Le congrès du Parti québécois (PQ) de juin 2005 approche à grand pas. À se fier aux sondages et aux erreurs monumentales du Parti libéral du Québec (PLQ), le PQ vogue tranquillement vers une victoire électorale. Ses engagements sont « presque » clairs : un nouveau référendum aura lieu si le chef croit pouvoir le gagner. Pas de référendum sans assurance morale de l’emporter.
On peut facilement le comprendre. Une troisième défaite référendaire aurait bien sûr des conséquences épouvantables. Le combat pour l’indépendance nationale serait probablement remis aux calendes grecques. Mais qu’adviendrait-il du combat pour la survie et l’épanouissement collectifs dans le contexte canadien ? Si, éventuellement, les élus péquistes décidaient judicieusement de demeurer en place, verrait-on quand même un vent démissionnaire balayer le Québec ? Le peuple québécois, minoritaire au Canada, condamné à évoluer dans le carcan canadien, à se battre sur des enjeux avec des moyens qu’il ne détermine jamais, pourra-t-il faire autre chose que négocier sa lente disparition ?
En ce printemps 2005, il est de mise de réfléchir sur l’état de la situation. Le PQ est-il aussi en avance qu’il le croit sur le PLQ, sur l’Action démocratique du Québec (ADQ) et… sur la démobilisation ? La victoire remportée par le Bloc québécois (BQ) en 2004 est-elle est indication fiable et non équivoque de la popularité de l’option indépendantiste ? L’avance de la souveraineté dans les sondages est-elle solidement ancrée ? Peut-on croire que le mandat que pourrait décrocher les troupes péquistes mènera à un référendum victorieux ?
Ce texte pose quelques éléments de réflexion. La lecture de la situation au fédéral et au provincial repose sur des mesures du vote réel et non sur les données de sondages. Ces mesures couvrent de longues périodes de façon à mettre en perspectives les données les plus récentes. Ce type de mesure permet en outre de tenir compte d’une dimension trop souvent oubliée, l’abstentionnisme. Rappelons que, dans le cas du référendum de 1995, environ 6,5 % des électeurs inscrits ne se sont pas prévalus de leur droit de vote, ce qui réduit à peu près à cette proportion l’abstentionnisme incompressible. Dépassé ce point minimum, on peut affirmer que l’abstentionnisme des autres électeurs correspond indéniablement aux perceptions des possibles offerts par le politique.
Dans le cas de la popularité de l’option souverainiste, l’examen sera effectué sur la base de données de sondages couvrant une période plus récente. Notre analyse recontextualisera ces intentions de vote en tenant compte de la démobilisation observée au provincial et au fédéral. La conclusion fera le point sur les perspectives qui s’annoncent pour les militants souverainistes, nationalistes et socio-démocrates.
Les élections fédérales de 2004 : un électorat démobilisé
Lorsque le rideau est tombé le soir du 28 juin 2004, la victoire du BQ paraissait éclatante. Avec 54 élus sur 75, ce qui représente 72 % des sièges, et 49 % des votes valides, la performance de 2004 ne peut se comparer qu’avec le triomphe du BQ en 1993. Les résultats sont en effet à peu près identiques.
Devrait-on conclure que 2004 prépare le terrain pour un futur référendum, à la manière du BQ de 1993 ? Rappelons tout d’abord le contexte de 1993. Lucien Bouchard conduisait alors les troupes du nouveau parti qu’était le BQ, né de l’échec des accords du Lac Meech (1990) et de Charlottetown (1992), vers une victoire qui rassurait les troupes et les préparait pour la suite du match référendaire. En 2004, le contexte était différent : la pluie de scandales, dont celui des commandites, l’usure du pouvoir et l’arrivée de Paul Martin, nouveau chef mais ancien ministre, de même que la faiblesse de l’opposition conservatrice sont autant d’éléments qui ont généré partout au Canada des sentiments ambivalents envers les libéraux fédéraux.
Ainsi, comme on peut le voir dans le graphique 1, la mobilisation était plus importante en 1993 qu’elle ne l’était en 2004. Lorsque l’on tient compte de l’abstention, le vote au BQ de 1993, s’élevant à 43 % des inscrits, dépassait largement celui de 2004, qui n’est que de 32 %. Il vaut la peine de souligner l’écart entre Montréal et le reste du Québec. À Montréal – il s’agit de la région métropolitaine de recensement, 45 % des électeurs –, l’écart entre le vote de 1993 et celui de 2004 est encore plus considérable. De 53 % des inscrits en 1993, le BQ en obtenait 37 % en 1997, diminuait à 33 % en 2000, tandis qu’en 2004… il demeure stationnaire.
* Estimations de 1968 à 1974 couvrant la région métropolitaine de Montréal seulement, basée sur la langue maternelle et les résultats des 31 circonscriptions électorales fédérales. Estimations non disponibles pour le Québec hors Montréal. »
On ne trouve donc, par rapport à 2000, aucune progression du BQ en 2004 à Montréal, et une progression bien modeste de 3 % hors Montréal. Dans l’ensemble du Québec, 44 % des francophones se sont abstenus de voter en 2004, contre 40 % des anglophones. À Montréal, l’abstentionnisme est encore plus élevé puisqu’il touchait 47 % des francophones, 40 % des anglophones et 53 % des allophones.
Chez les francophones, c’est surtout la pitoyable performance des libéraux (15 % des inscrits du Québec), l’insignifiance des conservateurs (5 %) et des tiers partis (4 %) qui expliquent la victoire du BQ. La défaite des libéraux, en particulier, mérite d’être soulignée dans sa dimension temporelle : des onze élections tenues de 1968 à 2004, 2004 est leur pire performance! Depuis 1984, la cote libérale ne cesse de descendre : après la chute de 1984, à 24 %, le PLC demeure sous la barre des 20 % des francophones inscrits alors qu’il obtenait 19 % des inscrits en 1988, puis 16 % en 1993 et en 1997, 19 % en 2000 et un faible 15 % en 2004. À Montréal, la marginalisation est si forte les libéraux fédéraux ne récoltent que 12 % du vote des francophones inscrits! Bref, depuis 20 ans, le PLC est insignifiant dans l’électorat francophone. Les élections de 2004 prouvent simplement que les libéraux peuvent descendre encore plus bas dans l’opinion publique québécoise.
Qui plus est, l’électorat libéral repose essentiellement sur le vote de l’élite économique, des aînés et des moins politisés. Ce n’est uniquement que grâce au vote non francophone, si dubitatif a-t-il pu être en 2004, le PLC a néanmoins produit l’essentiel des ministres qui dressent Ottawa et le Canada anglais contre le Québec. Cette dynamique est d’ailleurs celle qui marque le PLC depuis toujours.
En somme, en 2004, la démobilisation est ce qui a caractérisé les électorats francophone et non francophone. Chez les premiers le BQ l’a emporté, mais les résultats n’ont rien à voir avec ceux de 1993. Il s’agit d’une stagnation du vote bloquiste contre un léger recul pour les libéraux. On ne peut donc en déduire que la campagne du BQ en 2004 fut éclatante au point d’augurer les conditions gagnantes recherchées pour le déclenchement d’une nouvelle campagne référendaire.
Les élections provinciales de 2003 :l’extrême faiblesse du PLQ
Le 14 mai 2003, dans la défaite, Pauline Marois se consolait en voyant le nombre d’élus que le PQ avait réussi à faire élire. Avec 44 élus, ou 35 % des sièges, l’opposition peut être considérée comme forte. Et expérimentée de surcroît.
La défaite a pourtant été assez cinglante, affirme-t-on. Le PLQ l’emporte en obtenant 46 % du vote valide. Sa domination est nette puisque aucun de ses adversaires n’approche son résultat. L’avance est de 13 % sur le PQ, lui qui n’a obtenu que 33 % du vote, et de 28 % sur l’ADQ, qui n’a obtenu que 18 % du vote.
La victoire libérale est pourtant loin d’être écrasante. Un premier élément : avec 46 %, le PLQ n’obtient pas la moitié des votes valides. La majorité des électeurs y est donc opposée au gouvernement porté au pouvoir. L’élection de Jean Charest est d’ailleurs essentiellement tributaire du vote non francophone et de l’abstentionnisme. Remettons donc ce vote en perspective.
Avec 23 % du vote des francophones inscrits, le vote libéral de 2003 (voir le graphique 2) est le plus faible jamais observé chez les francophones depuis 1970 (neuf élections). On peut arguer que la situation de 2003, un tripartisme, se démarque de ce qui a été observé à partir de 1981, alors que seulement deux partis se partageaient le vote et les sièges au Québec. Mais le tripartisme de 2003 peut cependant tout à fait se comparer au pluripartisme de 1976 et d’avant. Le résultat libéral de 2003 est pire que le vote observé en 1970 et en 1973, élections qui comptaient pourtant quatre partis vigoureux (33 % du vote pour les tiers partis en 1970, 15 % en 1973 et 18 % en 1976).
Que dire du résultat du PQ de 2003 ? Avec 29 % du vote des francophones inscrits, le PQ est clairement le premier parti chez les francophones. Avec 23 %, le PLQ n’est que le deuxième parti. Il devance nettement l’ADQ, qui obtient 16 % du vote. Le portrait de la situation diffère selon qu’il s’agisse de Montréal et du reste du Québec. Comme dans le cas du PLQ, le PQ connaît une surconcentration de ses appuis chez les francophones montréalais et est plus faible hors Montréal. Il obtenait ainsi 35 % des votes des francophones inscrits à Montréal contre 25 % hors Montréal. L’inverse est vrai pour les deux autres partis. L’ADQ obtenait ainsi 14 % du vote des francophones à Montréal contre 18 % hors Montréal, tandis que le PLQ récoltait 25 % du vote francophone hors de Montréal contre seulement 19 % à Montréal.
Il reste que le vote péquiste de 2003, chez les francophones inscrits, est en baisse de 10 % par rapport à 1998 (baisse plus forte à Montréal, soit -12,5 %). En fait, il retombait, en 2003, au niveau du vote de 1973, alors que le parti était jeune et se remettait péniblement de la crise d’octobre 1970 et des manœuvres fédérales. Ceci s’explique par la remarquable démobilisation observée en 2003. Avec 33 % d’abstention (toujours chez les francophones inscrits), les élections de 2003 sont celles qui présentent la plus faible participation depuis 1970. Cet abstentionnisme, en hausse de 50 % par rapport à 1998, explique largement la faiblesse du PQ et du PLQ en 2003. Là aussi, comme au fédéral, la démobilisation est considérable. Elle n’est certainement pas un signe de santé démocratique.
L’option souverainiste
Les données présentées dans le graphique 3 proviennent du Centre de recherche et d’information sur le Canada. Elles donnent un portrait de l’évolution des intentions de « vote référendaires » de 1988 à 2004. Les données sont basées sur des sondages qui proviennent de différentes compagnies, ce qui implique formulations variables de la question et difficultés d’interprétation. Elles n’en prennent pas moins l’allure d’une série chronologique cohérente, ce qui nous intéresse ici.
On constate donc, à la lecture de ce graphique, que l’option souverainiste est en remontée depuis 2002. Avec 47 % des intentions de vote exprimées en 2004, la souveraineté n’a jamais été aussi populaire depuis 1996. Peut-on y voir l’indication de conditions gagnantes, au même moment où l’on observe les faibles performances du PQ en 2003 et du BQ en 2004 ?
La principale inconnue se rapporte à l’orientation constitutionnelle des électeurs discrets et démobilisés, ce que l’on a pu observer au provincial et au fédéral. Les intentions de vote à l’égard de la souveraineté en sont, selon toute probabilité, affectées. On sait d’une part que les sondages surestiment systématiquement ces intentions de vote de quelques points de pourcentage. On sait aussi que les débats engendrés par le déclenchement des campagnes ont pour effet de recentrer les options politiques à la hauteur des rapports de forces que l’on retrouve dans l’ensemble de la société.
Il est donc plausible que les débats d’une campagne référendaire aient pour conséquence de ranimer la ferveur fédéraliste, non seulement chez les non-francophones mais aussi chez les francophones, qui connaissent une forte désaffectation à l’égard des partis libéraux qui les représentent traditionnellement.
Conclusion
Le fait qui nous semble marquant, dans ces rapides portraits de l’opinion publique québécoise, est la faible pénétration des partis politiques actuels et la forte démobilisation. En raison de l’incertitude qui découle de cette situation, on ne peut conclure que les conditions gagnantes sont actuellement réunies simplement parce que la souveraineté approche les 50 % des intentions de vote.
La conséquence en est qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire entre l’état des choses actuel et le déclenchement d’un nouvel affrontement référendaire. En outre, approcher les 50 % des intentions de vote signifie obtenir une forte majorité des intentions de vote chez les francophones, en particulier chez ceux qui débattent du politique. Entre francophones, cela peut donner l’impression d’une vague, mais cette perception peut être trompeuse du fait qu’elle ne reflète pas la réalité vécue par l’ensemble des francophones et des non-francophones. Enfin, plus se rapprocherait la perspective référendaire, plus les partisans de l’unité canadienne, actuellement affligés par les partis libéraux, devraient se faire entendre.
Pour le moment, le principal défi du PQ est de rassembler les troupes en vue d’un référendum. L’exercice n’est certes pas facile. La démobilisation actuelle indique clairement l’existence d’un fossé le séparant des forces politiques qui devraient théoriquement en être les plus près idéologiquement. Or ce fossé découle directement de la stratégie référendaire et de ses contradictions inhérentes, éléments qui affligent le parti depuis sa fondation.
En effet, une incontournable et implacable stratégie est déjà en train de se mettre en place. Puisque le PQ n’accédera que minoritaire au pouvoir et que son objectif premier est l’obtention d’une majorité des électeurs en faveur de son projet, il lui faut faire la cour aux segments de l’électorat qu’il considère « souverainistes » et qui sont stationnés « par erreur », affirme-t-il, chez les adéquistes et les libéraux.
Les causes structurelles demeurant les mêmes, l’histoire risque encore une fois de se répéter. Dès à présent, en silences et en omissions, en promesses et en demi-mesures, le programme péquiste risque d’être dominé par un virage à droite et par le lâchage de ses militants nationalistes et socio-démocrates. Malheureusement, dans cette dynamique piégée, l’idée même de droits collectifs est abandonnée. En centrant toute l’attention sur l’après référendum, en donnant au PQ le mandat de gérer la province comme le ferait n’importe quel parti fédéraliste, la pertinence du parti fond comme neige au soleil.
Les aspirations démocratiques sont pourtant à la base du nationalisme. C’est ce dernier qui pose la question des rapports de force entre francophones et non-francophones, entre le Québec et le Canada. C’est aussi lui qui questionne l’avenir de la collectivité québécoise dans le contexte de domination politique du Canada. Sans nationalisme, le PQ n’a pas plus de pertinence que l’ADQ. Sans engagement envers les forces de démocratisation, on peut douter de la capacité du PQ de créer des liens durables avec les autres forces politiques susceptibles de porter l’indépendance.
Quelques engagements urgents pourraient témoigner d’un virage nationaliste et démocratique, dont l’un est vital. Il s’agit du rétablissement de la clause Québec quant à l’accès aux écoles primaires et secondaires. Un deuxième engagement apparaît également porteur pour la constitution d’une union sacrée. Il s’agit d’un engagement envers une profonde et véritable démocratisation tous azimuts (provincial, municipal, régional, communications) de la société québécoise. Le congrès de juin 2005 sera indicateur des succès à venir du PQ, de l’option indépendantiste, des socio-démocrates et des droits collectifs des francophones.