Éditorial – Habiter nulle part

Commentateurs, analystes et bonimenteurs ont réalisé des prouesses de voltiges pour meubler le néant. Les élections canadian n’ont donné que ce que le Canada peut donner de meilleur : l’insignifiance nihiliste. Du moins pour nous. Nous, les absents à nous-mêmes. Nous, le peuple dont le Canada refuse le nom. Nous qui faisons semblant que ce n’est pas si pire…

C’est pourtant en train devenir une véritable hérésie ce « nous » quand les Québécois le prononcent ici ou à Toronto. Ce nous de l’habitude du mépris, de l’extrême propension à faire le dos rond pour minimiser ce que l’on nous inflige parce que ça pourrait être pire. Cette campagne électorale n’aura servi qu’à illustrer qu’à défaut de nourrir le courage, l’insulte pouvait au moins donner du ressort. Cela a permis au Bloc de continuer d’exister comme instrument de dédouanement. Tant qu’il y a moyen de faire semblant d’y être le Canada peut toujours demeurer un cadre de référence pour la politique de l’impuissance et le consentement à la minorisation.

Bleu? François Legault? Mauvais tacticien? Réactionnaire? Duplessiste pour donner des frissons à Nadeau-Dubois? L’ordre du questionnement de la résignation n’en finit plus d’élargir le registre de la parlote politicienne et des matériaux qu’elle peut générer pour faire tourner les gazettes et gazouiller dans la désincarnation numérique. Les Québécois n’habitent plus nulle part, ni dans le Canada réel, ni dans le Québec impossible.

S’il fut un temps où il était payant et fructueux de parier sur l’improbable, force est de constater que ces jours raccourcissent plus vite que ceux d’octobre. Projet de loi 96 et atermoiements des élites d’un Québec inc. plus velléitaire que jamais. Loi 21 et concert de défilades dans les concours de vertu, les voies d’accommodement à l’autorité d’Ottawa sont pavées d’une rhétorique qui n’en finit plus d’éloigner la politique du réel de la condition québécoise. Il est pourtant évident que les débats de la province sont condamnés à lui échapper. Mais il est si confortable de faire semblant…

Il reste toujours une arme utile pour affronter ce désert d’idée que devient chaque jour davantage la politique provinciale : l’ironie ferronienne. En cet automne du centenaire de sa naissance, il fallait y revenir, en sonder l’abime aussi bien que la puissance. Il fallait ce dossier pour ramener les œuvres dans le maquis où le Québec se trouve, loin de lui-même, hésitant comme jamais, multipliant les bravades inutiles du fond de l’arrière-cuisine. La culture reste la voie royale.

À la condition toutefois d’en faire autre chose qu’un bibelot dans les espaces bleus de la fierté. C’est le mouvement des œuvres et non leur immobilité qui donnera au Québec le sursaut que l’histoire lui fait le devoir d’accomplir. Par gratitude envers les devanciers, pour la créance à l’égard d’une jeunesse qu’habiter nulle part condamne aux rêves apatrides et à la déchéance des idéaux. La littérature peut beaucoup.

Lire Ferron pour se sentir vivre. Lire Ferron pour jeter dans le nihilisme marchand les grands rires des braconniers sur l’ordre des puissants. Questionner Ferron pour conjurer les oracles. Il fallait s’offrir le présent du retour critique sur les fulgurances qui ont placé son œuvre au cœur de ce que notre aventure en terre d’Amérique a pu et peut encore porter de meilleur.

Lire Ferron pour habiter sa maison. Lire Ferron pour activer les mémoires et faire lever les possibles.

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