Je vous redis bonsoir cher public, avec l’espoir que nos riches et délicieuses agapes n’aient pas trop ramolli vos ardeurs combattantes, qu’elles vous laissent toute la latitude d’esprit et de cœur pour apprécier à sa juste valeur la beauté et la force du militantisme de notre invité d’honneur.
J’ai choisi en effet de vous présenter ce soir, un homme qui fut non seulement un bon député et un excellent ministre, mais d’abord et avant tout un grand militant pour l’indépendance du Québec, même si à mon avis, qui n’est pas plus humble qu’infaillible, il a fait une erreur en substituant la proposition de souveraineté-association au projet d’indépendance. Je me permets d’exprimer cette opinion, puisque monsieur Garon aura, ce soir, le dernier mot
Pour tout vous dire, j’ai découvert Jean Garon, en lisant son Pour tout vous dire. Autobiographie qui m’a éblouie. Pourtant, ce n’était pas donné d’avance. Je n’avais pas oublié que nous nous étions rencontrés et confrontés dans les années de grande effervescence du mouvement indépendantiste. Nos conceptions respectives des stratégies de luttes à mettre en œuvre pour l’accession de notre nation à sa pleine autodétermination, étaient en principe aussi valables l’une que l’autre. En pratique, ni ses choix ni les miens ne nous ont donné jusqu’à maintenant le pays que nous appelons de tous nos vœux, de toutes nos forces, auquel chacun à sa manière a consacré le meilleur de lui-même.
Le rappeler est dire une vérité de La Palisse en parlant de Jean Garon.
Car il s’agit bien de cela. De manière incontestable et comme il le revendique fièrement, Jean Garon est avant tout un militant, Il l’a toujours été, et de la plus belle manière qui soit : avec authenticité. C’est ce que met en lumière son autobiographie. Nous y découvrons en effet la haute stature de l’homme qui repose toute entière sur l’authenticité de ses engagements dans l’ordre de la pensée aussi bien que de l’action, tous parfaitement intégrés dans sa vision complexe de la nécessité de ses choix.
Je dois bien sûr rappeler avec insistance son action déployée au ministère de l’Agriculture dont il a été le mémorable ministre de 1976 à 1985. René Lévesque qui voulait asseoir son nouveau pouvoir sur la collaboration de personnes intelligentes et solides, à la fois visionnaires et pragmatiques, animées par leur seul désir de servir les intérêts de la nation québécoise, l’y nomma dès le lendemain de son arrivée aux commandes de l’État.
Intellectuel d’envergure, professeur d’économie à l’Université Laval, n’ayant jamais vécu ni travaillé sur une terre, cette nomination était inattendue et elle étonna en premier lieu Jean Garon lui-même, bien qu’il reconnut avec monsieur Lévesque que tout l’y prédestinait : sa formation d’économiste, ses années de militantisme dans le Québec des régions, ses expériences dans l’entreprise privée, notamment à Ciment Québec, sa rare capacité d’écoute des gens, son aptitude à évaluer rigoureusement les situations et à décider. Il fut à la hauteur des attentes de son chef.
Il a en effet fait adopter de nombreuses Lois qui toutes ont modifié avantageusement l’activité agricole et celle des pêches et de l’alimentation. Pour un temps, comme il le reconnaît lui-même avec une certaine tristesse, un désenchantement certain.
Il me faut aussi rappeler, comme l’a souligné Denis Monière dans sa critique de Pour tout vous dire que contrairement au jugement, parfois à l’allure d’accusation, alors porté par de nombreux contemporains, Jean Garon, bien que conservateur, n’était pas, n’a jamais été un homme de droite, mais un exemplaire social-démocrate, attaché dès son enfance à la justice sociale, principe inculqué par son père, qu’il appliqua rigoureusement en tant que ministre de l’Agriculture et aussi de l’Éducation.
J’écrivais récemment ceci dans le magazine littéraire Nuit blanche : « Souligner la largeur de vue de Jean Garon, ses qualités de travailleur acharné, ses débats soutenus avec autant de modération que de passion, ses combats menés avec autant de ruse que de droiture, ses importantes réalisations, toutes motivées par un sens aigu de son devoir de servir l’intérêt public, son inébranlable conviction de la nécessité de l’indépendance, sa critique du manque d’audace de ses compatriotes, de leur peur de s’assumer comme peuple libre et souverain, est encore n’avoir rien dit de la complexité de la pensée et de l’action de l’homme politique le plus authentique de notre histoire récente. Authenticité qui tient à sa parole pleine, confiante d’être conforme à l’action accomplie, qui tient dans ses engagements qui ne s’écartent jamais des promesses faites, qui tient dans sa relation d’adhésion, voire d’adhérence aux tours et détours de la longue marche de sa nation vers l’indépendance ».
Comme vous pouvez le constater, même s’il a choisi le Parti de la souveraineté-association plutôt que le mouvement indépendantiste, comme voie d’accès à notre plein épanouissement national, j’admire le parcours de Jean Garon et lui suis infiniment reconnaissante de l’avoir tracé dans l’espoir qu’il conduirait ses compatriotes au seuil du pays désiré, un pays bien à eux, un pays qui leur ressemble et les rassemble.
Un compliment personnel pour terminer. En refermant Pout tout vous dire, j’ai pensé, monsieur Garon, que la vieillesse vous allait bien, comme un gant de qualité qu’on porte depuis longtemps, qui s’est si bien fait à notre main qu’elle accomplit presque d’elle-même, avec grâce et noblesse les tâches qu’on lui assigne. Comme il y a encore beaucoup de pain sur la planche, il est à prévoir vous saurez la tenir occupée.
Et dès maintenant, en nous adressant votre parole.