Au moins un procès intenté par des francophones hors Québec jusqu’en Cour suprême du Canada, et dont l’issue est attendue au plus tard cet automne, pourrait bien exposer au grand jour le vrai visage de l’ensemble de notre classe politique. L’une de ces causes en particulier – la cause Caron – est susceptible de dévoiler la veulerie des fédéralistes québécois ainsi que le persistant orangisme des élus canadiens-anglais autant que de leur électorat, et ce, juste à temps pour les prochaines élections fédérales.
En effet, depuis le référendum de 1995, le Canada anglais a conclu que la meilleure attitude à adopter face aux revendications traditionnelles du Québec était l’immobilisme complet et le refus intégral de tenir quelque discussion constitutionnelle que ce soit. Devant ce cul-de-sac, les fédéralistes québécois en ont déduit que la meilleure façon de maintenir le Canada uni n’était plus de chercher à modifier à la satisfaction des Québécois la constitution imposée de 1982, mais plutôt de ne plus rien revendiquer du tout. Mais si, dans quelques mois, la Cour suprême forçait tout ce beau monde à prendre clairement position sur la place du français a mari usque ad mare, certains pourraient ne plus pouvoir éviter de choisir un côté ou l’autre de la clôture. Et face à l’opinion publique québécoise, la déjà peu convaincante rengaine de Stéphane Dion selon laquelle on peut à la fois être fier d’être Canadien et fier d’être Québécois sans qu’il y ait de contradiction entre les deux pourrait bien perdre toute crédibilité.
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Le 4 décembre 2003 à Edmonton, Gilles Caron, un camionneur québécois vivant en Alberta, tourne à gauche sur un feu rouge de façon jugée « non sécuritaire ». Interpelé par la police, il se voit remettre une contravention unilingue anglaise. Cinq jours plus tard, M. Caron conteste la validité de cette contravention parce qu’elle n’est pas bilingue. Il demande un procès en français. Un autre Franco-Albertain, Pierre Boutet, entamera la même contestation.
Cette démarche leur a sans doute été inspirée par celle de Georges Forest, un Métis francophone du Manitoba. Ayant contesté jusqu’en Cour suprême la validité d’une contravention de stationnement de 5 $ unilingue anglaise en faisant valoir les engagements pris à l’endroit des Métis lors de la création de la province du Manitoba en 1870, Forest a convaincu la Cour suprême de déclarer inconstitutionnelle la loi de 1890 abolissant le bilinguisme manitobain. Ce jugement de 1979 eut pour effet de restaurer le statut du français en tant que langue officielle au Manitoba. Les Franco-Manitobains vénèrent ce grand chef de file de leur communauté qui a aussi cofondé le Festival du Voyageur de Saint-Boniface en 1970. Un projet de monument est en cours en hommage à l’homme décédé le 14 février 1990.
En 2008, les Albertains Caron et Boutet gagneront leur cause devant la Cour provinciale, mais perdront en 2009 devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, puis en 2014 devant la Cour d’appel de l’Alberta. « Je me sens dans une province où les dirigeants sont anti-français, où on veut nous assimiler, où on veut que le français disparaisse1», a alors déclaré Gilles Caron. Persévérants, son codemandeur et lui ont été entendus le 13 février dernier par les neuf juges de la Cour suprême, dont sept ont été nommés par Stephen Harper.
L’argumentaire historique constituant la plaidoirie des avocats de MM. Caron et Boutet a été développé par Edmund Aunger, politologue au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. À l’époque où la Compagnie de la Baie d’Hudson était propriétaire de la Terre de Rupert aujourd’hui formée de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, les services publics, les lois et les tribunaux étaient bilingues. Les francophones y étaient majoritaires. Lorsque le gouvernement de John A. Macdonald annexe unilatéralement la Terre de Rupert, occupée depuis des générations entre autres par des Métis, et qu’il en réattribue des lots à des colons orangistes ontariens, les Métis se rebellent. Pour les pacifier, le gouvernement canadien négocie avec le gouvernement provisoire de Louis Riel. En 1869, la reine Victoria émet une Proclamation royale garantissant « que sous l’union avec le Canada, tous vos droits et privilèges civils et religieux seront respectés », incluant le statut officiel du français. Mais en 1870, une toute petite partie de la Terre de Rupert devient la province bilingue du Manitoba alors que le reste formera les vastes Territoires du Nord-Ouest, sous tutelle fédérale.
En 1890, les Anglo-Saxons seront devenus majoritaires et le Manitoba abolira l’article 23 de l’Acte du Manitoba assurant le bilinguisme dans la province.
C’est cette violation de l’Acte du Manitoba de 1870 que la cause Forest fera déclarer inconstitutionnelle en 1979, près d’un siècle plus tard. Et la beauté de l’argumentaire développé par Edmund Aunger, c’est la prétention selon laquelle la Proclamation royale de 1869 n’a jamais perdu sa valeur constitutionnelle lorsqu’en 1905 furent créées les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan. Fruit de nombreuses années de recherches d’Edmund Aunger, le mémoire de Pierre Boutet retrace même « l’envoi par le fédéral de trois émissaires de la Couronne à la Rivière-Rouge qui s’adresseront à 1000 personnes réunies au Fort-Garry pendant deux jours en janvier 18702. » Si Caron et Boutet gagnent leur cause, ces deux provinces devront adopter toutes leurs lois dans les deux langues et traduire en français toutes les lois votées depuis 1905 ! Et le droit pourra y être pratiqué en français. Les lois que ces deux provinces se sont jadis votées pour se proclamer unilingues anglaises deviendront caduques et seul un amendement constitutionnel pourra leur éviter le bilinguisme législatif et judiciaire. C’est là que la chose devient très intéressante !
Il ne faut pas sous-estimer la charge émotive que soulèverait en Alberta et en Saskatchewan une victoire de Caron et Boutet l’automne prochain. Le sentiment anti-français dans l’Ouest a des racines profondes. Commissaire scolaire de la Seine (Manitoba) à partir de 1975, Roland Vallée a fréquenté une petite école de campagne à l’époque où l’enseignement du français était durement réprimé.
Nos inspecteurs d’école étaient des francs-maçons. […] Quand j’étais en 3e année, l’un deux, M. Peterson, a visité notre petite école Beaudry. Il a trouvé un de mes livres de français et il l’a frondé par la fenêtre. […] Quand le français est illégal et qu’on déteste ta langue et ta religion, ça fait dur. Pas de French, pas de livres en français et surtout, pas de crucifix3 !
Quant à Marie-France Kenny, actuelle présidente de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, elle se souvient que « Dans les années 1950, en Saskatchewan, le KKK venait brûler des croix devant nos écoles. Les bonnes sœurs se cachaient pour nous enseigner le français4. »
Rappelons aussi qu’en 1982, au moment où le Manitoba se voit forcé par la Cour suprême de traduire en français toutes ses lois depuis 1890, le gouvernement provincial cherche à négocier avec la Société franco-manitobaine (SFM) le troc de cette gigantesque dépense contre une amélioration des services en français dans certains ministères. La population anglophone n’en est pas moins outrée. Les locaux de la SFM sont incendiés. Le président de la SFM, Léo Robert, puis sa femme Diane recevront alors des menaces de mort, suivies d’une lettre anonyme les prévenant que leurs enfants ont été suivis depuis l’école pour connaître leur adresse et qu’il pourrait arriver malheur aux bambins si la SFM persiste dans ses revendications. Pour leur sécurité, Léo et Diane Robert devront quitter leur maison de la rue Saint-Jean-Baptiste et envoyer leurs enfants à l’extérieur de Winnipeg. Devant cette vive tension, le gouvernement renoncera à améliorer les services en français. Mais en 1985, la cause Bilodeau, plus ambitieuse que la cause Forest sur l’invalidité des lois unilingues anglaises, triomphe aussi en Cour suprême. Ce n’est qu’en 1989 que le gouvernement manitobain adoptera sa « politique des services en langue française » dans des régions désignées.
En Alberta et en Saskatchewan où le bilinguisme fédéral est déjà fort mal perçu, il est tout à fait concevable qu’une victoire de la cause Caron-Boutet puisse provoquer un ressac politique considérable. Même le gouvernement fédéral a plaidé contre les Franco-Albertains et Fransaskois, lors de sa comparution du 13 février dernier devant la Cour suprême, ce qui a « dégoûté5 » le président de l’association canadienne-française de l’Alberta, Jean Johnson, et la présidente de l’Assemblée communautaire fransaskoise, Françoise Sigur-Cloutier. « Merci à nos grands partenaires et défenseurs nationaux, charmants dans le discours, impitoyables dans les actes6 », a ironisé le chroniqueur Jean-Pierre Dubé dans le plus que centenaire hebdomadaire franco-manitobain La Liberté.
Mais à la lumière de la jurisprudence récente, plusieurs jugent très possible une victoire de Caron et Boutet. L’éditorialiste du Devoir Josée Boileau rappelait l’an dernier qu’alors que les deux juges de la Cour d’appel de l’Alberta se sont bornés à constater l’absence de garantie écrite de protection du français dans les lois de la province au moment de sa création, la Cour suprême, elle, a récemment « su dépasser une lecture littérale de la loi pour tenir compte des engagements de la Couronne britannique et donner ainsi prise aux demandes des premiers habitants du territoire canadien7. » Elle rappelle cependant qu’à l’opposé, le plus haut tribunal du pays :
[…] avait rendu [en 2013] une décision d’une grande insensibilité dans une cause qui opposait la Colombie-Britannique au Conseil scolaire francophone de cette province. En s’appuyant sur une loi britannique de 1731, la Cour statuait que tous les documents, même un simple dépliant !, déposés devant les tribunaux de la province devaient être traduits. L’effet était dévastateur pour le Conseil scolaire dont la documentation interne, qui devait servir en cour, était en français8.
Mais « dans bien des causes, les tribunaux ont reconnu un aspect “réparateur” à l’article 239 » de la Charte canadienne des droits et libertés, souligne Pierre Foucher, juriste de l’Université d’Ottawa.
Cette notion de « réparation » est une admission implicite, par certains juges à tout le moins, de 80 ans de répression des francophones hors Québec par toutes les provinces canadiennes-anglaises via de sévères lois anti-écoles françaises. L’électorat canadien-anglais est cependant à des années-lumière d’admettre quelque tort que ce soit, à tel point que tout élu canadien-anglais est parfaitement conscient de la nature politiquement suicidaire de la plus infime expression de regret en cette matière. Bien au contraire, les provinces de l’Ouest ont habilement su faire de la sacro-sainte Charte un levier d’assimilation.
Depuis 1982, le fameux article 23 définit comme un « ayant droit » tout enfant dont au moins un des parents est de langue maternelle française ou a étudié à l’école primaire française au Canada. Tout ça bien sûr, « lorsque le nombre de ces enfants le justifie ». En 1991, le démographe Michel Paillé, du Conseil de la langue française, analysait le recensement fédéral afin de dénombrer et d’identifier les ayants droit à l’éducation en français ou en anglais. Il a pu constater qu’au Canada anglais, « seulement 51 % des enfants qui ont droit à l’instruction à l’école française sont de langue maternelle française », et 25 % en Alberta. Quand l’un des parents était non-francophone, seulement 9 % des ayants droit s’étaient vu transmettre le français par l’autre parent (4 % en Alberta). Dans leur lutte pour attirer les ayants droit et les refranciser, les écoles françaises homogènes, sous-financées, subissaient la concurrence déloyale des écoles d’immersion et des écoles anglophones… et ont perdu.
En effet, selon Michel Paillé, seulement la moitié des ayants droit des provinces anglophones fréquentaient l’école française. En Alberta, un maigre 8 % des ayants droit s’en prévalaient, si bien que « le nombre de ces enfants le justifiait » de moins en moins. Et comme le relevait à juste titre Michel Paillé, « contrairement aux francophones hors Québec qui peuvent perdre leurs droits constitutionnels d’une génération à l’autre, les écoliers québécois admissibles, en vertu de la Charte de la langue française, à recevoir l’enseignement en anglais transmettent leurs droits acquis à leurs descendants même s’ils choisissent librement d’étudier en français ». Comme c’est encore souvent le cas, un ayant droit albertain que ses parents envoient à l’une des écoles d’immersion de sa province parce qu’il vit trop loin des écoles françaises – sept fois moins nombreuses en 1991 –, perd ce droit pour ses descendants. Depuis des décennies, ces écoles d’immersion dérobent donc aux écoles françaises la masse critique d’ayants droit qui force les gouvernements provinciaux à assurer aux francophones l’éducation dans leur langue.
L’autre tare des écoles françaises hors Québec est le sous-financement chronique. Les piètres conditions d’enseignement qui y règnent poussent d’ailleurs de nombreux parents francophones à préférer envoyer leurs enfants aux rutilantes et spacieuses écoles anglaises toutes proches, ce qui constitue un puissant effet assimilateur. Or, c’est exactement ce qu’a unanimement reconnu la Cour suprême le 24 avril dernier, statuant que l’éloignement, la vétusté et la qualité très inférieure des installations de l’école Rose-des-Vents de Vancouver violaient l’article 23 de la Charte. Les francophones de Vancouver ayant dû faire face à la criante mauvaise foi du gouvernement britanno-colombien, leurs trop nombreuses années de démarches puis de recours judiciaires leur donnent vraiment des airs de Claude Robinson.
Et encore, les arguments présentés par la Colombie-Britannique devant la Cour ne peuvent qu’évoquer un troublant parallèle entre le mépris de cette province pour sa communauté francophone et celui qu’ont trop longtemps exprimé certains états du sud des États-Unis pour les Noirs. En effet, dans l’historique cause Oliver Brown, et al. v. Board of Education of Topeka, et al. de 1954, les Afro-Américains du Kansas sont parvenus à mettre fin à la ségrégation scolaire en convaincant la Cour suprême du pays que l’état misérable, la surpopulation et l’éloignement des écoles réservées aux Noirs violaient la Constitution. Que plaidaient ce Board of Education du Kansas il y a 60 ans et la Colombie-Britannique aujourd’hui ? Des coûts trop élevés. De leur côté, plutôt que de se rendre en autobus à des écoles lointaines et décrépites, les francophones de Vancouver et les Noirs de Topeka aspiraient à se rendre à pied à une belle école moderne du quartier. La seule différence est que les Noirs du Sud américain demandaient l’accès aux bonnes écoles des Blancs tandis que les francophones de l’Ouest canadien revendiquent des écoles séparées – à l’abri de l’assimilation linguistique –, mais offrant une expérience éducative de qualité équivalente à celle des anglophones. C’est cette même disparité de traitement récurrente qui, le 31 mai dernier, vient de pousser l’Association des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick à traîner le gouvernement de cette province devant les tribunaux.
La Cour suprême du Canada a été saisie d’une autre cause marquante : celle de la Commission scolaire francophone du Yukon qui réclame le droit d’admettre à son unique école, située à Yellowknife et servant une communauté de 1700 personnes, des non-ayants droit, comme des francophones assimilés de longue date ou des immigrants francophones ne détenant pas encore la citoyenneté canadienne. Au grand désarroi des plaignants, cette affaire a été renvoyée en première instance pour cause de soupçon de partialité d’un juge adjoint de la Cour suprême du Yukon. Mais la commission scolaire y voit la « clé pour réparer les torts de l’assimilation10 », ce à quoi se sont opposés les gouvernements du Yukon et… du Québec ! Le gouvernement Couillard craint en effet que cette extension du droit d’accès à l’école par des non-ayants droit ne vienne à s’appliquer aux écoles anglaises du Québec. Cette intervention de la ministre québécoise de la Justice Stéphanie Vallée a scandalisé plusieurs représentants des francophones de l’Ouest qui s’attendaient plutôt à ce que Québec les appuie et invoque « l’exception québécoise11 ». Comment en effet les Anglo-Québécois pourraient-ils profiter d’un jugement découlant de l’intention de « réparation » des torts de l’assimilation, eux qui représentent 8,3 % de la population québécoise alors que selon les données du ministère de l’Éducation de 2011, 25 % des étudiants fréquentent les universités anglaises et 18 % des collèges anglais12?
Comment pourraient-ils réclamer la parfaite symétrie pancanadienne alors que selon Marc Termote, professeur au département de démographie de l’Université de Montréal, « Les allophones de l’île de Montréal choisissent quasiment à parts égales l’anglais et le français, alors que le poids démographique des francophones est le double de celui des anglophones – 53,0 % contre 25,3 % » et qu’il faut donc en déduire que « [l]a force d’attraction de l’anglais est deux fois plus élevée que celle du français13 » ?
Il semble que pour le gouvernement libéral de Philippe Couillard, déroger au statut de province comme les autres afin de soutenir l’épanouissement du français dans le « Rest of Canada » risque sans doute de trop nuire à l’unité canadienne. Il fallait d’ailleurs entendre Félix Rhéaume, porte-parole du ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes Jean-Marc Fournier, prendre tout ce beau monde pour des imbéciles en déclarant, le 22 janvier dernier, que « Pour nous, l’amélioration de l’accès des services en français pour les minorités francophones est de la première importance14. »
Mais revenons à l’impact politique que pourrait avoir une victoire de la cause Caron. Le 1er avril dernier, le cas de l’avocat québécois Frédéric Allali ayant fait l’objet d’une plainte du Barreau après avoir écrit à la juge Karen Kear-Jodoin une lettre critique parce qu’elle avait rédigé en anglais son jugement sur une cause entièrement plaidée en français a fait réaliser aux Québécois que le bilinguisme judiciaire était bel et bien en vigueur dans leur province15. Voilà cependant un ordre des choses que le Canada anglais ne nous envie pas. Ainsi, pour se défaire de l’obligation d’instaurer le bilinguisme législatif et judiciaire, l’Alberta et la Saskatchewan devraient demander à Ottawa de procéder à un amendement constitutionnel. En effet, en vertu de l’article 43 de la formule d’amendement de la constitution de 1982, les dispositions applicables à certaines provinces seulement ne peuvent être modifiées que par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province concernée. Cet article s’applique notamment aux modifications des dispositions relatives à l’usage du français ou de l’anglais dans une province. Cela signifie que pour ainsi se moquer de la Cour suprême et des francophones des Prairies, les gouvernements de l’Alberta et de la Saskatchewan devraient d’abord voter majoritairement en faveur d’un nouveau reniement des droits constitutionnels des francophones, bafoués pendant plus d’un siècle. Ces provinces devraient ensuite obtenir la collaboration des députés fédéraux du parti au pouvoir, incluant ceux du Québec et possiblement d’autres francophones afin d’adopter cette trahison et l’expédier de la même façon au Sénat.
Il va sans dire que chacune de ces étapes présente un potentiel de crise politique. Or puisqu’il est fort possible que le jugement de la Cour suprême soit rendu public avant les prochaines élections fédérales, tout un chacun des partis fédéraux risque de devoir céder à l’opposition du groupe linguistique majoritaire du Canada pour préserver ses chances de former le prochain gouvernement. Tous les partis sauf un : le Bloc québécois, qui aurait tout intérêt à en faire un enjeu de campagne. Le parti souverainiste ne pourrait alors que profiter politiquement du lamentable spectacle de fédéralistes québécois contraints à respecter la ligne de leur formation politique, au sein duquel les francophones sont minoritaires, afin de préserver leur allégeance partisane et leur avenir en son sein. Il faudrait alors que les Québécois leur fassent clairement savoir que leur complaisante participation à cette nouvelle Nuit des longs couteaux, à cette seconde pendaison de Louis Riel, les mènerait au chant du cygne de leur carrière politique. Mais les Québécois en auraient-ils la force ?
Professeur au département des sciences humaines à la section histoire à l’UQTR, Laurent Turcot soutenait récemment :
Il faut se rappeler qu’on n’aime pas la chicane. Il n’y a pas beaucoup d’engueulades politiques dans les familles. On dit souvent à la blague que si on pousse un Québécois dans le coin du mur, il va prendre la forme du coin du mur plutôt que de rebondir et frapper. Le Québécois considère qu’il doit s’adapter. C’est peut-être dû à notre passé colonial. Ça serait à évaluer, mais c’est une hypothèse16.
D’autres sont plus revendicatifs. En 1988, le gouvernement du Canada présentait des excuses officielles pour l’internement de ses citoyens d’origine japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. Il en a fait de même en 2010 pour ses citoyens d’origine italienne ayant subi le même sort. En 2006, c’est aux Sino-Canadiens que le Parlement s’est excusé pour l’imposition de la « Chinese Head Tax » visant à barrer la route aux immigrants chinois, considérés alors comme une menace au « caractère aryen de l’avenir de l’Amérique britannique » par le premier ministre John A. Macdonald. Et en 2008, c’est aux Autochtones que le gouvernement canadien a solennellement demandé pardon pour les abus commis dans les pensionnats autochtones pendant près de 100 ans. La Commission de vérité et réconciliation a qualifié ces pratiques de « génocide culturel » le 2 juin dernier. Ces mots lourds de sens avaient été prononcés deux jours auparavant par nulle autre que la juge en chef de la Cour suprême, Beverly McLachlin.
Mais ce génocide culturel n’est pas le seul à avoir été perpétré au Canada. Quand donc l’Assemblée législative de l’Ontario s’excusera-t-elle aux Franco-Ontariens pour le règlement 17 de 1912 ? Et la Nouvelle-Écosse pour la « Tupper Law »de 1864 ? Et le Manitoba pour la loi Greenway de 1890 ? Et toutes les autres provinces anglophones sans exception ayant restreint ou interdit l’enseignement en français pendant des décennies ? À voir la mauvaise foi et l’acharnement judiciaire de ces gouvernements provinciaux contre leurs communautés francophones, ce n’est pas demain la veille. q
1 « L’unilinguisme de l’Alberta et de la Saskatchewan en Cour suprême », Tiphanie Roquette, www.ici.radio-canada.ca, 7 février 2015.
2 « L’occasion de se taire », Jean-Pierre Dubé, La Liberté, 25 février 2015.
3 « Roland le vétéran », Daniel Bahuaud, La Liberté, 27 mai 2015.
4 « La francophonie à rude école », Philippe Orfali, Le Devoir, 7 février 2015.
5 « Estomaquant, renversant », Daniel Bahuaud, La Liberté, 25 février 2015.
6 « L’occasion de se taire », Jean-Pierre Dubé, La Liberté, 25 février 2015.
7 « Encore se battre », Josée Boileau, Le Devoir, 2 août 2014.
8 Idem.
9 « La francophonie à rude école », Philippe Orfali, Le Devoir, 7 février 2015.
10 « L’enseignement du français au Yukon devant la Cour suprême », Agence France Presse, www.ici.radio-canada.ca, 21 janvier 2015.
11 « Québec s’oppose aux minorités francophones », Philippe Orfali, Le Devoir, 22 janvier 2015.
12 « Les universités anglophones financées démesurément », Collectif de professeurs d’université, La Presse, 22 février 2013.
13 « L’anglais très attrayant pour les allophones », Judith Lachapelle, La Presse+, 1er juin 2015.
14 « Québec se met à dos les minorités francophones », Philippe Orfali, Le Devoir, 23 janvier 2015.
15 « Une décision en français svp », Claudia Berthiaume, Le Journal de Montréal, 1er avril 2015.
16 «Un peu de politesse, bordel ! », Marco Fortier, Le Devoir, 11 avril 2015.