Dans leur dernier essai en date, le politologue Éric Montigny et l’éditorialiste de La Presse François Cardinal ont entrepris la rédaction d’un ouvrage collectif sur les répercussions qu’aura la génération Z sur le Québec. Par Z, les auteurs entendent par là une personne née entre 1995 et 2010, semblable à ce que d’autres nomment la iGen. Afin de mieux comprendre cette cohorte de nouveaux citoyens, le livre est divisé en quatre sections, toutes plus ou moins reliées à la scène politique.
La première section pose la question de la place de cette génération dans la société québécoise. L’analyste politique Marie Grégoire aborde le sens que donnent les Z au travail. Étrangement, son texte se base sur une enquête faite auprès de 60 Québécois, ce qu’elle avoue d’emblée ne pas être représentatif. Néanmoins, elle décèle des caractéristiques intéressantes des jeunes sur le marché du travail. De son côté, François Cardinal observe la virtualisation du mode de vie des jeunes et a le mérite de dénoncer des phénomènes comme les chambres d’échos, les safe spaces et la censure des conférenciers dans les écoles. Il note enfin la montée d’un militantisme de plus en plus paresseux. L’ineffable Fabrice Vil, collaborateur dans de nombreux médias, nous laisse quelques pages d’insignifiance antiraciste, affirmant par exemple que l’identité québécoise est une question futile (p. 56) et dénonçant la soi-disant exclusion des anglophones du Québec… (p.64). Le tout est ponctué de témoignages sur le ressenti de jeunes immigrants percevant de la discrimination, et l’auteur conclue, dans un festivisme assumé, que « le Québec fier ressemble plutôt à un DJ de festival. » (p. 65). On est loin du foyer lumineux de l’Amérique française. Pour conclure la section, le politologue Bernard Fournier offre quelques statistiques éclairantes sur l’évolution de la vie civique et de la chute du Parti québécois.
La deuxième section introduit le thème de la démocratie et de sa remise en question. Un jeune étudiant en science politique, du nom de Fred-William Mireault, sert une litanie progressiste pour nous dire que les jeunes s’intéressent à l’environnement et non à l’immigration ou encore à la rémunération des médecins (qui, rappelons-le, grugeait tout de même plus de 7 % du budget de l’État du Québec en 2018-2019…1). Éric Montigny et Katryne Villeneuve-Siconnelly, doctorante en science politique, réussissent à montrer les subtilités des nouvelles formes d’engagement civique des Z, déjà plus participatifs que les Y. Enfin, le politologue François Gélineau montre que la démocratie est bien vue par les jeunes, sans autre information pertinente.
La troisième section tente de comprendre le rôle de la transformation des médias pour la génération Z. Les deux premières interventions sont plutôt inintéressantes et encouragent le nivellement par le bas pour mieux rejoindre les jeunes. Le dernier auteur nous rappellera banalement l’importance des réseaux sociaux et des fausses nouvelles. En bref, c’est la partie la moins réussie de l’ouvrage.
La dernière section, composée de quatre chapitres, porte sur le comportement électoral de la génération à l’étude. Le spécialiste de l’opinion publique Youri Rivest constate que, lors de l’élection de 2018, les jeunes ont eu tendance à préférer des partis comme Québec solidaire et la Coalition avenir Québec, qui sortent du traditionnel clivage entre libéraux et péquistes. Il dégage quatre éléments des choix politiques des Z que sont le manque d’attrait de la question nationale, le rejet des identités « dichotomiques » (les jeunes aimant supposément la fluidité des identités), la personnalisation du choix électoral et la propension au pluralisme politique. Ce chapitre a le mérite de bien démontrer, sans le nommer, tout le travail de sape de la dénationalisation tranquille. Le chapitre suivant, signé Sébastien Dallaire, directeur pour le Québec de la firme de recherche Ipsos, poursuit cette lancée sur le rapport des Z à la nation québécoise. Dallaire montre bien que les jeunes sont attachés au Québec et que le citoyen-du-mondisme n’a pas autant la cote qu’on ne peut le laisser croire. L’inquiétude pour l’avenir de la langue est tout de même partagée par presque la moitié de cette génération, mais la souveraineté rejoint peu d’entre eux (19 %). On décèle de ce chapitre quelque chose comme une ambivalence apathique chez la nouvelle génération, une sorte de promesse dormante qui possède le potentiel de se réveiller.
Après ces deux textes, sujets à des réflexions intéressantes pour l’avenir national, la sociologue Claire Durand parle des sondages que les Z regardent moins que les plus vieux. Par une série de tableaux, la chercheuse montre que les jeunes ont tendance à s’abstenir de voter lorsqu’ils sont dans le doute, et que, contrairement à ce qui est souvent dit, Québec solidaire grugerait non pas tant les appuis du PQ que du PLQ. Les deux faisant preuve d’antinationalisme virulent, faut-il vraiment s’en surprendre ? D’autant plus que de nombreux sondages ont montré que la majorité des électeurs de la formation de Manon Massé n’appuyaient pas la souveraineté2, le lien commence tout à coup à avoir du sens. Enfin, cette section se termine par un chapitre signé par trois auteurs sur le thème de la fameuse boussole électorale de Radio-Canada. Ayant compilé les données de la boussole de 2018, Yannick Dufresne, Nadjim Fréchet et Justin Savoie constatent que les positions idéologiques ne changent pas vraiment d’une génération à l’autre. Les Z, selon ces auteurs, se distingueraient par leur faible intérêt pour la souveraineté et leur amour pour l’environnement et à leur ouverture à l’immigration.
Enfin, l’épilogue, signé Jacques Godbout, qui se passe de présentation, dresse un petit condensé de l’histoire du Québec depuis les cent dernières années. Godbout constate un déclassement symbolique fort, à savoir que ses petits-enfants n’ont « plus la France comme […] référence culturelle principale. » (p. 223). Il observe aussi l’amnésie collective, l’américanisation croissante et la méfiance pour la laïcité. Il conclut en avouant ne pas trop savoir quoi s’attendre de l’avenir.
En somme, l’ouvrage dirigé par Montigny et Cardinal est loin d’être indispensable et ne contient que quelques chapitres utiles à la réflexion, qu’on oublie rapidement par manque de profondeur du propos. Aucun mot ne sera dit sur le dépérissement de la langue française, l’anglicisation des jeunes, la force attractive des cégeps anglophones, le nivellement par le bas en éducation, les ravages du cours ECR, le déclin de la culture générale, l’atomisation, les conséquences de l’omniprésence des écrans, etc. On peut partiellement les comprendre en notant qu’ils n’ont pas eu comme intention d’écrire une brique. Il n’en demeure pas moins qu’ils réussissent fabuleusement à escamoter des enjeux essentiels pour l’avenir de la société québécoise, ce qui réduit cet essai à un somnifère des consciences parmi d’autres.
Philippe Lorange
Étudiant en science politique et philosophie, UdeM
1 Bernatchez, Jean-Claude. 2019. « L’intrigante rémunération des médecins du Québec ». La Presse. 11 novembre. Pour les dépenses totales du budget 2018-2019, qui s’élevaient à 108 milliards : http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/quebec-en-chiffres/index201811.html#/
2 « Chez les électeurs de QS, seulement 41 % voteraient en faveur, alors que 42 % s’y opposeraient et que 17 % demeurent indécis. » dans Dallaire, Sébastien. 2018. « Sondage Ipsos – La Presse. La politique au Québec ». Ipsos. 3 mai. Voir aussi les résultats de la boussole électorale de 2018, où les avis sur la souveraineté chez les électeurs QS sont très partagés : Shiab, Naël. 2018. « Qui sont les souverainistes ? Analyse de 137 000 réponses à la boussole électorale ». Radio-Canada. 19 septembre. En ligne. https://ici.radio-canada.ca/special/2018/boussole-electorale/langue-francais-souverainete-quebec-independance-pays-etat/index.html (consulté le 5 février 2020).