Éditorial – La tristesse du ministre Couillard

2006novembre250La remise en cause du gigantesque gaspillage que constitue le projet de dédoublement des mégacentres hospitaliers universitaires déclenche des réactions qui ne font pas honneur à notre lucidité collective et à notre capacité de regarder froidement les choix à faire pour un usage optimal de nos ressources. Une telle décision aberrante mérite pourtant des explications claires. Personne n’a encore fait la démonstration que le bien commun serait mieux servi par la dispersion des ressources plutôt que par la création d’une seule institution à vocation nationale. On a plutôt l’impression, au contraire, que les autorités gouvernementales, les responsables universitaires et les porte-parole du corps médical font tout pour éviter les éclaircissements, pour ne pas expliciter les critères et les motifs qui les inspirent.

Une approche inclusive

Nous avons donc eu droit en réaction au lancement du rapport de la coalition unseulchu.org, à l’habituelle démagogie qui caractérise depuis le début l’attitude des promoteurs de cette dépense indécente. Comme il fallait malheureusement s’y attendre, la réaction la plus déplorable est venue du ministre lui-même. Au lieu de répondre sur le fond des choses et de s’en tenir aux données et résultats objectifs de cette étude, le ministre Couillard a tenté de faire dévier le débat en nous faisant le coup de la réaction émotive. Cela l’a rendu « triste » qu’on lui pose des questions précises et il a préféré esquiver en tentant de salir le messager.

Le ministre tristounet s’est pourtant approché, bien malgré lui, de la vérité. En déplorant qu’il s’en trouve parmi nous pour maintenir « des frontières entre nos deux communautés », (Cyberpresse. 13 octobre) Philippe Couillard ne pouvait pas mieux dire. C’est précisément ce que fait son projet. Nous proposons au contraire d’abolir ces frontières et de concevoir un projet de centre hospitalier qui reposera sur la collaboration et la cohabitation dans une même institution des deux facultés de médecine. Nous ne voulons pas du développement séparé. Nous pensons que l’avenir est à la concertation et à la coopération. Pourquoi n’est-ce pas possible de faire travailler ensemble dans une même institution nationale les facultés de médecine de McGill et de l’Université de Montréal ? C’est une question simple pour laquelle nous aimerions une réponse franche.

Il y aurait quelque chose de profondément indécent et d’irresponsable socialement à dépenser près de quatre milliards de fonds publics pour créer des chasses gardées et maintenir des barrières linguistiques. Ceux qui, comme le docteur Porter qui pilote le MUHC, ne veulent pas « affaiblir le système de santé québécois » ont le fardeau de la preuve. C’est à eux de nous démontrer l’impossibilité de faire travailler ensemble deux institutions qui sont financées par les mêmes contribuables.

La création d’un seul centre hospitalier universitaire, on le sait bien, nécessiterait que soit posé clairement le statut de la minorité linguistique et de ses institutions dans notre système national. Au lieu de s’attrister, le ministre serait mieux d’arrêter de fuir et de dire des faussetés. Personne dans la coalition n’a jamais remis en cause l’existence de la faculté de médecine de l’Université McGill. Questionner son financement en regard de sa contribution au contingent de médecins pratiquant au Québec ce n’est pas en menacer l’existence, c’est tout simplement se préoccuper de la saine gestion des fonds publics.

L’équilibre linguistique est un critère de gestion

Et à cet égard, il y a quelque chose de profondément irresponsable à ne pas examiner la répartition des fonds publics selon les critères d’une politique qui doit servir le fait fondamental que le Québec est une société française. Respecter la minorité anglophone est une chose. La privilégier en jouant de critères inéquitables en est une autre. Le ministre peut-il nous donner les critères objectifs qui justifient la répartition 50-50 d’une enveloppe budgétaire dans un Montréal métropolitain où les anglophones forment 12,1 % de la population ? .

L’Université de Montréal, qui forme quatre fois plus de médecins pratiquant au Québec, est systématiquement discriminée par ce mode de financement. Il est désolant que ses responsables acceptent ainsi de jouer les underdogs dans un projet qui devrait les mobiliser pour propulser la médecine francophone dans le prochain siècle. Leur silence cautionne la minorisation du fait français à Montréal, en plus de souscrire à la marginalisation de leur propre institution.

La coalition unseulchu.org ne veut pas jouer à ce jeu de dupe. On ne nous culpabilisera pas en nous faisant le coup de l’ouverture sur le monde que nous donnerait une Université McGill qui attire des candidats de partout dans le monde. Si elle le fait, c’est d’abord parce que les fonds publics le lui permettent. On ne voit pas pourquoi les fonds publics alloués à une institution unique n’auraient pas le même effet. À ce jeu comptable, il faut vraiment se demander à quel endroit le Québec français en aurait le plus pour son argent. Et cela sans se demander si le Québec a vraiment les moyens de subventionner tant de places pour étrangers.

La primauté de la recherche sur le béton

Le projet des deux mégahôpitaux est lamentable pour une autre raison, tout aussi fondamentale : nous allons faire primer le béton sur la recherche. Ce dédoublement va absorber des ressources faramineuses pour les bâtisses et pour financer les bureaucraties, détournant d’autant des sommes qui pourraient être consacrées à la recherche. En choisissant de ne pas toucher aux privilèges de McGill, nous commettons une faute contre l’intelligence.

On comprend bien que les firmes d’ingénierie et les vendeurs de béton exaltent la formidable poussée de croissance économique que donneront ces projets à la métropole. Mais c’est un leurre. Le développement économique, lui, dépendra de l’accroissement de la capacité de recherche et cela devrait passer par une augmentation des ressources disponibles pour les chercheurs. C’est là que les fonds publics doivent aller en priorité. Philippe Couillard ne devrait pas être triste, mais honteux. Il brade l’avenir pour couler des privilèges dans le béton.

 

2006novembre250La remise en cause du gigantesque gaspillage que constitue le projet de dédoublement des mégacentres hospitaliers universitaires déclenche des réactions qui ne font pas honneur à notre lucidité collective et à notre capacité de regarder froidement les choix à faire pour un usage optimal de nos ressources. Une telle décision aberrante mérite pourtant des explications claires. Personne n’a encore fait la démonstration que le bien commun serait mieux servi par la dispersion des ressources plutôt que par la création d’une seule institution à vocation nationale. On a plutôt l’impression, au contraire, que les autorités gouvernementales, les responsables universitaires et les porte-parole du corps médical font tout pour éviter les éclaircissements, pour ne pas expliciter les critères et les motifs qui les inspirent.

Récemment publié