Bibliothèques québécoises remarquables
Il y a des livres qui ne s’imposent comme des évidences que lorsque leur parution fait voir l’immense vide qu’ils viennent combler. On ne s’explique dès lors guère pourquoi ils n’ont pas paru plus tôt, pourquoi le besoin qu’ils comblent n’a-t-il pas été senti plus vivement. Tel est le cas de Bibliothèques québécoises remarquables. C’est Claude Corbo qui en a eu l’idée et qui, avec le concours de Sophie Montreuil et Isabelle Crevier a pu mobiliser toute une brochette de collaborateurs pour donner forme et faire voir un ensemble jusqu’ici insoupçonné de notre patrimoine documentaire.
Empreintes
Les Cahiers de lecture de L’Action nationale sont heureux de souligner la parution d’une nouvelle revue d’histoire, consacrée à la Mauricie et au Centre-du-Québec. Il s’agit d’une initiative conjointe de la Société d’histoire de Cap-de-la-Madeleine et d’Appartenance Mauricie société d’histoire régionale, qui ont muri le projet depuis trois ans. Elles ont réuni un comité de rédaction de personnes impliquées dans plusieurs milieux liés à l’histoire, au patrimoine, à l’enseignement ou à la culture. Le nouveau périodique ambitionne non seulement de mieux faire connaître l’histoire de la Mauricie et du Centre-du-Québec et de favoriser la recherche sur ces deux régions, mais aussi de doter celles-ci d’un outil de développement culturel qui leur manquait jusqu’à présent.
Politiques de l’extrême centre
Dans un très bref condensé d’éléments clefs de sa pensée, Alain Deneault poursuit son travail d’analyse critique de notre époque, de ses lieux communs et des institutions qui les sous-tendent. Son thème cette fois, ce qu’il désigne comme un régime d’extrême centre, à savoir l’intolérance envers tout ce qui ne se situe pas dans un « juste milieu », donnant pour normal l’ordre établi du capitalisme financier mondialisé. Ce dernier concentre la richesse et le pouvoir et, chemin faisant, démantèle les institutions publiques, saborde les possibilités d’organisation et de pensée autonomes, méprise la culture, vide le politique de sa substance et accélère la destruction des écosystèmes. Dans les conditions d’une vie démocratique saine, il naîtrait une opposition forte œuvrant à une définition et à une prise en charge collectives de ces problèmes. Or, dans ce régime d’extrême centre, la pensée politique est rarement tournée vers l’analyse collective et le bien public, et il manque cruellement d’organisations réellement efficaces face au pouvoir.
L’université : fin de partie et autres écrits
Dans cet ouvrage regroupant plusieurs textes, certains inédits alors que d’autres ont déjà fait l’objet de publication, Jacques Pelletier, professeur au département d’études littéraires de l’UQAM, pose un regard pessimiste et lucide sur l’avenir de l’université.
Le droit au revenu de citoyenneté : entre la gauche et la droite
Pierre Dubuc, directeur et rédacteur de l’Aut’journal, aborde deux thèmes dans son dernier ouvrage : le précariat et le revenu de citoyenneté. Précariat est un néologisme introduit par l’économiste britannique Guy Standing. Combinaison des mots précarité et prolétariat, ce terme désigne une classe socioéconomique émergente en Occident. Composée d’individus « qui vivent une insécurité chronique » (p. 24), cette nouvelle classe serait le résultat des politiques néolibérales adoptées au cours des dernières décennies.
Les luttes fécondes. Libérer le désir en amour et en politique
L’essai de Catherine Dorion est un vent de fraicheur. Il vient réveiller nos forces encabanées par trop d’institutions ; médiatique, politique, conjugale, familiale. Cet ouvrage aux allures de manifeste est un cri de révolte, de celle qui célèbre la vie avec ce souci d’entrer en véritable relation avec soi-même et avec l’autre. Le caractère intimiste de la réflexion à travers les témoignages personnels, l’utilisation d’un langage à la fois poétique et familier, l’humour avec cette tendance à l’autodérision, nous invitent à revoir nos propres constructions. Dorion, femme, amoureuse, militante, intellectuelle, artiste, incarne et exprime sans pudeur des préoccupations actuelles plus que vives.
J’ai profité du système. Des centres jeunesse à l’université : parcours d’un enfant du modèle québécois
On connaît tous le rêve américain : (i) un individu de condition modeste parvient à se hisser au sommet de la pyramide sociale, habituellement en devenant très riche, grâce : (ii) à son talent et à ses propres efforts et (iii) parce qu’il vit dans un pays libre qui autorise les individus à poursuivre leurs ambitions.
De la naissance et des pères
Andrée Rivard livre ici le fruit de ses recherches postdoctorales, dont l’objet fut, dans les mots de Francine de Montigny « l’implication des pères durant l’accouchement, depuis les années 1950 jusqu’aux années 1980 » (postface, p. 183). Rivard se demande : « de quelle façon a évolué l’implication des pères au moment de la naissance de l’enfant et quels sont les principaux facteurs l’ayant influencée » (p. 16). Pour y répondre, elle trace une évolution somme toute assez remarquable et bien évoquée par le sous-titre d’un livre analogue de Judith Walzer Leavitt pour le cas américain : « De la salle d’attente à la salle d’accouchement ». Pour expliquer cette transformation, Rivard propose une hypothèse assez large, mettant en jeu une interaction entre les sensibilités masculines à l’égard de la famille (notamment l’émergence du « nouveau père » depuis les années 1970) et les interventions des acteurs à l’œuvre dans les domaines politique et sanitaire.
Avant de m’en aller. Un cri du cœur. Une histoire de la foresterie québécoise
Romancier, essayiste, auteur prolifique, Bertrand Leblanc, amoureux éperdu de son coin de pays signe un livre testament. C’est l’ouvrage d’un homme en colère. Bertrand Leblanc dresse un bilan très sévère de ce qui reste du pays où il a vécu et pour lequel il s’est battu toute sa vie. La vallée de la Matapédia vit très en-deça de son potentiel, les gens qui l’ont façonnée et qui la portent toujours à bout de bras méritent mieux et plus que ce que le présent leur réserve. La lecture convaincra ceux-là qui seraient tentés d’en douter, par ignorance ou préjugé à l’endroit des régions éloignées et des petites communautés.
Le cinéma québécois au féminin
Dans ce premier recueil, sept professionnelles du septième art (dans l’ordre de parution) : Ségolène Roederer, directrice générale de Québec cinéma ; Nicole Robert, productrice ; Chloé Robichaud, Izabelle Grondin, Sophie Deraspe et Isabelle Hayeur, réalisatrices ; et Jessica Lee Gagné, directrice photo) sont interviewées sur la place des femmes dans le cinéma québécois. C’est d’ailleurs l’objet de la première question posée à chacune d’entre elles.
Le cinéma québécois par ceux qui le font
Selon le même modèle que le précédent recueil, les deux auteurs de cette mouture interrogent six cinéastes québécois en commençant tous les entretiens avec la question suivante : « Quel regard portez-vous sur le cinéma québécois ? » La thématique est vaste et les aspects abordés tournent autour du financement, de la distribution, de l’éducation, de la cinéphilie, du cinéma de genre, de l’ouverture sur le monde, de l’opposition entre cinémas d’auteur et commercial, de la place de la femme dans la cinématographie québécoise, de l’influence des cinéastes des origines, etc. Le tout en quelque vingt pages de petit format par cinéaste. Qui trop embrasse mal étreint.
L’impossible réforme. Pourquoi notre système de santé est-il toujours en crise ?
Gros et très utile travail que celui d’André Lemelin. Les titre et sous-titre de son plus récent livre sont significatifs : L’impossible réforme, Pourquoi notre système de santé est-il toujours en crise ? L’auteur accomplit ici un remarquable travail d’historien-archiviste en retraçant et en analysant systématiquement toutes les études réalisées au Québec depuis les débuts sur l’organisation des services de santé. C’est qu’il a besoin sans doute de toute sa « preuve » pour ne pas réveiller les individus et les groupes opposés à la réforme dès ses débuts dans les années 1970.
L’auteur veut décrire les contributions du ministère de la Santé et des Services sociaux au développement de la recherche. Pour le faire, il retrace les origines de l’interaction entre la recherche et la santé dans les travaux de la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social en 1970 (commission Castonguay-Nepveu) ; puis il suit le renforcement de cette relation au moment de la Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux en 1988 (commission Rochon). L’examen des rapports de recherche et de l’analyse des commissaires le conduit à explorer le lien entre la santé, le bien-être et le développement social. L’auteur réfère aussi aux développements semblables dans d’autres provinces canadiennes.
Carnets du mont Royal
L’architecte et urbaniste Jean-Claude Marsan, ancien professeur émérite et doyen de la Faculté d’Aménagement de l’Université de Montréal, et auteur du célèbre Montréal en évolution, a toujours été un grand admirateur et défenseur du mont Royal, pour lui « l’Acropole de Montréal », comme on peut le constater dans son dernier opus, Carnets du mont Royal, paru aux Éditions Les Heures Bleues en 2017, magnifiquement illustré par l’architecte et dessinateur Ted Dawson qui signe près d’une centaine de peintures à l’huile des grandes institutions et somptueuses maisons implantées sur la montagne.
Traces de l’histoire de Montréal
Montréal, Boréal, 2017, 181 pages. Heureuse consolation en ce 375e anniversaire de Montréal qui n’aura pas été marqué – c’est un euphémisme – par un vif souci patrimonial à l’échelon officiel : plusieurs organismes et individus férus d’histoire ont pris l’affaire en main et décidé de mieux faire connaître le passé de la ville. C’est le cas de trois spécialistes et amoureux de Montréal, le professeur Paul-André Linteau, de l’UQAM, le sénateur Serge Joyal, aussi avocat et esthète (et candidat malheureux à la mairie, en 1978, contre un Jean Drapeau au sommet de sa popularité), et Mario Robert, des Archives de la Ville de Montréal. Leurs Traces de l’histoire de Montréal veulent ancrer la ville d’aujourd’hui dans son épaisseur historique, dépasser la chronique des événements fugaces pour se concentrer sur des lieux, des faits, des personnages qui continuent de marquer la ville et les Montréalais. C’est à la fois un livre-souvenir ou un livre-cadeau, richement illustré sur papier dense et glacé, dont les illustrations constituent délibérément le pôle principal, et un ouvrage qui peut et doit se lire. Puisqu’il s’agit d’un « beau livre », saluons le travail de la conceptrice graphique, Julie Larocque. Esthétiquement, le livre est une réussite.
Belles demeures historiques de l’île de Montréal
Livre de table à café magnifiquement illustré par le photographe Brian Merrett, l’ouvrage de l’historien de l’architecture François Rémillard s’intéresse à la fois à l’architecture extérieure et intérieure des belles demeures de l’île de Montréal, en s’attardant surtout à la période du Régime français jusqu’aux années 1930 avec une brève incursion dans les années 1970, et à la fois à leurs propriétaires qui ont tous en commun d’avoir joué un rôle de premier plan dans l’histoire de cette ville, et souvent, du Canada. Au verso de l’ouvrage, on peut y lire que le livre a été réalisé dans le contexte du 375e anniversaire de la fondation de Montréal et du 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Cet angle a teinté le choix des résidences sélectionnées et le commentaire du texte. On y trouve, par exemple, la résidence dans le Vieux-Montréal de G.-É. Cartier (co-premier ministre du Canada-Uni), celles de premiers ministres du Canada, J.-J. Caldwell Abbott et P.-E. Trudeau (l’ancienne maison de l’architecte Ernest Cormier), ainsi qu’une maison d’un premier ministre du Québec (celle de Robert Bourassa dans Outremont).
L’émergence de Montréal dans le système urbain nord-américain
1642-1776
Difficile de concevoir meilleure année que l’actuelle pour lancer un livre sur les origines de Montréal. Les célébrations du 375e anniversaire de la ville battent leur plein et sont parallèlement l’occasion pour les historiens de rappeler le contexte de la fondation de Ville-Marie ainsi que les grands moments ayant jalonné son évolution jusqu’à nos jours. Un ouvrage original paru récemment sur ce thème mérite toutefois qu’on le mentionne, car il est non pas issu de la plume d’un historien, mais de celle de Luc-Normand Tellier, spécialiste en études urbaines et en économie spatiale. Ce dernier nous propose de revenir sur les 134 premières années d’existence de la métropole, c’est-à-dire le temps qu’il a fallu pour que Ville-Marie s’approprie un noyau urbain d’au moins 5000 âmes, avec la perspective théorique qu’est la sienne, mariant économie, géographie et étude des systèmes urbains.
Histoire du Mile-End
Le quartier Mile-End de Montréal existe-t-il vraiment ? C’est une question que l’on peut se poser – de manière un peu facétieuse certes – suite à la lecture de l’ouvrage que consacre à son histoire Yves Desjardins. Comme le souligne Jean-Claude Robert dans sa préface, Montréal est une ville à l’historiographie très riche et l’attention de ses historiens se porte, de plus en plus, vers ses quartiers. Cette historiographie s’écrit d’ailleurs en partie au rythme de la patrimonialisation – voire de l’embourgeoisement – de certains de ses secteurs. C’est une histoire qui s’écrit également fréquemment « en opposition » aux banlieues de l’après-guerre, dont les quartiers montréalais seraient le contre-modèle. L’ouvrage de Desjardins s’inscrit dans cette veine. Cela dit, et l’auteur le souligne, le Mile-End a ses particularités. L’une d’entre elles est probablement le fait que l’appellation « Mile-End », bien qu’ancienne, n’ait refait surface que récemment. Entre ses premières utilisations, au tout début du XIXe siècle, et sa récupération récente par des artistes, des promoteurs et des courtiers immobiliers, le toponyme « Mile-End » renvoie à une histoire complexe à laquelle rend justice l’ouvrage de Desjardins.
Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal
Bien sûr, ce Dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal (Écosociété) est une œuvre remarquable. Elle est celle d’urbanistes, journaliste, historien, architecte tous émérites. Tout merveilleux qu’il soit, il reflète la théorie des deux solitudes.
Frontières. Actes du colloque québéco-norvégien
Un colloque en recherches universitaires est un lieu de rencontre où des chercheurs de multiples départements convergent en un espace discursif, établissant un dialogue fécond sur diverses problématiques contemporaines (historiques, anthropologiques, géographiques, épistémologiques, etc.). En littérature et plus particulièrement dans le cadre du livre Frontières, la critique et l’interprétation des textes peuvent mener à l’éclaircissement de certaines questions environnementales et culturelles ici liées à ce que l’on a appelé « l’imaginaire du Nord ». Édité dans la collection « Isberg » du Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord de l’Université du Québec à Montréal, Frontières est le résultat d’un colloque tenu à Montréal en 2014 et créé en collaboration avec l’Université de Bergen, en Norvège. Ce colloque avait pour but de poursuivre l’érection des ponts déjà mis en chantier au sein de plusieurs disciplines culturelles (théâtre, arts visuels, architecture, etc.), cette fois-ci particulièrement au sein des productions littéraires de nos deux sociétés « nordiques ». Chaque chapitre du livre assemblé sous la direction de Chantal Savoie, Daniel Chartier (respectivement de l’UQAM), Margery Vibe Skagen et Helge Vidar Holm (tous deux de l’Université de Bergen) constitue la retranscription de chacune des communications prononcées par les chercheurs présents lors du colloque.
La vie secrète des hassidim
Enfermement dogmatique, c’est l’expression qui me vient spontanément en tête à la fin de la lecture de cet essai de Sandrine Mallarde. Comment en effet qualifier autrement le système dans lequel sont immergés dès la naissance les jeunes hassidim ? D’après l’auteure, cet enfermement se vivrait dans la joie. Et en effet, apparemment, les disciples de la doctrine hassidique estiment que la joie est considérée comme le meilleur moyen de servir Dieu. Cela se manifeste par la danse et les chants. Le chemin pour accéder à cette « joie de vivre » est cependant laborieux, et la joie en question ne s’acquiert qu’après des années d’une socialisation « orwellienne », basée sur un impitoyable contrôle social d’absolument tous les aspects de la vie des individus. Il s’agit en effet de briser tous les potentiels d’individualisation parmi les gens de la communauté. L’obsession derrière cela consiste à éviter la contamination générée par l’environnement sociétal et l’assimilation qui pourrait s’en suivre et à dresser le plus de barrières possible entre le groupe et l’entourage. C’est d’autant plus compliqué que dans leur grande majorité ces communautés sont urbaines.
Appelez-moi Charles
La vie secrète des hassidim de Sandrine Malarde nous entrainait dans une partie du monde juif montréalais très visible extérieurement, mais très discrète intérieurement et plutôt modeste financièrement. Avec Appelez-moi Charles, une autobiographie de Charles Bronfman, assisté du journaliste Howard Green, nous restons dans le monde juif montréalais et québécois, mais à un autre niveau, dans les ligues majeures pourrait-on dire. Cet ouvrage nous emmène dans l’univers d’une famille juive multimilliardaire, très présente dans l’actualité québécoise et canadienne depuis presque un siècle. Charles, le plus jeune des quatre enfants de Sam Bronfman, le bâtisseur de l’empire Seagram, a senti le besoin de s’épancher sur ce que fut sa vie. Il nous parle ainsi de sa famille, de l’empire Seagram, de baseball et de philanthropie ; il parle aussi beaucoup d’Israël, sa « deuxième patrie ». Il a d’ailleurs les deux nationalités : canadienne et israélienne. Le plus jeune des Bronfman nous confie ne pas avoir eu une enfance tellement sereine. Doté d’une personnalité à priori pas très forte, il dut de plus subir le poids d’une famille « écrasante », selon ses termes. À tel point qu’à 18 ans il entreprit une thérapie de trois jours semaine. Selon sa sœur Phyllis (Lambert), il avait une intelligence plutôt moyenne. Il nous confie avoir raté tous ses examens à l’université McGill. Idéologiquement, il était l’antithèse de son ainée. Il avoue avoir été un virulent antinationaliste québécois, alors que Phyllis était plutôt une sympathisante de la cause souverainiste. Elle le rabroua d’ailleurs assez violemment après qu’il eut tenu publiquement des propos très anti-indépendantistes. S’il est antinationaliste québécois, il défend en revanche farouchement les identités nationales canadienne et israélienne. Ce qui est frappant dans l’autobiographie de Charles Bronfman, c’est une absence quasi totale de connaissance de la réalité francophone québécoise. II est pourtant né à Montréal et il y a passé la plus grande partie de sa vie. Il avoue d’ailleurs que c’est vers la vingtaine seulement qu’il découvrit qu’on y parlait aussi français. Il n’est dit nulle part si Bronfman lui-même parle la langue de Molière. Il illustre à merveille l’image des deux solitudes.
Les Juifs du Québec, In Canada we trust
Victor Teboul est né en Égypte et il s’est installé au Québec lors de la Révolution tranquille. Docteur en études françaises, il a été impliqué dans l’enseignement et la communication avec les communautés culturelles auprès du gouvernent québécois. Il est l’auteur d’une douzaine d’essais sur le Québec, la communauté juive et le libéralisme, en plus d’un grand nombre de communications. Il a fondé et dirigé les magazines Jonathan et Tolérance, qu’il dirige toujours. Il se déclare souverainiste. Dans Les Juifs du Québec, Teboul se demande pourquoi les Juifs québécois ne s’identifient pas spontanément à la nation québécoise, question lancinante, s’il en est une, chez les indépendantistes. L’auteur aurait pu se demander pourquoi les Italiens du Québec, les Grecs et l’immense majorité des allophones du Québec ne s’identifient pas non plus spontanément à la nation québécoise, mais il se cantonne aux Juifs. Il nous rappelle l’exclusion historique des Juifs du paysage canadien-français, résultat souvent d’une auto-exclusion d’ailleurs.
La traversée du Colbert. De Gaulle au Québec en juillet 1967
Quiconque a, dans son passé, vécu un grand événement connaît le plaisir que l’on éprouve à entendre ou lire le récit détaillé dudit événement. C’est ce que propose le livre d’André Duchesne, journaliste à La Presse. L’ouvrage nous offre une chronique minutieuse de la visite du général de Gaulle au Québec en juillet 1967. En regardant la réaction enthousiaste d’un Jacques Lanctot, qui a été témoin de cette visite historique, je crois bien qu’il a tout à fait réussi son coup. Duchesne va plus loin : il apporte passablement d’éléments à l’appui de la thèse voulant que la déclaration du balcon de l’hôtel de ville de Montréal était absolument délibérée. Le livre donne donc aux lecteurs une très bonne idée de ce que fut la visite du général de Gaulle en juillet 1967. L’auteur nous décrit par le menu les péripéties de l’organisation, son déroulement et ses lendemains. On ressent très bien la jubilation des uns, la surprise des autres et même la hargne de plusieurs. Toutefois, ce que l’on doit retenir au premier chef de ce livre, par-delà l’effort de chronique, c’est que le matériel historique consulté permet de conclure sans risque d’erreur que la visite a été bien préparée, que le général de Gaulle n’a pas agi sous l’impulsion du moment et qu’il savait très bien ce qu’il faisait.
Les possibles du féminisme. Agir sans « nous »
Une évidence : l’avènement du féminisme a été une révolution majeure. Les femmes ont acquis des droits au terme de mobilisations tenaces et de luttes nécessaires. Même si elle reconnait que les apports sont inestimables, Diane Lamoureux, dans Les possibles du féminisme, veut éviter que le mouvement soit compris comme une seule organisation de défense des droits des femmes, car il donne ces jours-ci l’impression de « ressemble[r] beaucoup plus à un syndicat des femmes qu’à un mouvement social critique » (p. 157).
Je suis féministe, le livre
« Je suis féministe » : voilà une déclaration qui n’est pas reçue avec légèreté dans la société québécoise actuelle – et il suffit de suivre certains réseaux sociaux pour s’en rendre compte. Le sujet n’est peut-être pas tabou, mais il n’est pas sans semer la controverse. Certain.e.s croient même qu’il est désuet, dans la présente décennie, et notamment au Québec. D’autres, des jeunes femmes n’ayant pas peur de s’affirmer comme féministes avec fierté, se sont mobilisées et ont participé à la réflexion sur le blogue « Je suis féministe » dont Marianne Prairie et Caroline Roy-Blais ont retenu plusieurs extraits pour les rassembler dans un ouvrage collectif presque du même nom, publié aux Éditions du Remue-ménage l’an dernier.
100 questions sur les femmes et la politique
Ces 100 questions lui ont, évidemment – on le déduit – été posées bien plus de cent fois. 100 questions sur les femmes et la politique en est à sa seconde édition revue et augmentée, la première datant de 2008. L’auteure, Manon Tremblay, est professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et nous offre ici un ouvrage de référence exhaustif et substantiel pour quiconque veut s’instruire sur la situation actuelle et internationale des femmes en politique active. Y sont couverts l’accès au droit de vote, les comportements électoraux, les conditions pour se porter candidate et les difficultés rencontrées dans un monde marqué par une mainmise masculine séculaire, le niveau de féminisation dans les parlements et dans les gouvernements, etc.
Le bal des absentes
Les études collégiales se présentent souvent comme un moment d’ouverture à la complexité du monde. On y offre, après tout, une formation aux fondements humanistes à des étudiant.e.s de tous les horizons. Mais qu’en est-il de cette humanité quand elle se trouve amputée de moitié ? Voilà une des belles questions qu’adressent les autrices du Bal des absentes. Pour elles, le fait que le corpus des cours de littérature soit vastement dominé par des hommes révèle une paresse intellectuelle qu’elles secouent vigoureusement avec leur essai.
Nelly Arcan. Trajectoires fulgurantes
Impossible de lire Nelly Arcand sans être ébranlé par cette voix qui vomit son mal de vivre ; dénonce de façon crue la prostitution, l’empêtrement dans l’image du corps, l’aliénation de la séduction, la rivalité entre femmes, la domination des mâles et l’incommunicabilité entre les sexes. On s’entend pour dire que, tandis que les médias s’emparaient goulument du personnage de Nelly Arcan, l’écriture de l’écrivaine pour laquelle elle demandait tant à être reconnue a été peu analysée. Nelly Arcan Trajectoires fulgurantes rend hommage à cette étoile filante de notre littérature et tente de rattraper le temps perdu en ne cherchant pas « à dresser différents portraits de l’auteure, mais bien à plonger dans son œuvre pour en analyser les figures, les procédés, les métaphores récurrentes et en dégager du sens. » (p. 12)
Le principe du cumshot : Le désir des femmes sous l’emprise des clichés sexuels
Bien connue pour son émission Sexplora, Lili Boisvert reste dans son créneau de la sociologie sexuelle en se penchant sur la place qu’occupe (ou pas) le désir des femmes dans le modèle social.
Je suis un lieu
Je suis un lieu, voilà un titre tout à fait singulier à l’apparence poétique et qui évoque à lui seul toute la complexité de la pensée du philosophe japonais, Nishida Kitar (1870-1945), fondateur de l’École de Kyoto comptant plusieurs disciples directs et indirects. Cet essai reflète l’entreprise colossale à laquelle Jacynthe Tremblay s’est livrée afin de rendre accessibles et de manière plus fidèle les concepts centraux de cette philosophie tout à fait originale.
Les yeux tristes de mon camion
Anthropologue, écrivain et animateur de radio, Serge Bouchard est reconnu pour ses élans mélancoliques et son éternelle disposition à la contemplation. Appartenant à une race disparue dans la fumée industrielle de l’ère moderne, ce dernier nous invite cette fois à revisiter différents textes de son répertoire pour la plupart parus dans la revue L’Inconvénient.