Les résultats du dernier scrutin général québécois se sont avérés plus désastreux pour les formations indépendantistes que ce qu’avaient projeté les sondages préélectoraux. Dans notre texte paru dans le dossier « Le tournant » consacré au dernier scrutin, « L’élection générale de 2018 ne scellera pas le sort de l’option indépendantiste », nous écrivions que :
Si la famille indépendantiste devait perdre la force de la représentation parlementaire qu’elle a depuis la première élection des députés indépendantistes à l’Assemblée nationale en 1970, elle se priverait alors d’un important levier pour la réalisation de son projet. Comme c’est par la voie démocratique que la fondation de la République libre du Québec devra se faire, l’élection de députés indépendantistes est cruciale.
Avec un maigre 33,161 % d’appui populaire et 20 sièges répartis entre Québec solidaire (QS) et le Parti québécois (PQ), force est aujourd’hui de reconnaître que les indépendantistes ont en pratique perdu ce levier. Cette perte est-elle définitive ? Les forces indépendantistes sauront-elles reconquérir l’électorat québécois ?
Dans les quelques lignes qui suivent, je m’attarderai à jeter un éclair très sommaire et partiel sur ces résultats. Faute d’espace, il ne me sera pas permis d’aborder d’éventuelles pistes de solution pour imaginer une suite des choses plus inspirante que ce que ces résultats laissent voir.
Les résultats de Québec solidaire
D’abord, on ne peut manquer de souligner les bons succès électoraux obtenus par QS, mieux que ce à quoi les militants mêmes les plus optimistes de cette formation pouvaient espérer en début de campagne. Qui plus est, cette formation est aussi parvenue à sortir de l’Île de Montréal où elle était cantonnée depuis ses débuts. Je laisserai de côté les raisons de cette victoire ; elles sont assurément multiples et elles ont fort certainement très peu à avoir avec l’option indépendantiste.
D’un point de vue indépendantiste, en quoi ces bons résultats électoraux rapprochent-ils du Québec de l’indépendance ? Reconnaissons d’abord qu’en raison de l’actuel mode de scrutin2, ces résultats se sont faits au détriment de l’autre formation indépendantiste, le PQ. En 2012, la division du vote indépendantiste avait privé les indépendantistes d’un gouvernement majoritaire3. Cette fois-ci, les effets de cette division se sont avérés moindres ; si elles ne s’étaient pas lancées en ordre dispersé, les forces indépendantistes auraient pu aller chercher quelques sièges supplémentaires, pour un potentiel maximal de 134. Paradoxalement, on pourrait même dire, à la vue des scores obtenus par les deux formations indépendantistes, que cette division du vote a autant fait mal à QS qu’au PQ. En effet, si le PQ n’avait pas présenté de candidats dans de nombreuses circonscriptions, le candidat QS l’aurait probablement emporté. Ce constat permet d’envisager la question de la division du vote indépendantiste dans une perspective inédite.
Mais, faisons abstraction de cette question de la division du vote. Les succès électoraux obtenus par QS, pour intéressants qu’ils soient, restent néanmoins bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour aller chercher ce dont les indépendantistes auraient besoin pour mener à terme leur projet, soit la prise du pouvoir. En raison même de la nature de ce parti, cet objectif du pouvoir est pratiquement hors de portée pour cette formation. À la différence du PQ, QS n’a jamais été un « parti de pouvoir ». Sa force réside dans le fait qu’il est davantage un « parti d’idées ».
Entendons-nous, je ne conteste pas sa légitimité ni sa pertinence dans le jeu politique québécois, mais ce parti n’est pas fait – à moins d’une métamorphose en profondeur qui semble hautement improbable – pour devenir un parti de gouvernement. Le parti de Manon Massé et de Gabriel Nadeau-Dubois est davantage un parti de contestation de l’ordre économique et politique et un parti de convictions, avec une position politique assumée à gauche, qu’un parti de coalition de joueurs provenant de différents horizons idéologiques, capables d’unir leur force pour accéder au pouvoir. C’est précisément ce caractère qui lui assure sa vitalité politique dans l’écosystème politique québécois.
Dans le cadre d’une campagne référendaire vers l’indépendance, cette formation aurait pu être appelée à jouer un rôle essentiel, celui d’agir comme une force de frappe tactique (une sorte de « force spéciale », pour employer la typologie militaire contemporaine), capable de se déployer et de mener des opérations là où les « unités régulières » du PQ auraient plus difficilement pu se déployer. L’utilité et la pertinence de cette formation dans le combat indépendantiste auraient ainsi été bien réelles. D’où l’importance stratégique de la démarche en vue de l’établissement d’une feuille de route commune vers l’indépendance négociée sous l’égide des OUI-Québec5, démarche qui a échoué, sabotée par une partie de la direction de QS. Mais dans le jeu politique électoral ordinaire, que cette formation recueille 10, 20 ou même 30 sièges ne rapprochera en rien le Québec de l’indépendance. En vérité, dans le système parlementaire qui est le nôtre, marqué par une extrême concentration du pouvoir au sein du cabinet, pour ne pas dire en la personne du premier ministre, l’influence politique dont peuvent jouir les députés appartenant aux deuxième ou troisième groupes d’opposition est pour tout dire négligeable…
Les résultats du Parti québécois
Du côté du Parti québécois, il est clair que cette formation sort grandement affaiblie de ce scrutin. En termes de vote populaire, il récolte ses pires résultats électoraux depuis l’élection de 19706.
Il est non seulement loin de la prise du pouvoir, mais même du statut d’opposition officielle, relégué au rang de tiers parti. Pire, son statut de groupe parlementaire reconnu à l’Assemblée nationale est même incertain au moment d’écrire ces lignes. Qui plus est, cette défaite signifie la perte de son statut de « vaisseau amiral » de l’option indépendantiste, statut qui avait été le sien, notamment depuis le dernier référendum et l’éclatement de la famille indépendantiste en différents partis ou mouvements. Cette perte de statut rendra certainement encore plus difficile toute tentative de rapprochement avec QS.
Enfin, et par-dessus tout, cette défaite constitue un échec cuisant de la stratégie électorale mise de l’avant par le chef Jean-François Lisée durant la campagne. Fort de la conviction que l’électorat québécois était déterminé à se « débarrasser » du Parti libéral, au pouvoir de manière presque ininterrompue depuis 15 ans, le PQ s’est présenté devant l’électorat comme la seule véritable option de rechange aux libéraux. Le PQ devait s’imposer comme le choix « naturel », puisqu’il avait déjà fait ses preuves, ayant été à la tête de l’État pendant cinq mandats depuis le dernier demi-siècle au Québec. Cette stratégie impliquait bien sûr, à nouveau, de mettre de côté en campagne la principale raison d’être de cette formation, qui est la promotion du projet d’indépendance du Québec. Or, cette stratégie a complètement échoué. Au jeu de l’alternance, le PQ s’est fait dépasser par la Coalition avenir Québec, qui a su davantage catalyser l’insatisfaction des Québécois à l’égard du gouvernement sortant. Mais plus grave encore, en taisant à nouveau l’option indépendantiste en campagne, il a contribué à accréditer la thèse de son caractère désuet et dépassé dans l’opinion publique générale. Ainsi, non seulement cette formation n’est-elle pas au gouvernement, mais l’option politique fondamentale qu’elle défend s’en sort même grandement diminuée de par sa propre faute. La voie démocratique vers l’indépendance s’en trouve maintenant gravement obscurcie.
1 17,06 % pour le PQ et 16,10 % pour QS.
2 En dépit de l’appui timide apporté par la Coalition avenir Québec en campagne à l’idée d’un changement de mode de scrutin au Québec, rien n’indique que le nouveau gouvernement de François Legault se lancera dans une telle réforme. Après tout, dans le présent système hérité du parlementarisme britannique, les 37 % d’appui obtenu au vote populaire ont permis à ce parti de récolter 74 sièges (sur 125), soit 59 % des sièges. Pourquoi dès lors cette formation voudrait-elle changer un système qui lui a été si avantageux ?
3 Louis-Gilles Francoeur, « La division du vote souverainiste a fait mal », Le Devoir, 6 septembre 2012.
4 En effet, dans 13 comtés (Abitibi-Ouest, Bourget, Labelle, Lac-Saint-Jean, Laval-des-Rapides, Maurice-Richard, Pointe-aux-Trembles, Saint-François, Saint-Jean, Taillon, Ungava, Verchères et Verdun), l’addition des votes recueillis par le PQ et QS aurait en effet permis de déclasser le candidat victorieux de la CAQ ou du PLQ. Ce potentiel de 13 circonscriptions est établi sur une hypothèse que nous reconnaissons très généreuse, et pour tout dire en pratique irréaliste, d’un report de 100 % des votes de l’une des formations sur l’autre.
5 Cette feuille de route n’était pas un pacte électoral, mais bien simplement un accord en vue de l’adoption d’une position commune sur la démarche à suivre pour conduire le Québec à l’indépendance.
6 À l’élection générale de 1970, la première pour cette nouvelle formation formée moins de deux ans auparavant, le PQ de René Lévesque avait obtenu 23,06 % des votes. En raison de la répartition des votes, ces bons résultats ne s’étaient toutefois soldés que par un maigre sept sièges. Le chef de la formation étant lui-même battu dans la circonscription de Laurier : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_g%C3%A9n%C3%A9rales_qu%C3%A9b%C3%A9coises_de_1970.
* Professeur agrégé, Collège militaire royal de Saint-Jean