Jonathan Livernois
La route du Pays-Brûlé. Archéologie et reconstruction du patriotisme québécois, Montréal, Atelier 10, 2016, 76 pages
Jonathan Livernois est un jeune trentenaire rongé par le doute. Mêlé, le jeune homme. Peinant à naviguer dans sa (grande) culture littéraire, tâtonnant dans la brume de son récit familial à rechercher les points de jonction entre la petite et la grande histoire. Traversé de remarques intelligentes, d’observations souvent justes, le propos reste néanmoins éthéré. C’est un paradoxe : ce jeune intellectuel recherche avidement les voies de l’incarnation, mais il n’arrive pas à toucher terre. Certes il nomme les lieux, les donne à voir parfois, mais ne parvient guère à faire lever de la pensée dans ses phrases.
Partagé entre une critique assez convenue de ce qu’aura été le péquisme velléitaire et les lieux communs de sa cohorte d’intellectuels convaincus de se raccorder à l’universel parce qu’ils étaient en désaccord avec la Charte des valeurs, Livernois se cherche des raisons de se justifier de se sentir encore tenaillé par l’attachement au Québec. Le voilà donc qu’il écrit pour essayer de se donner une raison de ne pas se laisser couler dans la résignation minoritaire. Résignation qu’il entrevoit et devant laquelle il semble se rebiffer plutôt mollement. Il évoque le récit du parcours en train d’un Jacques Parizeau parti de Montréal fédéraliste pour arriver à Vancouver indépendantiste pour justifier son petit livre où il se dit et se voit tenter de faire le chemin à rebours. L’image ici cache mal la défilade devant l’innommable : s’avouer, se laisser couler dans l’identité canadian imposée, mais jamais nommée. C’est là ce qui s’écrit entre les lignes de ce sinueux soliloque.
Car c’est une chose de se dire affligé par tout ce qu’impose de souffrance et de mélancolie l’inachèvement de notre aventure, de souffrir de l’incapacité de notre peuple à vivre autrement qu’à la lisière de lui-même, braconnant sur les marges d’une histoire qu’il s’invente aussi bien pour survivre que pour se grandir et s’affirmer dans son incroyable propension à braconner sur le domaine des maîtres. C’en est une autre de se donner une éthique de la transgression capable de composer avec la faiblesse pour trouver le courage d’un perpétuel recommencement. Livernois se cherche une raison pour raisonner du côté du progrès, du côté de l’obéissance aux canons d’une vertu qu’il voudrait avoir vu son peuple pratiquer. Ce petit livre est une confession sur les ravages de la morosité, sur ce que la défaite défait toujours, à chaque époque, à chaque bataille perdue. Notre histoire est erratique, nos héros résistent mal au regard qu’on peut poser sur eux dans l’incertitude de nos défaites et de ce qu’elles érodent de confiance en soi et en l’avenir. L’ouvrage est bien davantage un aveu qu’une invitation au voyage.
Il peut bien se demander si cela vaut la peine de continuer à vouloir être, si nous avons quelque chose à apporter à la diversité du monde, la vérité, celle qu’il ne veut pas voir en face, c’est que sa question ne se pose pas à l’égard de l’histoire et de la politique, mais bien dans le registre ontologique. Le Québec peut certes se laisser broyer, il peut chercher à renoncer à persévérer dans son être, mais ce ne sera jamais là, pour lui, qu’une autre façon d’échouer. Devenir étranger à soi-même n’est pas un projet, c’est une malédiction. Le lecteur qui déambulera sur la route du Pays-Brûlé se promènera sur un chemin qui ne mène nulle part.
La reconstruction du patriotisme québécois à laquelle nous convie ce petit livre a peu de chance de passer par le parcours qu’il nous dresse. Les trois propositions que met de l’avant Livernois pour surmonter ses propres doutes et les répulsions que lui inspirent la médiocrité du souverainisme velléitaire et les singeries folklorisantes se perdent dans les abstractions et les généralités. On ne fait pas d’épissure sur le fil effiloché de l’histoire en lançant des appels à l’éclosion de l’imaginaire, mais en raccordant ce que l’assujettissement sépare. La régression identitaire n’est pas une tare intrinsèque à la culture témoignant d’un manque-à-être et d’une incapacité inhérente, mais bien une tendance induite par le rapport de domination qui l’encarcane. Les morceaux de procès qu’il tente d’instruire confondent les causes et les effets.
Pour se donner prise sur le réel il faut savoir faire la part du doute et des certitudes. Livernois est trop occupé à regarder le chemin pour bien dessiner le trajet. Il ne fait pas lever l’horizon, même s’il l’appelle avec un désarroi sincère. Il marche au pas d’une petite musique mélancolique qui lui fait confondre l’inachèvement et la défaillance apprise et imposée. On veut bien compatir, mais il faut bien lui rappeler qu’entre le Québec qu’il ne sent plus et l’horizon qu’il ne voit pas se dresse un Canada bien réel qui lui impose une historicité qui détermine une large part de ses doutes et de ses hésitations. Un peuple empêché, l’est d’abord dans son être. La réflexion de Livernois est minée par le Canada qui s’est incrusté sournoisement dans l’anxiété qui le démange. Le malaise minoritaire le ronge.
Le patriotisme qu’il appelle de tous ses vœux passe par une réconciliation avec cette certitude fondamentale : notre fierté et notre amour du Québec ne tiennent pas tant d’abord à des réalisations qu’à une incroyable aptitude à triompher de l’improbable. Telle est la certitude au fondement du patriotisme québécois. Il faut une audace folle pour le dire à la face du monde. Elle gronde par moment sous les exaspérations plus ou moins tonitruantes. Elle finira bien par éclater.
Robert Laplante