Fiscalité numérique : perspectives et bilan de l’action gouvernementale

Professeur de finances publiques à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP).

En août 2015, à la veille du déclenchement des élections fédérales, le Nouveau parti démocratique (NPD) suscitait l’engouement des électeurs alors que le Parti conservateur du Canada (PCC) affichait un recul marqué des intentions de vote [1, 2]. En guise de stratégie électorale, l’équipe du premier ministre Harper tenta de diviser le vote plus progressiste par l’annonce de mesures populistes. Le premier ministre ouvrit l’offensive en affirmant que le PLC souhaitait « taxer Netflix » [3]. En campagne électorale, le PLC prenait plutôt l’engagement à ne pas taxer Netflix [4].

Professeur de finances publiques à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP).

En août 2015, à la veille du déclenchement des élections fédérales, le Nouveau parti démocratique (NPD) suscitait l’engouement des électeurs alors que le Parti conservateur du Canada (PCC) affichait un recul marqué des intentions de vote [1, 2]. En guise de stratégie électorale, l’équipe du premier ministre Harper tenta de diviser le vote plus progressiste par l’annonce de mesures populistes. Le premier ministre ouvrit l’offensive en affirmant que le PLC souhaitait « taxer Netflix » [3]. En campagne électorale, le PLC prenait plutôt l’engagement à ne pas taxer Netflix [4].

On peut imaginer que la victoire électorale du PLC et l’arrivée de Justin Trudeau comme nouveau premier ministre ne furent pas l’issue que souhaitait Stephen Harper. Sa stratégie électorale aura cependant coloré la position libérale en matière de fiscalité numérique. Encore aujourd’hui, la position du gouvernement de Justin Trudeau est la même qu’en campagne électorale [4]. Cette posture n’aura pas été sans conséquence pour son parti ni pour sa ministre de la Culture, Mélanie Joly, qui aura eu pour (fâcheux) rôle de défendre l’indéfendable [5].

Au Québec, les débats entourant la taxation numérique auront soulevé l’iniquité fiscale de la position fédérale et l’inaction du provincial dans son propre champ de compétence [6, 7]. On soulignera que des entreprises établies au Québec doivent obtempérer à Revenu Québec en facturant les taxes de vente alors que les entreprises en ligne, souvent étrangères, n’ont pas cette obligation [7]. À modèle d’affaire identique, ce débalancement donne ainsi un avantage de prix aux entreprises étrangères.

Cet état de fait fut souligné par des entreprises de commerce au détail [7], mais aussi par des entreprises culturelles [6]. Ces dernières sont subventionnées par le Fonds des médias qui sert à subventionner les producteurs culturels. Ce fonds est financé à même une redevance sur les recettes des télédiffuseurs. Ces entreprises étant également malmenées par les innovations culturelles en ligne, leurs recettes ont chuté. La conséquence est alors mécanique : une chute de recettes, ce qui mène à une baisse des fonds versés et donc, à une baisse du financement de la culture. L’industrie culturelle est ainsi doublement malmenée par le commerce en ligne [6].

Au provincial, Québec annoncera donc deux mesures en lien avec la fiscalité numérique. D’abord, Revenu Québec collaborera avec les géants du web pour l’application de la taxe provinciale de vente aux biens intangibles qui sont consommés en ligne [8]. Ensuite, Québec élaborera un « projet pilote », en collaboration avec les services frontaliers et la société Postes Canada, pour détecter si la taxe de vente a bien été appliquée aux produits tangibles commandés en ligne et livrés par la poste [9].

Ces débats auront ravivé les considérations entourant les propriétés désirables d’une taxe à la consommation. En retour, certaines de ces considérations auront servi d’étalon pour juger de l’action des deux paliers de gouvernement. Que faut-il en penser ? Ce texte propose d’évaluer ces actions en développant trois thèmes interreliés. Dans un premier temps, qu’est-ce qu’une taxe à la consommation efficace ? Dans un deuxième temps, quelles sont les responsabilités et les limitations associées à chaque palier de gouvernement en matière de fiscalité numérique ? Finalement, que penser, à la lumière de ces constats, des positions développées par les deux paliers de gouvernement ?

Une introduction à l’analyse économique de la taxation

Pour les besoins de ce texte, on peut circonscrire les fondements de l’analyse économique de la taxation à cinq grands axiomes. Ces postulats sont développés ci-dessous et, bien qu’incomplets, sont suffisants pour fin d’analyse de la « fiscalité numérique ». Ces critères proviennent d’une approche qu’on pourrait qualifier de canonique, détaillée dans la plupart des condensés de recherche et des ouvrages d’enseignement [10, 11, 12]. Ces cinq axiomes sont les suivants :

  1. L’effet des prix : une hausse de taxe correspond à une hausse de prix, ce qui diminue l’attrait du produit taxé pour un agent économique ;
  2. La désirabilité : du point de vue du design fiscal, on évalue la désirabilité d’une taxe selon les critères d’efficacité et d’équité ;
  3. Le besoin : l’État doit prélever un certain revenu pour financer les services publics ;
  4. Le pouvoir : l’État dispose d’une autorité constitutionnelle pour appliquer la taxe ;
  5. La conformité : réduire l’évitement fiscal est coûteux pour l’État.

L’effet des prix

L’introduction d’une taxe réduit les quantités transigées sur un marché. Le cœur de la théorie économique est qu’une hausse de prix induit, toute chose étant égale par ailleurs, une diminution des quantités demandées. Inversement, une baisse de prix induit une baisse des quantités produites. Lorsque le gouvernement introduit une taxe, il produit simultanément ces deux effets. Pour le consommateur, le prix payé est plus élevé que le prix « avant taxe », ce qui réduit la demande. Pour le producteur, la réduction de la demande induit une baisse des prix de vente pour compenser, ce qui réduit en retour l’attrait pour la production. Ce jeu d’ajustement entre producteurs et consommateurs cesse lorsque les quantités demandées (au prix avec taxe) correspondent aux quantités produites (au prix sans taxe).

Ce constat mène à un arbitrage fondamental : toutes proportions gardées, la hausse des recettes fiscales associées à une taxe est inférieure à la hausse du taux de cette même taxe. Cela s’explique par deux effets induits qui s’opposent. D’abord, la hausse « mécanique » des recettes découlant du taux de taxe plus élevé. Ensuite, l’effet de prix, qui réduit les quantités transigées sur le marché taxé. Ce deuxième effet réduit les recettes fiscales. L’effet net dépend donc des deux effets combinés1.

Une conséquence immédiate de ce constat est qu’il est plus efficace de taxer un produit là où le marché est moins sensible à une hausse de prix. Dans ce cas, la réduction des quantités transigées est plus faible, ce qui permet de dégager des recettes fiscales plus élevées, toutes proportions gardées, que dans un marché où la réaction au prix est plus forte. Ainsi, il est plus efficace de taxer l’essence ou les biens essentiels que de taxer la bière ou les biens superflus, car les producteurs et les consommateurs changent moins leurs comportements sur les deux premiers marchés que sur les deux seconds.

La conséquence de cette dernière analyse est qu’en l’absence de coûts de conformité, rien ne suggère que les taux de taxation devraient être les mêmes d’un produit à l’autre [13]. Ce constat contraste avec la pratique d’un taux de taxe à la consommation uniforme. Ce sont les coûts de conformité élevés (notamment les coûts juridiques) lorsque les taux diffèrent et la simplicité administrative qui poussent à l’uniformité d’une taxe2.

Les critères de désirabilité

Évidemment, les exemples cités soulèvent aussi des questions d’équité (ou même de faisabilité politique). On peut se demander s’il est moralement juste de taxer les biens de subsistance de base3. En plus de l’efficacité, il semble aussi désirable d’analyser l’effet d’une taxe en fonction d’un critère d’équité.

L’efficacité d’une taxe peut se définir comme la capacité à prélever le plus de revenus par dollar d’assiette fiscale. L’efficacité est un concept relatif : on dira qu’une taxe est plus efficace qu’une autre si, à taux constant, elle prélève plus de revenus par dollar taxé. Ce critère est étroitement associé à la réaction des agents économiques, à savoir que si la taxe affecte trop les comportements, les quantités transigées diminueront, si bien que pour une hausse du taux, les recettes seront plus faibles.

L’équité réfère à la capacité d’une taxe à traiter les personnes équitablement en vertu d’un critère de justice redistributive. On peut penser à l’équité en termes de traitement, c’est-à-dire que tous doivent être traités de la même manière, indépendamment de la situation de chacun. On peut aussi penser à l’équité en termes de résultats, c’est-à-dire que tous doivent être dans la même situation après avoir payé la taxe. Comme l’efficacité, l’équité est un concept relatif : on jugera une taxe plus équitable par rapport à une autre si elle permet de réduire davantage les écarts de richesse.

L’identification d’un régime fiscal « optimal » présume d’une conception préalable de la justice redistributive qui est incarnée par un gouvernement élu, ce qui est (en théorie) le reflet de la volonté du peuple. C’est ainsi l’action de l’État, par le choix de ses politiques fiscales, qui révèle sa conception de l’équité. On pourrait résumer cela par l’adage « dis-moi comment tu taxes et je te dirai qui tu es ».

Bien que différents partis politiques puissent avoir des conceptions différentes de la justice redistributive, cette dernière est une composante centrale de tous les régimes fiscaux des démocraties modernes où, par exemple, on constate la progressivité de l’imposition. Cela indique au minimum que le critère d’analyse est pertinent, mais suggère aussi que c’est une composante valorisée du contrat social [10].

Le besoin

L’expérience quotidienne de la vie québécoise est suffisante pour justifier le besoin qu’a un État de prélever des revenus. Il se trouvera toujours une personne qui fréquentera tantôt les hôpitaux, les universités… ou encore les services correctionnels. Cependant, on peut argumenter que l’État intervient dans des secteurs où il n’a pas sa place, ou qu’il devrait intervenir alors qu’il ne le fait pas. La question normative de la taille et du rôle de l’État est ici laissée de côté. On cherche plutôt à dégager des analyses qui seront applicables pour un montant quelconque en besoins fiscaux, selon une prise de position préalablement établie. En somme, on présume d’un besoin de taxer.

Le pouvoir

Pour être en mesure de prélever une taxe, l’agence de perception doit en avoir le pouvoir. Cet énoncé prend toute son importance dans le contexte de la fiscalité numérique, et ce sous trois dimensions. Premièrement, au Canada, il y a partage des compétences constitutionnelles entre les paliers fédéral et provincial. Les deux ont un pouvoir reconnu en matière de taxation des biens de consommation, mais c’est le gouvernement fédéral qui détient les pouvoirs constitutionnels en matière de législation bancaire, de douanes et de télécommunications [14]. Deuxièmement, certaines transactions effectuées en ligne sont internationales, c’est-à-dire que des entreprises vendant à des citoyens du Québec ne sont pas sous juridiction canadienne. Cette réalité du commerce en ligne soulève la question de la légitimité de forcer ces compagnies à percevoir les taxes de vente.

Troisièmement, il est difficile d’imaginer une réponse intégralement satisfaisante sans accords internationaux « idéaux » sur la fiscalité. Ce point est particulièrement important lorsqu’on considère que le gouvernement fédéral américain ne perçoit pas de taxe de vente. Même avec un accord fiscal idéal, le gouvernement fédéral américain ne pourrait réalistement agir comme percepteur pour le compte du Canada. Faute d’entente, les autorités fiscales peuvent au mieux user de mécanismes indirects.

La conformité

La lutte à l’évasion fiscale implique des activités de détection de fraude de la part du gouvernement. Ce dernier doit faire la vérification de déclarations, de transactions financières, d’états financiers, enquêter sur les agents économiques et doit ultimement intenter des poursuites. Ces activités ne se font pas sans avoir à dégager des ressources financières. C’est ce qu’on appelle les coûts de conformité.

Ces coûts impliquent des efforts circonscrits en matière de lutte à l’évasion fiscale. Il est utile de faire d’abord abstraction de la dimension d’équité. Seulement sur le plan de l’efficacité, une autorité fiscale cessera de faire des enquêtes de conformité dès que les coûts d’une enquête supplémentaire deviennent supérieurs aux revenus d’évasion projetés par le résultat de cette enquête. Alors qu’il devient de plus en plus difficile de détecter les fraudeurs qui n’ont pas encore été identifiés, cette limite devient de plus en plus réelle.

Il faut alors prendre conscience qu’en ajoutant la considération d’équité à l’analyse des motifs d’enquête, cette limite d’efforts augmentera, mais ne sera pas appelée à disparaître [12]. Le gouvernement ou la société trouvera peut-être désirable de faire des enquêtes supplémentaires à perte pour établir une forme d’équité fiscale. Cependant, l’idée de dépenser une quantité arbitrairement grande de fonds pour augmenter la conformité d’un maigre pourcentage de contrevenants finira par paraître déraisonnable au gouvernement (ou à ses électeurs).

Le corollaire immédiat des paragraphes précédents est que du moment où il devient de plus en plus coûteux de détecter les fraudes encore inconnues, une politique optimale de détection et de conformité finira par tolérer un certain niveau d’évasion fiscale.

Rôles et responsabilités en matière de fiscalité numérique

On peut imaginer, à des fins de relations publiques, l’attrait d’articuler une discussion sur le fait d’avoir à « taxer Netflix » ou non. On comprend que d’aborder l’enjeu de cette manière permet d’en communiquer la composante essentielle par le simple fait de l’évoquer. La réalité de la fiscalité numérique est cependant tout autre.

Au premier chef, il convient de souligner que Netflix, ou toute autre entreprise de production de produits intangibles (ou d’actifs intangibles), n’a rien à se reprocher en vertu des documents d’interprétation fiscale actuels du Québec et du Canada. En vertu du bulletin d’information B-090 de l’Agence de revenu du Canada (ARC), c’est à l’acheteur de déclarer et de payer les taxes applicables sur les produits intangibles [15]. En d’autres termes, les compagnies étrangères n’ont pas, en vertu de l’ARC, la responsabilité de percevoir la taxe. Il revient au consommateur d’autocotiser4,5. Légalement, une entreprise étrangère n’est donc pas responsable de la perception de la taxe de vente fédérale pour des transactions faites avec des Québécois ou des Canadiens. Au provincial, le gouvernement affirme, depuis le dernier budget, que les entreprises doivent percevoir la taxe provinciale. Évidemment, il faut que ces dernières y consentent. Du moment où les compagnies concernées n’y consentent pas, parce qu’elles s’estiment assujetties aux lois d’une autre juridiction, la volonté de Québec a très peu de portée sans mécanismes pour établir la conformité.

Cette érosion du pouvoir effectif des autorités fiscales est un problème partagé par l’ensemble des pays occidentaux. Comment taxer une activité dématérialisée ou dont la source est différente de la destination ? Pour y répondre, l’Organisation du commerce et du développement économique (OCDE) aura fourni des orientations visant à coordonner le développement de politiques fiscales [17]. En particulier, on aura signalé la volonté de percevoir les taxes applicables là où se trouve le lieu de résidence du consommateur [17]. Pour être applicable, ce signal doit être traduit en politique par les pays membres. Pour l’instant, les États-Unis n’ont pas indiqué leur volonté d’y adhérer [18], ce qui renvoie les gouvernements fédéral et provinciaux à leurs propres moyens pour garantir la conformité.

En somme, le gouvernement du Québec a une volonté d’agir dans le domaine du numérique, le gouvernement fédéral préfère s’en tenir à l’autocotisation et, dans les deux cas, la portée d’application est largement limitée dans le cas des entreprises internationales.

Que penser de ces postures ?

Indépendamment du critère d’analyse, il est difficile de justifier la position du gouvernement canadien. Sur le plan de l’efficacité, il est préférable de taxer des biens de consommation qui sont des substituts : si on taxe un bien culturel comme « tout.tv », on devrait aussi taxer Netflix. Autrement, par simple effet de prix, les consommateurs modifieront leurs comportements pour augmenter leur consommation du substitut (Netflix) au détriment du produit taxé (tout.tv). En faisant abstraction des enjeux de conformité, taxer les deux produits permet d’améliorer la performance de la taxe à la consommation : elle ira chercher plus de revenus avec un taux de taxation plus faible.

Sur le plan de l’équité, la question est pratiquement entendue : il semble peu justifiable que les entreprises productrices de biens culturels locaux soient désavantagées par rapport à une entreprise de contenu étranger. En fait, la position du gouvernement fédéral semble tellement difficile à justifier qu’on peut imaginer, dans les officines du ministère fédéral des Finances, bien peu de gens supportant cette posture politique.

Le gouvernement du Québec aura pour sa part décidé de taxer le numérique. On peut saluer le principe, mais la capacité d’application de l’autorité fiscale reste encore à établir. En particulier, Québec aura choisi une politique qui nécessite l’assentiment des entreprises étrangères pour percevoir la taxe. La position de Québec aura ainsi contribué à affaiblir son autorité fiscale en la transférant aux entreprises perceptrices. Ce transfert relève encore de l’anecdote, car les revenus de taxation qui sont en jeu sont mineurs à l’échelle des recettes fiscales totales. La tendance à la consommation en ligne est cependant croissante [19].

En guise de solution alternative, on peut imaginer, pour des besoins de conformité, avoir recours à la perception indirecte. L’idée est d’employer un tiers, une organisation ou un produit, qui est bien établi au Québec pour agir à titre de percepteur indirect de la taxe. Ce tiers étant établi au Québec, il devient possible de garantir l’exécution et la conformité aux lois fiscales en vigueur.

Étant donnée la nature des produits concernés, deux intermédiaires semblent attrayants : les entreprises de télécommunications ou encore les entreprises bancaires. On pourrait imaginer une législation qui, par exemple, augmenterait la taxe perçue sur les forfaits Internet. En contrepartie, on détaxerait tous les produits intangibles consommés en ligne. Le produit serait donc taxé indirectement à travers l’usage d’Internet. Ce marché étant probablement moins sensible aux variations de prix, cette nouvelle (sur) taxe aurait aussi l’avantage d’être plus efficace : il est très difficile de consommer un produit sur Internet… sans forfait Internet.

Elle permettrait aussi de taxer indirectement des produits qui sont difficilement taxables (comme l’activité illégale). En plus, garantir la conformité à la loi serait relativement simple : il y aurait au plus une dizaine d’entreprises de télécommunications sur lesquelles enquêter au besoin. En contrepartie, une telle taxe soulèverait des questions d’équité : pourquoi taxer celui qui ne consomme pas de produits culturels en ligne ? En guise de réponse très brève, il est raisonnable de penser que s’il y a des motifs raisonnables à (sur) taxer la câblodistribution pour soutenir une politique culturelle, il devrait aussi y en avoir pour les forfaits Internet.

On pourrait aussi imaginer la taxation indirecte par une législation obligeant les banques à percevoir les taxes à même les transactions par carte de crédit. La taxation s’appliquerait alors au produit, mais ce serait la banque qui se substituerait à Revenu Québec. C’est la démarche qu’a adoptée le gouvernement américain, en matière de lutte à l’évasion fiscale, avec sa loi « FATCA » [21]. Simple en principe, elle demanderait cependant aux institutions bancaires d’adapter leurs mécanismes de transaction pour reconnaître l’identité de l’acheteur et du vendeur, puis déterminer quelle taxe est applicable. Ce changement ne serait pas sans coût additionnel pour le secteur bancaire.

Demeure finalement la perception des taxes pour les biens tangibles qui sont achetés à l’étranger (par exemple, chez Ali-baba ou Amazon). Dans ces cas, la perception indirecte est en principe plus simple, car elle peut se faire à la frontière ou auprès de l’entreprise postale. Dans ce cas, c’est l’Agence des douanes ou Postes Canada qui devient la perceptrice. Cette approche de perception indirecte aura été choisie par Québec – du moins en projet pilote – avec la collaboration du gouvernement fédéral. Il est difficile de concevoir une autre approche. Sur le plan de l’application, la difficulté pratiquement incontournable est plutôt logistique : il faut énormément de ressources (inspections) pour garantir la conformité. L’efficacité de l’approche est donc réduite. On peut cependant envisager une amélioration du système d’étiquetage des colis pour réduire ces coûts d’inspection avec le temps.

Les moyens de taxation indirecte identifiés permettraient de garantir la conformité. Soulignons cependant que l’ensemble des secteurs industriels identifiés – banques, télécommunications, douanes et postes – sont évidemment de compétence fédérale. Il y aurait donc un risque de transfert informel des pouvoirs de taxation du Québec au fédéral advenant l’adoption d’une de ces stratégies. À l’exception des services douaniers, Québec peut cependant légiférer dans ces secteurs par le biais de ses lois fiscales, pour qu’elles deviennent des perceptrices indirectes. À défaut d’entente internationale, le Québec veillerait ainsi à maintenir l’intégrité de son autorité fiscale.

 

Références

[1] CBC News (20 août 2015). « Results 2015 ». Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www.cbc.ca/news2/interactives/results-2015/

[2] Radio-Canada et La Presse canadienne (2 août 2015). « Les Canadiens en campagne électorale pour 78 jours ». Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/732259/declenchement-elections-harper-dimanche-rideau-hall

[3] Susana Mas (6 août 2015). « Who is proposing a Netflix tax? », CBC News, récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://www.cbc.ca/news/politics/canada-election-2015-netflix-tax-aug6-1.3181955

[4] La Presse canadienne (1er août 2018). « Justin Trudeau stands by decision not to tax web giants like Netflix », Google. Global News, récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://globalnews.ca/news/4056954/trudeau-tax-netflix-google/

[5] Mélanie Marquis (26 décembre 2017). « La difficile année de Mélanie Joly ». La Presse et La Presse canadienne, récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201712/26/01-5148325-la-difficile-annee-de-melanie-joly.php

[6] Coalition pour la culture (14 septembre 2018). Manifeste pour la pérennité et le rayonnement de la culture et des médias nationaux à l’ère numérique. Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://www.manifestepourlaculture.info/.

[7] Louis Gagné (1er novembre 2018). « Amir Khadir et Peter Simons unis pour l’équité fiscale des entreprises ». Radio-Canada, récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1064684/commerce-en-ligne-peter-simons-amir-khadir-assemblee-nationale

[8] Hugo Prévost (27 mars 2018). « Taxation de l’économie numérique : l’approche de Québec n’est pas sans risques ». Radio-Canada, récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1091879/taxes-tps-tvq-netflix-budget-leitao

[9] François Desjardins (29 mars 2018). « Perception de la TVQ : une partie du plan de Québec suscite des questionnements ». Le Devoir, récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://www.ledevoir.com/economie/523941/perception-de-la-tvq-une-partie-du-plan-de-quebec-suscite-des-questionnements

[10] Thomas Piketty et Emmanuel Saez (2013). « Optimal Labor Income Taxation », chapitre 7 de Handbook of Public Economics, vol. 5, pp 391-474. Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www.nber.org/papers/w18521

[11] Stuart Adam, Tim Besley, Richard Blundell, Stephen Bond, Robert Chote, Malcolm Gammie, Paul Johnson, Gareth Myles et James M. Poterba (13 septembre 2010). « Dimensions of Tax Design ». Institute for Fiscal Studies, récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://www.ifs.org.uk/publications/7184

[12] Joel Slemrod et Shlomo Yitzhaki (2002). « Tax avoidance, evasion and administration », chapitre 22 de Handbook of Public Economics, vol. 3, p. 1423-1470. Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www.nber.org/papers/w7473

[13| F.P. Ramsey (Mars 1927). « A contribution to the theory of taxation ». The Economic Journal, vol. 37, no. 145, p. 47-61.

[14] Gouvernement du Canada (1982). Loi constitutionnelle de 1867. Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/

[15] Gouvernement du Canada (Juillet 2002). « La TPS/TVH et le commerce électronique », bulletin d’information technique sur la TPS/TVH B-090. Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/formulaires-publications/publications/b-090/tps-tvh-commerce-electronique-3.html

[16] Revenu Québec (Février 2013). « Interprétation relative à la TPS et à la TVQ. Fourniture de biens meubles incorporels à une personne non résidente au Canada ». Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=16&file=12_016519_001.pdf

[17] Organisation de coopération et de développement économique (2015). « L’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices ». Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/actions-beps.htm

[18] Le Parisien (7 juin 2017). « OCDE : une avancée sur la fiscalité… sans les États-Unis ». Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/ocde-une-avancee-sur-la-fiscalite-sans-les-etats-unis-07-06-2017-7026684.php

[19] CEFRIO (Mars 2017). « Le commerce électronique réaffirme sa popularité au Québec ». Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://cefrio.qc.ca/netendances/le-commerce-electronique-reaffirme-sa-popularite-au-quebec/

[20] Internal Revenue Services (16 mars 2018). « Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) ». Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://www.irs.gov/businesses/corporations/foreign-account-tax-compliance-act-fatca

[21] Jaffa-Cakes.com. « Jaffa Cakes : Cakes or Biscuits ? ». Page web récupérée en ligne le 8 août 2018 à partir de http://www.jaffa-cakes.com/jaffa-cakes-biscuits-name

[22] Revenu Québec (2018). Produits et services pour enfants. Récupéré en ligne le 8 août 2018 à partir de https://www.revenuquebec.ca/fr/citoyens/votre-situation/parent-ou-futur-parent/produits-et-services-pour-enfants/

 

Notes


1 Si le deuxième effet est plus important que le premier, il est théoriquement possible qu’une hausse de taxe entraîne une réduction des recettes fiscales. Les conditions pour arriver à ce résultat ne sont cependant pas vérifiées en pratique. Voir [11] pour une excellente discussion sur la question.

2 Un lecteur intéressé peut lire le cas plutôt amusant des « Jaffa Cake » [21], où un juge de la cour fiscale d’Angleterre aura à déterminer si les « Jaffa Cake » sont des biscuits couverts de chocolat (qui sont taxés) ou des petits gâteaux en forme de biscuits (qui sont détaxés).

3 Par exemple, le Gouvernement du Québec n’applique pas la taxe de vente du Québec sur les couches [22].

4 Avant les annonces du dernier budget provincial, le bulletin d’interprétation de Revenu Québec énonçait les mêmes principes d’autocotisation [16].

5 Techniquement, ce sont les compagnies étrangères sans établissement stable qui ne sont pas tenues de percevoir la taxe.

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