La pénurie de médecins au Québec est un problème sérieux dont la solution semble toujours nous échapper. Selon Yves Dugré, ex-président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, il manquerait 1000 médecins spécialistes au Québec. On observe le même scénario chez les omnipraticiens, où la pénurie est évaluée entre 800 et 1000 à travers le Québec.
I – Introduction: un Québec en manque de médecins
Notons que la Ville de Saguenay vient tout juste de signer une entente avec le ministère de l’Immigration dans le but avoué d’attirer les médecins étrangers dans cette région qui souffre d’un manque chronique de praticiens.
Cette situation est pour le moins surprenante puisque le Québec est une des provinces qui forme le plus de médecins par habitant au Canada. Au moment où le gouvernement s’apprête à engloutir au moins 3,6 milliards dans la construction de deux mégahôpitaux neufs, un pour la faculté de médecine de l’Université de Montréal (Centre hospitalier de l’Université de Montréal, CHUM) et un pour l’université McGill (McGill University Health Centre, MUHC), il convient de se questionner sur la valeur de cet investissement. Est-il également rentable, pour obtenir des médecins pratiquant au Québec, d’investir à l’Université de Montréal et à l’université McGill?
II – L’exode des médecins au Québec
Le Québec offre une des pires performances au Canada en matière de rétention de ses médecins. Chaque année, c’est par dizaines qu’ils partent pour aller pratiquer ailleurs, principalement dans le reste du Canada et aux États-Unis. Année après année, le solde migratoire des médecins québécois est négatif, c’est-à-dire que le nombre de médecins qui quittent est supérieur au nombre de médecins qui arrivent. Le tableau 1 illustre le solde migratoire interprovincial et international au Québec. On constate que l’exode est sévère, avec en moyenne plus de 75 départs par année. Toutes proportions gardées, l’exode des médecins est au Québec deux fois plus important qu’en Ontario.
Quelle est la cause de cet exode massif? Certains médecins, notamment les spécialistes, ont récemment pointé du doigt les salaires qui seraient moins généreux au Québec qu’ailleurs au Canada. Est-ce là la véritable raison? Si l’appât du gain est effectivement à la source du problème, l’exode des médecins devrait se faire sentir dans l’ensemble des facultés de médecine du Québec. Or, comme nous le verrons plus bas, ce n’est absolument pas le cas.
III – Qui part ?
La formation d’un médecin peut être grossièrement divisée en deux phases. La première, le diplôme de doctorat en médecine (le MD) est commune à tous les médecins. Des quotas stricts sont imposés aux universités quant au nombre d’étudiants québécois, canadiens et étrangers qui peuvent être admis annuellement dans chacune des facultés. Le tableau 2 montre la répartition des places d’études dans les facultés de médecine du Québec
La deuxième phase, qu’on peut considérer comme la spécialisation du médecin, «le post-MD», est d’une durée variable et peut avoir lieu dans une université autre que celle qui a décerné le diplôme MD. La proportion de places d’études pour les résidents hors-Québec n’est pas réglementée au post-MD.
Départs après le diplôme MD
Donc, dès l’obtention de leur doctorat (le MD), certains étudiants iront poursuivre leurs études ailleurs qu’au Québec. Le graphique 1 montre la proportion de départs selon l’université au Québec:
On voit clairement que l’exode après le diplôme MD est un phénomène presque exclusivement mcgillois et que cette tendance est très marquée. Rappelons que la proportion d’étudiants étrangers au MD est relativement faible (sous la barre des 15%) et que, par conséquent, l’exode mcgillois après le MD est largement imputable aux étudiants québécois. Le tableau 3 résume les données du premier graphique.
Afin de compenser pour cet exode, l’université McGill doit recruter massivement dans le Canada anglais et à l’étranger des médecins qui viendront compléter leur post-MD au sein du MUHC. Nous verrons plus bas que ceux-ci n’ont pas tendance à s’installer au Québec une fois leurs études terminées.
Départs après la formation post-MD
Une fois leur spécialisation complétée, les nouveaux médecins doivent décider de leur lieu de pratique. Ont-ils plus tendance à s’installer au Québec à la fin de leur spécialisation? Le graphique 2 illustre le nombre de départs 2 ans après la complétion des études post-MD.
Alors que le taux d’exode des universités de langue française oscille entre 5 et 15%, celui de McGill avoisine encore les 50%. Lorsqu’on compare le taux d’exode après 2 et 5 ans, on constate que les médecins qui quittent, principalement pour l’Ontario et lesÉtats-Unis, ont peu tendance à revenir pratiquer au Québec. Le tableau 4 résume les données du graphique 2.
En chiffres absolus, on voit que 550 étudiants de l’université McGill ont quitté le Québec sur dix ans, ce qui représente plus de 63% de tous les départs. Une seule université est donc responsable de près des deux tiers de l’exode des médecins au Québec.
IV – Conséquences de l’exode des finissants de McGill
L’université McGill représente un cas particulier au Québec en ce qui a trait à l’exode massif de ses médecins. Si la rémunération moins élevée est effectivement la cause de l’exode des médecins québécois, il semblerait que ce «problème» affecte davantage McGill que les universités de langue française. La formation en français représente certainement un facteur de rétention important. En investissant massivement dans une université de langue anglaise, le gouvernement refuse d’exploiter un avantage compétitif unique au Québec, soit celui d’une langue commune distincte du reste du bassin américain.
L’exode massif des médecins Mcgillois n’est pas banal. À lui seul, il représente plus de 60% des départs et est, par conséquent, le principal responsable du déficit migratoire qui sévit au Québec. Ramener le taux d’exode de McGill à la moyenne des universités francophones (entre 5 et 10%) suffirait pour annuler la totalité des pertes dues au solde migratoire interprovincial!
Une solution à l’exode des médecins nous pend donc au bout du nez depuis longtemps. Voilà qui a de quoi étonner et choquer. D’autant plus que la formation d’un médecin coûte au bas mot plus de 150 000$ aux contribuables québécois. Pourtant, loin d’y voir un problème, le doyen de la faculté de médecine de McGill, M. Abraham Fuks, se félicitait récemment du fait que McGill était en mesure de former des étudiants francophones exceptionnels qui désiraient faire carrière aux États-Unis et ainsi faciliter leur transitio n.
Cette tendance à l’exode des diplômés en médecine de McGill est aussi présente dans des domaines connexes; des programmes de formation en physique médicale ont été créés au CHUQ (Hôtel-Dieu de Québec) et au CHUM (Université de Montréal). La raison invoquée? Une pénurie actuelle et future de spécialistes diplômés en physique médicale capables d’œuvrer en milieu hospitalier. Les physiciens médicaux, pour la plupart, travaillent dans les centres de radio-oncologie à calculer les doses de radiation nécessaires pour traiter les tumeurs cancéreuses. Le taux de rétention de diplômés du programme de McGill ne dépassant pas les 30%, le gouvernement du Québec a été forcé de créer au CHUQ et au CHUM des programmes en langue française pour fournir les hôpitaux en personnel qualifié.
V- Conclusion
Il est temps de se questionner sur la place que doit occuper la faculté de médecine de McGill au Québec. Avec une si piètre performance, devrait-on continuer de lui allouer entre 20 et 25% des quotas au diplôme MD alors que l’Université de Montréal, avec 1,5 fois plus de quotas, forme 4 fois plus de médecins qui pratiquent au Québec? Est-il normal d’investir massivement dans les hôpitaux du MUHC (McGill University Health Centre) où seront formés environ 30% des stagiaires post-MD Québécois, dont plus de la moitié quitteront le Québec? Est-il logique de construire deux méga-hôpitaux, un pour McGill et un pour Montréal, et ainsi séparer les fonds en deux parts égales? Le Québec est-il si riche qu’il doit bénévolement former des médecins pour l’Ontario et les États-Unis?
VI – Annexe
Les auteurs ont présenté quelques résultats de cette étude lors du lancement de la coalition pour un seul CHU (unseulchu.org) qui a eu lieu le 12 octobre dernier. Le même jour, dans une entrevue accordée à la Presse canadienne, un responsable de l’université McGill répliquait en affirmant que selon une «étude canadienne récente» (la source ne fut pas citée), 66% des diplômés de McGill pratiquaient au Québec. Or, dans le meilleur des cas et en choisissant les «meilleures années», cette proportion ne peut être de plus de 54%. Il est facile de démontrer qu’il est impossible d’obtenir cette proportion de 66% d’une manière honnête avec les données statistiques disponibles. Pour faire la démonstration, nous pouvons croiser deux bases de données indépendantes.
Tout d’abord, les données de CAPER (résumés dans le tableau A1, ci-dessous) nous informent de la proportion d’étudiants en post-MD dans chacune des universités.
Il est étonnant de constater que McGill est l’université qui compte le plus d’étudiants en post-MD au Québec alors qu’on répète souvent dans les médias que la faculté de médecine de l’Université de Montréal est la plus volumineuse.
On peut également mesurer l’apport de chacune des facultés de médecine à l’aide des données du Collège des médecins.
Le tableau A2 est encore plus étonnant. L’université McGill, celle-là même qui contient le plus grand nombre d’étudiants en post-MD, n’a formé que 11,1% des médecins pratiquant au Québec, soit 3,5 fois moins que l’Université de Montréal!
Puisque l’université McGill compte 31,9% des places au post-MD, il serait logique que 31,9% des membres du Collège des médecins proviennent de McGill. Il n’en est rien. Dans le meilleur des scénarios, en supposant une certaine variabilité dans la composition des facultés et en excluant mêmeles étudiants avec visa, l’exode se situe encore au-dessus des 50%.
Nos estimés de l’exode à partir des bases de données CAPER et CMES sont donc fort probablement conservateurs. Les médecins de McGill quittent dans une proportion de 50%, au moins.
Il est quand même consternant que la meilleure défense que McGill ait pu trouver fût de prétendre que le taux d’exode de ses médecins était de 34%. Même en triturant des données probablement partielles et non représentatives, ils n’ont pu arriver qu’à un taux d’exode plus de trois fois supérieur à celui des universités de langue française. Il y a là un aveu.
Patrick Sabourin, étudiant à la maîtrise en biologie
Frédéric Lacroix, PhD