Francis Boucher. La grande déception: dialogue avec les exclus de l’indépendance

Francis Boucher
La grande déception: dialogue avec les exclus de l’indépendance
Montréal, Éditions Somme Toute, 2018, 141 pages

Il est, a priori, difficile de résumer l’essai de Francis Boucher tellement il apparait au lecteur comme un crachat d’une grossièreté sans nom sur le nationalisme québécois. Sont ainsi conviés au tribunal de la vertu diversitaire, le projet souverainiste, le Parti québécois, des politiciens, des intellectuels, mais surtout la Charte des valeurs. Le livre gravite autour de l’idée suivante : si les minorités n’ont pas adhéré au projet souverainiste, c’est évidemment que le projet est non seulement trop exclusif, mais fondamentalement hostile à tout particularisme non-canadien-français. Pour en faire la démonstration, Boucher cite différents protagonistes préalablement interviewés – ces exclus de l’indépendance comme l’illustre le titre – afin de donner une idée « des blessures profondes que cet épisode [celui de la Charte] a infligées aux personnes issues de la diversité ». L’échantillon réuni par l’auteur ferait rougir d’envie un chercheur en sociologie de l’UQAM : des immigrants de première génération, des immigrants de deuxième génération, des minorités visibles, un autochtone, une Anglo-Québécoise homosexuelle, un rappeur et, bien sûr, des politiciens repentants. On comprendra, dès lors, que l’ouvrage se veut un collage des diverses opinions recueillies, le tout chapeauté par une réflexion de Francis Boucher.

Le bouquin s’amorce par les quelques pages de préface écrites par Jean Dorion. Il fait d’emblée une promesse au lecteur : « Le livre de Boucher n’est pas le procès de la majorité, écrit-il. Le mot “racisme” n’y figure pas à chaque paragraphe. » (p.11) Or, c’est rigoureusement faux. Le mot « racisme » n’apparait pas à chaque paragraphe, certes. Les protagonistes usent d’un vocable beaucoup plus riche : exclusif, intolérant, xénophobe, misogyne, fasciste. Une comparaison avec Trump par-ci, un point Godwin par-là, aucune bassesse n’a été épargnée pour disqualifier le mouvement souverainiste et, plus largement, le peuple québécois. Une comparaison entre la Charte et le Troisième Reich (p. 91) nous est par ailleurs proposée par le truculent personnage que l’on surnomme Preach et qui fera partie du monolithique panel de l’émission On se fera pas d’amis. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur les déclarations dudit personnage, plus arrogantes et sottes les unes que les autres. Voici la solution de Preach quant à la réalisation de l’indépendance du Québec :

Premier ingrédient : tu changes de noms. On n’appelle plus cela souverainisme. Tu changes de nom. Tu vas dans une autre direction. Ni indépendantistes. Ces mots sont tentés, sont sales. C’est lourd. Tu appelles ça autrement. C’est primordial. Deuxième chose : tu inclus tout le monde. Tu parles en français et en anglais. Aux anglos tu leur dis : « vous pouvez garder votre identité, mais vous allez tout de même parler en français. »Il faut être invitant et attractif. «Hey bro, how do you do? I am going to show you how to make a real poutin, our style. This is, we call it fromage here. Tu lui apprends le mot. Petit peu par petit peu. Funny thing, sauce is the same thing! You just have to change the accent. Sauce. « Petit peu par petit peu il est en train de parler français. Je l’ai attiré vers notre langue. » (p. 128-129)

On rappelle que cet homme sera à la barre d’une émission à saveur politique. Enfin… retournons au propos de Francis Boucher qui croit que la déclaration de Parizeau marque un tournant dans l’histoire du souverainisme québécois, c’est-à-dire l’avènement d’un nationalisme conservateur et fermé à l’Autre. Boucher n’exècre cependant pas l’ancien premier ministre. En revanche, il s’en méfie puisque Parizeau aurait été capable du meilleur comme du pire, ou pour le dire avec les très savants concepts sociologiques de l’auteur, il portait en lui « Dr. Civique et Mr. Ethnique » (p. 32). Les modèles politiques de l’auteur s’incarnent davantage dans un René Levesque en carton et un Gérald Godin en pâte à modeler qu’il prend bien soin de déifier. On comprend Boucher de faire l’éloge de ses deux hommes. Ils s’agissaient de deux politiciens ayant porté les aspirations de la nation québécoise. Or, on lui pardonne moins d’avoir oublié l’essentiel : ces deux hommes ont, dans l’ensemble, perdu et n’ont pas réussi à fédérer le vote anglophone et allophone sous leur bannière. La propension de l’auteur à montrer le PQ de Lévesque comme un success story chez les minorités est, au mieux, agaçante, au pire, dogmatique, mais, surtout, historiquement fausse. L’adhésion à cette thèse par Jean Dorion, ancien attaché politique de Godin qui sait pertinemment que l’intégration des immigrants s’est faite par le truchement de la loi 101 de Camille Laurin et non par la divine gentillesse du poète, comporte aussi une bonne dose d’outrage à l’histoire du Québec.

S’échafaude ensuite un véritable tribunal de l’inquisition multiculturaliste où seules les attentes des minorités envers la majorité québécoise sont légitimes. Le chemin inverse est de facto considéré comme du racisme. Aucune contrainte, aussi minimale soit-elle, ne sera acceptée par l’individu érigé en horizon indépassable. Partant de ce principe, Boucher et cie démonisent un projet de Charte mort-né qui aurait ostracisé les minorités, mais surtout les musulmanes. « C’est littéralement Nous, les blancs catholiques francophones civilisés contre Eux, les musulmans, bien sûr, mais aussi tous les autres, pense une certaine Alexandra. » (p. 90) En fait, les propos de Rosa Pires, illustre bien l’épée de Damoclès que fait pendre les collaborateurs de Boucher au-dessus de la tête des Québécois : « Les gens progressistes, en tout cas les jeunes issus des communautés culturelles, je te jure qu’ils n’aimaient pas ça être Canadiens sous Harper. Alors si le Québec fait des conneries comme la Charte, ben ils ont pas le goût d’être Québécois non plus » (p. 51).

Nous sommes donc toujours suspects dans notre propre pays. Le lecteur ne sera donc pas surpris des conclusions qu’apporte l’auteur quant au port du voile dans la fonction publique : celui-ci ne serait « qu’un bout de tissu » (p. 85) appelé à être accepté par tous sous peine d’être accusé d’intolérance. On retrouve alors un Boucher pénitent, presque honteux. Avant d’être touché par les lumières de l’idéologie pluraliste, il était contre l’interdiction du voile chez les fonctionnaires, mais pas foncièrement hostile à cette mesure. En bon citadin cosmopolite, il a saisi la portée de la Charte en fréquentant les quelques femmes voilées du service de garde de sa fille. N’eût été cette garderie providentielle, l’auteur serait-il tombé dans le piège de l’intolérance ? Espérons que non.

Dans ce livre, l’extrapolation des expériences personnelles des protagonistes à l’ensemble du cas québécois sert aussi souvent d’argumentaire. À ce sujet, le brillantissime Preach :

Dans ma tête, il y avait une corrélation entre les HLM, habités par les Québécois de souche, et les souverainistes. J’allais jouer avec mes amis chez eux et là, vers 18h, mon ami me disait : « Là, il va falloir que tu t’en ailles, mon père s’en vient. » C’est arrivé souvent dans ma jeunesse. C’était les mêmes qui avaient des pancartes du OUI. Ce sont les mêmes qui me rejetaient. (p. 58)

En termes d’amalgames et de mépris, on peut difficilement faire mieux. On se dit alors qu’il s’agissait de l’opinion d’un jeune garçon rejeté et que, fort probablement, cette opinion a évolué depuis le sinistre événement. Voyons ce que Preach-adulte en pense :

J’ai peur des souverainistes. En étant souverainiste, ton racisme est une quête : le but est d’être souverain, mais aussi de nous crisser dehors. Quand j’ai vu Maka Kotto aller au PQ, je me suis dit : Check le traître. Il ne voit pas ce que nous voyons (p. 101).

Il n’y a pas à dire, Preach porte bien son surnom de moralisateur religieux, l’érudition en moins.

En terminant, j’aimerais mettre en garde les gens qui utiliseraient cette recension quelque peu véhémente pour légitimer le propos de Boucher et de ses collaborateurs. Mon intention n’est pas de démoniser toute enquête relative à l’intégration des minorités à la sphère nationale. Au contraire, l’enjeu me semble capital. Seulement, l’ouvrage de Boucher représente l’antithèse d’une discussion et d’un débat apaisé. Son objet n’est pas l’intégration du minoritaire au majoritaire, mais bien la soumission du majoritaire aux revendications de certaines composantes radicales du minoritaire, toujours enclin à condamner sa société d’accueil en l’amalgamant aux totalitarismes du XXe siècle. Au début de l’ouvrage Boucher écrit : « Pour certain tenant de la Charte, il ne s’agissait plus tellement de convaincre, mais plutôt d’anéantir » (p. 20). Dans les dernières pages, on peut lire que les collaborateurs de Boucher veulent simplement être compris et entendus. On ressort pourtant de cet ouvrage avec la forte impression qu’en cours de route, les rôles se sont inversés.

Alexis Tétreault
Étudiant en histoire à l’Université de Sherbrooke

 

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