La question nationale, une question sociale

Michel Roche
Éditions Liber 2024
extrait en primeur du chapitre 14
« Un état québécois à réaffirmer »

Chapitre 14
Un État québécois à réaffirmer (extrait)

Jusqu’ici, nous avons cherché à illustrer l’interconnexion entre solidarité nationale et solidarité sociale. En fait, il s’agit de bien plus qu’une interconnexion entre deux éléments perçus par la pensée comme séparés au départ. Il serait plus exact d’écrire que la solidarité nationale, en dehors par exemple d’une situation de guerre contre une puissance étrangère, est l’une des formes que prend la solidarité sociale. La nation doit ici être entendue comme communauté politique (ou communauté de citoyens) caractérisée par un vouloir-vivre collectif, par l’identifi cation à des institutions communes, un territoire, un État. Certes, la nation ne constitue pas l’unique forme de collectivité politique. L’Union européenne en est une variante supranationale qui, en raison sans doute du néolibéralisme qu’elle cherche à imposer depuis quelques décennies, n’arrive guère à dépasser les identités nationales au profit d’une identité européenne. Le Brexit, soutenu par de larges secteurs des milieux populaires britanniques, a opposé un démenti sévère aux discours associant l’UE au progrès et à la dissolution des États nationaux. Le néolibéralisme pratiqué par les États espagnol et britannique contribue également à discréditer ces derniers aux yeux des nations minoritaires qui les composent. Au Québec, nous l’avons vu, le néolibéralisme appliqué au cours des dernières années avec plus ou moins de zèle selon la conjoncture politique a contribué à affaiblir tant le mouvement indépendantiste que l’identification au Québec, particulièrement du côté de la gauche et de la jeunesse. Une telle situation ne profite d’ailleurs aucunement aux luttes sociales, en dépit des appels à délaisser la question nationale pour se concentrer sur le reste.

Dans la perspective d’un changement axé sur le progrès sociopolitique et environnemental, l’indépendance du Québec constitue l’un des plus formidables leviers pour forcer tant le Québec que le Canada à se redéfinir. Pour reprendre les mots de Gilles Gagné, le « Canada est un montage institutionnel d’origine impériale où tout a été fait, ab initio, pour minimiser l’effet de la participation populaire à la politique parce qu’on y redoutait les sociétés déjà existantes1 ». L’État canadien, faut-il encore et encore le rappeler, a été fondé sur l’oppression, à des degrés variables, des Premières Nations, des Inuits, des Métis et des francophones dans le cadre d’un projet d’appropriation des ressources de cet immense territoire – fourrures, bois, terres arables, mines.

L’exploitation des ressources naturelles, qui représentait encore plus de 12 % du PIB canadien au troisième trimestre de 20212, se heurte aujourd’hui non seulement aux populations qui y font obstacle, mais également aux prétentions environnementalistes des gouvernements canadiens. Le commerce interprovincial relevant de l’État fédéral, c’est encore lui qui impose oléoducs et gazoducs au moment où l’urgence climatique exige une renonciation graduelle à l’exploitation des hydrocarbures, particulièrement ceux qui proviennent des sables bitumineux et de l’exploitation du schiste. Le développement régional est trop souvent tributaire de l’extraction des ressources. Réduire la dépendance à ce modèle ne se réalisera pas en laissant les prétendues lois du marché régler le problème à la place des personnes concernées.

L’indépendance du Québec donnerait le coup de grâce à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et forcerait la refondation de ce qui resterait du Canada. On peut difficilement imaginer cette transformation tout en conservant les structures politiques actuelles. La perspective de l’indépendance du Québec, en dépit de son atonie des dernières années, demeure encore la première menace contre l’intégrité de l’État canadien tel que nous le connaissons. Autant les Premières Nations doivent poursuivre leur propre combat pour la défense de leurs droits, de leur autonomie, de leur autodétermination, autant la nation québécoise doit aller de l’avant avec le sien. L’émancipation des uns nourrit toujours celle des autres. L’inverse demeure tout aussi vrai. Encore faut-il créer les conditions indispensables à la reprise du combat.

Jacques Beauchemin plaide le combat contre la dépolitisation qui affecte la nation québécoise, dans le but de l’inscrire à nouveau dans l’action historique orientée vers son éventuelle émancipation3. On ne peut cependant y arriver sans remettre en place, d’une manière sans doute renouvelée, ce qui a précisément favorisé la politisation de la nation canadienne-française puis québécoise. Le lien que nous avons mis en évidence entre la politisation du sujet québécois et le virage keynésien assorti de la construction d’un État providence n’a été possible que grâce aux batailles menées par le mouvement ouvrier québécois dans les années 1940 et 1950. Pendant que l’État québécois de l’après-guerre demeurait accroché à des principes remontant au dix-neuvième siècle, l’État canadien s’activait à la modernisation/restructuration du pays. Une telle situation ne pouvait durer, rendant impératives au Québec des réformes institutionnelles majeures. Les contradictions qui se sont alors révélées ont nourri la dynamique de politisation.

Plus tard, le néolibéralisme a contribué à produire le résultat inverse, la dépolitisation de l’identité québécoise. Beauchemin mentionne une série de causes à la crise du mouvement indépendantiste, dont certaines – sinon toutes – sont plus ou moins liées aux particularités du capitalisme actuel :

Au nombre de celles-ci, les effets d’une mondialisation qui tend à effacer les frontières, la pluralité culturelle des sociétés qui se reconnaissent de moins en moins dans une culture rassembleuse, le discrédit jeté sur les métarécits identitaires, la montée en puissance de l’individualisme et d’une société des identités ou encore l’influence d’une culture de masse dont la diffusion est facilitée par de puissants réseaux de communication numériques4.

Ces mutations, comme il le rappelle lui-même, affectent toutes les sociétés. J’ajouterais que les attaques perpétrées contre un État partiellement discrédité dans sa volonté ou capacité de résoudre les problèmes qui se posent ont forcément produit certains effets sur la sensibilité politique de la population et sur l’éclatement identitaire. L’individualisme tant décrié n’est sûrement pas tombé du ciel.

L’époque actuelle témoigne de réactions diverses à la diffusion accélérée des rapports marchands dans différentes sphères de l’existence. Elles peuvent prendre la forme du communautarisme – religieux, ethnique ou autre –, de l’étatisme, du populisme autoritaire, du nationalisme conservateur ou progressiste, du militantisme internationaliste, etc. Certaines peuvent entraîner des conséquences fort détestables. Mais dans bien des cas s’exprime plus ou moins consciemment une aspiration à la reconquête de la souveraineté, de la démocratie et de la solidarité par l’entremise du plus puissant instrument encore à la disposition des peuples : l’État national. Les mouvements sociaux prennent certes davantage qu’autrefois une dimension internationale compte tenu du caractère global de certains enjeux, en particulier l’environnement, mais l’impuissance ou l’absence de volonté de l’État national sont plus souvent qu’autrement prises pour cible.

Prenons l’exemple du projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel de la compagnie GNL, au Saguenay. Dans sa forme, ce projet s’inscrivait pleinement dans la mondialisation de l’économie capitaliste. Les capitaux étaient essentiellement étatsuniens, la matière première, extraite en Alberta et en Colombie britannique, devait être acheminée par gazoduc au Saguenay et le produit fini était destiné, selon la compagnie, aux marchés européens et asiatiques. Il n’en demeure pas moins que la bataille décisive pour ou contre le projet s’est déroulée sur le terrain politique québécois et canadien. Québécois d’abord puisque la décision finale revenait au gouvernement du Québec, même si Ottawa a joué un certain rôle. Évidemment, les réseaux de solidarité internationale pour organiser la mobilisation contre le changement climatique conservent toute leur importance. Elle va même s’accroître. Il n’empêche que l’essentiel de la lutte, dans ce qu’elle a de plus décisif, se situe d’abord et avant tout dans l’espace politique de l’État-nation. Les délibérations démocratiques ne sont encore possibles, actuellement, qu’à cette échelle. La gouvernance supranationale est loin d’avoir atteint le niveau potentiel ou réel de démocratie qui se pratique ou peut se pratiquer formellement dans des territoires clairement délimités avec les institutions appropriées. Et il n’est question ici que de démocratie libérale, avec toutes les limitations qu’elle implique.

La conjoncture actuelle me semble particulièrement propice à la réhabilitation de l’importance de l’État. Il ne s’agit pas tant de l’État comme appareil répressif ou comme instrument d’une technocratie. L’État est ici perçu comme un champ de lutte entre différents intérêts dont certains agissent en fonction d’une certaine idée du bien commun, comme ce fut le cas avec l’émergence de l’État providence ou avec l’impôt progressif. Certes, l’État n’est jamais neutre dans la mesure où il se veut l’ultime garant du cadre général d’accumulation du capital. Mais il ne se réduit pas non plus au rôle de simple instrument parfaitement contrôlé par les classes dominantes.

L’échec patent du néolibéralisme pousse les États à adopter des mesures qui en minent les fondements. La crise environnementale et les écarts de revenu de plus en plus indéfendables exigent une régulation tant à l’échelle des États que du monde entier. Cette nécessaire renonciation à la société de marché apparaîtrait utopique si elle n’était défendue qu’au sein d’une gauche déjà affaiblie depuis plusieurs années. Or, elle l’est également chez d’anciens zélateurs du néolibéralisme, de même que chez certains représentants des classes possédantes, y compris parmi les plus puissants détenteurs de capitaux. Cette volonté de « civiliser » le capital, toute illusoire qu’elle soit à long terme, permet néanmoins un retour du balancier apte à favoriser la repolitisation de l’économie, qui ne doit plus apparaître aux yeux de l’opinion publique comme le produit de lois naturelles auxquelles il faudrait se soumettre. L’efficacité à répandre cette croyance en des lois naturelles pourrait sans doute être considérée comme le plus grand succès du néolibéralisme sur le plan idéologique.

La crise du néolibéralisme a d’ores et déjà commencé à produire ses effets. Les gouvernements ont entrepris de changer de discours. Certes, des batailles devront avoir lieu pour modifier significativement l’ordre des choses. Une transformation plus fondamentale – par exemple la remise en question d’un régime fondé sur l’accumulation du capital – exige une période plus ou moins longue de politisation à travers l’expérience de durs combats politiques. C’est pourquoi il serait plus réaliste de concevoir, de manière transitoire, une sorte de réhabilitation du rôle de l’État dans l’économie et la société, mais aussi des initiatives citoyennes, des organisations démocratiques locales et régionales, des coopératives et autres institutions pour réencastrer l’économique dans le politique, pour reprendre Polanyi. On peut y voir une « variante douce » du libéralisme économique, comme Louis Gill a qualifié le keynésianisme, face à la variante radicale néolibérale5. Si une telle réaction au néolibéralisme se concrétise peu en importe la forme, elle pourra ouvrir l’horizon des possibles.

Au Québec, un tel virage apparaît comme l’occasion privilégiée de rapprocher les diverses composantes du mouvement indépendantiste. L’indépendance ne pourra se réaliser avec la seule aile gauche, ou la seule aile droite, du mouvement qui la porte. L’unité des forces indépendantistes était telle à l’époque pré-néolibérale que des créditistes pouvaient coexister avec des socialistes réformistes au sein du même parti, le Parti québécois de l’époque adhérant plus ou moins aux principes de l’interventionnisme étatique et de l’État providence. La conciliation des sensibilités des uns et des autres n’était pas insurmontable. Avec le néolibéralisme, la situation a changé de façon dramatique. À l’exception d’une poignée d’irréductibles qui a toléré toutes les humiliations, la gauche a quitté le parti. La même chose s’est produite du côté de l’électorat. Un espace s’est ainsi libéré pour la gauche, dont les groupuscules existants ont pu fonder Québec solidaire et faire élire des députés. La droite autonomiste, incarnée par l’Action démocratique du Québec (ADQ), a su gagner des appuis avec quelques éléments issus du pq. La diminution constante des appuis à ce parti l’a ensuite amené à tergiverser entre la droite, bientôt incarnée par la Coalition Avenir Québec (CAQ), et la gauche, représentée par Québec solidaire. Le Parti québécois agissait comme une organisation à la recherche d’un quelconque marché électoral. On l’a vu franchement campé à droite sous Pauline Marois, favorable à l’exploitation pétrolière, à la cimenterie de Port-Daniel, avec pour mantra qu’il faut « créer la richesse avant de la distribuer ». Le virage à gauche proposé par Jean-François Lisée n’a guère convaincu l’aile droite, de plus en plus attirée par la CAQ, alors que la gauche n’y voyait plus qu’hypocrisie électorale. Ces tergiversations ont fini par démoraliser tant la droite que la gauche du PQ, sur fond d’abstentionnisme record.

À défaut de développer la solidarité nationale par l’entremise de politiques actives de développement et d’améliorations de l’État providence, il ne reste que les questions dites identitaires ou culturelles qui, dépouillées de tout projet de société, apparaissent aux yeux d’une partie de la population, surtout à gauche, comme éminemment suspectes, qu’on croit, à tort, dirigées contre des minorités. On pourra toujours, chez les inconditionnels, reprocher à cette gauche-là (ce n’est pas la seule) d’exiger certaines conditions à l’indépendance. Il n’en demeure pas moins que son appui est nécessaire, tout comme celui des personnes provenant de l’immigration plus ou moins récente. En Catalogne, nous l’avons vu, le mouvement indépendantiste reçoit des appuis diversifiés parce qu’il puise autant à gauche qu’à droite – le nationalisme traditionnel fondé sur l’identité – et se nourrit d’un rejet du néolibéralisme du gouvernement central. La montée du Oui au référendum québécois de 1995 provenait d’une mobilisation des mouvements sociaux face à un patronat fédéraliste. La droite n’aurait jamais pu l’emporter seule. Se séparer d’un pays développé faisant partie des plus vieilles démocraties libérales et où le niveau de vie compte parmi les plus élevés du monde demande beaucoup plus qu’un rappel de la conquête de 1760, de la répression des patriotes, du recul de la langue française ou des données sur le déséquilibre fiscal.

S’il est indéniable que le Québec, comme communauté nationale, se trouve dans un carcan qui l’empêche de faire les choses d’une manière reflétant les intérêts et valeurs de la majorité, cette situation n’est pas forcément perçue ainsi à l’échelle des individus. En ce sens, la question nationale québécoise est difficilement comparable à celle d’une colonie où la seule aspiration à la liberté politique suffit à mobiliser un peuple. Les puristes de l’indépendance doivent tenir compte de cette réalité s’ils veulent faire des gains. Il ne s’agit pas nécessairement d’élaborer un projet de société fortement marqué par la tradition socialiste – l’avenir demeure toujours ouvert – mais de procéder à la reconstruction de l’État en profitant de la conjoncture nouvelle et des perspectives qui semblent s’ouvrir avec la crise du néolibéralisme, comme on commence à le constater dans plusieurs pays.

L’élection de Trump en 2016 et certaines décisions prises par son administration témoignent de l’essoufflement du néolibéralisme et de son rejet par l’électorat. Le droit des entreprises privées de poursuivre des États, présent dans plus de trois mille accords commerciaux, ne figure plus dans le nouvel accord de libre-échange (ACEUM) conclu entre les États-Unis, le Canada et le Mexique pour remplacer l’ALENA. Plusieurs pays se sont prononcés contre ce mode de règlement des différends entre investisseurs et États, au nom du respect de leur souveraineté6. Assistons-nous à l’érection d’une barrière politique à l’expansion des rapports marchands ?

Aux États-Unis, le Parti démocrate affiche plus que jamais sa division entre une aile qui veut renouer franchement avec le keynésianisme et l’État social – notamment en renforçant le régime public d’assurance-maladie – et une aile plus modérée. Élu en 2020, le président Joseph Biden cherche à mettre en avant un vaste programme de dépenses publiques pour les infrastructures et les politiques sociales. Il a également multiplié les initiatives visant à réduire la concurrence fiscale à l’échelle mondiale de manière à augmenter, dans tous les pays, l’impôt des firmes multinationales à un seuil minimal de 15 %. Même si cette mesure apparaît largement insuffisante, il faut néanmoins en souligner l’importance symbolique.

En Grande-Bretagne, on peut souligner l’échec patent de la première ministre Elizabeth Truss et sa démission après seulement quarante-cinq jours, en octobre 2022. Ses propositions de diminuer les impôts des plus riches et de reporter une hausse de la contribution fiscale des entreprises a déclenché une crise financière désastreuse et une crise politique au sein d’un Parti conservateur contraint de remettre en cause les dogmes autrefois appliqués par Margaret Thatcher.

En 2021, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel a été attribué à des économistes ayant fait la démonstration qu’une hausse du salaire minimum n’impliquait pas forcément une baisse de l’emploi, contrairement à la croyance néolibérale, faisant dire à Paul Krugman que « ce prix n’est pas politique, mais ses implications politiques sont évidentes7 ». Le gouvernement libéral de Justin Trudeau, élu en 2015, a rompu avec l’un des dogmes néolibéraux en renonçant à l’équilibre budgétaire, se limitant à ne faire baisser que le rapport de la dette au PIB. Aux élections de 2019, il a promis de poursuivre dans la même direction8. Il a tenu les mêmes propos dans le cadre de sa réélection en 2021. Sur le plan fiscal, de 2015 à 2018, il a procédé à une redistribution de la richesse du haut vers le bas, ce qui aurait profité à la « classe moyenne » (qui représente ceux qui gagnent entre 75 % et 150 % du revenu médian) et aux catégories de revenu plus faible, en particulier les ménages avec enfants9. L’offensive keynésienne tous azimuts accélérée au cours de la pandémie l’a amené à mettre en place une mesure, en vigueur depuis 2022, accordant dix jours de congés de maladie payés aux travailleurs du secteur privé sous juridiction fédérale.

Réélu en septembre 2021 à la tête d’un gouvernement minoritaire, Justin Trudeau compte sur l’appui du NPD pour poursuivre son offensive dans les programmes sociaux. Mal avisé, le premier ministre François Legault avait alors ouvertement donné son appui aux conservateurs d’Erin O’Toole, contribuant ainsi à faire paraître l’État fédéral comme plus progressiste que celui du Québec. Mais l’électorat québécois a refusé de suivre le chef de la CAQ et premier ministre dans cette direction, malgré sa popularité personnelle.

Sombrant dans le désespoir politique à la veille d’élections qui lui ont valu le pire résultat de son histoire plus que centenaire, le Parti libéral du Québec lui-même, sous la direction de Dominique Anglade, s’est mis à proposer des mesures progressistes tranchant nettement avec celles de son prédécesseur Couillard. Même si ce nouveau discours s’est trouvé sans doute imprégné d’hypocrisie électorale, il faut y voir un signe très sérieux de changement de contexte.

Quoi qu’il en soit, la question nationale restera à l’ordre du jour, et ce pour plusieurs raisons. Le régime fédéral canadien a placé le Québec dans une position d’infériorité. Le peuple québécois est encore plus qu’avant réduit au rang de minorité et le pouvoir fédéral se renforce sans cesse et empiète sur les pouvoirs des provinces. Pour les provinces anglophones, cette situation ne pose pas de problème majeur puisque le gouvernement fédéral est déjà contrôlé par la majorité. Ce n’est pas le cas des Québécois, qui ne contrôlent que l’Assemblée nationale du Québec. Le Canada anglais s’est constamment opposé aux revendications du Québec. La situation ne pourra aller en s’améliorant du fait de la diminution du poids du Québec dans l’ensemble canadien. D’ailleurs, depuis les années 1990, le Québec effectue des choix électoraux sur la scène fédérale contrastant fortement avec ceux du Canada anglais. De 1993 à 2011, il a élu une majorité de bloquistes, alors que le Canada anglais choisissait les libéraux puis les conservateurs. En 2011, il envoyait à Ottawa une écrasante majorité d’élus du NPD, tandis que les autres provinces persistaient à appuyer Harper.

La preuve est faite que le Canada anglais peut s’offrir des gouvernements majoritaires sans le Québec. Cette perte d’influence de la seule province majoritairement francophone est appelée à s’accentuer puisque la représentation du Québec à la Chambre des communes diminue constamment.

Il en est de même pour le Sénat, institution non démocratique mais dotée d’un pouvoir réel de blocage. Depuis 1867, le Québec est représenté par vingt-quatre sénateurs, tout comme l’Ontario. Mais à l’époque, on comptait soixante-douze sénateurs. Aujourd’hui, ce nombre est de cent cinq. La présence du Québec a donc aussi tendance à diminuer à la Chambre haute.

Extrait de La question nationale, une question sociale, Michel Roche, éditions Liber, 2024



1 G. Gagné, « La pensée environnementale québécosolidaire », dans P. Dubuc (dir.), Ce qui nous délie, p. 60.

2 Statistique Canada, « Indicateurs des ressources naturelles, troisième trimestre de 2021 ».

3 J. Beauchemin, Une démission tranquille, p. 128-129.

4 Ibid, p. 182.

5 L. Gill, Le néolibéralisme, p. 13.

6 C. Vaillancourt, « Le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) », dans Réseau québécois sur l’intégration continentale, Le libre-échange aujourd’hui, p. 26-27

7 P. Krugman, « Doing economics as if evidence matters ».

8 M. Cornellier, « Bye bye déficit ! ».

9 L. Godbout et J. S. Gosselin, À qui ont profité les mesures fédérales ciblant la classe moyenne ?

L'Action nationale – Numéro de mars 2024

Mars 2024

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Une victoire à la canadienne

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