La résistance du Québec et des Québécois est une attitude de fond, persistante à travers toute notre histoire. Rarement aiguë, souvent quelconque, maintes fois trahie, elle n’en subsiste pas moins, sous différentes formes. Elle est variable. Elle s’est exprimée dans des proportions qui fluctuaient autour de 40 % à propos de la souveraineté. Ces proportions sont à la baisse depuis un an.
Notre résistance, active ou latente, n’est jamais tout à fait décisive cependant. C’est un autre de ses caractères. Nous sommes un peuple divisé.
Les limites de cette résistance sont d’ailleurs faussées, si l’on peut dire, par un facteur particulier : le fait que les 20 % d’anglophones, massivement acquis au fédéralisme et d’ailleurs plus ou moins étrangers à nos raisons historiques, ce qui est bien leur droit, retranchent globalement du total des suffrages leur part de l’électorat, mais ils exercent de plus une influence certaine sur les 80 % qui restent.
Cette circonstance aggrave en effet notre propre division. Elle pèse sur notre détermination, dont elle accentue l’insuffisance.
Quant à nos échecs, dont les deux référendums, ils agissent à retardement sur nous comme un frein.
Harper, l’ADQ, et Québec solidaire pour des raisons tout à fait différentes, sont des reflets ou plutôt des effets de cette situation. Nous voici donc non seulement divisés, mais fractionnés.
Tout cela se traduit par la diminution des suffrages souverainistes. Pour la première fois, on va jusqu’à parler de crise.
Cette baisse exerce par elle-même une influence négative additionnelle. Par un effet domino, plus le souverainisme est atteint, plus l’opinion tend à se demander s’il ne faut pas encore baisser la garde. Plus la résistance québécoise faiblit, moins l’on cherche à s’opposer à cet affaiblissement. Il y a là une sorte de cercle vicieux.
C’est un syndrome. Il se manifeste par l’ADQ, le PC, le QS, quoique bien différemment dans chaque cas, forces centrifuges libérées par le déclin assez récent de l’esprit de résistance nationale et par l’inconscience accrue de notre précarité dans l’histoire.
Mario Dumont incarne cet opportunisme plus que n’importe qui. On trouve toujours des politiciens pour tenter de ramener au point neutre les progrès antécédents. Quant au Parti libéral de M. Charest, tenu en respect pour le moment, il attend son heure, qui semble approcher.
Mais revenons-en à la donnée de base mentionnée au début de cet article, la résistance. Elle est dans notre subconscient politique et parfois dans notre conscient collectif. Elle agit comme un réflexe. Celui-ci ne joue pas toujours, mais il n’est jamais bien loin. Il réagit aux provocations et ce signe ne ment pas.
D’une manière beaucoup plus large, si nous regardons notre passé en faisant porter notre attention non seulement sur le ponctuel mais sur des périodes étendues, nous nous apercevons qu’à cette échelle la résistance foncière dont je parle se manifeste sur de grands plans, sourde ou déclarée, tantôt simplement symbolique, tantôt ouverte. De loin en loin, elle dit quelque chose que nous comprenons d’emblée.
Cela tient de l’instinct. Ainsi avons-nous répondu à de Gaulle en 1967, à René Lévesque en 1976, au trio Parizeau-Bouchard-Dumont en 1995. Nous avons de notre condition une connaissance viscérale, quoique le plus souvent confuse.
Elle ne peut pas s’évanouir comme une fumée. Notre histoire, c’est nous, en dépit des tenants d’une certaine universalité plaquée intellectuellement sur nos réalités. C’est dans nos tripes. Mais nous traversons des périodes de somnolence, de lassitude ou d’oubli. Nous en vivons une actuellement, à ce qu’il semble.
Malgré la conjoncture, le facteur de résistance subsiste, même en veilleuse parfois. Tout au fond, il est aussi permanent que notre situation dans l’histoire et s’explique par celle-ci. Dans toutes les situations imaginables, favorables comme en 1976, précaires comme à présent, cette donnée subsiste et fondamentalement elle ne change pas. Elle n’est pas toujours consciente, mais l’occasion la mobilise presque instantanément parfois. La résistance est profondément notre nous politique. C’est comme pour un organisme vivant. Au jour le jour, dans le cours ordinaire des choses, la vie ne se signale pas de manière particulière à l’attention, mais soudain, parfois, si elle est agressée, elle réagit et la douleur réveille la conscience qu’elle a d’elle-même.
Qu’est-ce que le PQ ? Qu’est-ce que le Bloc ? C’est de la résistance. Ces temps-ci, on parle du Bloc assez légèrement. On s’arrête à des considérations aussi superficielles que la suivante : puisque le Bloc est au fédéral un instrument pour la souveraineté et que l’indépendance n’est pas en ce moment à l’ordre du jour, alors il n’aurait plus d’utilité. On est myope, ma foi ! On ne se rend pas compte que, en attendant, le Bloc, instrument critique libre et de première valeur, défend le Québec, est seul à pouvoir le faire à Ottawa, empêche tant les conservateurs que les libéraux de monopoliser le pouvoir et de tuer à toutes fins pratiques l’opposition nationaliste québécoise, voire l’opposition tout court. Pensez aux commandites, scandale dont on n’aurait jamais rien su n’eût été du Bloc. Pensez aussi aux fumisteries de Harper. On oublie l’ABC de la politique démocratique, qui consiste à se mettre en travers de l’arbitraire du pouvoir.
On raisonne lâchement comme aux États-Unis, pays où une véritable opposition peut à peine se constituer, vu leur régime bipartite. À cause de celui-ci, le politique existe peu si ce n’est dans ce qui est non démocratique, c’est-à-dire dans les grandes affaires. Ces dernières mènent le pays et notamment la politique internationale et elles constituent, elles, le vrai gouvernement, les deux partis fournissant le décor nécessaire, soutenant les illusions politiques voulues.
Chez nous, présentement, à cause de deux partis non conformes au modèle convenu, la démocratie existe davantage et la critique politique a des chances de s’exprimer non seulement par des idées et des discours, mais par des votes. Il faut pousser plus loin cette action, non la supprimer comme certains suggèrent de le faire en affaiblissant le Bloc et même en cherchant à l’abolir.
D’aucuns veulent en finir avec ce qui résiste et ne fait pas seulement semblant ? Certes le Bloc lui-même est parfois insuffisamment combatif, par exemple sur la question de la guerre en Afghanistan, ce qui est très regrettable. Mais on voudrait l’abolir ? Un verrou de résistance sauterait du même coup. Le NPD, valable, n’a pas de racines ici. Le Bloc en a de profondes. Veut-on retourner au modèle canadien, qui est, quant à l’aliénation du pouvoir, largement le même qu’aux USA ?
Le PQ a réintroduit la notion de résistance en politique et le Bloc a suivi son exemple. Vous rêvez d’en revenir au bipartisme ? Le Québec est autre chose depuis 1968 et l’on peut dire depuis 1960, car le PLQ, à l’époque, reçut dans ses rangs quelques novateurs et anticonformistes, surtout René Lévesque. Ce fut alors une sorte d’accident dans l’histoire de ce parti. Les choses revinrent ensuite à la normale. Il fallait s’y attendre avec les libéraux, comme on l’a vu avec Lesage après son premier mandat.
Il ne faut pas raisonner petitement mais, autant que possible, voir et sentir avec une certaine profondeur ce sur quoi s’appuie concrètement la résistance des Québécois, la vraie résistance, moins pointue idéologiquement que celle de certains groupes restreints, mais incomparablement plus réelle.
Nous savons de reste qui défend quoi et avec quels pourcentages de votes possibles. Ce n’est pas un mystère. Il ne s’agit pas de spéculer. Il s’agit d’agir, d’agir avec ce qui existe.