Le destin et la volonté

On peut refouler l’un ou l’autre. À défaut d’une volonté suffisante, le destin politique prévaut, s’avère de plus en plus fort, devient inéluctable, ou bien au contraire la volonté gagne, comme c’est le cas dans une révolution, tranquille ou pas.

Nous avons passé plus de quarante ans à exercer sur l’histoire une authentique volonté politique, depuis 1960 jusqu’à hier. On a bien senti que ce mouvement forçait ce qu’on peut considérer comme le destin. Nous exercions une pression tenace sur les résistances historiques. Nous gagnions çà et là des positions prédominantes, 1960 à 1966, 1976, 1995, mais le destin parfois l’emportait au contraire : 1980 et les périodes singulièrement longues d’hésitation entre nos défaites ou demi-succès. Puis en 2007, ce fut le retour sans équivoque de la réaction, recul peut-être considérable.

Nous avions sous-estimé le poids du destin et surestimé l’effort d’une volonté qui, en gros, cependant, a tout de même réussi à s’imposer tout au long de cette période, quoique avec des éclipses durables et inquiétantes.

2007 fut un choc. Étions-nous au terme non d’une période mais d’une époque ? Le long cycle de la Révolution tranquille venait-il de prendre fin ?

D’une part, il y avait la destinée, dont jusque-là l’on ne mesurait pas vraiment le poids, la masse, la résistance, car alors notre persistance tenait les forces adverses en respect.

Il y avait aussi notre détermination, parfois gagnante, mais plus précaire cependant qu’on ne pensait et aujourd’hui mise en échec à cause d’une certaine fatigue politique – et je dirais même peut-être culturelle.

Pendant plus de quatre décennies, la Révolution tranquille, puis le souverainisme continrent cette pesanteur de l’histoire, mais tout à coup, en 2007, la situation s’est inversée.

Le destin est plus fondamental que la volonté. En 2007, il est réapparu.

Même une grande révolution ne réussit pas nécessairement à maîtriser la réaction. Prenez la Révolution russe, qui n’a fait qu’un temps puis s’est trahie elle-même, finissant dans la plus complète déroute.

La volonté, moteur de la Révolution tranquille, inspiratrice de nombreuses réformes et du souverainisme, a fléchi. Est-ce temporaire ? On peut le croire, mais surtout craindre que ce ne soit pas le cas.

Le destin, qui accompagne comme une grande ombre toute notre histoire depuis la Conquête, est là à nouveau devant nous, incongru, absurde, mais dominant en ce moment.

N’essayons pas de masquer cela. Que se passe-t-il présentement ? La marche indépendante de l’histoire, sans contrepoids suffisant. La volonté est en question.

Cette main n’est pas gagnante.

Après des décennies de résistance, de progrès, mais aussi de quelque illusion, ce qu’il faut voir, c’est la loi d’inertie politique, réapparue.

Il faut s’interroger ouvertement là-dessus. La question est brutale et j’espère exagérée, mais, en raccourci, elle se pose : les Québécois veulent-ils donc politiquement disparaître ?

Dans la médiocrité, dans l’équivoque, le Québec, à terme, ne pourrait plus se maintenir. Le souverainisme velléitaire a démontré cela suffisamment.

Nous sommes dans le grand jeu. Les forces qui s’opposent à nous ne sont pas petites. Mais nous nous complaisions souvent dans un état de chose assez quelconque. Une volonté très moyenne nous paraissait alors suffire, devant des obstacles que nous minimisions aussi.

Le destin, c’est la résistance foncière des faits, c’est l’hostilité environnante, c’est l’inconscience relative des masses, et c’est aussi le contrôle exercé sur l’opinion publique, naturellement conservatrice. Nous résistions à tout cela, en partie par volonté, mais en partie sur l’erre d’aller, c’est-à-dire sans passion suffisante.

La réaction a finalement pris forme avec le parti conservateur et avec l’ADQ. Nous voici dans une période difficile. La volonté faisait du surplace depuis déjà trop longtemps. Sommes-nous maintenant engagés dans une spirale ? La volonté nationale, l’an dernier, devint à nouveau débordée.

Qu’y a-t-il maintenant devant nous ? Il ne faut pas sous-estimer ce qu’il y a sous les apparences banales de la politique partisane des partis de droite sur l’échiquier. Harper, Charest et peut-être Dumont, ça le destin ? Ces trois politiciens et quelques autres manifestent-ils en ce moment un ressac de l’histoire ? Il y a lieu de le craindre en effet.

Cependant il ne s’agit pas seulement de ces personnages, après tout secondaires. Le destin a repris forme au milieu et à la faveur d’un vide bien plus général. D’où le retour des opportunistes dans la politique, que cette vacuité a ramenés.

Ces marionnettes ne sont pas que des pantins. Elles sont les supports d’une fatalité qu’elles ne comprennent même pas.

Notre position dans l’histoire ne saurait s’interpréter par des considérations sans envergure. Il faut la commenter d’après de larges coordonnées : les défis historiques, les axes du destin, la volonté de le surmonter, la dynamique redoutable des politiques hostiles autour de nous dans un pays qui les maquille, le peu que nous sommes, la différence que cela fait, mais la nécessité d’être et de durer quoi qu’il en soit. Celle-ci n’est pas un caprice ; c’est la loi de toutes les sociétés humaines.

Nous n’avons pas affaire au relatif mais à des impératifs, et ce surtout dans la mesure où nous sommes vulnérables ! Les petites idées ne devraient pas être pour nous.

On peut refouler l’un ou l’autre. À défaut d’une volonté suffisante, le destin politique prévaut, s’avère de plus en plus fort, devient inéluctable, ou bien au contraire la volonté gagne, comme c’est le cas dans une révolution, tranquille ou pas.

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