Gilles Proulx. Nouvelle-France

Gilles Proulx
Nouvelle-France. Ce qu’on aurait du vous enseigner, Les éditions du Journal, 2015, 342 pages

La passion de Gilles Proulx pour l’histoire n’est plus à démontrer. Grâce à ses émissions de radio et de télévision, à ses livres et interventions publiques, il a plus fait pour faire connaître et aimer notre histoire que tous les historiens professionnels réunis ! Le présent ouvrage, intitulé tout simplement Nouvelle-France, est la réédition d’un autre publié en 1992 : Ma petite histoire de la Nouvelle-France. Si le titre du livre annonce le sujet, le sous-titre, Ce qu’on aurait dû vous enseigner, explique les raisons pour lesquelles Proulx a senti le besoin de le rééditer. Dès la préface, l’historien Gilles Laporte avance que la dernière réforme de l’enseignement de l’histoire a eu comme résultat de former « des ignorants compétents, fort adroits pour critiquer et débattre, mais désormais dépourvus des connaissances historiques permettant seules de doter le jeune d’un jugement éclairé et d’une culture nationale commune à tous les habitants du Québec » (p. 5).

Le récit historique proprement dit compte 139 pages ; le livre, lui, en compte 342. La différence tient à ce que l’auteur propose différents répertoires. Entre autres, il y a les « biographies des principaux acteurs du récit », une liste chronologique de dates significatives, une énumération des « lieux et leur histoire », ainsi qu’un recensement des « grandes familles » ; d’un récit, l’ouvrage de Proulx se mue en une encyclopédie. L’écriture simple et la présentation dégagée – seulement treize notes en bas de page – soutiennent l’objectif de le rendre accessible à un large public. Bref, Gilles Proulx présente une histoire populaire. C’est-à-dire que la simplicité de la prose et de la présentation a pour objectif de rejoindre le plus grand nombre et non les seuls spécialistes.

Cette simplicité n’exclut cependant pas l’utilisation d’un vocabulaire robuste et coloré. C’est ce qui en rend d’ailleurs la lecture fort agréable. Lisons-le : « L’hiver est extrêmement dur. Les hommes de Cartier sont paralysés par le froid. Les glaces emprisonnent les navires et leurs occupants. Les Amérindiens commencent à en avoir assez de ces Français ; ils menacent de faire venir d’autres guerriers pour en finir avec ces visiteurs devenus indésirables » (p. 30). En quelques phrases, l’auteur annonce les immenses défis auxquels seront confrontés les futurs colons. Inutile de dire que ces derniers seront à la hauteur. C’est ce que démontre Proulx avec passion.

Il faut le dire, Gilles Proulx est imperméable aux engouements maléfiques qui pullulent dans nos universités. Il n’a cure du multiculturalisme qui culpabilise et du politiquement correct qui diffame, et qui, loin d’élargir les esprits, les encellulent. Même s’il reconnaît que les relations entre les Français et les Amérindiens ne furent pas toujours au beau fixe, il établit clairement que les premiers n’ont pas à rougir de leurs comportements face aux seconds. À ce sujet, il écrit qu’en 1603, soit à l’époque de Champlain : « Ici, à Tadoussac, il n’y a pas eu d’achat, de cession ni de traité, mais l’autorisation générale d’habiter et de peupler le pays. Elle démontre que, de tous les Européens, les Français ont été les seuls à être invités au Canada, contrairement aux Anglais, Hollandais et autres peuples qui devront payer pour les terres qu’ils veulent occuper ! »(p. 45)

La présence d’esclaves en Nouvelle-France est également un thème cher à nos redresseurs de torts. Si Proulx confirme qu’il y a bel et bien eu des esclaves en Nouvelle-France, il évite cependant de sombrer dans les jugements moraux et anachroniques. Il écrit : « Le roi de France approuve l’importation des esclaves par les habitants. Leur nombre a été estimé à mille individus, venus d’Afrique et des Caraïbes. La moitié seront employés comme domestiques alors que les autres s’installeront à la forteresse de Louisbourg » (p. 77). Dit autrement, et en tout respect pour nos amis américains, la Nouvelle-France n’était pas la Virginie. Enfin, Proulx rappelle le rôle que les femmes jouèrent dans la colonie quand il écrit que « Dans l’histoire de Ville-Marie comme dans celle du Québec, c’est l’incomparable contribution de ces femmes extraordinaires qui a donné aux colons la force de prendre racine en Nouvelle-France » (p. 65). Pour beaucoup d’historiens, ces femmes furent des victimes ; sous la plume de Proulx, elles furent des héroïnes.

Bien qu’il ne faille pas sous-estimer les forces économiques et sociales, il demeure que les individus jouent aussi un rôle primordial dans l’histoire. Et Gilles Proulx redonne à l’individu comme sujet de l’histoire toute l’importance qui lui revient. Pour ne citer qu’un exemple, il écrit que « Le roi [François 1er] profite du mariage de son fils avec la nièce du nouveau pape pour obtenir le droit d’exploiter lui aussi l’Amérique. Avec la bénédiction du Saint-Père, il va financer le premier voyage de Jacques Cartier » (p. 13). Sans la volonté de ces trois hommes, l’histoire de la Nouvelle-France aurait été fort différente. Que dire du rôle de Richelieu, de Jean Talon ou de celui du Roi-Soleil lui-même qui dépêcha le régiment de Carignan-Salières pour combattre les Iroquois ? Mais Proulx ne s’arrête pas seulement aux faits et gestes des puissants. Il insiste aussi sur le rôle des humbles explorateurs, missionnaires et colons, dont le premier de tous, Louis Hébert « vend son commerce et tous ses biens pour entreprendre une traversée difficile de trois mois avec sa femme, Marie Rollet, et leurs trois enfants. » Hébert n’aura pas le temps de se reposer, car « de ses propres mains, il construit une petite maison de pierres sur “ sa terre ” à un endroit de la Haute-Ville de Québec. » La femme d’Hébert n’est pas en reste : « Elle aide aussi son mari à soigner les colons français et leurs amis montagnais et algonquins » (p. 55). Proulx nous rappelle aussi l’importance des religieux et des missionnaires, ces humbles parmi les humbles : « Mgr de Laval et les Jésuites, dans leur désir d’évangélisation, n’hésitent pas à suivre les autochtones jusque dans leurs bourgades. Le père Jean de Quen, accompagnant deux Montagnais, découvre le lac Saint-Jean. C’est le premier colon à atteindre cette région de la Nouvelle-France » (p. 78). Ailleurs qu’au Québec, une telle épopée inspirerait cinéastes, scénaristes, poètes et romanciers. Mais ce n’est pas le cas. Il semble que pour ces derniers, une épopée doit impérativement s’être déroulée ailleurs. Les Américains n’ont pas cette frilosité, eux qui se servent de leur histoire pour imposer leur hégémonie culturelle avec une redoutable efficacité.

L’auteur se distancie également de la caste de pédagogues-à-gogo qui a troqué le récit historique et chronologique traditionnel pour un salmigondis insipide. Le récit de Proulx est chronologique, c’est-à-dire que les événements s’expliquent et se comprennent parce qu’ils se suivent et s’influencent. Il souligne avec justesse que la Conquête anglaise avait commencé bien avant la bataille des plaines d’Abraham. Après des années d’escarmouches entre les Français, les Canadiens, les Anglais et leurs alliés autochtones. « Toutes ces opérations militaires coloniales sont un prélude à la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre la France et l’Angleterre » (p. 125). Malgré une lutte farouche contre des ennemis trop puissants, ce qui devait arriver arriva : « Le 8 septembre 1760, Amherst et Vaudreuil signent une entente qui refuse les honneurs de la guerre aux Français. Indigné, Lévis brûle ses drapeaux et brise son épée plutôt que de la rendre ! Le Canada n’appartient plus à la France » (p. 137).

Malgré toutes ces belles qualités, l’ouvrage n’est pas sans défauts. D’une perspective très personnelle, le peu d’importance accordé au fantastique explorateur que fut Louis Jolliet m’a contrarié. Proulx rachète quelque peu son erreur grâce à la partie biographique de son livre. Pour le lecteur qui désirerait approfondir ses connaissances, ce n’est malheureusement pas la bibliographie qui pourra l’aider. Le classique La guerre de Conquête de Guy Frégault y est absent, de même que la splendide biographie de Champlain de David Hackett Fisher. Enfin, sachant que l’histoire de la Nouvelle-France s’étire sur plus de deux cents ans, considérant l’immensité du territoire et la complexité des événements, il me semble que l’auteur aurait pu mettre à la disposition du lecteur quelques cartes géographiques supplémentaires.

Ce livre est donc une excellente introduction à l’histoire de la Nouvelle-France. Dans un pays normal, il n’aurait pas été nécessaire. Mais nous sommes au Québec, pays où l’ignorance du passé est devenue l’une de nos « distinctions ». C’est dans ce contexte que ce récit constitue un excellent remède au déracinement généralisé, voire institutionnalisé. À l’image de nos vigoureux ancêtres, Gilles Proulx est un homme aussi généreux qu’entêté. C’est pour cette raison qu’il vaut, à lui seul, un ministère de l’Éducation.

Martin Lemay, ex-député de Sainte-Marie–Saint-Jacques (2006-2012) et essayiste