John Saul. Le grand retour. Le réveil autochtone

John Saul
Le grand retour. Le réveil autochtone, Montréal, Les éditions du Boréal, 2015, 336 pages

John Saul, dans Le grand retour, fait un appel politique aux populations non autochtones du Canada et leur demande de considérer avec sérieux la situation dans laquelle vivent les premières nations et nations métisses du pays et de le faire sans esprit de supériorité ni pitié. Il leur demande surtout de se poser en véritable interlocuteur politique avec elles et d’entreprendre un véritable processus de règlement de l’immense problème que vivent ces nations au Canada. Ce faisant, Saul demande aux individus qui forment la majorité non autochtone de littéralement contourner les élites politiques et économiques et les invite, dans le même temps, à se transformer eux-mêmes en véritables citoyens.

John Saul
Le grand retour. Le réveil autochtone, Montréal, Les éditions du Boréal, 2015, 336 pages

John Saul, dans Le grand retour, fait un appel politique aux populations non autochtones du Canada et leur demande de considérer avec sérieux la situation dans laquelle vivent les premières nations et nations métisses du pays et de le faire sans esprit de supériorité ni pitié. Il leur demande surtout de se poser en véritable interlocuteur politique avec elles et d’entreprendre un véritable processus de règlement de l’immense problème que vivent ces nations au Canada. Ce faisant, Saul demande aux individus qui forment la majorité non autochtone de littéralement contourner les élites politiques et économiques et les invite, dans le même temps, à se transformer eux-mêmes en véritables citoyens.

Comme toujours avec Saul, nous avons dans les mains un livre complexe et touffu, ce qui en rend la synthèse malaisée. On y trouve des éléments d’analyse historique, des descriptions sur les façons dont les premières nations se sont organisées politiquement, mais aussi plusieurs pages de contenu plus philosophique sur l’impact des grands récits et des fondements de la culture sur la politique et le rapport au monde. En fait, dans Le grand retour, on trouve par-delà le plaidoyer militant que je viens de mentionner un second livre plus ou moins subjacent. Cet autre livre, si on peut l’appeler ainsi, consiste en une critique philosophique de l’Occident colonisateur et des impacts de son grand récit rationaliste. Pour Saul, la croyance des peuples venus d’Europe de posséder le monopole de la raison et des lumières leur aura permis pour une bonne part de devenir éperdument colonisateurs et de s’accorder le droit de propriété sur une bonne partie de la planète. Je ne puis ici porter ma réflexion sur cette autre dimension de l’ouvrage, car cela m’amènerait trop loin du propos premier de Saul qui est, comme l’ai dit, politique.

L’auteur commence son discours en déclarant que les premières nations et les nations métisses sortent en quelque sorte de la non-existence politique. Pendant longtemps, ces populations ont été écrasées par une masse de problèmes : l’asymétrie démographique, la réalité brutale du pouvoir politique (britannique puis canadien), la pauvreté systémique, les effets de l’impérialisme culturel, etc. Toutefois, ces peuples n’ont jamais été anéantis et ils sont désormais de retour en tant que sujet historique. Ils sont à présent plus populeux notamment parce qu’ils ont une démographie différente de la nôtre. Ils ont entrepris avec succès de s’éduquer, de s’organiser. Ils ont réussi à prendre passablement de distance par rapport aux effets délétères du grand discours idéologique – raciste et rationaliste – des colonisateurs. Ils se sont donné des leaders qui sont dans l’ensemble compétents, forts, habiles et résolus. Au surplus, ils ont appris le fonctionnement du système de cours et réussi à maintes reprises à mettre nos gouvernements en échec. Tout cela est décrit avec force détails.

Saul poursuit son appel aux populations non autochtones du Canada en abordant les problèmes que vivent les premières nations et peuples métis. On voit tout de suite qu’il a en tête de défaire ce préjugé tellement commun qui veut que la cause de ces problèmes loge d’abord et avant tout du côté autochtone. On connaît la rengaine : au vu des transferts d’argent depuis Ottawa vers les réserves, si la misère continue, c’est qu’il y a un problème soit de culture, soit de corruption, soit d’indigences de leaders. Le livre n’apporte pas de réfutation en règle de cette vision, mais il apporte suffisamment d’éléments pour la discréditer très fortement. En fait, l’auteur juge plus important de procéder à un recadrage : une compréhension sérieuse de ces problèmes suppose, selon lui, un regard ample qui considère l’ensemble de la situation dans laquelle les pouvoirs colonisateurs et pratiquement tous nos gouvernements ont mis les premières nations et peuples métis depuis très longtemps. Cela signifie notamment regarder en face la manière dont les gouvernements ont ignoré systématiquement et cyniquement les traités territoriaux qu’ils ont pourtant négociés et signés (en faisant comme s’il s’agissait d’accords sacrés entre peuples et en engageant la parole des peuples venus d’Europe). Cela signifie voir en face la mise à mal des réalités communautaires de tous ces peuples par les effets combinés des politiques de mises en réserve et de minorisation politique, des mesures de destruction culturelle et linguistique ainsi que de l’exploitation sans scrupule des ressources de leurs territoires ancestraux.

John Saul donne alors à penser que s’il faut trouver un coupable, s’il faut ramener les énormes malheurs vécus par tous ces peuples à une seule et grande responsabilité, eh bien, c’est à nous qu’elle incombe, nous qui constituons une entité collective issue du colonialisme européen. L’auteur fait certes des nuances quant à la distribution des responsabilités historiques et, bien entendu, il vise au premier chef la couronne britannique et tous les gouvernements du Canada ; néanmoins, les individus qui forment les populations dites du sud du Canada ont, eux aussi, dans son esprit, une grande part de responsabilité en ce sens qu’ils ont laissé faire. Qui plus est, chacun d’entre nous, encore aujourd’hui, n’a de cesse d’osciller entre l’indifférence, la pitié, voire le mépris. Notre attitude générale à l’endroit des premières nations et des peuples métis est nourrie par un mélange d’ignorance, de préjugés, de duplicité ; elle se nourrit aussi du grand récit de la raison venue d’Occident.

C’est ici que l’appel de Saul prend son envol. Le grand retour des premiers peuples en tant que sujet politique offre la possibilité de changer le cours de l’histoire et de réparer jusqu’à un certain point les dommages causés. Il apporte la possibilité d’une véritable discussion pour refonder le pays. Cependant, pour que cela advienne, il faut qu’un véritable interlocuteur se présente face aux premières nations et peuples métis. Or, selon Saul, on ne peut attendre des gouvernements qu’ils se départissent de leur mauvaise foi traditionnelle : mis à part les négociations menées entre le gouvernement du Québec et les Cris dans les années 1970 et 1980 (lesquelles négociations se sont soldées par l’accord de la Paix des braves), il n’y a guère de cas où les gouvernements ont fait autre chose que d’user des tactiques politiques les plus viles (intimidation, mensonge, mesures dilatoire, arguties juridiques, recherche de la division). C’est pourquoi il revient aux citoyens d’agir et d’imposer au gouvernement une voie de règlement qui passera par la discussion bilatérale, par la reconnaissance des traités signés et par le déploiement d’outils de développement à la hauteur des problèmes créés par le colonialisme. Mais pourquoi diable le feraient-ils ? L’auteur apporte plusieurs raisons.

Saul en appelle d’abord à la responsabilité historique. Nous, gens du sud, sommes solidaires des politiques ignobles menées envers les nations autochtones et métis et sommes solidairement responsables de leurs conséquences. D’où un important devoir de réparation. Deuxièmement, l’auteur avance que les Canadiens ont prouvé quelques fois qu’ils pouvaient s’attaquer avec succès à des problèmes majeurs, notamment en réglant en profondeur la question de la place du français au pays ainsi qu’en mettant en place un régime d’immigration fondé sur le multiculturalisme. Troisièmement, un règlement est dans notre intérêt dans la mesure où les premières nations et les nations métisses sont de plus en plus organisées du point de vue politique et capables d’exploiter le système de justice à leurs fins : aussi bien s’attaquer au problème tout de suite.

Saul avance une raison supplémentaire de saisir l’occasion historique qui se présente : une telle action citoyenne nous amènerait à nous transformer nous-mêmes. Si d’aventure nous avions cette audace, nous serions conduits à devenir des citoyens au sens fort et à sortir de notre torpeur politique collective. Nous aurions l’occasion de casser la quasi dictature que nous tolérons bon an, mal an. Pour Saul, notre régime fondé sur le vote périodique n’est rien de plus qu’une délégation totale du pouvoir. Autrement dit, l’auteur invite les Canadiens à reconquérir leur démocratie et, partant, à redevenir citoyen. Et puis, il affirme que nous connaîtrions une transformation culturelle, nous qui vivons sans en être conscients les limites de notre culture rationaliste dont les finalités instrumentalistes se retournent contre nous. Les premières nations auraient en effet beaucoup à nous apprendre, notamment en ce qui concerne les pratiques de décision politique.

À mes yeux, ce livre de John Saul est important. Il est important en effet que des auteurs non autochtones nous remettent sous le nez nos responsabilités collectives. Il est important que l’on rappelle et que l’on décrive l’absence de bonne foi avec laquelle presque tous les gouvernements ont traité ces peuples, notamment pour ce qui concerne le contenu des traités pourtant signés.

Je suis par contre déçu de constater l’absence de réflexion solide sur le problème de l’organisation politique des populations non-autochtones. Saul a livré un appel à l’action citoyenne, mais je ne vois pas bien comment, dans son esprit, on pourrait parvenir à développer un grand mouvement qui serait en mesure de durer suffisamment longtemps pour transformer la vie politique au Canada. Je ne cacherai pas non plus mon agacement lorsque Saul présente la situation linguistique au Canada ou encore la politique multiculturaliste comme des preuves que le changement au sens fort est réalisable… Tous les jours, je traverse l’Outaouais pour me rendre à Ottawa et je vois bien que l’assimilation linguistique des non-anglophones est le seul horizon concevable au Canada. Mais passons. Le plus important ici est que John Saul témoigne sans paternalisme ni pitié de l’état actuel d’organisation politique des premières nations et des nations métisses et nous informe de leur grand retour.

Une dernière remarque : le livre présente en dernière partie un ample dossier documentaire tout à fait intéressant. Il s’agit pour l’essentiel d’un assemblage de discours et réflexions de leaders des premières nations et des nations métisses.

Martin David-Blais
Université St-Paul

 

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