Jean-Charles Panneton, Le gouvernement Lévesque, tome 1

Jean-Charles Panneton
Le gouvernement Lévesque, tome 1. De la genèse du PQ au 15 novembre 1976, Québec, Septentrion, 2016, 359 pages

Il est frappant, à lire le premier des trois tomes de l’ambitieux projet de Jean-Charles Panneton sur le gouvernement Lévesque, de réaliser combien l’histoire se répète et se rejoue avec d’infimes nuances qui n’ont de cesse de nous plonger dans les plus vives comparaisons avec l’actualité politique contemporaine. C’est déjà là un des grands bienfaits de cette lecture.

D’abord, les tiraillements du début des années 1970 au sein de la mouvance indépendantiste afin de fusionner les courants souverainistes – le Mouvement souveraineté-association de René Lévesque, le Rassemblement pour l’indépendance nationale de Pierre Bourgault et le Ralliement national de Gilles Grégoire – nous font immanquablement songer à ce que l’on appelle aujourd’hui le désir de « convergence » qui s’incarne dans OUI-Québec. Ensuite, la fondation du Parti québécois le 14 octobre 1968 n’est pas sans nous rappeler la refondation à laquelle on assiste actuellement autour du nouveau chef du PQ, Jean-François Lisée.

Jean-Charles Panneton
Le gouvernement Lévesque, tome 1. De la genèse du PQ au 15 novembre 1976, Québec, Septentrion, 2016, 359 pages

Il est frappant, à lire le premier des trois tomes de l’ambitieux projet de Jean-Charles Panneton sur le gouvernement Lévesque, de réaliser combien l’histoire se répète et se rejoue avec d’infimes nuances qui n’ont de cesse de nous plonger dans les plus vives comparaisons avec l’actualité politique contemporaine. C’est déjà là un des grands bienfaits de cette lecture.

D’abord, les tiraillements du début des années 1970 au sein de la mouvance indépendantiste afin de fusionner les courants souverainistes – le Mouvement souveraineté-association de René Lévesque, le Rassemblement pour l’indépendance nationale de Pierre Bourgault et le Ralliement national de Gilles Grégoire – nous font immanquablement songer à ce que l’on appelle aujourd’hui le désir de « convergence » qui s’incarne dans OUI-Québec. Ensuite, la fondation du Parti québécois le 14 octobre 1968 n’est pas sans nous rappeler la refondation à laquelle on assiste actuellement autour du nouveau chef du PQ, Jean-François Lisée.

Selon René Lévesque, écrit Jean-Charles Panneton à propos de la création du PQ, ce nouveau parti doit être réaliste, sans idéalisme échevelé, évitant l’opportunisme, et qui appartienne véritablement à ses militants tout en demeurant efficace. Un parti qui peut devenir un point de rassemblement des citoyens responsables, en évitant l’écueil d’être trop théorique, contenant toute la passion d’une grande cause, mais sans dévier dans une trop grande fébrilité ou une agitation improvisée.

Ces aspirations d’hier ne sont-elles pas celles d’aujourd’hui pour ceux qui militent ardemment au retour en force du Parti québécois ? Le nouveau PQ de 1968, nous relate M. Panneton, naît dans un climat de révolte générale contre « ce régime politique trop rigide et surtout démodé qui les réduit à l’impuissance politique ».

 

Ce régime, disait Lévesque à l’époque (et comme nous pouvons encore le dire aujourd’hui en parlant du fédéralisme), il nous a émasculés collectivement, nous a forgé cette mentalité de gens nés pour un petit pain, cette mentalité servile et médiocre de trop de ceux qu’on appelle nos élites. Ce régime, c’est lui qui, en nous gardant disloqués entre Ottawa et Québec, a développé notre inaptitude tragique à saisir l’ensemble de notre situation, et à déboucher au moins par-ci par-là sur le minimum vital de solidarité dont tous les peuples ont besoin à quelques moments cruciaux de leur existence (p. 171).

 

J’ai été frappé aussi par le récit de ces débats byzantins (qualificatif utilisé à l’époque par Jacques Parizeau) autour de la nécessité ou pas de proposer aux Québécois avant la fameuse campagne électorale victorieuse de 1976 un référendum sur l’indépendance du Québec. Pour bien des militants de l’époque, et non des moindres (Pierre Bourgault, Pierre Marois, Louis O’Neill, Gilbert Paquette, etc.), c’était mettre le pied dans un piège duquel le PQ ne sortirait pas de sitôt. Parizeau avait même écrit dans les pages du Jour qu’une indépendance par étape consistait « à offrir à ceux qui veulent un idéal profond et tenace une platée de spaghetti ». C’était le début de l’étapisme, ce que Marcel Léger a qualifié dans ses mémoires de « commencement de la démolition de notre idéal ». L’histoire nous montre que ces hommes clairvoyants avaient vu juste. Le PQ de 2017 veut se faire élire en 2018 en reportant le référendum sur l’indépendance nationale en 2022. Le contexte est certes différent aujourd’hui, mais force nous est de constater que d’un simple point de vue stratégique le parti de René Lévesque n’a guère avancé.

Tout cela pour vous redire que la lecture de l’ouvrage de l’historien et politicologue Jean-Charles Panneton induit le lecteur à des recoupements et des réflexions qui ne sont pas sans nous précipiter dans les méandres de la situation politique actuelle du Québec.

L’auteur relate dans une perpétuelle remise en contexte idéologique le cheminement du chef historique René Lévesque, de sa jeunesse en Gaspésie au rôle prépondérant qu’il a joué « au cœur de la Révolution tranquille » dans le gouvernement de Jean Lesage. Le dynamisme, les idées, la pensée politique et les bravades de Lévesque contre l’establishment de l’époque et même contre son chef Lesage (« le ministre turbulent », dira-t-on de lui) sont remarquablement bien exposés. Le récit est bien mené et palpitant et nous enseigne les grands principes fondamentaux qui ont mené aux réalisations fracassantes du jeune ministre des Ressources naturelles, c’est-à-dire l’étatisation de onze compagnies d’électricité en moins d’une année.

Je ne puis reprendre les foisonnants détails de toutes ces luttes du PLC de l’époque pour faire avancer le Québec ; elles sont instructives et glorieuses. J’ai été particulièrement saisi par la description idéologique faite par l’auteur de la pensée de M. Lévesque à l’époque. Ce dernier avait des idées novatrices sur l’émancipation économique du Québec. Il n’hésitait pas à s’en prendre à la conception de l’État telle qu’énoncée par Daniel Johnson, le chef de l’Union nationale.

 

Le chef de l’opposition est comme le précurseur d’un nouveau Moyen Âge économique, dénonce-t-il. Je n’accepte pas qu’on réduise le rôle de l’État, dans la société canadienne-française et dans le contexte économique d’aujourd’hui, à la fonction d’État-soliveau, c’est-à-dire l’État qui supporte tout peut-être, mais ne comporte en soi aucune dynamique et est incapable de ne donner aucune impulsion économique (p. 63).

 

Le lecteur vivra ou revivra ce divorce spectaculaire de René Lévesque du Parti libéral du Québec, « un vieux parti dépassé, retombé dans la stérilité », dira-t-il, après avoir tenté vainement d’en réformer les mœurs électorales (p. 142). Ce sera ensuite la création du Mouvement souveraineté-association et les mille péripéties qui conduiront à l’avènement du Parti québécois. Ce sera les premières campagnes électorales, les défaites et l’incroyable victoire du 15 novembre 1976.

S’appuyant sur des archives et des témoignages crédibles, Jean-Charles Panneton nous trace un portrait on ne peut plus humain de M. Lévesque, nous apprenant notamment qu’il avait songé sérieusement à quitter le navire en 1974, épuisé par des années de lutte et par les difficultés rencontrées à deux reprises devant l’électorat. Ses amis et lieutenants le supplient de rester. « Arrêtez ! Lâchez-moi ! Je ne suis plus capable ! Moi aussi, j’ai le droit de vivre comme un autre ! », s’était écrié le chef péquiste lors d’un repas chez Pierre Marois.

Je m’en voudrais de ne pas souligner dans ce premier tome la cohabitation d’une préface de Gilbert Paquette avec une postface de Claude Morin qui exposent des points de vue diamétralement opposés. M. Paquette, on ne peut plus cohérent avec lui-même, dénonce le virage stratégique de 1976 du PQ qui, pour la première fois de son histoire, dissociait un vote pour le parti d’un vote pour l’indépendance. « C’était là, écrit l’ancien ministre du gouvernement Lévesque, le début concret de ce qu’on a appelé “l’étapisme” et, avec le recul, ce qu’on voit clairement maintenant comme les premiers pas de la provincialisation du Parti québécois. » C’était une erreur, dit-il, et nous en sommes encore là en 2017.

Pour Claude Morin, aussi un ancien ministre de M. Lévesque, il n’y a rien d’alarmant dans cette situation puisque, affirme-t-il dans sa postface, « le Parti québécois subirait la défaite électorale s’il s’engageait à tenir un troisième référendum sur la souveraineté dès son prochain mandat ». Où veut en venir Claude Morin ?

[…] si, de retour au pouvoir, le PQ acquérait la certitude qu’un nouveau référendum sur la souveraineté serait perdant, demande-t-il, se trouverait-il du coup privé de tout moyen d’action pour façonner l’avenir du Québec ? Absolument pas. Nul décret divin ne lui enjoint de consulter l’électorat sur la souveraineté seulement et sur rien d’autre. Pour faire progresser le Québec dans des conditions différentes de celles des années 1970 ou 1980, rien n’empêcherait le PQ de s’extraire du sentier exigu – le dilemme artificiel séparation-soumission – où, pour se faciliter la tâche, ses adversaires rêvent de le conduire.

Claude Morin suggère ni plus ni moins une consultation de la population sur un projet substantiel de reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise, « avec garanties quant à la sauvegarde et à l’épanouissement de son identité ». Est-ce pour rendre compte en historien des débats vigoureux autour de l’indépendance nationale que M. Panneton a choisi ces deux textes en trajectoires de collision frontale pour encadrer son récit ? Singulier choix.

Par ailleurs, pour les pointilleux, le texte de l’ouvrage contient quelques imprécisions déplorables qui auraient dû être détectées par l’éditeur. Par exemple, page 250, sous le sous-titre « Le jour de l’élection », l’auteur écrit « le 28 octobre, les électeurs québécois choisissent […] », alors que les élections de 1973 ont eu lieu le 29 octobre. La date d’un jour d’élection, ce n’est pas rien. Je m’arrête là, mais il ne s’agit pas, hélas, de la seule anicroche du genre de ce premier tome.

Il n’en demeure pas moins que pour ceux qui n’ont pas connu ou mal connu cette épopée québécoise qui a mené au premier gouvernement Lévesque, voilà un ouvrage qui synthétise fort bien ce qui s’est véritablement passé en coulisses et sur la place publique. L’ouvrage en quatre tomes de Pierre Godin sur René Lévesque demeure à ce jour la référence sur le parcours de notre héros national. Il faudra attendre cependant la publication de l’ensemble des trois tomes de Jean-Charles Panneton pour jouer le jeu des comparaisons. Disons simplement que le défi d’égaler ou de surpasser la somme de M. Godin est grand.

M. Panneton nous annonce déjà un deuxième tome qui traitera du premier mandat du PQ, un mandat, écrit l’auteur, « qui lance le Québec dans de nombreuses réformes d’affirmation nationale ».

Gilles Toupin
Journaliste et auteur

 

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