Le régime est toxique. Les contraintes intériorisées effacent progressivement les repères. Comme un poison inoculé à petite dose, la résignation s’immisce dans les façons de voir, dans les manières de penser la condition commune au point de refouler le débat public dans l’insignifiance béate. Merci à l’ineffable Éric Girard qui patine sur la bottine ! Merci au clientélisme crasse de François Legault et de tout son gouvernement. Avec encore un peu d’effort, ce n’est pas à l’Ontario que le Québec ressemblera dans tous ses rattrapages, mais bien à une république de bananes.
Il faut leur rendre grâce à ces têtes heureuses qui se gaussent de diriger le Québec comme une « business, une grosse business ». Ils pratiquent une espèce particulière de politique de la terre brûlée. Ils sont en train de finir de faire cramer le régime. Les crises se multiplient, elles gagnent en ampleur, elles s’incrustent de manière lancinante, ruinant inexorablement les assises du statu quo. C’est un gouvernement qui est en train de détruire la politique provinciale, de la rendre à sa plus simple expression, à la promotion de la démission collective, au renoncement à toute idée de dépassement, au piétinement de l’idée même de destin national.
Où que le regard se tourne, le délabrement caquiste se décline dans le registre de la résignation.
En culture, l’effondrement des médias, la désarticulation des instances de médiation et de transmission, l’attentisme agenouillé devant Ottawa.
Sur le plan linguistique, les demi-mesures s’empilent dans les officines où rien n’est négligé pour éviter d’aborder le surfinancement des universités anglaises.
En éducation, où les écoles ne finissent plus de régresser vers la quatrième vitesse, celle de l’occupationnel pour faire semblant de se soucier de la jeunesse en l’enfermant jusqu’à seize ans dans des locaux délabrés où les professeurs se font disputer leur rôle par des « adultes autorisés », sorte de gardiens de sécurité adoubés par les technocrates.
En santé, où les soins privatisés ne cessent de gangrener le système sous les déclarations anesthésiantes d’un ministre qui prend ses tableaux de bord pour des panneaux-réclame.
En immigration, où le refus de s’assumer le dispute à l’envie de se dissoudre en se cachant derrière un paravent de rhétorique et des chiffres que même la ministre a du mal à concilier avec ses atermoiements.
En transport, où la pensée de la ministre est aussi mobile que les élucubrations de son premier ministre, louvoyant avec l’agilité d’un dinosaure piétinant la Grande Allée.
En finance, où la Caisse de dépôt est dévoyée par des élites encore enivrées des lendemains de veille à Davos.
En énergie, où le gouvernement se fait « un projet de société » de transformer Hydro-Québec en centre d’encans.
C’est partout. C’est la gouvernance métastatique.
Partout le régime ne livre que ce qu’il peut seulement livrer : l’émiettement de l’intérêt national et l’engourdissement de toute conscience d’exister pour soi. Ce gouvernement ne s’en rend pas compte, mais il se transforme chaque jour davantage en fossoyeur du régime. Tout ce qu’il touche vire en démanche, ce que le Québec contrôle comme ce qu’il subit. C’est un mandat qui va mal finir, car l’incompétence, la soumission au statu quo et le refus de faire les ruptures qui s’imposent en viendront à bout. Le modèle provincial autorisé a atteint la fin de sa vie utile. Les redressements qui s’imposent pour sauvegarder les acquis et les faire évoluer au rythme des changements sociaux et des défis imposés par les mutations en cours lui sont ou bien inaccessibles dans le cadre budgétaire ou bien inconcevables dans l’ordre provincial. C’est une condamnation au chaos que le clientélisme acharné lui impose de surcroît. Le régime exsangue ruine toute possibilité de produire encore des alibis. La pensée « mon ‘onc » est en train de faire la démonstration que sans l’indépendance c’est la folklorisation assurée. Le gouvernement Legault est à son insu un formidable instrument pédagogique.
À la différence de ses prédécesseurs qui servaient le Canada en parvenant tant bien que mal à faire croire qu’ils y voyaient quelque chose (un destin ?), les gérants de la province caquiste ne trompent plus personne. Ils ont beau faire semblant d’y croire, ils ne peuvent plus convaincre qu’ils portent autre chose que la soumission. La foire aux illusions est terminée. Alors que jusqu’à il y a peu, ces élites résignées pouvaient encore tenter de (se) convaincre que la régression nationale pouvait être sans douleur, ce que le Québec est en train de devenir le dément chaque jour. Elles bradent l’héritage, gaspillent le formidable potentiel du Québec en le livrant à une succursalisation éhontée, en lui faisant un destin d’apatride dans sa propre maison.
C’est le vertige existentiel qui gagne, avec la médiocrité qui l’accompagne. La souffrance sociale que cela inflige est de plus en plus difficile à maquiller. Ce que nous pouvons et ne faisons pas, ce que nous avons et n’assumons pas, ce que nous avons rêvé et qu’ils ne cessent d’oblitérer, tout cela est désormais mis en jeu avec une évidence qu’il appartient aux indépendantistes de transformer en défi collectif. Il faut un immense redressement, un effort de renouvellement qui n’est envisageable que dans le cadre d’un projet d’émancipation nationale. La reconfiguration des institutions, le sauvetage des services publics et la poursuite des objectifs de justice sociale sont tout simplement impossibles à concevoir et encore moins à réaliser dans le cadre de la politique minoritaire. C’est une affaire d’élan vital. Et nous en sommes capables.
Au moment d’écrire ces lignes, rien ne laisse présager de l’issue des négociations avec le secteur public. Les grèves auront révélé une colère qui dépasse largement l’insatisfaction quant aux conditions de travail : elles ont exprimé une souffrance et le refus de s’enfermer dans la condition d’humilié. C’est parce qu’il est dans la nature de la pensée « mon’onc » de renoncer à tout sens de l’État, d’invoquer la « capacité de payer des payeurs de taxes » pour mieux sacrifier aux dieux du marché, aux vertus du privé. Les contraintes qu’évoque la très canadian Sonia Lebel sont celles que le gouvernement provincial a intériorisées. Gouverner le Québec avec les moyens que le Canada lui laisse, c’est nécessairement accepter de rapetisser notre État. Et transformer la médiocrité et les solutions bancales en occasions d’affaires pour les parvenus qui feront leurs choux gras de la disette des autres. Jamais la fierté ne s’accommode de l’indignité.