération sombre dans le même destin que la vieille Europe.
Néanmoins, d’autres croient que le problème relève du parti au pouvoir et non du régime en place. C’est ce qu’a exprimé Denise Bombardier dans sa chronique du 17 mars au Journal de Montréal intitulée « Justin Trudeau doit partir3 ». On sait de Mme Bombardier, comme bien des indépendantistes déçus de sa génération, qu’elle s’est résignée à accepter un Québec province canadienne. Cette démission est compréhensible après qu’une personne ait traversé les tribulations indépendantistes et tous les efforts déployés depuis ces dernières décennies pour réaliser un pays qui ne vient pas.
Dans cette perspective apathique, il suffirait ainsi d’élire un homme ou une femme forte à la tête du pays pour tout faire rentrer dans l’ordre. Certes, il serait moins inquiétant qu’un Stephen Harper dirige le pays en ce moment même que son successeur. Si l’homme avait moins de charisme qu’un robot, il avait quand même le minimum d’esprit pour poser des gestes de sécurité nationale fondamentaux. Il n’en demeure pas moins que, peu importe le parti au pouvoir, le régime canadian aurait causé, d’une manière ou d’une autre, des problèmes de coordination entre les actions posées par Québec et Ottawa dans la gestion de la crise. L’importance du défi auquel nous faisons face ne nous donne pas le luxe de perdre notre temps dans de pareils bras de fer. Et, même s’il avait fallu qu’Ottawa agisse dans la perfection, il aurait compensé sa bonne action en compromettant jour après jour notre plein développement collectif, que ce soit dans le commerce, la protection de l’environnement ou au sujet des questions identitaires. D’une façon ou d’une autre, nous finissons toujours par payer le prix de la défaite collective.
Face à ce constat, la CAQ ne peut demeurer innocemment fédéraliste. Horacio Arruda, le directeur national de la Santé publique du Québec, échappait un lapsus dans la conférence de presse du 19 mars dernier. En parlant du Québec, il affirmait qu’« on est encore un pays », avant de se reprendre pour rappeler qu’en fait, nous étions toujours une province, du moins une nation ? – un État, lui soufflera Legault, dans un imbroglio qui fait penser à la fameuse scène de Bob Gratton qui définit ce qu’est un Québécois. Sans essayer de déduire les convictions intimes de M. Arruda, on peut remarquer que cette erreur a quelque chose de révélateur sur l’état de la conscience nationale. Face au contraste entre l’incompétence d’Ottawa et l’efficacité de Québec, il devient plus évident, pour le citoyen lambda, que son État naturel se retrouve de ce côté de la rivière des Outaouais.
Dans les prochains mois à venir, peut-être que les membres de la CAQ iront de l’avant avec un autonomisme plus assumé afin d’éviter que l’absence d’initiatives du gouvernement canadien ne compromette les efforts de Québec pour contenir la crise. Si ce n’est pas eux qui le font, c’est peut-être le peuple lui-même qui les poussera à prendre cette voie : rappelons-nous comment les intentions à la souveraineté étaient en hausse lors du scandale des commandites. La réapparition de la doctrine « Égalité ou indépendance » n’est pas inimaginable, ni la possibilité d’un schisme dans la coalition gouvernementale comme au Parti libéral du début des années 1990, suite aux conclusions du rapport Allaire.
D’une manière ou d’une autre, ce parti n’aura plus le luxe de s’en tenir à un strict fédéralisme, dont la peinture de la façade s’écaille de jour en jour. S’il n’entame pas un virage autonomiste, un Parti québécois bien dirigé – et c’est loin d’être garanti – pourrait vite le devancer en le talonnant sur tous les grands sujets d’actualité. Des candidats comme Paul Saint-Pierre Plamondon et Frédéric Bastien, même s’ils devaient ne pas se faire élire, peuvent pousser le prochain chef à se tourner davantage vers un nationalisme assumé. Dans le nouveau paradigme de la démondialisation4 dans lequel nous entrons, de plus en plus de Québécois pourraient prendre envie à détenir les pouvoirs sur les frontières et tout ce qui a trait aux mouvements migratoires et, plus généralement, à la gestion de la santé publique. Bref, que les caquistes ne s’assoient pas trop vite sur leurs lauriers, car en de tels temps d’incertitude, les événements se succèdent rapidement et les jeux peuvent changer d’un instant à l’autre. Le gouvernement Legault aime à nous rappeler qu’il est impératif de pratiquer la distanciation sociale, mais ce que nous avons aussi besoin, c’est de distanciation nationale.
1 « Nous nous sommes entendus pour loger temporairement, à partir de demain, tous les demandeurs d’asile, afin d’assurer qu’ils soient tous isolés pendant 14 jours, comme toute autre personne. » – Chrystia Freeland, vice-première ministre du Canada. in François Messier. 2020. « La frontière “probablement” fermée dans la nuit de vendredi à samedi. », Radio-Canada, 19 mars. En ligne. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1675336/premier-ministre-canada-justin-trudeau-covid-19-epidemie (consulté le 19 mars 2020)
2 « C’est ce qu’a visiblement compris Boris Johnson qui, lundi 16 mars, a reçu une étude épidémiologique estimant qu’avec la stratégie d’un total laisser-faire, le coronavirus pourrait tuer 510 000 personnes au Royaume-Uni. » in Pierre Bienvault. 2020. « Contre le coronavirus, des stratégies différentes d’un pays à l’autre », La Croix, 17 mars. En ligne. https://www.la-croix.com/Monde/Contre-coronavirus-strategies-riposte-differentes-dun-pays-lautre-2020-03-17-1201084614 (consulté le 19 mars 2020)
3 « Justin Trudeau est une comète, séduisante certes, mais c’est d’un dirigeant, les pieds fixés dans l’acier, que le Canada a besoin dans le malheur qui s’abat sur lui. » in Denise Bombardier. 2020. « Justin Trudeau doit partir », Le Journal de Montréal, 17 mars. https://www.journaldemontreal.com/2020/03/17/justin-trudeau-doit-partir (consulté le 19 mars 2020)
4 Bastien Lejeune. 2020. « Philippe de Villiers : Le nouveau monde est en train de mourir du coronavirus », Valeurs actuelles, 18 mars. https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/politique/philippe-de-villiers-le-nouveau-monde-est-en-train-de-mourir-du-coronavirus-117159?fbclid=IwAR3ISftnuoYfAr0aa97UTH5U045aDSCwhookdeIVFnMvg-LP3XqOF7Zf6K8 (Consulté le 19 mars 2020.
* Étudiant en science politique et philosophie à l’Université de Montréal.