Le développement éolien au Québec : les enjeux en milieu agricole

Charles-Félix Ross
M. Sc., agronome. Directeur général de l’Union des producteurs agricoles (UPA).
Allocution dans le cadre du Congrès Mines + Énergie 2023

Bonjour à tous,

Je tiens à remercier les organisateurs du Congrès pour l’invitation et pour l’opportunité de faire valoir les enjeux agricoles.

Dans les prochaines minutes, je vais chauffer la salle avec mes propos. Soyez sans crainte, c’est avec de l’énergie renouvelable !

La mission de l’UPA est de défendre les intérêts des producteurs et productrices agricoles du Québec et, par le fait même, de défendre l’intégrité du territoire agricole et de ses activités. Les terres agricoles sont le principal outil de production de nos membres. Elles sont également l’essentiel du garde-manger des Québécois. Elles font partie de notre patrimoine collectif. Elles sont protégées par une loi depuis 1978.

Pour ces raisons, et malgré la nécessité évoquée, dans le Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec, d’ajouter à notre offre énergétique une part importante d’énergie éolienne, nous nous opposons, à l’UPA, à l’implantation de parcs éoliens, et éventuellement de fermes solaires, en zone agricole.

L’UPA, en fait, est contre tout empiètement industriel, commercial et résidentiel en zone agricole. Plusieurs raisons militent en faveur de cette position. Pour les parcs éoliens, notamment, les raisons sont multiples, mais je vais me limiter aux trois plus importantes, à savoir :

  • la rareté des terres agricoles ;
  • une cohabitation difficile loin de l’acceptabilité sociale ;
  • un retour sur l’investissement loin de servir l’intérêt collectif.

La rareté des terres agricoles

Les terres agricoles sont une ressource rare et non renouvelable. Elles servent à nourrir les populations. Elles doivent être protégées et conservées pour les prochaines générations. C’est une responsabilité collective.

Au Québec, la zone agricole cultivée ou en pâturage représente à peine 2 % du territoire. Malgré cette protection, la zone agricole est constamment grugée et grignotée par des développements de toutes sortes.

Entre 1988 et 2022, 24 651 hectares (ha) ont été exclus de la zone agricole. Pendant la même période, 61 097 ha ont été sacrifiés pour des utilisations non agricoles (UNA) en zone verte. Les nouveaux secteurs commerciaux et industriels ainsi que la multiplication des projets autoroutiers et d’exploitation des ressources, des lignes de transport d’électricité, des pipelines et des parcs éoliens ont représenté près de 69 % des superficies accordées sous la forme d’UNA. En tenant compte des inclusions (28 235 ha), la perte réelle de superficies agricoles représente 57 513 ha, soit l’équivalant de douze terrains de football américain par jour depuis 25 ans.

Les UNA sont une approche sournoise. Les terres visées par leur implantation demeurent comptabilisées en zone verte. Or, elles perdent leur vocation agricole et, la plupart du temps, de manière irrémédiable. Les UNA sont également une source importante d’ennuis et d’inconvénients à la pratique de l’agriculture et au travail des producteurs.

L’implantation de parcs éoliens en zone agricole est un exemple type d’UNA.

Imaginez 3 000 éoliennes sur le territoire agricole du Québec, soit le nombre nécessaire pour répondre à la demande d’Hydro-Québec. Imaginez tous les ennuis et inconvénients de ces installations pour la pratique de l’agriculture. Imaginez la perte de territoire. Imaginez le réseau souterrain, l’immense toile d’araignée, pour raccorder toutes ces éoliennes au réseau d’Hydro-Québec. Imaginez, enfin, l’appétit de promoteurs de toutes sortes qui voudront s’installer en marge de ces parcs pour accumuler et/ou bénéficier de cette énergie.

L’imaginer nous fait réaliser assez rapidement que ces projets doivent se faire à l’extérieur de la zone agricole. L’immensité de notre territoire, autre qu’agricole, nous permet aussi rapidement d’imaginer que c’est possible.

Une cohabitation difficile loin de l’acceptabilité sociale

L’une des pires nuisances du développement éolien est la division qu’il provoque au sein des communautés, en l’occurrence agricoles. Aujourd’hui, il y a des citoyens, des agriculteurs, amis jadis, qui ne se parlent plus, qui se détestent. Des citoyens en colère, en guerre, avec des voisins qui ont pris la décision d’accepter de participer à un projet éolien, à l’encontre de leur volonté et souvent de celle de la majorité.

Dans ces cas, cette décision individuelle, souvent motivée par des intérêts financiers, est imposée aux autres qui en subissent les conséquences visuelles, sonores et autres, allant de la perte de territoire à la restriction de certaines activités, en passant par des impacts environnementaux insoupçonnés.

Les promoteurs, en plus des montants versés aux propriétaires partenaires et municipalités, devraient être tenus de verser des indemnités à ceux qui subissent les conséquences directes de leurs projets.

Dans tous les cas, à l’échelle des communautés, l’acceptabilité sociale des parcs éoliens est un incontournable. Elle devrait être un « go no go » à tout projet. Hydro-Québec, dans ses appels d’offres, accorde des points pour la participation communautaire. Le dernier décret gouvernemental exige aussi des promoteurs d’accorder annuellement des montants à la collectivité locale.

Dans certaines régions, cet incitatif économique encourage les municipalités à dérouler le tapis rouge aux promoteurs, et ce, même en l’absence de consultation préalable des citoyens et sans savoir s’ils sont favorables ou non au projet. L’UPA estime essentiel que le critère de participation communautaire exige la tenue d’une consultation publique en bonne et due forme avec l’obtention d’un résultat positif, c’est-à-dire d’un accueil favorable au projet par une large majorité de la population.

Enfin, pour certains, la beauté des paysages est quelque chose de subjectif. C’est une question de goût personnel. Or, sur une note plus personnelle, j’en doute fort. Je pense que la beauté de la nature est reconnue universellement pour ses bienfaits sur notre humeur et notre bonheur. C’est un calmant efficace contre l’éco-anxiété, un mal qui affecte de plus en plus de gens, notamment des jeunes. C’est pourquoi nous devons arrêter de saccager tout ce qui est beau au nom d’une prétendue prospérité et, le cas échéant, souvent très éphémère.

En parlant de prospérité, juste en passant, l’agroalimentaire québécois est l’un des secteurs d’activités les plus résilients de notre économie. L’agriculture et la transformation alimentaire sont respectivement les plus importants créateurs de richesse et d’emplois des secteurs primaire et manufacturier. À elle seule, la filière agroalimentaire du Québec crée et soutient plus de 130 000 emplois directs occupés principalement dans les collectivités rurales.

La filière éolienne sera-t-elle pertinente dans 20 ans ? Il est difficile de répondre à cette question, mais une chose est certaine, les Québécois auront toujours le besoin de s’alimenter avec des produits de qualité à prix abordable.

Un retour sur l’investissement loin de servir l’intérêt collectif

À l’UPA, une portion de nos membres sont en faveur du développement éolien sur leurs terres, et je les comprends, c’est payant. C’est la même raison pour les municipalités qui souffrent de sous-financement. De bons montants sont versés par les promoteurs. Difficile de dire non à tous ces dollars.

La seule façon d’y voir clair est d’analyser le développement éolien dans son ensemble et de concevoir une grille d’analyse pour évaluer sa capacité à servir l’intérêt collectif en s’appuyant sur les trois piliers du développement durable, à savoir la société, l’environnement et l’économie.Sur le strict pilier de l’économie, est-ce que le développement éolien rémunère à juste prix nos ressources, notre investissement ? Et c’est là qu’on décroche.

Un hectare en culture de maïs au Québec rapporte bon an mal an à son exploitant 2 500 $. Une éolienne qui occupe sensiblement le même espace peut lui rapporter actuellement 35 000 $. La communauté reçoit quant à elle un montant de 30 000 $. Le choix est simple me direz-vous ? Individuellement, oui. Mais le promoteur, lui, touchera 1,2 M$/an/éolienne, soit 36 M$ sur 30 ans. Avec près de 3 000 éoliennes de 5 MW installées pour atteindre les objectifs de demande, sans aucune indexation, c’est près de 100 G$ qui seront versés aux promoteurs éoliens au cours de cette période. Tout dépendamment de leurs marges bénéficiaires, ce sont quand même des centaines de millions dollars de profits que nous nous apprêtons à leur accorder chaque année.

S’il est vrai que les promoteurs redistribuent des revenus aux propriétaires et communautés, ils engrangent en contrepartie des profits importants sans risques réels puisqu’il s’agit d’un marché réglementé garantissant prix et marges bénéficiaires.

Enfin, qui paiera pour démanteler ou renouveler tout cet attirail aérien et souterrain dans 20 à 30 ans lorsque ces parcs éoliens seront tous désuets en même temps ?

Une question naïve de citoyen, pourquoi ne serions-nous pas propriétaires de ces parcs comme nous sommes propriétaires de nos barrages ? Engrangeons les profits de cette opération, pas seulement les dépenses, et redistribuons ces derniers pour financer nos projets collectifs, en santé, éducation, agriculture et au financement de nos municipalités.

L’improvisation n’a pas sa place

En terminant, je nous souhaite de retrouver rapidement une forme de sagesse collective et le sens du calcul à l’égard de ces projets énergétiques. Il y a une fièvre dans l’air qui doit être maîtrisée. Ces projets, qui sortent, sont mal planifiés et questionnables en matière de développement durable.

L’UPA restera dans ce contexte sur sa position d’être contre l’implantation de parcs éoliens en zone agricole.Les terres agricoles sont une ressource rare et non renouvelable. Elles servent à nourrir les populations. Elles devraient être protégées et conservées comme la prunelle de nos yeux pour les prochaines générations, surtout à la lumière des changements climatiques.

L’acceptabilité sociale des projets est un incontournable. Les citoyens doivent être consultés et entendus.

Le développement de la filière énergétique dans son ensemble devrait faire l’objet d’une grande consultation nationale. Il s’agit de nos ressources, de notre territoire et de nos taxes.

L’improvisation n’a pas sa place. Merci.

.

Charles-Félix RossM. Sc., agronome. Directeur général de l’Union des producteurs agricoles (UPA).Allocution dans le cadre du Congrès Mines + Énergie 2023 Bonjour à tous, Je tiens à remercier les organisateurs du Congrès pour l’invitation et pour l’opportunité de faire valoir les enjeux agricoles. Dans les prochaines minutes, je vais chauffer la salle avec mes propos. […]

Récemment publié