L’auteure détient une maîtrise en environnement de l’Université de Sherbrooke
De 2010 à 2017, les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de Charlevoix et de la Côte-Nord–Manicouagan, ainsi que les nations innues et la nation huronne-wendat se sont mobilisées pour que le fjord du Saguenay soit retenu sur la liste indicative du patrimoine mondial au Canada, étape essentielle à la présentation d’un dossier de candidature à l’UNESCO. Un comité de promotion a coordonné ce grand mouvement de mobilisation qui avait comme mandat le dépôt d’un dossier de candidature à la date décidée par le gouvernement canadien, soit le 27 janvier 2017. Malgré la qualité du dossier présenté, la candidature se soldera par un refus en décembre 2017. Le comité mettra alors fin à ses activités, car la liste indicative canadienne n’est ouverte que tous les 10 ans. Toutes ces années de mobilisation et la rédaction du dossier de candidature nous ont permis de mieux connaître ce patrimoine naturel et culturel unique. Nous devons le garder en mémoire et continuer à le protéger en attendant qu’un nouveau comité reprenne le dossier. Voici des extraits du dossier de candidature afin que le Fjord du Saguenay soit mieux connu pour être enfin reconnu !
Historique
À l’inauguration de la création du parc marin Saguenay–Saint-Laurent, le 12 juin 1998, la ministre du Patrimoine du Canada de l’époque, Madame Sheila Copps, avait évoqué le souhait de voir un jour le parc marin Saguenay–Saint-Laurent inscrit sur la liste du patrimoine mondial.
Lors de la formation de la liste indicative canadienne en 2004, le Québec, par la voix de la sous-ministre de la Culture et des Communications, proposait au comité canadien du patrimoine mondial la candidature de la région de Charlevoix, incluant l’estuaire du Saint-Laurent et du fjord du Saguenay.
De plus, la vision du parc Marin du Saguenay-Saint-Laurent, horizon 2021, exprimait le souhait de voir le parc marin reconnu comme site du patrimoine mondial de L’UNESCO. Cette vision était inscrite dans le plan directeur du parc pour la période 2009-2015.
En septembre 2009, M. Robert Bouchard, député fédéral de la circonscription de Chicoutimi-Le Fjord, mandatait Jules Dufour, géographe et professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi, afin d’entreprendre une étude de faisabilité reliée à l’inscription du fjord du Saguenay sur la prochaine liste indicative du patrimoine mondial au Canada. Cette étude étant concluante, des actions furent alors entreprises. M. Bouchard et M. Michel Guimond, député de Montmorency-Charlevoix-Haute-Côte-Nord convoquent les médias à deux conférences de presse qui ont lieu à Chicoutimi puis à Tadoussac.
Entouré de quelques personnes passionnées des régions de Charlevoix, Saguenay, Côte-Nord et d’Innus d’Essipit, M. Bouchard résume une partie de l’étude. Il invite les personnes présentes à se saisir du contenu des quelque soixante-dix pages, pour relancer ce rêve qui persiste depuis 1998. Fort de cette invitation, dix-huit personnes participent à la mise sur pied d’un comité de relance. Les buts seront les suivants : unifier les forces autour d’un projet rassembleur afin de susciter des actions de mobilisation, concertation et recherche pour l’éventuel dépôt d’un dossier pour l’ouverture de la prochaine liste indicative canadienne.
2010 – 2016
À partir de 2010, le comité Fjord du Saguenay-Patrimoine mondial est alors créé et réunira à sa table des représentants des trois régions administratives du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de Charlevoix, de la Côte-Nord–Manicouagan ainsi que les nations innues et la nation huronne-wendat. Ce comité regroupera aussi des gens des associations touristiques régionales, des MRC, des intervenants de la SÉPAQ (Parc national du Fjord-du-Saguenay), du parc Marin Saguenay–Saint-Laurent, de corporations de développement économique et des citoyens impliqués et fiers de notre patrimoine exceptionnel.
Étant directement interpellée par le dossier en 2010, la MRC du Fjord-du-Saguenay donne son appui aux démarches du député fédéral de Chicoutimi-Le Fjord. La MRC devient alors un lieu de rencontres et dépositaire des dossiers et du budget de promotion de la candidature.
Le comité Fjord du Saguenay-Patrimoine mondial a alors beaucoup travaillé afin que la liste indicative soit ouverte par le gouvernement. Le comité a recueilli un grand nombre d’appuis au cours des années. Dans la préparation du dossier, il était impératif de tenir compte du soutien et de la participation des collectivités et des intervenants. De nombreuses résolutions de municipalités et d’organisations furent acheminées à notre comité. Nous invitions aussi les citoyens à soutenir la candidature en acheminant leurs appuis via un site Facebook ou sur un site internet. Jusqu’en avril 2017, des représentants du comité ont participé à des kiosques en y faisant signer une pétition sur place.
Un site d’une valeur universelle exceptionnelle
(source: Dossier de candidature Fjord-du-Saguenay et sa confluence, janvier 2017 et notes au dossier 2018.)
Les sites du patrimoine mondial de l’UNESCO sont considérés comme possédant une valeur universelle exceptionnelle pour l’humanité. Le magnifique fjord du Saguenay et sa confluence se distinguaient donc par sa riche histoire et ses caractéristiques naturelles uniques en Amérique du Nord. Il se qualifiait comme une candidature de premier ordre, répondant, selon nous, autant à des critères du milieu naturel que culturel.
Considérant l’obligation des propriétaires du site de consentir à son inscription au patrimoine mondial, la proposition fut présentée en utilisant les limites terrestres du parc national du Fjord-du-Saguenay et la partie maritime du parc Marin Saguenay–Saint-Laurent. Ainsi, la protection et la gestion du site étaient assurées en vertu des cadres législatifs gouvernementaux associés à ces deux parcs.
Un milieu naturel exceptionnel
Le fjord du Saguenay s’impose par sa morphologie, sa position stratégique et sa faune remarquable. Il fait partie des 38 fjords au monde d’une longueur de plus de 100 kilomètres. Il a été modelé par les glaciers qui ont façonné un paysage austère et inspirant. La formation du réseau de failles du fjord coïncide avec des événements géologiques majeurs ayant eu cours lors de la dérive des continents. L’érosion active des glaciers qui a façonné le fjord a mis à nu les roches précambriennes qui le composent, racines d’une ancienne chaîne de montagnes fortement plissées. Véritable laboratoire d’étude des changements climatiques, ses couches sédimentaires témoignent de la dernière période glaciaire et des catastrophes naturelles l’ayant marqué. Sa largeur atteint parfois jusqu’à 3 kilomètres et sa profondeur, 275 mètres. Son bassin versant couvre 88 000 kilomètres carrés.
En plus des parois escarpées du fjord, la présence des forêts primaires qui n’ont pas été altérées par la main humaine démontre son implacable inaccessibilité à l’exploitation forestière.
Sa confluence avec le fleuve Saint-Laurent constitue un environnement exceptionnellement riche, grâce à la présence d’eau douce et d’eau salée superposée et à l’importance de ses marées qui fournissent une source d’alimentation importante pour sa faune aquatique. Cette faune diversifiée comporte des espèces arctiques qui ont perduré depuis la dernière glaciation, dont le béluga. Le fjord et sa confluence constituent l’habitat essentiel de ce mammifère marin emblématique et en voie de disparition. Dans le fjord, on compte plus de 59 espèces de poissons et 410 espèces d’invertébrés.
Un milieu culturel exceptionnel
Le fjord du Saguenay est le plus important fjord habité au monde localisé à une aussi basse latitude. Riche en ressources naturelles, cette route d’eau et sa confluence ont su attirer les humains depuis 7000 ans. D’abord un endroit de chasse, puis de pêche, il devient rapidement un lieu de rassemblement.
Les artéfacts trouvés sur la terrasse marine de la baie Sainte-Marguerite témoignent d’une occupation soutenue datant d’environ 5 000 ans. Étonnamment, il semble que le secteur était visité principalement l’hiver pour la chasse au phoque du Groenland par des populations de la côte est américaine. En dépit des conditions hivernales, la productivité alimentaire du secteur combinée à une protection naturelle contre les vents dominants en faisait un emplacement stratégique.
Même au début des explorations par les Européens, la confluence du fjord a continué de jouer un rôle socio-économique de la plus grande importance. Poste de pêche important, premier poste de traite (XVIe siècle), première tentative d’occupation permanente en Amérique du Nord, cœur du commerce des fourrures, premier pacte d’alliance franco-amérindienne, la confluence demeure au fil du temps un endroit d’échange et de mélange de cultures.
La confluence du Saguenay avec l’estuaire du Saint-Laurent fut le théâtre de deux grands événements historiques. C’est d’abord à Tadoussac que les explorateurs français installèrent leur tête de pont et fondèrent en 1600 le tout premier village du Québec. Quelques années plus tard, à la Pointe-aux-Alouettes, François Gravé du
Pont et Samuel de Champlain concluent au nom du roi Henri IV un traité avec le chef montagnais Anadabijou, allié des Etchemins et des Algonquins, leur permettant de peupler leurs territoires en échange d’une protection militaire. Cette alliance est le premier traité franco-amérindien du Nouveau Monde, et a permis la colonisation de la Nouvelle-France et de l’Amérique du Nord.
Le fjord, principale voie d’eau pour l’accès à la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, restera une frontière naturelle gardée par les Amérindiens où seuls quelques trappeurs et pionniers oseront s’aventurer. Les colons prendront trois siècles pour braver ses eaux. C’est l’exploitation du bois au milieu du XIXe siècle qui amorça une nouvelle ère de commerce international. Pendant quelque 80 ans, des petits villages au creux des anses vont ainsi naître et certains disparaître selon les possibilités d’exploitation de la forêt environnante. C’est dans les terres en amont du fjord que l’occupation et l’agriculture se feront de façon plus soutenue.
À partir de 1838, à l’initiative de la Société des 21, le Saguenay s’ouvre à la colonisation. Chaque petite baie du fjord reçoit à un moment ou l’autre, entre 1840 et 1920, un moulin à scie. Construite en 1909 à l’embouchure de la rivière Sainte-Marguerite, la scierie BayMill, ainsi baptisée, fonctionnait jour et nuit et était éclairée à l’électricité, un luxe à l’époque. Le moulin à scie fut fermé en 1920 pour une raison de rentabilité. La compagnie Price se réoriente alors dans la coupe du bois à pâte et la fabrication du papier. La compagnie récupère une partie de la machinerie, laissant sur place les bouilloires et les structures de briques.
Reconnu comme une attraction touristique remarquable, le fjord du Saguenay fascine les croisiéristes et inspire les artistes et les créateurs. Le livre The Kingdom of Saguenay de Marius Barbeau relate des faits historiques et légendaires concernant le Saguenay et il est largement illustré par de grands artistes canadiens. Il y a donc ici toute une lecture pittoresque, mais aussi artistique de l’histoire du Saguenay qui conforte l’image d’une sorte de région-royaume magnifiée.
Conclusion
Tous ces éléments du patrimoine démontrent comment a pu se bâtir une réelle fierté envers ce vaste territoire. Les ressources exploitées se transforment au gré des époques. La candidature du fjord à la liste indicative canadienne a suscité l’espoir de nombreux résidents de villes, villages et des communautés innues et huronnes-wendat. Malgré une réelle déception, nous rêvons encore d’une prochaine fois, car on sait que tout dossier reconnu à l’UNESCO est alimenté par la suite de recherches scientifiques et financières supplémentaires permettant de démontrer encore davantage son unicité et sa renommée dans le monde.
L’avenir des trois régions qui bordent le fjord est soumis à de nombreux défis, mais, ce dont nous sommes certains, c’est que la protection du fjord nous permettra de perpétuer sa richesse et mettre à l’avant-plan ce lieu de rencontre historique et première alliance entre deux peuples.
- Source : Dossier de candidature Fjord-du-Saguenay et sa confluence, janvier 2017 et notes au dossier 2018.
Collaborateurs : Robert Bouchard, Claude Deschênes