C’est fait. Les choses sont claires. Le Parti québécois a son chef. L’homme n’aura guère de répit. Il savait à quoi s’attendre. Il faut espérer que son parti prendra rapidement acte de ce qui s’est enclenché depuis l’annonce de sa candidature et qui s’accélère depuis. La volonté d’éradication, les efforts concertés pour briser notre capacité de cohésion nationale, la dynamique de normalisation de la province vont nous valoir de très durs moments et de sombres manœuvres. Mais ce ne sera pas chose facile de les faire voir, de les faire comprendre pour ensuite les combattre.
Les Québécois ont bien du mal à vivre dans le Canada réel. Ils habitent celui que des élites démissionnaires leur dessinent jour après jour, le pays du rapetissement, du compromis bancal, de la résignation quémandeuse. Libéraux inconditionnels, bonimenteurs à gages chez Gesca ou ailleurs, tâcherons de la politique provinciale et colporteurs de ragots de corridors encombrent l’espace médiatique et sèment une médiocrité qui fait du dégât. Les indépendantistes n’ont plus rien à faire à tenter de brasser ces boues toxiques. Le Québec s’y enlise, rien ne sert de s’imaginer qu’à force de s’agiter les marécages vont se muter en roche mère. Leur Québec est celui de la survivance, de l’adaptation à la vie en état de sous-oxygénation. La représentation qu’ils en donnent distille le consentement à l’impuissance.
Les indépendantistes doivent désormais – à nouveau? – placer leur combat où il doit être conduit. Le Canada est une maison de fous où nous ne sommes tolérés qu’à titre de locataires malcommodes. Et encore. Comme notre territoire peut être vu comme un verrou stratégique sur les voies de sortie du pétrole sale, notre place et les tensions qu’elle génère depuis toujours ne se joueront plus tant dans les sempiternelles querelles sur la centralisation que sur la neutralisation de notre volonté de faire ce que nous entendons de notre territoire, de notre économie, de nos milieux de vie. C’est du Canada réel qu’il faut sortir, pas de celui qui se donne à penser dans la rhétorique provinciale que nous assènent ceux qui le servent.
Ce Canada réel, c’est celui de notre minorisation définitive et de notre réduction au statut de segment de population à contenir dans une logique de développement périphérique, accessoire. La mobilisation nationale doit reposer sur ce cadre stratégique fondamental. Le travail des indépendantistes ne doit pas se cantonner aux seules activités partisanes, il doit contribuer à raccorder les Québécois avec leur expérience majoritaire, avec la claire conscience que ce statut vital est en cause dans tout débat sur l’avenir collectif et sur les formes aussi bien que le sens à donner à nos institutions, à l’organisation de la vie publique et à l’utilisation de nos ressources. C’est une tâche de recomposition des faits et des perceptions que la logique provinciale sépare, dans le débat comme dans les consciences. C’est une tâche de reconfiguration de la culture et de la conscience politiques.
La logique de minorisation va se déployer en vitesse supérieure à compter de cet été. Les préparatifs de la campagne électorale fédérale vont donner lieu à une formidable production de leurres et de thématiques de diversion. La mise en scène médiatique a déjà façonné un cadre de distorsion du débat dans la manière de rendre compte de l’action du Bloc québécois. En effet, les catégories du récit médiatique sont totalement en phase avec la logique de minorisation. En faisant l’injonction au Bloc d’avoir à justifier son existence par la démonstration de sa pertinence sur l’échiquier électoral, ce récit gomme la catégorie démocratique fondamentale de l’élection à venir. Cette catégorie, c’est celle qui définit la légitimité même de notre existence nationale.
Le Bloc québécois est le seul parti où un électeur québécois peut s’exprimer comme membre de sa nation. C’est le seul cadre partisan où il peut exister autrement qu’en étant une fraction de quelque segment canadian. Les autres partis fédéraux, peu importe leur rhétorique – y compris celle qui, à l’occasion, flirte avec le mot nation pour nous désigner – sont tous des instruments de minorisation. Les Québécois n’y sont jamais qu’une bonne pâte à compromis, aux intérêts modelables au gré de ce qui apparaît acceptable à une majorité qui pense son Canada pour elle-même. Rien ne l’illustre mieux que le manège auquel se livre le NPD qui aura mis ces quatre dernières années à profit : ses recrues ont appris toutes les astuces de la restriction mentale, du mensonge par omission et du double langage.
Sur tous les sujets majeurs du débat public au Canada Thomas Mulcair est un exemple pour eux tous : c’est un as du double langage mâtiné d’euphémismes flagorneurs. Sa députation, il la tient dans les cadres étroits de la conduite minoritaire. C’en est pathétique de les voir nous servir avec les trémolos dans la voix les poncifs du Québécois/Canadien dans la référence au « national » comme ils ont appris à désigner ce qui est une évidence pour le Canada. C’est triste de voir ceux-là qui sont sincères bomber le torse et gaspiller leurs talents à tenter de se faire apprécier comme intermédiaires utiles. Le Québec en a tant vu des bonnententistes qui se magasinent sans le savoir déceptions et prix de consolation…
La pertinence du Bloc? Une question qui n’a de sens que pour ceux-là qui ne veulent pas avoir à faire la preuve que nos intérêts sont mieux servis quand on les confie à une majorité étrangère. Il faut que la prochaine campagne électorale fournisse une occasion d’interpeller les Québécois non pas d’abord sur les programmes des partis fédéraux mais sur la nature du régime. Le Canada n’est pas notre maison et le choix des partis « minorisateurs » ne concerne, somme toute, que le choix des décorateurs. Qu’ils se disputent sur les atours de la royauté, sur les vertus du pétrole sale, sur la grandeur militaire ou la couleur des tentures de Rideau Hall, cela ne nous concernera jamais qu’à titre de payeurs contraints, voire de cocus contents.
Ottawa va consacrer des dizaines de milliards au renouvellement de la flotte et le chantier Davie n’a rien d’autre à faire que de licencier. Mais nous allons payer.
Ottawa subventionne l’exploration et l’exploitation du pétrole sale. Nous protestons dans les rues pour le respect des engagements internationaux et nous sommes complices impuissants d’un État voyou. Mais nous allons payer.
Ottawa vogue au secours de l’industrie automobile ontarienne à qui il consacre 11 milliards et laisse sombrer l’industrie forestière québécoise. Mais nous continuons de payer.
Ottawa veut balafrer notre territoire et imposer un pipeline. Mais nous continuons de payer.
Ottawa impose son pont Champlain et nous le fera payer deux fois. Et nous continuons de nous lamenter.
La liste est interminable. Et elle s’allongera encore avec les programmes électoraux. Pour donner une bonne idée de la mesure débile des énormités qu’on nous servira, rien ne vaut la lecture des entrevues qu’accorde Thomas Mulcair qui veut créer un ministère des affaires urbaines pour qu’Ottawa passe par-dessus la tête de notre Assemblée nationale. C’est aussi énorme que l’hypocrisie de son discours sur le pipeline – une bonne affaire en anglais et dans l’Ouest, un dossier à évaluer en français au Québec. Cela s’ajoute aux énormités qu’il profère sur le programme « national » de garderies qu’il s’engage à créer alors que la réduction des transferts fédéraux et le fétichisme idéologique des libéraux provinciaux détruisent le nôtre. Quant aux autres qui font carrière au PLC ou au Parti conservateur, ils nous offriront d’autres variantes du répertoire de la double légitimité, tâchant de faire bouger quelques segments de clientèles pour ravir au NPD les sièges qui pourraient leur servir d’alibi pour dire qu’ils parlent pour tous les Canadiens.
Chaque année, nous envoyons 50 milliards de dollars en impôts à Ottawa pour laisser une majorité financer ce qu’elle veut, choisir ce qu’elle veut, et nous placer devant l’obligation de subir ses choix. Critiquer le régime, c’est faire comprendre aux Québécoises et aux Québécois qu’il est absurde d’envoyer autant d’argent pour se laisser ligoter, pour se faire imposer des solutions qui ne seront jamais mieux, à la lumière de nos intérêts nationaux, que des compromis inadéquats. Il est inutile et contradictoire d’élire une députation qui n’aura d’autre rôle que de brouiller les cartes en prétendant parler au nom des intérêts du Québec pour mieux se faire commis-voyageur et tenter de nous vendre la politique des autres.
Les indépendantistes sont devant la tâche de reconstituer le mouvement national en commençant par faire valoir l’urgente nécessité d’avoir une conduite cohérente. Cela commence par ne jamais accepter de se laisser réduire au statut de minoritaire. Aucun argument, aucun enjeu d’affaires publiques ne justifient de s’automutiler. NPD, PLC, PC ou Parti Vert sont tous interchangeables à cet égard. Il faut en prendre acte et agir en conséquence.
Le défi des prochaines années ne se résume pas à redonner une position avantageuse aux indépendantistes sur la scène électorale. Il faut que le Québec se constitue en force nationale. Les partis politiques ont un rôle essentiel à jouer dans cette tâche. Mais cela ne suffira pas, il faudra que partout, dans tous les milieux, dans tous les coins et recoins de la société civile chacun, chacune pense et se comporte en plaçant ses repères en phase avec la claire expression de notre intérêt national. Et cela commence par le refus de se comporter et de se laisser définir comme un minoritaire en son propre pays.