Le PQ doit se recentrer sur sa raison d’être

Beaucoup d’observateurs ont été surpris par l’ampleur de la défaite du Parti québécois le 7 avril, alors que le gouvernement minoritaire de Pauline Marois partait favori dans les sondages au moment du déclenchement des élections. Plus encore, une grande partie des souverainistes s’interrogent sur ce que cela signifie pour l’avenir du PQ, mais aussi de leur mouvement.

Raisons conjoncturelles

Cette défaite ne peut certainement pas s’expliquer par un seul facteur. Il apparaît évident que le PQ a mené une très mauvaise campagne et que de nombreuses erreurs tactiques ont été commises, en commençant par le premier jour de la campagne et l’absence d’un message clair sur le mandat que le gouvernement sortant espérait obtenir. On peut ainsi noter que les gouvernements minoritaires qui ont réussi leur réélection au cours des dernières années, aussi bien Harper à Ottawa que Charest à Québec, étaient parvenus à effectuer des compromis constructifs avec l’opposition ou au moins un parti d’opposition. Le Parti québécois avait plusieurs projets de loi populaires, bien que controversés, en cours, qu’il aurait pu adopter avant de se lancer en élections. Le climat politique au Québec est d’ailleurs sévère, dans un contexte de crise de corruption du système politique, envers toute apparence d’opportunisme.

On peut se demander pourquoi il avait si peu d’annonces à faire en campagne et bien sûr pourquoi il semblait si peu préparé sur la question du référendum et de la souveraineté. Mais c’était déjà le cas durant la campagne de 2012.

Plus fondamentalement, sans doute, il faut tenir compte du facteur de la direction. Comme l’a noté Jean Garon, Mme Marois n’est jamais parvenue à devenir très populaire. Si elle a démontré ses capacités de coordonner une équipe et de gouverner depuis son élection en septembre 2012, elle a aussi été une mauvaise « campaigner » en 2012 comme en 2014. Au point de départ, cela explique en partie sa majorité extrêmement faible en 2012, résultat décevant dans les circonstances, alors que le gouvernement Charest croulait sous les accusations de corruption et de gabegie et avait plongé le Québec dans la plus grave des crises sociales depuis des lustres.

Cette victoire à la Pyrrhus a coupé les ailes au gouvernement péquiste. Il faut dire que cette faiblesse en 2012 reposait sur le contrecoup de la crise qui avait déchiré le parti en 2011 et dont il n’est pas sorti grand-chose de constructif, en dehors du parti Option nationale, populaire auprès de la jeunesse étudiante sans doute, mais demeuré électoralement marginal.

Cette fois-ci, contrairement à 2012, la candidature de Pierre Karl Péladeau a donné plus d’importance à la position du PQ sur la tenue d’un référendum. L’enjeu a fouetté les troupes libérales et stimulé vigoureusement l’appui aux libéraux dans l’opinion, parfois au détriment de la CAQ. Une peur presque panique du référendum s’est exprimée au profit du parti de Philippe Couillard et au détriment du PQ, dont une partie de l’électorat l’a abandonné pour d’autres formations ou n’est pas sorti voter.

L’option du PQ serait-elle donc le grand responsable de sa défaite ? Beaucoup d’observateurs sont tentés de le conclure et pressent le PQ de l’abandonner s’il veut survivre et ne pas être dépassé par la CAQ, qui a obtenu presque autant de voix que lui.

En passant, cet appui à la CAQ, de 23 %, comparé aux 25 % du Parti québécois et aux 41 % du Parti libéral, tend à infirmer l’hypothèse que ce serait la charte des valeurs qui aurait « coulé » le PQ. Au contraire, l’appui à cette charte avait fait remonter considérablement l’appui au PQ dans l’électorat depuis la fin de l’automne. Et ces pourcentages montrent qu’une pluralité d’électeurs a appuyé des partis favorables à une charte de la laïcité, plus que ceux qui ont appuyé le véhicule censé empêcher son adoption, le PLQ. Le prétendu virage identitaire du PQ, simple retour aux fondamentaux dont plusieurs beaux esprits veulent faire le bouc émissaire de la défaite, illustre plutôt le proverbe « trop peu trop tard ». S’il ne peut être suffisant, ce volet de la question nationale s’avère essentiel sur le court, moyen et long terme pour la victoire des nationalistes (entendus comme ceux qui aspirent à plus de rayonnement et de développement de la nation, de sa culture et à l’atteinte pour elle du plus d’autonomie possible).

Raisons structurelles

Revenons à l’option. Certes, il faut aussi tenir compte du fait que, depuis la grande récession de 2008, le Canada se tire un peu mieux d’affaire que les États-Unis et l’Europe et que ce climat économique n’est pas fait pour rassurer les Québécois. Contrairement aux Catalans ou aux Écossais, cela ne nourrit pas leur désir pour plus de souveraineté dans l’immédiat !

Plus profondément, si les appuis à la souveraineté stagnent dans l’opinion aux alentours de 40 %, si les appuis des électeurs au PQ sont régulièrement faibles depuis 2003 voire 1998, c’est le reflet des hésitations du PQ par rapport à son option. Il ne peut se lancer à la légère dans un troisième référendum. Qu’a-t-il donc à proposer au sujet de la souveraineté ? À force de ne pas présenter de pistes de solution, de programme clair, mais de recourir à toutes sortes de circonlocutions, quand ce n’est pas les incantations comme « dans les 1000 jours » ou « on veut un pays », le PQ paye le prix du manque de vision et de préparation sur sa raison d’être.

Devant la rebuffade exprimée le 7 avril, la pire des solutions pour le PQ de chercher à choisir entre le bon gouvernement et l’absolutisme indépendantiste. C’est une solution proposée par certains analystes comme Louis Bernard qui préconise depuis 2005 au moins que le PQ abandonne le bon gouvernement et ne se présente que pour réaliser l’indépendance tout de suite, dès un premier mandat. D’autres voix s’élèvent pour qu’il opte pour le premier choix. Or c’est cette fausse alternative qui a mené le PQ au marasme puis à la catastrophe depuis presque 20 ans maintenant.

Limiter le PQ à l’indépendantisme pressé risque de laisser le champ libre longtemps encore au PLQ. Or tout analyste réaliste de l’état des lieux concernant le nationalisme québécois et l’option souverainiste en particulier, doit reconnaître que cette cause est affectée négativement par la gouverne libérale depuis 2003. De l’autre côté, le bon gouvernement attentiste n’est pas une formule qui séduit l’électorat depuis 2003 au moins, sinon 1998. Il s’est avéré à peine moins mauvais pour faire progresser l’appui à la souveraineté que les gouvernements libéraux. Il mécontente les indépendantistes pressés depuis la fin des années 1990, et à bon droit.

Mais les solutions pressées ne sont pas plus efficaces, car elles sont dépourvues de réalisme : il faut commencer par tenir compte des appréhensions de l’électorat. Celles-ci sont compréhensibles après deux échecs référendaires aux contrecoups négatifs pour la nation québécoise. Les Québécois ont besoin de recommencer à faire des gains. Ils ont aussi besoin, avant d’appuyer en plus grand nombre un véhicule politique souverainiste, de constater sa préparation et son sérieux.

Mais comme le PQ n’a pas su renouveler sa stratégie depuis 1995, il ne sait plus quoi faire de son option. D’un côté, il souhaite attirer les souverainistes ardents, les plus pressés, et de l’autre, il veut rassurer les nationalistes mous ou les électeurs échaudés par les échecs du passé. Sans stratégie claire, il ne semble que pouvoir proposer une future, et très vaguement définie, reprise de ce qui n’a déjà pas marché à deux reprises.

Dans son hésitation, il prête le flanc à l’accusation d’amateurisme en la matière et sur ce plan, au moins, la sanction de l’électorat n’est pas injustifiée. Celle-ci est manifeste depuis 2003 : le PQ peine à mobiliser les souverainistes et à gagner de nouveaux électeurs. Le Bloc aussi en a payé le prix après le sursis apporté par le scandale des commandites.

Structurellement, réaliser la souveraineté du Québec paraît difficile. Plusieurs nations occidentales l’ont réalisée par l’insurrection armée grâce à l’appui d’une grande puissance alliée ou à la faveur d’un conflit majeur, comme les États-Unis en 1783, ou l’Irlande et la Finlande durant la Première Guerre mondiale. Cette option a échoué pour le Québec en 1837 – faute d’allié. Depuis, le Québec se retrouverait donc dans une situation comparable à celles des divorces à l’amiable entre la Norvège et la Suède en 1905, ou les Tchèques et les Slovaques en 1992. Surtout que le projet de souveraineté-association de René Lévesque appelait ce genre d’entente mutuelle. L’intransigeance d’Ottawa encouragée par un Pierre Trudeau ou un Jean Chrétien a été défavorable à cette voie. Il faut prendre acte de cette difficulté.

Cependant l’histoire du Canada lui-même indique une voie à suivre. Le Dominion du Canada a obtenu très graduellement de plus en plus de souveraineté puis d’indépendance, notamment avec le statut de Westminster en 1931, la création de la citoyenneté canadienne en 1947, le rapatriement de la constitution en 1982. Canadiens et Québécois ont été accoutumés à de tels processus.

Bien entendu, Londres s’est montrée disposée à accepter cette évolution graduelle de ses Dominions, là où l’Irlande a dû lui forcer la main. Le Canada n’adoptera pas facilement la même approche. Mais la situation en Écosse, qui amène les institutions britanniques à reconnaître leurs obligations envers les Écossais dans le débat sur leur indépendance, y compris l’obligation de négocier. Même dans une opération visant à cadenasser l’autodétermination des Québécois à la demande du gouvernement fédéral, avec le Renvoi relatif à la sécession du Québec, la Cour suprême n’a pas pu ne pas reconnaître une certaine obligation du Canada à négocier. Malgré une tentative de restreindre le droit à l’autodétermination aux peuples colonisés – ce que le Québec a été au sein de l’Amérique du Nord britannique et du Canada pourtant, même si la Cour l’en dissocie – le jugement trace implicitement une voie pour que cette autodétermination soit reconnue, en vertu du principe démocratique qui s’applique à un État membre de la fédération canadienne.

Ajoutons que le caractère national du Québec est probant et largement reconnu dans les discours, dès 1867 après tout, notamment dans la propagande du parti de Georges-Étienne Cartier. Le Québec peut, et doit donc pousser dans cette voie et forcer le gouvernement à reconnaître que, en vertu de ses droits démocratiques d’une part, son caractère national portant à conséquence d’autre part, il doit négocier avec le Québec devant une volonté qui obtient l’appui de l’électorat. Il y a aussi nombre de précédents sur lesquels s’appuyer. Après tout, Ottawa a accepté de négocier le rapatriement de points d’impôts à Québec dès 1955, après un « forcing » de Duplessis.

Ni abdication ni irréalisme

Que peut proposer le PQ comme approche à la fois efficace et réaliste ? On peut comprendre qu’il ait eu du mal à se réajuster juste après la défaite crève-cœur de 1995, qui fut presque une victoire morale, d’autant que les pratiques du camp adverse furent plus que douteuses. Cependant, cette tergiversation a beaucoup trop duré.

C’est l’incapacité du PQ à définir clairement, en campagne électorale comme entre les campagnes, ce qu’il entend faire à propos de son option qui est à la source de la désaffection du public et qui risque de provoquer une désaffection pour la souveraineté elle-même, qui stagne dans les sondages, le dernier sommet d’appuis au-dessus de 50 % remontant à 2005 en plein scandale des commandites.

Le PQ ne doit ni renoncer à son option ni se proposer de se cantonner à long terme dans l’opposition en limitant son programme à un seul article, la réalisation immédiate de la souveraineté, programme que l’électorat juge irréalisable, ce qui doit se comprendre après 1980 et 1995.

Le PQ doit cependant se recentrer sur la souveraineté et l’affirmation nationale. Il doit proposer un bon gouvernement défini comme « bon » parce que nationaliste, parce qu’il fera avancer le Québec vers toujours plus de souveraineté, parce qu’il la fera progresser et œuvrera concrètement à rendre celle-ci plus facile à réaliser, parce qu’il préparera activement l’indépendance. Car il doit aussi, en même temps, se remettre à faire une promotion beaucoup plus active de celle-ci, et à préparer l’indépendance, comme il le fit sous la direction de Jacques Parizeau.

Enfin, il faudra bien sûr que le PQ se donne un chef capable de porter ce projet de façon crédible. Il est difficile de séparer l’impréparation de la direction du parti au XXIe siècle, mais aussi de l’état-major du parti. En 2003 aussi bien qu’en 2014, c’est ce qui frappe. Le chef devra bien s’entourer, et pas seulement dans son équipe ministérielle – de ce côté en 2014 le PQ démontrait une vraie capacité de recruter des talents.

En effet, si le PQ doit se recentrer sur l’indépendance, sa promotion et sa préparation, en employant ses budgets de recherche et ses moyens à cela, cela ne signifie pas qu’il soit obligé de proposer la tenue d’un référendum sur la souveraineté dans un premier mandat. En 1989, Jacques Parizeau estimait devoir commencer par proposer des référendums sectoriels et remettait la tenue d’un 2e référendum sur la souveraineté à un deuxième mandat.

Puisque la conjoncture, et depuis plusieurs années maintenant, est défavorable à la tenue d’un 3e référendum, il n’aurait pas été mal avisé que le PQ n’en promette pas un durant la campagne de 2014. En revanche, il eût fallu avoir des mesures bien concrètes à proposer, des objectifs réalistes conçus comme un premier stade de réengagement du processus d’affirmation nationale et de préparation de la souveraineté. Le livre blanc tel que défini était beaucoup trop vague pour répondre à ce critère. La gouvernance souverainiste, potentiellement une excellente idée, restait en grande partie lettre morte certes à cause du résultat de 2012, mais aussi, manifestement, faute de préparation.

En termes de promotion et de préparation de la souveraineté, un parti souverainiste qui forme le gouvernement ou l’opposition officielle doit utiliser des fonds de recherche à préparer l’indépendance, à publier des études sur ce qu’elle impliquerait et ce qu’elle permettrait aux Québécois de choisir de faire dans une série de dossiers stratégiques. Quelle politique de transports ferroviaires ? Quels choix s’offriraient au Québec en matière de monnaie ? Au lieu d’improviser la réponse en conférence de presse en pleine campagne, il vaudrait mieux produire des études examinant les implications de chaque option – devise américaine, canadienne ou québécoise. Plus généralement, il faut mettre de l’avant le principe de souveraineté du peuple et critiquer le régime en place dans la perspective des priorités du peuple québécois. Il faut aussi répondre aux arguments des adversaires, par exemple au sujet de la péréquation. Le travail publié dans une étude comme Un gouvernement de trop, par exemple, doit être vulgarisé aussi bien que poursuivi.

Le PQ devrait donc se recentrer d’abord et ensuite, si la donne est encore similaire en 2018, il devrait alors proposer un programme réaliste comme premier stade de progression au cours d’un premier mandat, un peu à l’instar de monsieur Parizeau en 1989. Il pourrait cibler quelques gains d’autonomie ou de souveraineté qui peuvent faire consensus, comme une déclaration de revenus unique, un CRTC québécois, l’extension de la loi 101 aux entreprises à charte fédérale, plus de pouvoirs en immigration, et une attention aux symboles nationaux, comme de changer l’appellation de l’État pour « État autonome du Québec » plutôt que province, la modification du serment des élus et le remplacement du lieutenant-gouverneur par le président de l’Assemblée nationale.

Un bon gouvernement qui fait avancer la nation dans sa quête de souveraineté doit chercher à développer et fortifier la nation dans toutes ses dimensions, économique, culturelle, sociale, intégration des immigrants, éducation, mémoire, politique sportive, etc., aussi bien que plus strictement constitutionnelle. L’affirmation nationale doit être un véritable guide d’action et l’indépendance un objectif très concrètement préparé et promu.

C’est seulement en se redonnant un programme clair, efficace, mais réaliste en matière d’affirmation nationale, de promotion de l’idéal de l’indépendance, mais aussi réaliste, avec un chef crédible pour la mener à bien, que le PQ peut redevenir attrayant et pertinent dans l’échiquier politique québécois.

Beaucoup d’observateurs ont été surpris par l’ampleur de la défaite du Parti québécois le 7 avril, alors que le gouvernement minoritaire de Pauline Marois partait favori dans les sondages au moment du déclenchement des élections. Plus encore, une grande partie des souverainistes s’interrogent sur ce que cela signifie pour l’avenir du PQ, mais aussi de leur mouvement.

Raisons conjoncturelles

Cette défaite ne peut certainement pas s’expliquer par un seul facteur. Il apparaît évident que le PQ a mené une très mauvaise campagne et que de nombreuses erreurs tactiques ont été commises, en commençant par le premier jour de la campagne et l’absence d’un message clair sur le mandat que le gouvernement sortant espérait obtenir. On peut ainsi noter que les gouvernements minoritaires qui ont réussi leur réélection au cours des dernières années, aussi bien Harper à Ottawa que Charest à Québec, étaient parvenus à effectuer des compromis constructifs avec l’opposition ou au moins un parti d’opposition. Le Parti québécois avait plusieurs projets de loi populaires, bien que controversés, en cours, qu’il aurait pu adopter avant de se lancer en élections. Le climat politique au Québec est d’ailleurs sévère, dans un contexte de crise de corruption du système politique, envers toute apparence d’opportunisme.

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