Docteur en démographie
Mémoire présenté à la Commission des relations avec les citoyens dans le cadre des Consultations particulières et auditions publiques sur les documents intitulés « Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion », février 2015
L’élaboration d’une politique d’immigration doit tenir compte des données empiriques et des études scientifiques qui pourraient mesurer ses effets potentiels. L’objectif de mon intervention est de présenter et vulgariser les grandes conclusions de la littérature académique et scientifique sur l’impact de l’immigration sur la démographie et l’économie. Je présenterai également quelques recommandations quant aux objectifs des planifications pluriannuelles de l’immigration qui pourraient découler de la nouvelle politique d’immigration.
En résumé, l’immigration n’exerce qu’un effet marginal sur le vieillissement de la population, les finances publiques et la prospérité en général. Une intégration économique réussie ou non déterminera si cet effet est légèrement positif ou légèrement négatif. Sa composition et les niveaux reçus ont en retour un effet relativement important sur la structure démolinguistique du Québec.
Devant ces constats empiriques, il conviendrait de cesser de mettre au premier plan le nombre d’immigrants reçus comme objectif de la planification de l’immigration pour plutôt se concentrer sur des objectifs liés à l’intégration économique, à la francisation et à la régionalisation.
Le vieillissement de la population et les finances publiques
Le vieillissement de la population a été une préoccupation de premier ordre lors de la planification des niveaux d’immigration des dernières années. Plus généralement, cet enjeu démographique est au cœur de la politique d’immigration. L’idée générale est que dans un contexte de faible fécondité, les immigrants viennent compenser les naissances manquantes pour contrer le vieillissement. Or, toutes les études qui ont cherché à mesurer explicitement l’impact de l’immigration sur la structure par âge aboutissent à une même conclusion : l’impact est certes positif, mais d’une ampleur si faible qu’il n’en vaut pas la chandelle (Coleman, 1992; Bijak et al. 2007 ; Coleman, 2008 ; Marois, 2008). Qui plus est, cet impact n’est pas durable dans le temps. Si certaines mentions du document de référence préparé par le MIDI dans le cadre de cette consultation acceptent cette idée, il convient néanmoins d’en rappeler le processus, car cette méprise est encore largement répandue dans le débat public et a été mise au premier plan lors de la consultation gouvernementale de 2008 qui a abouti à l’augmentation des seuils d’immigrations au niveau actuel (entre 50 000 et 55 000 immigrants).
Je présente à la figure 1 une projection pour la période 2011-2031 de la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus selon deux scénarios quant aux niveaux d’immigration : 35 000 et 55 000. Les courbes montrent l’effet modeste de l’immigration sur le vieillissement de la population : à l’horizon 2031, les 65 ans et plus représentent 25,1 % de la population pour le scénario à 55 000 immigrants contre 26,3 % pour le scénario à 35 000, une différence de seulement 1,2 point de pourcentage. Sur les 20 années de la projection, la différence entre les deux scénarios est de 400 000 immigrants. Un tel volume supplémentaire ne permet en somme de retarder le vieillissement que de deux ans. Ce faible effet s’explique par le fait que l’impact de l’immigration sur la structure par âge n’est pas cumulatif, car, on l’oublie souvent, les immigrants vieillissent eux aussi et ont des comportements en matière de fécondité similaires à ceux des natifs. Dans un tel contexte, chercher à contrer le vieillissement par l’immigration, comme le souligne le démographe français Henri Leridon (2000), c’est « chercher à remplir un tonneau des Danaïdes ».
Figure 1
Projection de la proportion de 65 ans et plus du Québec selon deux scénarios, 2011-2031
Source : Calculs de l’auteur basés sur les tendances récentes
Les préoccupations liées au vieillissement démographique sont liées à l’effet de cette modification de la structure par âge sur les finances publiques et sur l’économie, car une part plus importante de personnes âgées peut signifier plus de dépenses sociales, notamment pour les soins de santé et les retraites, et moins de travailleurs en mesure de payer. Ainsi, pour que l’impact faible, mais positif, de l’immigration sur la structure par âge se transpose en effet bénéfique sur les conséquences du vieillissement de la population, une très bonne intégration socioprofessionnelle des immigrants est une condition sine qua non (Chojnicki 2007).
En effet, l’impact de l’immigration sur les conséquences du vieillissement ne doit pas uniquement être mesuré relativement à la population en âge de travailler, mais aussi à celle réellement en emploi et, plus spécifiquement, à la balance des revenus et de dépenses. Or, la situation actuelle montre que des améliorations importantes sont nécessaires à cet égard. Non seulement les immigrants présentent-ils des taux d’emploi très faibles, mais un retard important s’observe également au niveau de leur revenu (Cousineau et Boudarbat 2009 ; Boudarbat 2011). La situation, qui est généralisée à différents degrés aux pays occidentaux, s’est par ailleurs nettement détériorée au fil des dernières décennies (Frenette & Morrissette 2003 ; Picot & Sweetman 2005).
Devant ces résultats, il est possible que l’effet légèrement positif de l’immigration sur la population en âge de travailler soit complètement annulé, voire qu’il devienne légèrement négatif, si l’on considère son effet général sur les finances publiques. Un nombre réduit d’immigrants, mais en meilleure situation socioprofessionnelle, pourrait avoir un effet plus favorable sur les conséquences du vieillissement qu’un nombre élevé, mais en moins bonne situation. Quoi qu’il en soit, il importe de rappeler que, positif ou négatif, l’effet du nombre d’immigrants sur le vieillissement et les finances publiques demeure si faible qu’il n’est pas utile de le considérer dans l’élaboration des politiques d’immigration (Termote 2002; Chojnicki 2007). Celles-ci doivent cibler d’autres enjeux.
La pénurie de main-d’œuvre
Si la consultation gouvernementale de 2008 mettait l’accent sur le vieillissement de la population pour justifier des niveaux d’immigration, celle de 2012 mettait de l’avant la pénurie de main-d’œuvre, avançant que plus de 700 000 emplois seraient à combler et que l’immigration serait à cet effet un outil indispensable. Même si le gouvernement semble maintenant admettre que la pénurie de main-d’œuvre appréhendée n’a pas eu lieu, il est important de rappeler certains principes économiques. En premier lieu, il n’a jamais été démontré qu’il y a, ou qu’il y aura, une pénurie de main-d’œuvre dans les pays occidentaux (Cappeli 2005; Freeman 2006; Halliwell 2013). Pour qu’il y ait pénurie, il faudrait que la demande de travail excède l‘offre, c’est-à-dire qu’il y ait un surplus d’emplois par rapport à la main-d’œuvre disponible.
Or, depuis de nombreuses années, les enquêtes de Statistique Canada montrent qu’il y a au Québec, selon la conjoncture, entre 5 et 10 chômeurs par poste vacant et que le taux de chômage général de la population ne s’est jamais maintenu sur une longue période à moins de 7 %. Le taux de chômage chez les 15-24 ans qui entrent sur le marché du travail, et qui sont plus susceptibles d’être en compétition avec les immigrants, est quant à lui supérieur à 12 %. L’idée d’une pénurie généralisée de main-d’œuvre n’a donc aucune balise empirique. Par ailleurs, même si cette pénurie était réelle, l’immigration ne saurait y remédier. Les économistes utilisent le terme de « sophisme de la masse de travail fixe » pour parler de cette idée erronée (Walker 2007). Concrètement, cela supposerait qu’il existe une demande fixe de travail dans une société que les membres doivent se partager. Si la taille de la population diminue, il y aurait alors un excédent de travail que l’immigration pourrait combler. Or, la réalité démontrée empiriquement est que dans une économie de marché, la demande de travail n’est pas indépendante de la taille de la population (Freeman 2006). Autrement dit, l’immigration augmente à la fois l’offre et la demande de travail et ne peut par conséquent pas combler une pénurie de main-d’œuvre (Longhi et coll. 2005 ; 2010).
Mais peut-être existe-t-il des pénuries dans de secteurs spécifiques ? Au cours des différentes consultations, plusieurs intervenants des milieux patronaux sont venus expliquer leur problème de recrutement, notamment dans le commerce au détail ou l’industrie agricole. Toutefois, dans la mesure où, bien souvent, les conditions de travail offertes dans ces secteurs sont bien en deçà de la moyenne, l’on ne peut parler de pénurie de main-d’œuvre, mais plutôt de conditions qui ne répondent pas au marché (Cappeli 2005). En bref, il y a des travailleurs qui seraient prêts à occuper ces postes, mais pas aux conditions offertes. Utiliser l’immigration comme moyen de combler ces postes constitue alors une intervention gouvernementale pour contourner les lois du marché au détriment des travailleurs. Qui plus est, la politique d’immigration économique cherche à recruter des candidats qualifiés qui ne sont pas destinés à ce genre d’emploi. Si dans la réalité l’effet de la politique d’immigration du Québec est de combler ce problème de recrutement, il s’agirait d’un constat d’échec de ses objectifs qui accroîtra de surcroît les problèmes de surqualification. Il est néanmoins possible, de manière ciblée, que certains emplois de haute qualité et bien rémunérés nécessitant des compétences très particulières ne puissent trouver preneur dans la population locale. À cet effet, certains volets d’une politique d’immigration pourraient y répondre à petite échelle au moyen de programmes de recrutements ciblés et non en jouant sur les volumes (Carey 2014).
La diversité
Le cahier de consultation préparé par le gouvernement fait grand état de la diversité comme richesse collective. Il est à cet égard désolant de constater la pauvreté de la recherche du MIDI pour appuyer cette affirmation, qui, comme les arguments mis de l’avant en 2008 et 2012, se rapproche plus d’une profession de foi que du résultat d’une analyse rigoureuse. D’un point de vue scientifique, il est difficile d’approuver ou d’infirmer ce genre d’affirmation étant donné l’imprécision des concepts utilisés. La diversité peut référer à différents attributs qui n’ont pas tous le même effet : l’origine, la langue, l’éducation, la culture, la religion, la classe sociale, etc. La richesse se mesure souvent en termes économiques, mais peut également se rapporter à d’autres aspects sociétaux. L’élaboration de politiques publiques efficaces nécessite un suivi rigoureux de ses effets au moyen d’indicateurs statistiques fiables et précis. Le document de consultation présente donc une importante lacune à cet effet, puisqu’il ne permet pas de définir quels pourraient être ces indicateurs.
D’emblée, soulignons qu’il est peu probable qu’une augmentation de la diversité, mesurée sous l’angle ethnique, ait un impact important sur la prospérité. Cela signifierait qu’il y aurait proportionnellement trop de « Québécois de souche » au Québec et que cette homogénéité nuirait à sa prospérité. Cette idée est d’autant plus douteuse que les taux d’immigration au Québec sont parmi les plus élevés au monde et que les francophones de langue maternelle représentent déjà moins de la moitié de la population de l’île de Montréal. Plusieurs études ont mesuré l’effet de la fragmentation sociale (notamment sur le plan ethnique, religieux ou linguistique) sur la croissance économique et la conclusion générale qui en ressort est une relation nulle ou négative (Collier 2000; Alesina et La Ferrara 2004; Montalvo et Reynal-Querol 2005; Patsiurko et al. 2012). Cependant, puisque la diversité de plusieurs des pays concernés dans ces études est souvent issue de facteurs géographiques et historiques plutôt que d’une immigration sélectionnée, les conclusions peuvent difficilement se transposer à une politique d’immigration dans le contexte du Québec. Concernant l’effet de l’immigration dans les pays développés plus spécifiquement, le consensus scientifique est que son impact sur les indicateurs de prospérités, tels que le PIB par habitant ou le revenu, est toujours très faible, parfois positif, parfois négatif (Termote 2002; Longhi et al. 2005 ; 2010).
Certaines études ont cherché à mesurer l’effet de la diversité sur d’autres types d’indicateurs. Le document de consultation met l’accent sur le rôle positif que jouerait la diversité sur l’innovation. Il convient de nuancer cette affirmation sur un point important. S’il est vrai, comme le souligne le cahier de consultation, que « [p]lusieurs études scientifiques ont démontré que la diversité est source d’innovation économique et sociale » (p. 13), il est également vrai que plusieurs autres ont montré que la diversité n’a pas d’impact ou a même un impact négatif (Alesina et La Ferrara 2004). En fait, le contexte et les concepts que l’on mesure sont déterminants des conclusions qu’on en tire.
Par exemple, l’étude de Nathan et Lee (2013) qui porte sur un contexte très précis, soit la diversité ethnique chez les gestionnaires en Grande-Bretagne, montre qu’une augmentation de la diversité favorise l’innovation et ouvre de nouveaux marchés. Mais cette simple étude ne peut cependant pas être généralisée à toutes les situations. D’autres études n’arrivent pas aux mêmes conclusions. Par exemple, Pitts et Jarry (2007) montrent qu’il n’y a pas de gain de performance lorsqu’il y a une plus grande diversité ethnique chez les gestionnaires, car l’effet positif qui peut découler de l’apport de nouvelles approches pour résoudre des problèmes est annulé entre autres par des problèmes de communication. L’étude de Stuen et coll. (2012), qui porte sur la production des connaissances dans un contexte universitaire, va dans un sens similaire : les avantages apportés par une plus grande diversité d’idées sont réduits par les problèmes supplémentaires de communication et de coordination.
La littérature académique ne permet ainsi pas de trancher de manière définitive sur l’effet de la diversité sur l’innovation, et encore moins sur la richesse et la prospérité. Les effets sont variables d’un contexte à l’autre, mais sont généralement très faibles. Plusieurs études ont par ailleurs mis de l’avant que la question du nombre importe moins que la question de la composition. Ainsi, il ne s’agit pas d’accroître la diversité en général pour en accroître ses effets positifs, mais plutôt de cibler certains de ses aspects précis. Devant l’absence de tendances clairement établies, il serait judicieux d’explorer la question de manière plus approfondie sur le contexte spécifique du Québec, où les immigrants, même qualifiés, ont des difficultés importantes et croissantes sur le marché du travail. Toujours pour le contexte québécois, l’étude de l’effet de la diversité dans le cadre d’une politique d’immigration ne devrait par ailleurs pas uniquement se mesurer au niveau de son effet sur la richesse et sur l’innovation, mais aussi sur la cohésion sociale et la dynamique linguistique.
La dynamique linguistique
L’une des principales raisons de la création du ministère de l’Immigration du Québec et du rapatriement des pouvoirs en la matière par le Parti libéral du Québec est de s’assurer que les immigrants s’intègrent à la communauté francophone et fonctionnent en français. Cette préoccupation est d’autant plus importante de nos jours que dans un contexte de faible fécondité, les comportements linguistiques des immigrants sont déterminants de l’avenir du français au Québec. Pour des raisons de cohésion sociale, la politique d’immigration au Québec doit donc impérativement prendre en considération l’effet de l’immigration, et de la diversité, sur la structure démolinguistique du Québec.
Plus que par le passé, les immigrants s’intègrent en français, notamment du fait de la sélection des immigrants en fonction de la connaissance du français et de la loi 101, ce qui prouve que des règlements et des programmes gouvernementaux peuvent avoir un effet à cet égard (Bélanger et coll. 2011). Néanmoins, le français demeure encore sous-utilisé parmi la population immigrante (Bélanger et Sabourin 2013). En effet, si la connaissance du français est un déterminant essentiel de l’utilisation du français, ce n’est pas le seul et surtout, elle n’est pas une police d’assurance à cette fin. Non seulement les transferts linguistiques à la maison avantagent l’anglais, mais c’est également le cas pour les chiffres sur la langue au travail. Sur l’île de Montréal spécifiquement, le français est la principale langue parlée au travail de seulement 56,1 % des immigrants (Bélanger et Sabourin 2013). Les chiffres sur la langue d’usage en public montrent également une nette sous-représentation du français, particulièrement chez les allophones non francotropes1 (Pagé et coll. 2014). À la figure 2, je présente la proportion projetée de francophones selon quelques scénarios quant au niveau d’immigration et à sa composition.
Figure 2
Proportion de francophones* selon divers scénarios, Québec,2006-2056
* Selon la langue parlée le plus souvent à la maison
Source : Calculs de l’auteur, les données sont tirées du modèle Hermès développé par Patrick Sabourin et Alain Bélanger de l’INRS. Pour plus d’information sur le modèle:
http://www.scb.se/Grupp/Produkter_Tjanster/Kurser/_Dokument/IMA/Sabourin_Belanger_FINAL.pdf
En 2006, les francophones représentaient environ 82% de la population du Québec. En supposant que les futurs immigrants aient la même composition que ceux reçus dans les dernières années, la proportion de francophones chuterait à 75 % en 2056 si les seuils actuels d’immigration (scénario 1, 50 000) se maintiennent. S’ils sont augmentés à 65 000 (scénario 2), le déclin serait amplifié, la proportion de francophones atteignant 73 % au terme de la projection. Un retour au seuil du début des années 2000, soit 35 000 immigrants (scénario 3), amènerait en revanche un déclin environ deux fois plus lent et les francophones représenteraient 77 % de la population en 2056. Les scénarios 4, 5 et 6 de la figure 5 montrent que la composition de l’immigration est également déterminante de la situation du français dans le futur. Ainsi, le déclin plus important prévu par une immigration plus nombreuse pourrait être annulé par une augmentation de la proportion de francotropes chez les immigrants (scénario 5). Notons que ces chiffres concernent l’ensemble du Québec et que du fait de la forte concentration de l’immigration à Montréal, le déclin y sera d’autant plus rapide.
Compte tenu des chiffres sur la langue utilisée au travail, en public et à la maison, sans une nette amélioration des tendances en faveur du français, l’immigration mènera de manière incontournable à un affaiblissement de la place du français au Québec.
Certains intervenants suggèrent d’accorder moins d’importance à la connaissance du français lors de la sélection des immigrants, car, soutiennent-ils, cela se ferait au détriment des critères socioéconomiques d’employabilité. Cette suggestion ne doit pas être retenue, car elle va en fait à l’encontre de ses prétentions économiques. En effet, il convient de rappeler que la connaissance du français est en soi un critère déterminant de la réussite de l’intégration socioprofessionnelle, tout comme l’est celle de l’anglais. Les immigrants connaissant le français ont en effet beaucoup plus de chance d’obtenir un bon emploi que les autres. À profil équivalent, Zhu et Bélanger (2010) montrent que les immigrants non occidentaux qui connaissent à la fois le français et l’anglais ont environ 80 % plus de chance d’obtenir un emploi que ceux connaissant uniquement l’anglais, et ont un revenu d’environ 25 % supérieur. La connaissance du français comme critère de sélection n’entre donc pas en conflit avec les préoccupations d’intégration économique, au contraire.
Recommandations
Les objectifs à atteindre d’une politique d’immigration efficace devraient se situer à trois niveaux :
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Une bonne intégration socioprofessionnelle des immigrants. Les performances économiques des immigrants sont déterminantes de leur contribution aux finances publiques et à l’économie. Bien que l’impact de l’immigration demeure faible, une bonne intégration peut faire la différence entre un effet légèrement négatif et un effet légèrement positif. Cette intégration est non seulement pertinente pour la société, mais fait également la différence au niveau individuel pour la qualité de vie des immigrants et de leurs descendants. Les données recueillies par les diverses enquêtes sur le sujet montrent que des améliorations importantes sont nécessaires à cet égard.
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Une francisation adéquate. La connaissance du français est indispensable pour participer pleinement à la vie sociale au Québec et est indissociable de l’intégration socioprofessionnelle. Par ailleurs, compte tenu de la dynamique linguistique, la simple connaissance de la langue est insuffisante. Pour assurer la cohésion sociale et éviter son déclin, le français doit également être la langue normale et commune dans les milieux de travail et l’espace public, comme le veut la loi 101. Si le français est plus utilisé qu’avant parmi la population immigrante, l’anglais est encore dans une situation dominante, surtout chez les allophones non francotropes. Outre les critères linguistiques lors de la sélection, il pourrait être envisageable de mettre plus d’effort dans le recrutement de candidats provenant de pays francotropes et de déployer les moyens financiers nécessaires à la francisation de tous. Un renforcement des règlements concernant la langue pourrait également être envisagé, puisque ce genre de mesures a déjà prouvé son efficacité, notamment en ce qui concerne l’utilisation du français dans l’espace public, au travail et ultimement à la maison.
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Une régionalisation adéquate de l’immigration. Actuellement, Montréal reçoit une part disproportionnée des immigrants s’établissant au Québec. Puisque les représentants de la culture majoritaire francophone sont de moins en moins nombreux à Montréal et dans les quartiers d’immigration, les possibilités de contacts favorisant l’intégration sont réduites. Des études ont montré l’effet bénéfique de vivre hors région métropolitaine pour l’intégration des immigrants (Bernard 2008). Cela assurerait de meilleurs contacts avec les natifs, améliorait la situation professionnelle des immigrants et permettrait de réduire ou d’annuler le déclin démographique de certaines régions. Pour assurer la cohésion sociale, cette situation doit être corrigée.
Si la plupart des intervenants s’accordent généralement sur ces trois points, ces derniers sont néanmoins souvent relégués au second plan. Le principal défaut de la manière de procéder habituelle de la politique d’immigration actuelle est que les objectifs sont quantitatifs avant d’être qualitatifs. Avant d’assurer une bonne intégration professionnelle, une francisation adéquate et une régionalisation de l’immigration, le ministère cherche à atteindre les seuils d’immigrants qu’il s’est fixés. Or, devant l’absence d’impact important du nombre d’immigrants reçus sur le vieillissement de la population, les finances publiques, la prospérité et le marché de l’emploi, cette approche doit être revue. Il serait préférable de revoir la finalité des exercices de planification pluriannuelle de manière à considérer les seuils non plus comme un objectif, mais comme une conséquence de la réussite des objectifs précédemment mentionnés. Le principal objectif des planifications serait alors de déterminer les conditions minimales sur chacun des trois points ci-haut (par exemple, un taux de chômage maximum jugé acceptable, une proportion minimum d’intégration en français et une proportion minimum s’installant en régions) et d’ajuster la grille de sélection en conséquence, en prenant en considération les moyens financiers pouvant aider l’atteinte de ces objectifs (formation linguistique, stages subventionnés en entreprise, etc.).
Le ministère de l’Immigration a depuis longtemps un intérêt pour l’intégration économique, la francisation et la régionalisation des immigrants. Cependant, il ne s’est jamais doté d’indicateurs d’impact exhaustifs permettant d’évaluer la pertinence de ses politiques. Un suivi exhaustif de l’insertion économique, linguistique et géographique des immigrants en fonction de leurs caractéristiques de sélection devrait être mis en place afin de mieux définir les critères de sélection et les seuils de passage nécessaires à la réussite des objectifs d’immigration. La mise en place d’un tel suivi permettant l’évaluation des politiques publiques est d’autant plus nécessaire, dans le contexte actuel, que le gouvernement fédéral a coupé le questionnaire long du recensement et par le fait même, les questions qui permettaient jadis de cibler les immigrants, leurs comportements linguistiques et leur situation professionnelle. Il n’existe donc à l’heure actuelle aucune base de données de qualité permettant de construire et suivre les indicateurs nécessaires à l’élaboration et l’amélioration des politiques publiques concernant l’intégration des immigrants.
Pour terminer, j’aimerais mettre de l’avant une idée de nouveau programme qui améliorerait l’intégration économique et linguistique tout en facilitant la régionalisation des immigrants. L’idée serait d’ouvrir un certain nombre de places à un tarif préférentiel à des candidats étrangers dans des programmes universitaires ou collégiaux ciblés en partenariat avec les acteurs économiques locaux. Ces candidats seraient recrutés en fonction de leur performance scolaire, de leur âge et de leur connaissance linguistique. Le MIDI accorderait le CSQ (certificat de sélection du Québec) de manière conditionnelle à l’obtention du diplôme dans l’un de ces programmes. Les candidats ayant ensuite des diplômes québécois reconnus et recherchés au terme de leurs études, en plus d’un réseau professionnel, auront beaucoup moins de barrières à l’obtention de bons emplois. Puisque certains de ces programmes seraient offerts en région, le fait d’étudier et de vivre durant un certain nombre d’années dans celles-ci faciliterait leur rétention. Finalement, en recrutant des candidats francophones pour étudier dans des établissements francophones, l’utilisation du français serait ultimement favorisée au travail et dans l’espace public. Si un tel programme nécessite un certain coût en subvention d’étude durant les premières années de résidence des candidats, celui-ci serait compensé à moyen terme par le biais des impôts tirés sur de meilleurs revenus.
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