Éditorial – Le vertige

Le spectacle est affligeant : il n’y a rien de drôle à voir s’effondrer le gouvernement du seul demi-État que nous contrôlons. Pas une semaine ne se passe sans que ne s’ajoutent des motifs de désespérer de notre situation provinciale. Tantôt c’est un millième reportage sur le délabrement des bâtiments publics, tantôt la reprise d’une désolante ritournelle sur l’immigration, et toujours les malheurs du système de santé qui implose scandale après scandale et qui achève d’épuiser la répartie du ministre Dubé qui n’arrête pas de comprendre l’inacceptable. Et voilà que s’ajoute maintenant la multiplication des euphémismes pour ne pas appeler un chat un chat. Ce n’est pas l’austérité, répètent les ministres collés aux « lignes de communication » distribuées par la cabine suprême.

François Legault apparaît de plus en plus dépassé par la situation. Chaque fois qu’un dossier commence à chauffer et qu’il s’en mêle, il en fait la démonstration. Son gouvernement n’a plus de projets crédibles, plus de discours cohérent, il navigue à vue, à peine peut-il tenter d’éviter le naufrage en gagnant du temps. Son autonomisme est mort, enterré sous les rebuffades certes, mais d’abord par sa propre démission. La CAQ n’a jamais eu le courage de la politique qu’elle a prétendu servir. Elle n’est capable que de lamentations et de mines contrites. Son programme s’est enfoui dans les réformes de structures pour se consoler de n’avoir pas de prise sur les réels défis de la nation.

La CAQ et tous les provinciaux qui l’observent, la soutiennent ou s’y réfugient, c’est d’abord et avant tout le gouvernement du déni. Les bonimenteurs médiatiques s’échinent à conforter son refus de voir. La vérité, c’est que le gouvernement du Québec n’a plus les moyens de ses responsabilités. Ottawa le maintient dans un état limite de sous-oxygénation et lui impose mille et une contorsions en intervenant dans ses champs de compétences et lui imposant des « normes » pour mieux le contrôler.

Ceux qui s’efforcent de n’y voir qu’une autre façon de se déresponsabiliser en reportant la faute sur les « les autres » pratiquent un aveuglement volontaire coupable. Il faut se boucher la vue pour ne pas voir que les transformations démographiques liées au vieillissement accéléré exercent une pression déjà intenable. Le budget de la santé gruge déjà la moitié des ressources de la province. Le gouvernement du Québec est condamné à négliger toutes les autres missions de l’État pour faire face à ce qui s’en vient. Et il le fera de manière inadéquate, de toute façon, car sans récupérer la totalité de nos impôts pour revoir les priorités d’allocation, les budgets du Québec ne sont plus désormais que des instruments de gestion de la régression sociale et économique. Il faut vraiment être intoxiqué par la rhétorique managériale pour n’y voir que le retour à l’austérité et des appels à la discipline budgétaire. Tout pour maquiller la résignation.

Le gouvernement du Québec est dans la situation des indigents qui chauffent la maison en brûlant les meubles. L’hiver provincial ne finira pas. Et le Québec restera prisonnier d’un régime qui le contraint déjà à consentir à l’accroissement des inégalités, à la démission devant les défis d’un vingt-et-unième siècle qui ne laissera pas d’avenir aux demi-mesures. La CAQ est déjà sur la pente du grand bazardage, les génuflexions de Pierre Fitzgibbon devant le grand capital ont donné un aperçu de ce qui nous attend collectivement. La province est encastrée par le régime dans un modèle de développement dépendant qui l’oblige d’ores et déjà à brader les principaux héritages de la Révolution tranquille, le seul moment où nous avons vu ce que pourrait donner un minimum de cohésion nationale.

Les mois qui viennent ne manqueront pas de nous rappeler que nous n’avons plus rien à faire dans ce pays que la CAQ et les fédéralistes québécois s’entêtent à fantasmer. L’arrivée éventuelle des conservateurs au pouvoir rendra la chose avec une cruelle évidence. À la condition, évidemment, de vouloir voir. Et de refuser au PLC et au NPD toute prétention à servir l’intérêt du Québec : tous deux ne le considèrent que pour mieux l’enfoncer dans la minorisation. Ce sont des forces et des agents de compromission.

Il faut espérer que le Bloc Québécois soit au plus fort. Il faut qu’il porte un message d’émancipation. À cet égard, il n’a aucun intérêt et ce ne sera même d’aucun intérêt de le soutenir s’il se contente de dénoncer ou de se consoler à se gaussant des améliorations qu’il pourrait apporter aux conditions d’étranglement : un peu plus d’oxygène ne contribuerait qu’à ralentir la dévitalisation. Il faut sortir du Canada et ça urge. On attend de lui qu’il tienne à Ottawa une position indépendantiste ferme et qu’il tienne bon devant les vagues qu’une telle position pourrait faire à la Chambre des Communes. On attend de lui à ce qu’il laisse braire. Ce pays n’est pas le nôtre, sa constitution est une agression permanente, sa Cour suprême et sa Charte sanctifiée sont des instruments illégitimes. Il faut le rappeler et le faire voir en toutes circonstances.

Le Bloc québécois n’a plus rien à prouver et encore moins à gagner à se présenter comme « responsable » en tentant de faire des minauderies pour amadouer le Globe and Mail et La Presse. Sa présence à Ottawa n’a d’utilité que pour faire craquer ce régime, pour en faire voir les contradictions et les effets néfastes sur notre existence nationale. Le Bloc doit contribuer à sortir le Canada du Québec, non seulement en dénonçant les empiètements et iniquités, mais aussi en déconstruisant les catégories dans lesquelles le régime tenter de façonner les représentations de notre condition nationale. Sans relâche, il doit recadrer les enjeux, défaire les problématiques qui ont pour effet de canadianiser les débats et enjeux du Québec.

Il faut casser le narratif canadian. La présence du Bloc à Ottawa doit être le rappel incessant qu’il n’y est que pour hâter la sortie. Il n’a pas à chercher à se faire lubrifiant, une posture conforme à notre intérêt national devrait le rendre plutôt abrasif. Il n’y a pas de demi-mesures : ou un peuple se gouverne ou il est gouverné. Les seuls compromis acceptables ne sont que ceux-là qui permettent de défaire les nœuds pour que les choses s’accomplissent. Chacune de ses interventions doit servir à faire comprendre notre refus de nous penser dans le registre canadian. Une pareille constance ne manquera pas de faire voir les limites de l’hypocrite accommodement que le régime maintient. Un parler franc et dru fera apparaître le fond des choses. Il lui faut un discours résolument indépendantiste, en phase avec celui du Parti québécois qu’on espère capable de se tenir à la hauteur des défis qui placent la nation dans une situation rien moins que dramatique. Une telle posture doit en finir avec les « paniqués de la chicane ». Notre existence nationale est incompatible avec l’ordre canadian.

Ou bien le Québec s’assume et s’arrache à ce régime, ou bien il cède et se perd dans les multiples avenues du déni et de la démission. Ce n’est pas d’hier que les indépendantistes sont habités par ce sentiment d’urgence. Mais le marasme actuel de la province dont les grands systèmes de protection sociale sont au bord de l’effondrement doit être non seulement dénoncé, mais recadré dans la seule perspective garante des réponses nationales requises. Nous avons besoin d’un État complet capable d’assumer toutes ses missions.

Le spectacle d’une implosion au ralenti que nous donnent François Legault et ceux-là qui l’ont suivi a de quoi donner le vertige. Le marasme et la médiocrité gagnent et sapent non seulement la cohésion sociale, mais encore et surtout l’image que le Québec se fait de lui-même. Le cynisme et l’autodénigrement se répandent et discréditent, de crise en scandale, l’idée même d’effort collectif, de possibilité de dépassement de soi.

Mélange de candeur et d’incompétence, ce gouvernement qui s’est fait élire sur le thème de la fierté est en passe d’inspirer la honte pour nos institutions comme l’a fait le premier ministre à Paris, multipliant les bourdes pour donner du Québec une image de république bananière. La démission provinciale des caquistes les place devant une éventualité qu’ils ne souhaitent pas, mais devant laquelle ils manquent de courage. C’est une lacune qui les jette dans les bras des inconditionnels du régime et ceux de ses dirigeants. L’échec de l’autonomisme ne laisse plus aucun autre choix digne. Plus leur déni se prolonge, plus vite s’érode la confiance dans nos institutions. Et plus vite se creuse le précipice devant lequel le régime place notre destin provincial.

Une question nationale se résout ou elle pourrit tout. Nulle part et pour personne, la dépendance n’est une voie d’émancipation. Et aucun peuple ne régresse dans la dignité.

Le spectacle est affligeant : il n’y a rien de drôle à voir s’effondrer le gouvernement du seul demi-État que nous contrôlons. Pas une semaine ne se passe sans que ne s’ajoutent des motifs de désespérer de notre situation provinciale. Tantôt c’est un millième reportage sur le délabrement des bâtiments publics, tantôt la reprise d’une désolante […]

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