Jean Garon. Pour tout vous dire

Jean Garon
Pour tout vous dire, Montréal, VLB Éditeur et La vie agricole, 2013, 528 pages

Trop peu d’hommes politiques publient leurs mémoires pour nous faire partager leurs expériences et nous faire mieux connaître les rouages de la gestion du bien public. Certes, ce genre littéraire incite à l’autoglorification et aux reconstructions a posteriori qui embellissent la réalité ou occultent certains faits moins glorieux, la mémoire étant une faculté oublieuse.

Jean Garon
Pour tout vous dire, Montréal, VLB Éditeur et La vie agricole, 2013, 528 pages

Trop peu d’hommes politiques publient leurs mémoires pour nous faire partager leurs expériences et nous faire mieux connaître les rouages de la gestion du bien public. Certes, ce genre littéraire incite à l’autoglorification et aux reconstructions a posteriori qui embellissent la réalité ou occultent certains faits moins glorieux, la mémoire étant une faculté oublieuse.

Il ne faut pas prendre au pied de la lettre le titre des mémoires de Jean Garon, Pour tout vous dire, est un programme en soi irréalisable même après 528 pages. Le titre signifie plutôt « tout compte fait voilà ce que j’ai retenu de ma vie politique ». Et cet homme a bien servi la patrie à titre de militant politique pendant 50 ans, de député pendant 22 ans, de ministre de l’Agriculture pendant 9 ans, de ministre de l’Éducation pendant 16 mois et de maire de Lévis durant un mandat.

Jean Garon est un homme de conviction, au franc parler qui a toujours été soucieux d’être au diapason de ses concitoyens. On l’a pour cela souvent catalogué comme un populiste parce que ses discours étaient imagés, truculents et que ses propos cherchaient à aller au fond des choses. Il se définit tout au long de ce livre comme un militant de l’indépendance et comme quelqu’un qui a mis le bien public au-dessus des intérêts de carrière. Il a été organisateur du RIN dès 1962 dans l’Est du Québec, il s’est ensuite retrouvé membre fondateur du Regroupement national et a travaillé à la réunification des indépendantistes convainquant d’abord Lévesque au célèbre Chalet suisse de prendre le leadership du mouvement et ensuite favorisant le ralliement du RN au PQ en 1968. Il s’est offusqué d’avoir été situé à droite de l’échiquier politique au début de sa carrière par le journaliste Simon Bégin qui sera par la suite associé à toute sa carrière jusqu’à l’écriture de ce livre. Il refuse fermement  cette étiquette qui lui a été accolé par erreur en raison de ses allures populistes alors qu’il s’est toujours perçu comme un social-démocrate attaché à la justice sociale. Il écrit : « Je suis un homme de gauche dans une personnalité de droite. Par mes idées et mes valeurs je me situe à gauche : le partage plus équitable de la richesse, la prédominance de l’État et du bien commun sur le capital et les intérêts particuliers, l’égalité homme-femme voilà des concepts qui me définissent assez bien. »(p. 106-107) Il est fier d’affirmer qu’il a toujours défendu la gratuité scolaire et se dit réconforté par la contestation étudiante du printemps érable. Ce ne fut d’ailleurs pas le seul quiproquo de sa carrière car beaucoup de gens l’associaient au monde de l’agriculture alors qu’il était un intellectuel bon teint ayant obtenu un doctorat en économie et en droit et était professionnellement professeur d’université.

Ses réalisations à titre de ministre de l’Agriculture occupent une grande place dans le livre. Il y présente toutes les lois qu’il a fait adopter pour établir une véritable politique de l’agriculture dont l’objectif ultime était l’autosuffisance alimentaire. Il évoque les turpitudes de l’UPA et d’autres organismes supposément voués à la défense des agriculteurs mais qui pensent surtout à leurs intérêts corporatifs avant ceux de leurs membres. Les péripéties entourant l’adoption de la loi sur le zonage agricole sont particulièrement éloquentes à cet égard. Sous son règne le Québec est passé de 47 % à 80 % d’autosuffisance. Son plus grand fait d’arme est d’avoir contourné les politiques fédérales pour développer la production de céréales au Québec au lieu de les importer de l’ouest. Il se dit en ce sens le précurseur de la gouvernance souverainiste que le PQ n’a pas encore réussi à incarner. Le succès de sa politique est lié à deux atouts : avoir des objectifs clairs et de la détermination. Il avoue qu’il n’est pas convaincu que le PQ de Pauline Marois possède ces forces essentielles pour imposer sa volonté à Ottawa.

Au ministère de l’Éducation, ses projets se sont heurtés là aussi aux corporatismes des recteurs des universités et à celui des commissions scolaires. Il a voulu mettre l’élève et les parents au cœur de l’éducation Il s’est battu contre les fonctionnaires pour préserver les écoles de village. Mais il a échoué à réaliser la grande réforme du système qu’il avait promis de livrer à Jacques Parizeau.

Ce livre vaut la peine d’être lu si ce n’est que pour les pages où il vitupère l’emprise de la corruption qui régnait dans la fonction publique sous Bourassa et Charest et où il explique les stratagèmes qu’il a déployés pour la combattre en particulier au ministère de l’Agriculture où il a mis à mal certaines féodalités. Il aurait aimé faire la même lessive dans les universités où il rejoint les étudiants dans leurs dénonciations de la gabegie. Il dénonce avec virulence l’escroquerie que le Mouvement Desjardins a réalisée au détriment des mutualistes de la Laurentienne. Il dit même souhaiter une enquête publique sur cette transaction. Il laisse d’ailleurs entendre que d’autres commissions Charbonneau seraient nécessaires pour extirper la corruption de nos mœurs politiques.

On le sent désenchanté par le Parti québécois qui s’est laissé envahir par les carriéristes et qui a délaissé les militants authentiques. Il s’est tu par fidélité jusqu’à présent mais il n’en pense pas moins que les Pierre-Marc Jonhson, Lucien Bouchard et André Boisclair ont été les fossoyeurs de la souveraineté. Quant à Pauline Marois, il se montre sceptique, celle-ci n’ayant jamais par le passé fait la promotion de la souveraineté et ayant la fâcheuse habitude de changer son fusil d’épaule. Il ne lui pardonne pas de lui avoir succédé à l’éducation sans même s’informer de ce qu’il avait entrepris.

Il reste toutefois réservé sur l’avenir du Parti québécois et on aurait aimé en savoir plus sur ses positions. Garon n’a jamais caché qu’il n’était pas un fanatique des référendums et qu’il aurait préféré qu’on procède par une élection référendaire comme l’avait proposé de PQ de 1968 à 1974. Mais il ne justifie pas sa position, il n’explique pas les avantages ou les inconvénients de cette démarche.

Il y a un autre point obscur dans son livre. Garon se présente comme le précurseur du regroupement de tous les indépendantistes dans un seul parti et en appelle lui aussi à l’unité des indépendantistes. Mais curieusement, il soutient que c’est le rassemblement réalisé aux référendums de 80 et de 95 qui est responsable de la dilution du projet d’indépendance. Il montre de l’intérieur de la machine comment l’arrivée de ceux qu’il appelle les bleus ou les nationalistes conservateurs qui se sont joints au PQ avec Rodrigue Biron et plus tard avec Lucien Bouchard ont détourné le PQ de sa finalité première pour viser essentiellement la prise du pouvoir et l’application d’une politique nationaliste. Autrement dit, il démontre parfaitement comment le nationalisme a phagocyté l’indépendantisme mais n’en tire pas les conséquences. Plus on rassemble des forces politiques disparates, plus on risque de diluer l’option au nom des compromis nécessaires pour prendre le pouvoir. Malgré ces réserves, le livre de Garon est un outil de réflexion indispensable pour tous ceux qui pensent que les convictions et le militantisme doivent être les ingrédients premiers de l’action politique.

Denis Monière

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