Est-il éclairant d’entendre parler du Pays basque espagnol, l’Euzkadi, quand l’actualité s’inquiète du destin incertain du peuple catalan ? Pour répondre à cette question, je suis allé entendre le président du Pays basque, Inigo Urkullu, qui donnait une conférence au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), le 30 octobre dernier. Avec beaucoup de passion et de conviction nationalistes, il a parlé de son peuple, de sa langue et de sa culture, de ses relations avec l’Espagne dans l’Union européenne, pour conclure avec une appréciation enthousiaste du modèle canadien de l’accession possible à l’indépendance. Votre loi sur la clarté conçue par Stéphane Dion, est particulièrement remarquable, dit-il, car elle a le mérite, d’ouvrir le dialogue et de faire place à l’obligation d’une négociation.
Le Pays basque n’est pas la Catalogne, tant s’en faut. Trois fois plus petit, il compte une population d’un peu plus de 3 millions d’habitants. On y parle l’Euskara qui ne ressemble à aucune autre langue. Elle est même en progression, surtout chez les jeunes, car elle est enseignée à tous les niveaux scolaires et académiques, étant l’une des deux langues officielles de l’état basque. Elle est d’ailleurs reconnue comme « langue régionale » par l’Union européenne (UE). Il faut bien dire toutefois que la révolution numérique est une sérieuse menace pour cette langue minoritaire, comme pour une quarantaine d’autres langues en Europe.
Le Pays basque
Chez nous, le peuple basque n’est pas tout à fait une inconnue. Au Québec, on a l’Isle-aux-Basques, en face de Trois-Pistoles, sur laquelle on a trouvé des artéfacts qui témoignent de la présence des Basques avant l’arrivée des Français. Les snow birds savent que, la « pelote basque » (un genre de crosse amérindienne) est pratiquée et populaire jusqu’en Floride. Les voyageurs connaissent le musée d’art moderne et contemporain Gugenheim de Bilbao célèbre pour son architecture d’avant-garde à travers le monde. Mais qui pourrait nommer la capitale du Pays basque ? Ce n’est pas Bilbao, mais bien Vitoria-Gasteiz, siège du gouvernement régional qui parle et négocie avec le gouvernement de Madrid, soi-disant d’égal à égal, et même avec respect et considération, affirme M. Urkullu.
Par contre, on se souvient de l’ETA, ce mouvement révolutionnaire d’inspiration marxiste, longtemps présent dans l’actualité par ses actes terroristes, enlèvements, séquestrations, meurtres et extorsions de fonds, l’ETA, autrement dit « Le Pays basque et sa liberté » fut la cause de plus de 800 morts en un demi-siècle. Fondé en 1959, il a été dissous en 2011, sans que le processus de désarmement soit pour autant achevé. Depuis 2011, la paix sociale est revenue et les Basques peuvent affirmer fièrement leur identité. Ils se sont toujours battus pour leur langue et leur culture, même sous la dictature du général Franco, durant lequel la langue basque était totalement interdite. On punissait alors ceux qui osaient parler basque en public. Depuis 2015, le nationalisme basque, si longtemps agressif, ne prétend plus conduire à la séparation d’avec le reste de l’Espagne.
Les gens sont « tannés d’être fâchés », ils ne veulent plus de violence dans les rues. L’indépendance n’est plus la solution, seulement 24 % d’entre eux y sont favorable. Pour Inigo Urkullu, l’indépendance est un concept du passé. L’économie va beaucoup mieux que celle de l’Espagne. Le chômage est à 12 % contre 19 % en Espagne. L’autonomie fiscale permet de soutenir l’industrie locale et assure une forme de paix avec Madrid. Une nouvelle alliance a été scellée entre Vitoria-Gasteiz et Madrid, une entente de coopération qui favorise le dialogue avec une médiation diplomatique si nécessaire.
Les communautés autonomes et l’état central espagnol
Il ne faut pas oublier que la démocratie espagnole est encore relativement jeune en Espagne. L’État central, malgré ses habitudes autoritaires, doit composer avec une pléiade de nations régionales plus ou moins bien intégrées. La Castille n’est pas l’Andalousie, les Asturies ne sont pas l’Estrémadure, les Baléares ne sont pas les Canaries. Chaque province se différencie des autres, par ses mœurs, sa cuisine, et sa culture. En plus de l’espagnol, quatre langues ont un statut officiel. L’Espagne doit donc composer avec 17 gouvernements régionaux auxquels l’État central accorde certains pouvoirs, mais de façon inégale. Les relations entre Madrid et les communautés sont donc à géométrie variable. Il s’agit d’un système qui ressemble à une fédération, car il reconnaît une certaine autonomie aux régions, mais seulement dans certains domaines, l’éducation, la santé, le développement économique et la redistribution de la richesse par des politiques sociales spécifiques. La taxation et la fiscalité sont un privilège octroyé au Pays basque et à la Navarre, qui prélèvent directement les impôts avant d’en envoyer une partie à Madrid, mais pas à la Catalogne.
La Galice, la Catalogne et le Pays basque font un peu figure de ces « nations sans état » au sein d’une monarchie parlementaire rigide qui se drape dans une constitution pour maintenir l’unité du pays sans accommodements. Galice, Catalogne et même le Pays basque auraient souhaité redéfinir le « fédéralisme espagnol » en le rendant de plus en plus asymétrique, en octroyant une plus grande autonomie fiscale à toutes les communautés autonomes. Ainsi le Président du Pays basque espagnol, Monsieur Inigo Urkullu, tient un discours très différent de celui du Catalan Carles Puigdemont qui réclame avec force tous les pouvoirs pour une République catalane indépendante, ainsi qu’avec une plus grande ouverture sur l’Europe, bien conscient qu’il risque une peine d’emprisonnement de 15 à 30 ans. Le légalisme buté du président Rajoy provoque des réactions diamétralement opposées. Le Pays basque se résout à la conciliation après avoir essayé la violence, la Catalogne aspire à l’indépendance de façon pacifique par la voix des urnes.
L’exemple du Québec
Les Basques comme les Catalans connaissent relativement bien la situation politique du Québec dans le Canada. Ils nous envient la loi sur la clarté, de Stéphane Dion, qui, même imparfaite, oblige le gouvernement fédéral d’Ottawa à négocier avec le Québec, référendum où le OUI l’emporterait. Cette directive sur la clarté constitue pour les Basques un modèle particulièrement remarquable ce qui tout compte fait, est assez formidable et constructif, un modèle particulièrement remarquable a déclaré le président Urkullu, que devrait adopter l’Union européenne.
Il faut que l’Europe se penche sur le problème des « nations sans état ». Il faut leur donner une voix au sein de l’Union pour éviter le silence gêné de pays membres lors du référendum catalan. C’est ce qu’il a dit à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne qui lui prête une oreille attentive et bienveillante.
Le Québec est encore à la croisée des chemins entre la solution basque et la solution catalane. Sa situation est toutefois bien différente : il est certes régi par une constitution fédérale fermée qu’il n’a pas signée, et qui ne lui convient pas, mais il possède tous les atouts d’un pays viable et le droit reconnu de disposer de lui-même. q