« Nous ne voulons pas changer de pays, nous voulons changer d’époque ». Cette phrase qui sonne comme un slogan qui aurait pu être harangué lors d’une manifestation ou d’une action directe, par une nébuleuse anticapitaliste ou par un collectif altermondialiste, voire un courant de l’écologie radicale, a été prononcée en décembre 2018 par Carles Puigdemont.
Elle n’a pas été formulée pour clore un discours, ni à l’occasion d’une conférence de presse, ou d’une assemblée, mais en réponse à une des questions les plus agressives qui ont fait suite à sa communication dans le cadre de la semaine des peuples organisée par l’association étudiante O.S.B.41 et le cercle de réflexion Presenza Paolina2 que j’anime (et dont le président d’honneur est le professeur Jean-Louis Fabiani) dans les locaux de l’Université de Bordeaux. Cette phrase, décochée telle une flèche de Parthes, est arrivée en conclusion de sa réponse à une jeune étudiante Erasmus. En guise de question, elle exposait un florilège d’attaques directes à l’endroit de l’ancien président de la Generalitat.
L’étudiante égrenait une sorte de litanie acerbe sur la position de ce dernier qu’elle jugeait égoïste, car elle déséquilibrait tout le système (institutionnel, européen et économique) d’une part et sur le caractère du référendum consultatif qu’elle considérait comme étant un acte « séditieux » de l’autre. En résumé par « leur égoïsme bourgeois », les Catalans étaient responsables de la conjoncture qui mène l’Espagne droit à la division, pire au chaos économique ; même la montée des ethnopopulistes d’extrême droite de VOX était, selon cette étudiante, un peu le résultat de la pression qu’exerçaient les souverainistes catalans sur le jeu politique espagnol.
En tant que modérateur, je m’attendais à ce que monsieur Puidgemont, en tant que leader politique du PDeCaT3, évite avec la maestria de l’avocat de répondre à cette prospective dystopique qui rendrait, toujours selon cette étudiante, la question catalane responsable des maux que rencontre la société espagnole dans son ensemble. Au contraire, il répondit à tous les chefs d’accusation en montrant chaque fois combien le système institutionnel était des plus enlisés, voire des plus dysfonctionnels. Il ajouta qu’à l’image des autres démocraties européennes, l’Espagne rencontrait à la fois une crise de la représentation partisane et une crise économique et donc conclut par cette formule qui ouvrait plus vers un certain apaisement et une volonté réelle de pacification du conflit que vers une confrontation avec les pouvoirs publics castillans.
Donc, selon l’ex-président de la Généralitat, ce n’est pas un projet sécessionniste qui se serait massifié à l’automne 2017. Malgré les apparences (du reste souvent trompeuses) véhiculées par les réseaux sociaux et dues au traitement médiatique de la situation, il ne désire pas rentrer dans une lutte de libération nationale classique, comme jadis le proposaient les indépendantistes basques, irlandais ou corses, mais plutôt ouvrir la voie à un projet nouveau d’émancipation sociale et populaire des régions « enclavées » dans le modèle territorial des États unitaires européens.
Travaillant sur les revendications et les protestations nationalistes usant d’un répertoire de violences politiques et étant spécialisé sur le cas des mouvances indépendantistes en Corse, je ne m’étais pas trop intéressé sur le plan des national building européens au cas catalan. Il est vrai que la comparaison de mon objet de recherche était plus tournée vers les groupuscules armés de l’IRA en Irlande du Nord et de l’ÊTA au Pays basque, que vers les autonomistes modérés de Catalogne.
En revanche, en tant que politologue, j’ai pu m’apercevoir que depuis 2014, à l’instar de la Corse (et accessoirement de l’Écosse et du Pays basque), en Catalogne, est apparu dans le champ politique local plusieurs transformations sociétales et politiques résultant des mêmes remises en question, c’est-à-dire du système partisan en général et du modèle institutionnel des États unitaires en particulier. Aussi, au lieu d’axer ma réflexion sur l’unité nationale espagnole en péril ou pire, en mettant en confrontation cette volonté d’autodétermination avec les questions d’une hypothétique division allant vers une sorte de Catalexit programmé qui viendrait en résonnance au Brexit, je propose d’aborder cette question dans un autre sens ou plutôt dans l’autre sens.
Et si finalement, la « question catalane » posait, premièrement, les bases du défi institutionnel que le modèle territorial des États unitaires doit résoudre pour ne pas disparaitre du champ politique mondial ? Et, de fait, deuxièmement, et si cette « question catalane » devenait ainsi, sur le plan démocratique et citoyen du moins, le catalyseur d’un autre défi, plus grand encore, à savoir la reconnaissance de(s) droit(s) des minorités nationales (et/ou régionales) dans les sociétés pluralistes en général ?
Le nationalisme catalan est un phénomène ancien, il n’est pas apparu à l’automne 2017. À l’image des autres cas européens, il suit le même cheminement linéaire depuis le XIXe siècle. Porté à la fois par une sorte de romantisme ou de nationalisme culturel (le catalanisme), il ne s’inscrira dans le champ politique que lors de l’entre-deux-guerres. En effet, le catalanisme sera massivement mobilisé lors de la Seconde République (1931-1939) au point que, pour plusieurs spécialistes, cette contribution catalane permettra l’évolution institutionnelle et politique du pays dans sa globalité. En d’autres termes, le catalanisme va devenir un acteur politique majeur et sa place sera nodale lors de la conduite de certaines modifications institutionnelles importantes qui auront pour la plupart toutes des répercussions sur le reste du pays en (re)construction. Ostracisé du jeu politique par le franquisme, le catalanisme s’associera aux différents projets de démocratisation postfranquiste de sorte que, de petites touches en petites touches, il va se structurer pour, enfin, devenir la force politique dominante, voire majoritaire, de la Catalogne d’aujourd’hui.
Premièrement, depuis la réforme du Statut d’autonomie 2006, le changement observable est que le catalanisme, historiquement autonomiste, est devenu indépendantiste. C’est lors de l’élection du 25 novembre 2012 que ce phénomène va prendre racine dans la revendication d’autodétermination. D’abord portée par la société civile et ensuite relayée par le Parlement de Catalogne sur le plan politique. L’objectif étant d’ouvrir en novembre 2014 sur une vaste consultation populaire.
Cette situation se réalisa en deux étapes : d’une part la popularisation du phénomène impulsée par la société civile, et, d’autre part, le résultat des élections autonomiques qui ont donné une majorité favorable au droit à l’autodétermination au Parlement4.
Au-delà de ce double phénomène politique, les experts notent que c’est la crise économique de 2005 qui a amorcé la progression fulgurante des mouvances indépendantistes dans le champ politique et non une velléité ou une volonté séparatiste ou scissionniste. Si je prends en compte maintenant les intentions relevées dans les sondages d’opinion, j’observe cette volonté de changement est croissante. En effet, force est de voir que, depuis 2006, une grande majorité d’électeurs catalans soutient l’idée du statu quo et du fédéralisme (asymétrique) ; de sorte que l’on peut noter que déjà en 2013 l’hypothèse d’une indépendance de la Catalogne va même dépasser 45 % dans différents sondages5.
Mon hypothèse de lecture est que le nationalisme légal ou d’opposition6 (c’est-à-dire basé sur la compétition électorale dans le but de faire changer le système) depuis l’élection régionale de 2012, en termes de discours politique, touche une grande partie de la société catalane au-delà des militants de base et, sur le plan de la représentation, plusieurs élites sont de plus en plus introduites durablement dans la société civile, notamment par le truchement de l’Assemblée nationale catalane (qui réunit plus de 80 000 citoyens de la société civile). En fait, en moins d’une décennie, le pouvoir de résilience et d’adaptation aux contingences sociales et politiques font de l’indépendantisme catalan une véritable force politique manifeste d’opposition aux partis traditionnels.
En d’autres termes, je pense que nous pouvons affirmer que la dimension politique des nouveaux responsables de la région de la péninsule Ibérique, pour ces prochaines années, dépasse la création d’un regroupement symbolique, voire idéologique, d’une simple force de gouvernement. Avec le renouvellement de confiance lors des dernières élections et le poids des manifestations populaires, force est d’admettre, que dans l’esprit des citoyens, les élus nationalistes ont vocation d’agir profondément et durablement au cœur de la vie politique locale et donc d’aller au-delà du discours nationaliste pour apporter notamment des réponses ad hoc aux différentes crises sociales et politiques.
C’est pourquoi j’observe qu’au-delà de la victoire électorale et de sa confirmation sur le plan de l’initiative référendaire à l’automne 2017, le nationalisme catalan est assurément devenu, pour plusieurs citoyens déçus de la démocratie représentative, l’aboutissement d’un processus d’émancipation sociale et de massification populaire (et citoyenne). Ce phénomène touche l’ensemble de la « classe moyenne » catalane. On pourrait peut-être même y voir les balbutiements de l’édification d’une « petite nation » au sens de Miroslav Hroch7.
Dans ses travaux sur les nationalismes, l’historien et politologue tchèque définit l’existence d’un processus ou d’une dynamique dans l’émergence de certains mouvements nationalistes européens qui, selon moi, éclaire parfaitement le cas catalan d’aujourd’hui. En effet, selon cet historien du politique, un mouvement national traverse généralement trois phases de mobilisations sociales et politiques. Un peu comme une valse en trois mouvements. Une « phase A » qui se caractérise par l’apparition d’un intérêt pour la culture catalane (le catalanisme), le folklore de « la minorité opprimée », cette première phase peut ne pas avoir de répercussions sur le champ politique.
La « phase B » se distingue par l’apparition « d’une minorité agissante ». Celle-ci est souvent constituée, au départ du moins, par un petit groupe de militants qui éveille la conscience nationale du peuple afin de la transférer dans le champ politique. Cette période est repérable le 14 avril 1931, et encore plus précisément au moment de l’adoption du statut catalan d’autonomie en 1932, soit quatre ans avant le Pays basque. De là vont émerger toutes les forces autonomistes et nationalistes catalanes. Lluis Companys est assurément l’image tutélaire de cet autonomisme naissant.
Enfin, la « phase C » est celle où le discours nationalitaire est relié par un nombre croissant de militants et de sympathisants. Le projet nationaliste connaît alors une diffusion de masse à travers toutes les couches du corps social. La catalogne a flirté plusieurs fois avec cette dernière phase, pour, me semble-t-il, se trouver, aujourd’hui, de plain-pied devant un processus d’émancipation sociale et de massification du nationalisme.
Sur le plan de la représentation politique, les mouvances autonomistes et indépendantistes ont connu une forte progression électorale au point qu’elles s’imposent dans le paysage politique et au cœur de l’opinion publique comme l’unique alternative aux forces classiques en perte de vitesse élective, car jugées incapables de proposer aux Catalans (et aux Espagnols) des solutions politiques relatives aux crises actuelles. Si je compare maintenant cette réalité catalane au cas corse d’aujourd’hui, on peut très vite observer que le degré de faisabilité de l’autodétermination des insulaires avec presque 57 % aux dernières élections régionales est certes rentré lui aussi dans une phase de massification (sociale et politique)8, en revanche le régionalisme économique de l’île n’a pas atteint le niveau de la réalité économique catalane. C’est, selon moi, cette situation économique régionale qui a permis aujourd’hui une plasticité idéologique entre le catalanisme, un certain populisme de gauche et les forces nationalistes dominantes.
De plus, le poids de la société civile catalane, conjugué à une certaine forme de massification populaire de la revendication indépendantiste, a permis à un nouveau catalanisme populaire d’exister en dehors du catalanisme institutionnel et bourgeois d’antan. En d’autres termes, le processus d’émancipation sociale et de massification populaire du nationalisme catalan ne fait que commencer à se dessiner dans la vie quotidienne des Catalans et dans l’imaginaire collectif des indépendantistes.
Deuxièmement, depuis 2006 les Catalans cherchent des moyens efficaces pour apporter, en amont du politique, des réponses aux citoyens afin qu’ils abordent différemment le système qui impose au pouvoir local actuel de nouvelles postures politiques. Sorte de processus de réappropriation collective des institutions politiques locales ou régionales, l’idée qui anime les nationalistes est de faire reconnaître la question catalane dans un cadre politique plus large, mais pas forcément plus complexe.
En effet, j’observe, de plus en plus, que le point d’achoppement de la revendication d’émancipation passe non pas par la lutte de la reconnaissance d’une singularité, mais par l’imposition au système global d’un droit à la reconnaissance des minorités régionales, ce même droit à la diversité nationale que rencontrent par définition tous les États dits pluralistes. Ce phénomène généralisé de reconnaissance culturelle des minorités est intrinsèquement lié à des questions relatives au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et donc au droit à l’autodétermination à proprement parler.
Ainsi, les Catalans montrent, depuis 2017, que la clé du problème est institutionnelle, elle ne passe pas ou plus par la voie habituelle d’une confrontation, ou d’un bras de fer avec le pouvoir central, mais plutôt par des luttes constitutionnelles intrinsèquement liées à la reconnaissance des diversités nationales évoluant dans des sociétés dites multinationales et démocratiques. Les Catalans, comme les exemples des Corses, des Écossais, des Irlandais, et même des Québécois (mais aussi des communautés autochtones au Canada et ailleurs) montrent clairement que les questions inhérentes aux droits à l’autodétermination subissent aujourd’hui une réorientation fondamentale, sorte de changement d’échelle de sens.
En effet, il me semble clairement observable que pour tous les cas cités ci-dessus, les sociétés démocratiques et multinationales (France, Espagne, Grande-Bretagne, Canada, etc.) s’avèrent incapables de gérer pleinement les questions intimement liées aux diversités régionales et/ou aux minorités nationales. La France, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie, et plus loin le Canada sont toujours enferrés dans « l’immobilisme agissant » du droit de l’État.
Cette (ré)orientation est perceptible dans la situation catalane, mais aussi dans le nationalisme corse et même québécois, et il paraît être la clé pour que le nationalisme catalan puise « changer d’époque ». En conséquence, le processus d’émancipation doit passer par l’obligation fonctionnelle de l’État central de devenir le lieu de rapports égalitaires avec, et entre, les citoyens. Sa légitimité est (ou doit être) une réponse aux besoins actuels des minorités nationales et/ou des nations minoritaires.
En Espagne, les anciens mécanismes de reconnaissances ethnoculturelles mis en place par les institutions de l’État central espagnol ont atteint une limite fonctionnelle et institutionnelle. Cette limite est causée par l’impossibilité du droit commun de l’État à répondre de façon définitive et permanente à des revendications identitaires spécifiques. Sur le plan social et politique cette impossibilité, ou limite, résulte principalement de la pluralité des luttes pour la reconnaissance. En revanche, ce concept s’articule sur deux visions distinctes du problème identitaire au sens des régimes constitutionnels pluralistes actuels.
D’une part, la reconnaissance d’identités particulières est trop complexe, car les identités sont changeantes et donc on ne peut raisonnablement se satisfaire de solutions constitutionnelles définitives et immuables. Le cas catalan transpire ce constat d’immobilisme. D’ailleurs, n’est-ce pas la situation actuelle en Catalogne ? N’est-ce pas la situation actuelle en Écosse ? N’est-ce pas la configuration qu’offrent les 57 % de votes pour l’union des nationalistes aux élections régionales de 2017 en Corse ?
D’autre part, il existe au cœur même des stratégies identitaires une certaine intersubjectivité qui consiste à revendiquer une forme de reconnaissance particulière, par exemple celui d’être Catalan, et, en même temps, à répondre à des demandes de citoyenneté de même nature que n’importe quel citoyen espagnol. Ce qui fausse un peu la lecture de la revendication, qui se retrouve basée sur le droit à la différence et à la singularité tout en étant enferrée dans une démarche égalitariste avec les autres régions. En d’autres termes, la compétition pour l’obtention d’une certaine forme de reconnaissance peut être selon le philosophe et juriste James Tully « comprise comme une activité de dévoilement et de prise en considération mutuels ».
Pour finir ma réflexion, j’ajouterai que le droit à la reconnaissance passe par le dialogue et qu’il est par conséquent inhérent à l’altérité. L’enjeu primordial n’est donc pas la reconnaissance, mais la liberté (ou la volonté) d’être, c’est-à-dire la liberté (ou la volonté) des membres d’une société de changer les règles (constitutionnelles ou coutumières) de la reconnaissance mutuelle au rythme des mutations de la société (altérité, Europe, mondialisation, crises, etc.) que subit leur propre identité (nationale et locale).
Cette liberté prend corps dans le droit à l’autodétermination des peuples. Cependant, ce droit à l’autodétermination, du moins dans sa forme juridique, est souvent perçu comme une simple opportunité pour une communauté de choisir un statut constitutionnel, c’est-à-dire le cadre politique le plus juste ou le plus égalitaire dans le droit de l’État central. Nulle constitution ne peut être consensuelle si elle ne tient pas compte des volontés de tous les citoyens. C’est pourquoi la question du droit à l’autodétermination aujourd’hui prend un tout autre sens en Europe.
Les Catalans demandent maintenant que cette activité intersubjective de reconnaissance mutuelle soit inscrite dans la structure de base de la société espagnole, car, comme l’affirmait le philosophe Cornélius Castoriadis, « une société autonome ne peut être instaurée que par l’activité autonome de la collectivité ».
En guise de conclusion
En Catalogne la famille nationaliste a profité ou bénéficié d’une contestation du tout politique. Ce phénomène politique revêt un intérêt particulier, dans la mesure où l’espace du politique se voyait confisqué aux indépendantistes, peut-être plus encore qu’ailleurs. Aussi, l’objectif nodal de cette petite contribution fut de montrer que le pouvoir de représentation sociale et populaire du courant nationaliste actuellement aux commandes de la région catalane permet de poser clairement la question de l’autodétermination des Catalans en termes de conscience nationale « par le bas ».
En ce sens, j’ai essayé de montrer que c’est dans l’imaginaire collectif des citoyens de la péninsule ibérique que l’idée d’un processus d’autodétermination redonne vie au discours d’indépendance et non l’inverse comme certains de mes collègues essaient de le démontrer. Depuis 2017, ce projet d’autodétermination est devenu auprès d’une grande majorité de l’opinion publique catalane (et européenne) le seul viable, car il semble permettre de sortir de la crise économique et partisane sans créer une destruction de l’unité de la nation espagnole (ou plutôt de la nation espagnole unitaire).
En effet, j’ai essayé de montrer que face à une telle massification populaire du nationalisme catalan, l’État pour garder son unité, doit proposer à la Catalogne plus d’autonomisation de son territoire et celle-ci ne peut passer que par plus de législation d’initiative citoyenne et surtout par une vraie ou réelle législation constitutionnelle aménageant le modèle territorial de l’État unitaire fortement décentralisé depuis 1978 en un État régional espagnol ou plutôt en un État de régions autonomiques qui aurait vocation à devenir (con)fédératif voire multinational, car mêlant et entremêlant droit commun, droit coutumier, faits différentiels et fédéralisme (asymétrique).
De plus, j’ai également, tenté de souligner que les nationalistes catalans entendent proposer pour tous les citoyens le seul projet de société qui réponde directement aux vagues de mécontentements engendrées par l’épuisement de la société espagnole face à la crise sociétale (économique, financière et sociale) et aujourd’hui sanitaire. Mais j’ai aussi rappelé que cette alternative aux partis classiques jugés par les Catalans comme étant incapables de proposer des solutions aux crises (sociale, économique et politique) actuelles est une réalité que connaissent l’ensemble des États européens (France, GB, Espagne, accessoirement Italie et Belgique) où existent des régions à forte identité locale (Corse, Nouvelle-Calédonie, Irlande du Nord et Écosse, Catalogne, Pays basque, etc.).
Enfin, j’ai tenté de rappeler que depuis 2017, la question catalane met en lumière une chose : l’enjeu n’est plus d’établir des formes de reconnaissance juridiques (permanentes ou figées dans le temps), mais au contraire de s’assurer que la démocratie régionale constitutionnelle demeure ouverte aux différents projets d’émancipation sociale et politique des minorités régionales que constituent les Catalans aujourd’hui, et peut-être, effet domino oblige, demain les Corses, les Écossais et pourquoi pas les Québécois ?
En revanche, une dernière question me taraude : ne doit-on pas voir dans cette volonté d’émancipation sociale et populaire des Catalans non pas une simple volonté d’indépendance, mais tout simplement l’expression citoyenne d’un degré concret de faisabilité d’autodétermination tendant vers plus de décentralisation administrative et de régionalisation politique ? Les différentes crises (économiques, financières, climatiques) et l’urgence écologique inhérentes notamment à la pandémie de la COVID-19 nous donneront surement de nouvelles réponses concernant la gestion des territoires régionaux pour les États unitaires décentralisés européens.
1 C’est une association étudiante qui œuvre depuis 2006 à la promotion de la culture au sein de l’Université de Bordeaux. http://osb4.blogspot.fr/
2 Créé en 2016 ce cercle de réflexion travaille sur toutes les questions relatives aux minorités et au droit à la reconnaissance des identités. Il réunit plus de 380 personnes (chercheurs, intellectuels, citoyens lambdas, etc.) du monde entier et a déjà organisé plus de 9 universités populaires (en Corse, à Bordeaux et au Québec) et plusieurs cafés populaires. https://www.facebook.com/Presenza-Paolina-Le-Webzine-641312579394930
3 Parti démocrate européen catalan.
4 Sur les 135 députés élus au Parlement catalan, 107 étaient issus des forces politiques qui soutenaient dans leurs programmes le droit à l’autodétermination (CiU, ERC, PSC, ICV-EUiA, CUP). De plus, toutes (à l’exception du PSC) incluaient dans leurs programmes électoraux soit la « sécession » soit « l’avènement d’un État » catalan.
5 Cf. les différents données et baromètres divulgués par le Centre d’études d’opinion (Centre d’Estudis d’Opinió, CEO : ceo.gencat.cat).
6 C’est-à-dire basé sur la compétition électorale et dont le but principal est de faire changer le système à l’inverse du « nationalisme de résistance » qui lutte frontalement (violence, mouvements sociaux, manifestation, etc.) contre l’État définit en tant que colonisateur.
7 In Social Preconditions of National Revival in Europe. A comparative analysis of the Social Composition of Patriotic Groups among the Smaller nations. Cambridge University Press, 1985, p. 23 et ss.
8 Le 17 décembre 2015, avec la victoire historique à l’élection territoriale, le courant nationaliste est devenu la première force politique de l’île. Cette victoire électorale est le résultat d’un rapprochement entre deux formations distinctes sur le plan idéologique (les autonomistes et les indépendantistes) et pourtant proches sur le plan programmatique. Ce phénomène électoral sera renforcé avec plus de 56 % aux élections régionales de décembre 2017, la victoire aux législatives de 2016 (trois députés sur quatre) et enfin aux Européennes de 2018 (un député).
* Chargé de cours à l’Université de Bordeaux, chercheur associé à Institut de recherche Montesquieu (IRM)de l’Université de Bordeaux