Frédéric Bérard et Stéphane Beaulac
Droit à l’indépendance. Québec, Monténégro, Kosovo, Écosse, Catalogne, Les Éditions XYZ, 2015, 271 p.
À l’heure où l’on entend dire que la question nationale intéresse moins qu’auparavant, la parution d’un livre sur le droit à l’indépendance ne pouvait que nous intriguer. Surtout quand il s’agit d’un livre rédigé par deux juristes d’obédience fédéraliste, Frédéric Bérard et Stéphane Beaulac, alors qu’au cours des dernières années les livres portant la question nationale ont plus souvent été l’œuvre de souverainistes.
D’emblée, ce livre provoque toutefois une certaine déception. Alors que son titre, Droit à l’indépendance. Québec, Monténégro, Kosovo, Écosse, Catalogne, annonce une vaste étude puisant abondamment dans des cas étrangers, il s’agit plutôt d’un long commentaire sur le Renvoi relatif à la sécession de la Cour suprême du Canada de 1998 avec quelques références à des cas étrangers visant essentiellement à mettre en valeur ce renvoi.
Le premier chapitre porte sur la genèse du renvoi. Il y est question de l’avant-projet de loi sur l’avenir du Québec qui prévoit que « dans la mesure où les négociations seraient infructueuses, l’Assemblée nationale pourra déclarer la souveraineté du Québec dans les meilleurs délais ». Il y est aussi question des contestations judiciaires antérieures au renvoi, entre autres de l’affaire Bertrand qui fut l’occasion pour la Cour supérieure de refuser d’émettre une injonction contre la tenue du référendum de 1995 et de préciser que cet avant-projet de loi « visant à proclamer que le Québec devient un pays souverain sans avoir à suivre la procédure de modification prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, constitue une menace grave aux droits et libertés ». Dans le même sens, Bérard et Beaulac rappellent que le procureur général du Canada plaida l’impossibilité pour une province de faire sécession sans amender la Constitution, alors que l’amicus curiae plaida plutôt que seul le droit international public est applicable à cette éventualité.
Le deuxième chapitre concerne la réponse de la Cour suprême à la question de savoir si le Québec peut procéder unilatéralement à la sécession. La cour répond négativement à cette question en se référant à des principes constitutionnels sous-jacents, sous prétexte que la Constitution écrite est muette à ce sujet (alors que la procédure d’amendement constitutionnel pourrait s’y appliquer). À notre avis, les auteurs font une interprétation particulière de cette réponse. Alors que pour la cour une sécession unilatérale est une sécession sans négociation préalable, ils présentent la position de la cour comme si elle signifiait qu’une sécession unilatérale est une sécession sans entente préalable. Considérant que l’avant-projet de loi sur l’avenir du Québec prévoit une déclaration de souveraineté non pas avant des négociations, mais en cas d’échec de celles-ci, cela fait toute la différence.
Une autre interprétation contestable concerne la clarté de la question référendaire. Comme la cour parle d’une question claire devant porter sur la sécession, les auteurs en concluent que toute question référant à la souveraineté-association est écartée. Or, si la cour parle d’une consultation devant porter sur la sécession, c’est tout simplement parce que les questions qui lui ont été soumises par le gouvernement fédéral portaient sur la sécession et non sur la souveraineté-association. D’ailleurs, alors qu’elle connaissait très bien les questions référendaires de 1980 et 1995, jamais elle ne les a déclarées dépourvues de clarté.
Cela dit, sur d’autres aspects du renvoi, les propos des auteurs nous semblent justes. Par exemple, au sujet de l’exigence d’une majorité claire, ils reconnaissent l’ambivalence de la cour qui n’a pas précisé le pourcentage requis. Leurs propos sont plus problématiques lorsqu’ils citent avec approbation la version non publiée d’une lettre dans laquelle l’ancien juge en chef de la Cour suprême, Antonio Lamer, se prononcerait pour un seuil minimal de 60 %. Bérard et Beaulac sont plus convaincants lorsque, après avoir constaté que la Cour suprême ne répond pas à la question de savoir quelle est la formule d’amendement applicable à la sécession d’une province, ils démontrent que ce serait probablement celle de l’unanimité du fédéral et des provinces (ou, au minimum, celle requérant l’accord du fédéral et d’au moins sept provinces représentant plus de 50 % de la population canadienne).
Dans le troisième chapitre portant sur le droit international public, en plus de rappeler que, contrairement au procureur général du Canada, la Cour suprême a refusé de reconnaître l’existence du peuple québécois, les auteurs citent cette cour selon qui :
Un État dont le gouvernement représente, dans l’égalité et sans discrimination, l’ensemble du peuple ou des peuples résidant sur son territoire et qui respecte les principes de l’autodétermination dans ses arrangements internes a droit, en vertu du droit international, à la protection de son intégrité territoriale.
À la lumière de cette citation et des explications qui suivent, on comprend que, pour Bérard et Beaulac, tant que les Québécois sont représentés au sein des institutions fédérales, leur autodétermination est respectée. À la limite, l’État du Québec et son Parlement pourraient être abolis et cela n’entraînerait pas une remise en cause du droit du Canada à son intégrité. Pour les auteurs, une telle remise en cause serait justifiée que dans des cas extrêmes, « par exemple, à l’époque de Saddam Hussein, les politiques du gouvernement iraquien envers les Kurdes ». Donc, selon eux, si jamais le fédéral tue des milliers de Québécois à l’aide d’armes chimiques, le Québec pourra légalement accéder à la souveraineté. Nous voilà rassurés !
Plus sérieusement, Bérard et Beaulac abordent aussi la question de l’effectivité. C’est dans ce contexte qu’ils affirment ceci :
N’oublions pas que la tentative de sécession unilatérale, avant ou après des négociations, constitue toujours un acte illégal. Or, si l’illégalité de la démarche était mise en preuve, pourquoi serait-il impensable pour le gouvernement fédéral de s’opposer à la sécession et de refuser de quitter le territoire québécois par crainte de la SQ ?
À cela, ils ajoutent qu’il existe une autre problématique, celle du simple citoyen qui se saurait plus à quel gouvernement obéir. En bons monarcho-libéraux canadiens, jamais il ne leur vient à l’esprit qu’il puisse y avoir un acteur plus important que les gouvernements, les tribunaux, la police et les citoyens pris individuellement : le peuple québécois. Or, il est fort probable qu’après une victoire du OUI, un échec des négociations et un conflit de légitimité, des milliers et des milliers de Québécois descendraient dans la rue pour exprimer leur appui à leur gouvernement à l’encontre du Canada, un peu comme ils l’ont fait suite à l’échec de l’accord du Lac-Meech. À terme, le Canada serait forcé de reconnaître la légitimité de la démarche québécoise. Cela répond par ailleurs indirectement à un autre des arguments développés par les auteurs, soit que des exemples étrangers révèlent que les sécessions réussies sont très souvent rendues possibles par l’accord de l’État prédécesseur.
Le quatrième chapitre intitulé « Perspective internationale » pousse plus loin ce genre de raisonnement et tente de démontrer que le renvoi de la Cour suprême de 1998 a eu une répercussion significative à l’étranger. La démonstration est peu convaincante, car elle repose tantôt sur un avis relatif au Monténégro « faisant écho » à peine et très implicitement à ce renvoi, tantôt sur l’avis relatif au Kosovo, qui pourtant écarte ce renvoi et, répondant à la question posée, conclut que le droit international public n’interdit pas la déclaration unilatérale kosovare. Malgré cela, Bérard et Beaulac persistent :
L’hypothèse plausible est donc la suivante : l’identification dans l’Avis de 1998 des circonstances extrêmes et exceptionnelles pouvant conduire au droit de sécession-remède […] a été un facteur important qui a mené la CIJ à s’en tenir au libellé étroit de la question soumise dans le cadre de l’avis consultatif (notre soulignement).
Puis, ils ajoutent :
En somme, on a toutes les raisons de penser, même si c’est spéculatif, – nous en convenons – que même si le Kosovo était à feu et à sang des années 1990 et au débat des années 2000, la CIJ ne voyait pas une situation ouvrant au droit à la sécession-remède au moment des faits, en 2008. Cela contribue à discréditer l’exagération de certains intervenants chez nous – notamment Daniel Turp et Guy Laforest – à l’époque du Renvoi de 1998 ou peu de temps après la décision, suggérant que le Québec pourrait prétendre à un droit de sécession, suivant les enseignements de la Cour suprême du Canada en la matière (notre soulignement).
Avouons qu’il est plutôt inhabituel dans le monde universitaire d’employer un argument à la fois hypothétique et spéculatif, de l’aveu même des auteurs, pour discréditer d’éminents collègues.
De manière comparable, au sujet de l’Écosse, Bérard et Beaulac critiquent la « malhonnêteté intellectuelle » de certains acteurs politiques, dont Bernard Drainville, qui prendraient « le seuil de majorité de 50 % + 1 en exemple, mais sans mentionner la question référendaire claire et, surtout, l’entente préalable entre le pouvoir central à Londres et l’autorité régionale à Édimbourg ». Pourtant, quelques pages plus loin, ils mentionnent qu’à son retour d’Écosse Bernard Drainville s’est prononcé en faveur d’une question claire.
Enfin, au sujet de la Catalogne, les auteurs se portent à la défense de la décision de la Cour constitutionnelle espagnole qui n’aurait invalidé « que » le tiers des articles du Statut d’autonomie de la Catalogne, en plus de ne faire « que » réduire la portée d’autres articles (nos guillemets). Plus loin, ils reprochent tout de même à cette cour son approche « ultra-légaliste et formaliste » et l’instrumentalisation dont elle a fait l’objet. C’est oublier qu’eux-mêmes, notamment en insistant sur l’importance de la formule d’amendement constitutionnel qui serait applicable à la sécession d’une province, adoptent aussi une telle approche. C’est oublier que la Cour suprême du Canada a également été instrumentalisée, au moins autant que la Cour constitutionnelle espagnole, avec le renvoi et la Loi sur la clarté.
Parlant de cette loi, les auteurs la critiquent en conclusion pour son manque de clarté sur la majorité nécessaire et concèdent même que la loi québécoise adoptée en réponse « possède au moins le mérite d’être clair » en fixant la barre à 50 % + 1.
Comme d’autres, ce dernier élément d’analyse illustre le sérieux de la démarche des auteurs qui ont su mobiliser des méthodes propres à l’étude du droit pour défendre ardemment un point de vue controversé sur une question délicate. Ne serait-ce que pour cette raison, leur livre vaut le détour. Avouons toutefois que ces méthodes atteignent leurs limites lorsqu’il s’agit de traiter d’une question qui ne saurait s’épuiser dans le légalisme. Au point où il est possible de reprocher aux auteurs de déboucher sur ce qui nous semble être, à défaut d’une meilleure expression, une « ambiguïté morale ». Après la lecture de ce livre, le lecteur se demande si les auteurs ont réfléchi aux conséquences extrajuridiques potentielles de leurs raisonnements. Ceux-ci mènent à laisser entendre qu’une démarche souverainiste démocratique et modérée, contenant en guise de preuve de bonne foi une offre de partenariat, serait illégale, voire impossible, que même un OUI à 59,9 % à une question relative à la sécession ne serait pas suffisant, où est-ce que cela nous amène ? On comprend qu’il s’agit de dissuader les Québécois de tenir un troisième référendum. Mais si un autre référendum devait avoir lieu et s’il devait se solder par une mince victoire du OUI, ce qui n’est pas impossible, à quoi ces raisonnements nous mèneraient-ils ? Sans dire que ces raisonnements pourraient avoir une influence insoupçonnée à l’étranger (à l’image des thèses de Stéphane Dion qui sont affectionnées dans certains cercles de la droite espagnole dure). Il nous semble que ces raisonnements ont un certain potentiel de dangerosité.
Il n’y a pas de doute, les auteurs ont mené une réflexion sérieuse. Mais un sujet aussi complexe que le droit à l’indépendance mériterait une étude encore plus poussée, mobilisant des connaissances allant au-delà du droit au sens strict.
Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke