Le Port de Québec, un modèle d’entreprise citoyenne

Avec le temps, les entreprises ont été amenées à porter une attention toute particulière à l’image citoyenne qu’elles doivent aujourd’hui projeter face aux attentes de plus en plus élevées des communautés au sein desquelles elles évoluent. Un PDG qui ambitionne de gouverner et rester en selle sans trop de secousses sait qu’il a tout à gagner à recouvrir sa gestion des affaires d’un certain vernis vert-éthique.

Le nouveau processus environnemental de participation citoyenne témoigne de notre volonté d’écouter et de tenir compte des points de vue des citoyens et des organismes de la communauté. Ce mécanisme positionne le Port de Québec comme un leader en participation citoyenne et nous en sommes très fiers.

– Port de Québec. Communiqué, mai 2015

Avec le temps, les entreprises ont été amenées à porter une attention toute particulière à l’image citoyenne qu’elles doivent aujourd’hui projeter face aux attentes de plus en plus élevées des communautés au sein desquelles elles évoluent. Un PDG qui ambitionne de gouverner et rester en selle sans trop de secousses sait qu’il a tout à gagner à recouvrir sa gestion des affaires d’un certain vernis vert-éthique. Il en va même souvent de sa propre survie. On attend de lui qu’il soigne l’image de l’entreprise, qu’il lui donne une crédibilité sociale et lui définisse un visage sur mesure de bon citoyen. À cette fin, il fera abondamment appel aux meilleurs consultants en marketing d’image corporative, en fabrication de label impressionniste d’entreprise citoyenne. On commandera des discours souvent racoleurs sur l’environnement et des énoncés de principe qu’on affichera de façon ostensible sur le site corporatif. S’il le faut, pour circonscrire le tout, on se dotera d’un mécanisme de « participation citoyenne ». Ça ne coûte pas cher et ça projette admirablement bien l’image d’une « entreprise XIXe siècle ».

L’étude d’impact environnemental que l’Administration portuaire de Québec a déposée dans le cadre du processus d’approbation de son projet d’extension et les communiqués qui l’accompagnent sont farcis de cette belle ambiance « entreprise citoyenne ». Il faut savoir que la firme KPMG qui entoure maintenant les opérations du Port de Québec s’est elle-même spécialisée dans ce type de monitorage social. Elle réalise des sondages, propose des chartes de valeurs et des études pour aider les entreprises à se donner un visage éthique et plus vert. Tout un créneau pour un consultant en marketing qui se voit aujourd’hui plongé dans une honteuse affaire de stratagèmes d’évitements fiscaux.

En lisant la charte éthique du Port de Québec telle qu’elle apparaît sur son site web, il faut se pincer pour ne pas trop sourire. Les trois grands objectifs de l’APQ sont définis comme suit :

  • être reconnu par la communauté comme un gestionnaire exemplaire de son territoire ;
  • poursuivre l’amélioration constante de notre performance environnementale sur l’ensemble du Port de Québec ;
  • développer et entretenir une relation Ville-Port respectueuse de la communauté.

Trop d’événements, trop d’épisodes sont survenus, au fil des ans, mettant en cause les opérations et les projets du Port de Québec pour qu’une personne le moindrement avertie puisse succomber à ce type de stratégie « poudre aux yeux ».

L’épisode des poussières rouges

Il a commencé à être fortement médiatisé en 2012. Un vaste nuage de poussière rouge envahit une partie de la ville. Des dépôts sont observés sur des trottoirs, des balcons et des voitures du quartier Limoilou, mais aussi du quartier Saint-Sacrement. Urgence-Environnement, une équipe d’intervention du ministère québécois est immédiatement appelée sur les lieux, suite à l’appel de citoyens. Les analyses feront découvrir une concentration de nickel de 474 mg/kg dans la poussière, une concentration en cuivre de 644 mg/kg, ainsi qu’une concentration 998 mg/kg de zinc. Tout cela conduit assez aisément aux activités de transbordement et aussi du facteur éolien sur les montagnes de stock laissées à découvert par la firme Arrimage Québec. Le port de Québec plaidera l’incident isolé. La suite des choses sera farcie de tels « incidents isolés », malgré trois rapports d’analyses qui suggèrent que les activités du port de Québec contribuent à la pollution atmosphérique de certains quartiers de la Ville de Québec, et que cette pollution pourrait nuire à la santé des habitants des quartiers touchés. Un recours collectif est intenté contre le Port de Québec.

Évoquant la question de juridiction fédérale, l’entreprise Arrimage Québec ainsi que le Port de Québec refuseront l’accès au port aux inspecteurs du ministère de l’Environnement du Québec. Des constats d’infraction leur seront adressés… ils les contesteront un après l’autre devant les tribunaux. Quant à la délinquance d’Arrimage Québec, la suite démontrera qu’elle n’est pas que de nature environnementale, mais aussi fiscale. Le 8 mars 2017, l’entreprise sera jugée coupable de fraudes et condamnée à près de 650 000 $ d’amende pour avoir évité de verser au fisc plus de 3,8 M$ sur cinq ans.

Chapelet de requêtes auprès des tribunaux contre l’autorité du Québec en matière de protection de l’environnement

En 2012, IMTT-Québec annonce son intention de construire au Port de Québec sept nouveaux réservoirs, tous destinés à l’entreposage de produits chimiques et pétroliers. Devant l’intention du gouvernement du Québec de soumettre le projet au processus d’évaluation environnementale du BAPE, l’entreprise et le Port de Québec décident de recourir à la Cour supérieure du Québec afin d’invalider la juridiction du Québec sur les activités de l’entreprise et du Port. Cette procédure obligea le gouvernement du Québec à retirer le projet d’examen.

En avril 2015, récidive. Un nouveau ministre de l’environnement (Heurtel) annonce que le BAPE mènera des audiences sur les impacts environnementaux du projet d’agrandissement du Port (Beauport 2020). On veut éviter de nouveaux épisodes de « poussières rouges », évaluer les procédés liés au stockage de pétrole et à son acheminement vers le Port et, enfin, analyser les répercussions du projet sur le fleuve Saint-Laurent.

Le 14 mai, le port de Québec réitère que son « territoire » est de juridiction strictement fédérale et de ce fait, il n’est absolument pas question de se soumettre à la réglementation québécoise. Réplique « énergique » du ministre : « Les lois du Québec vont s’appliquer… C’est pas le Port de Québec qui va décider quelle loi s’applique ou non au port de Québec. C’est le gouvernement du Québec » (David Heurtel Le Soleil, 24 mai 2015). Et pourtant… Et pourtant… au terme de quelques mois de tergiversations politiques, la raison d’État décrète, le Québec se soumet, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale procédera à étude du projet d’agrandissement du port de Québec, toute seule et sous l’unique mandat d’Ottawa.

Poursuite-bâillon (SLAPP) contre des groupes de citoyens

Quelque dix ans plus tôt, le 3 novembre 2006, soit à peine quatre semaines avant le début des audiences publiques de la Commission conjointe (BAPE/ACÉE) chargée de l’étude du projet de terminal gazier Rabaska (situé dans la zone du port de Québec), un citoyen et trois organismes dont le GIRAM, sont victimes d’une requête en injonction interlocutoire initiée par l’Administration portuaire de Québec relativement à ce très contesté projet.

La requête en injonction interlocutoire du Port de Québec est couplée d’une requête en injonction permanente. L’objet en litige est en soi mineur ou surprenant : une banale demande d’information adressée à une compagnie de croisières maritimes. En l’occurrence, on voulait simplement savoir si l’administration de ladite compagnie était au courant que ses navires de passagers allaient éventuellement devoir naviguer à proximité d’un terminal méthanier à l’entrée de la capitale et possiblement dans l’environnement assez immédiat de navires de GNL dans le chenal sud de l’île d’Orléans.

La requête en injonction de l’Administration du port de Québec veut qu’aucun des trois organismes « mis en cause » ne puisse dorénavant communiquer « directement ou indirectement » avec des entreprises de croisières.

Mais, le but réel de la requête vise en réalité autre chose : exclure du débat public les trois principaux groupes citoyens engagés contre le consortium Rabaska. On demande qu’ils s’abstiennent de faire tout « commentaire public » sur les sujets suivants : « l’impact négatif du projet Rabaska sur l’industrie des croisières en général ; le support des autorités régionales et de la population de la région de Québec concernant le projet Rabaska ; les mesures de sécurité mises en place par Rabaska sur l’impact des activités de croisière ; la zone de séparation de trafic et la zone d’exclusion quant à leur impact sur l’activité des navires de croisières ». Toutes des questions foncièrement d’intérêt public.

Au terme du procès, le port de Québec sera, sans surprise, totalement débouté. Dans son jugement, le juge rappelle un principe de droit connu : « La liberté de discussion. Elle est essentielle, rappelle-t-il, dans un État démocratique, pour éclairer l’opinion publique ; on ne peut la restreindre sans toucher au droit du peuple d’être informé, en ce qui concerne des matières d’intérêt public ».

Cette action engagée par le Port de Québec contre trois groupes de citoyens est de nature assez exceptionnelle. C’est la première fois qu’une société d’État fédérale entreprend une poursuite-bâillon. Intentée quelques semaines avant les audiences du BAPE, elle aura pour effet que plusieurs citoyens s’abstiendront d’aller donner leur point de vue en public à la Commission d’examen. Il faut également déplorer que son dénouement en cour, tout à fait déshonorant finalement pour son initiateur, aura finalement été très faiblement couvert par les médias de la région de la capitale. « L’Autorité » du port de Québec : au-dessus de tout et détentrice d’une immunité morale dans la capitale ? 

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