Quelle est la probabilité d’un déversement pétrolier dans le fleuve Saint-Laurent dans la grande région de Québec ou dans l’estuaire ? Comment peut-on en imaginer les conséquences ? Cette question hante journalistes spécialisées et scientifiques depuis plusieurs années, depuis en fait le début de la navigation des grands transporteurs-citernes pétroliers sur le fleuve. Avec raison, on peut se questionner sur le transport fluvial sans cesse en croissance des matières dangereuses que sont les produits de l’industrie chimique et pétrolière en particulier : les conséquences d’un accident sous toutes ses formes (collision, échouement ou perte de contrôle) sont chaque fois d’une gravité qui ne doit pas être sous-estimée.
Parler des risques de la navigation sur le fleuve, c’est d’abord faire état de ce que cette voie de circulation est devenue depuis 20 ou 30 ans. Le Saint-Laurent, un orphelin, voire un mal-aimé, est à l’image de ce peuple de l’eau que furent d’abord les Québécois de la Nouvelle-France. Le grand, l’énorme Saint-Laurent que le célèbre géographe Jean-Claude Lasserre saluait comme le « cœur et le berceau de la nation québécoise », matrice de l’économie de traite et du peuplement en ruban du territoire, grande mer intérieure allongée, espace sacré des origines, ce Saint-Laurent est depuis peu de temps malmené. Placé depuis 1867 sous juridiction fédérale, privé de ses goélettes avec leurs hardis marins-habitants (« Aujourd’hui, on voit des cathédrales circuler sur le fleuve, mais on n’a pas l’idée d’adapter les bateaux en fonction du lieu où ils naviguent. On imagine plutôt d’adapter la géographie du lieu en question[1] »), dégarni de ses quais de villages, pollué par les égouts des villes et par ses industries, le fleuve au centre de notre vie est ignoré.
Depuis les commencements de l’occupation humaine, voie de pénétration et de conquête de l’Amérique par les coureurs des bois et explorateurs qui l’ont déroulée jusqu’au Mississippi, le Saint-Laurent s’est mué en creuset de notre renfermement de survie. De nos jours, plus aucun navire de croisière québécois ne le sillonne pour son paysage et sa majesté, sinon pour observer les baleines ou y débarquer sur ses îles. Ce sont plutôt les paquebots rutilants des croisiéristes internationaux qui débarquent leurs hordes de touristes dans la vieille ville de Québec pour y faire tourner l’économie locale. Désormais, tout domestiqué et canalisé, envahi par les espèces étrangères, avec même un débit contrôlé par un barrage (Moses-Saunders à Cornwall[2]), ce fleuve ne serait-il devenu qu’une voie de transit ou un corridor industriel, de plus en plus à haut risque ?
Aux plans politique et administratif, le gouvernement canadien en est le maître absolu. Il planifie et administre tout le Saint-Laurent, de manière opaque, sans consultation, pour ses intérêts propres (ceux de l’Est et de l’Ouest), puisqu’il en est le propriétaire. Ses administrations portuaires en font autant. Le Québec possède la bordure, les berges, selon un tracé de zonage allant jusqu’à la ligne de « basses eaux ».
Il est clair que, dans le cas des projets de transit pétrolier, un risque toujours plus sérieux plane sur l’intégrité du Saint-Laurent. Que ce soit par la rupture de l’oléoduc sous le fleuve qu’il traverserait, sous la rivière Outaouais et la rivière des Mille-Îles, ainsi que sous la rivière des Prairies, sur les terres riveraines, ou encore par un accident maritime de transport par les pétroliers de Valero en provenance de Montréal dans le cadre du projet Enbridge, toute fuite de pétrole dans le milieu fluvial serait une catastrophe. Enfin, le site du port de mer de Cacouna, choisi par TransCanada, implique des risques que Gaz Métro et Enbridge avaient pris en compte pour ne pas y établir leur quai en eau profonde en plein fleuve lors des préparatifs de leur terminal de GNL Rabaska.
Répétons qu’il est fortement probable que le terminal de Cacouna serve à l’exportation directe outre-mer ou en Nouvelle-Angleterre. Il serait peu profitable pour TransCanada de prolonger un pipeline jusqu’à la raffinerie Irving de St-John si une voie maritime existe. Le représentant de TransCanada l’a confirmé : « C’est absolument nécessaire d’avoir un terminal, a-t-il répété. Nous avons des clients expéditeurs qui ont exprimé la volonté de se servir du terminal maritime du Québec pour de l’exportation[3]. »
Un portrait des difficultés de navigation du Saint-Laurent
Lorsque Jacques Cartier a débarqué à Québec lors de son second voyage en 1535, il s’est bien aperçu que le fleuve intérieur, celui en amont de Québec, n’avait rien à voir avec ceux de son continent natal. Il a alors entrepris sa remontée jusqu’à Hochelaga avec la plus maniable de ses 3 caravelles, l’Émérillon (40 tonneaux). Au lac Saint-Pierre, il doit l’ancrer, car il constate que son tirant d’eau est trop grand. Il doit poursuivre en barques jusqu’au site du futur Montréal.
Aujourd’hui, on peut décrire un parcours fluvial rendu accessible à la grande navigation :
De la sortie du lac Saint-Pierre à la pointe est de l’île d’Orléans, le lit du fleuve se rétrécit et est peu sinueux. Le fleuve coule désormais entre deux rives escarpées ; les grands herbiers et les marécages si abondants en amont disparaissent presque complètement. En aval de Portneuf, ils laissent place à des estrans rocheux soumis à l’action des courants de marée et au mouvement des glaces au printemps, deux facteurs qui favorisent grandement le transport des sédiments.
Les eaux s’écoulent dans un mélange important jusqu’à Portneuf. Dans la région de Québec, le renversement du courant à la marée montante crée un effet de mélange accru des eaux des tributaires dont les rivières Saint-Maurice, Batiscan, Sainte-Anne et Bécancour.
Entre Trois-Rivières et Québec, la profondeur du chenal principal varie de 13 à 40 m et on trouve des fosses de 21 m à l’ouest de Trois-Rivières et de 60 m à Québec. On drague sur une largeur de 240 m les endroits où la profondeur n’atteint pas 11 m, afin que les océaniques puissent se rendre à Montréal. Au sud de l’île d’Orléans et jusqu’à la Traverse du Nord (qui parcourt l’est de l’île jusqu’à l’île aux Coudres), le chenal fait de 2,5 à 5 km de large, mais il doit être dragué sur une largeur de 300 m afin de maintenir une profondeur de 12,5 m « aux fins de la navigation maritime (Ministère du Conseil exécutif, 1985, p. 6)[4] ».
Les bancs de sable constamment en mouvance peuvent aussi provoquer des dangers d’échouement comme il est arrivé au paquebot Norwegian Sky au large de Baie-Sainte-Catherine, face à l’embouchure du Saguenay, en septembre 1999. Déporté sur les hauts-fonds lors d’une manœuvre de giration pour observer les baleines. L’enquête du BST dit que « […] les vérifications confirment des dégâts importants aux hélices et gouvernails ainsi qu’une voie d’eau dans les double-fonds[5] ».
Quant à la glace, principale préoccupation pour la navigation, elle est un défi constant et une source de dangers. Flux et reflux des marées font que le courant du fleuve s’inverse plusieurs fois par jour. Le goulot d’étranglement sur la portion entre Québec et Lévis rend ces mouvements problématiques l’hiver, lorsque les glaces s’accumulent et peuvent bloquer toute la largeur du fleuve. Un mouvement très simple et fondamental peut ainsi se compliquer. Si les vents soufflent dans le même sens que celui de la marée, dans le sens du courant donc, les glaces s’évacuent bien. Si le vent souffle dans le sens contraire de la marée, les effets sur les glaces sont tout autres : un vent du sud-ouest ou ouest facilitera le mouvement des glaces lors du reflux « alors qu’il le freinera lors du flux. De même, un vent de nord-est, assez fréquent en hiver à Québec, fait barrage aux glaces emportées par la marée descendante et les accumule en amont par marée montante[6] ».
Étonnamment, l’absence de glace rend les conditions de navigation souvent plus difficiles. La présence de glace limite l’impact que peuvent avoir les vagues sur un navire.
Un historique de négligence remboursée
Des milliers de déversements de pétrole ont lieu tous les ans dans les eaux canadiennes, et le gouvernement fédéral s’apprête à consacrer 5 millions $ au cours des trois prochaines années pour nettoyer une partie des dégâts.
Le ministère fédéral de l’Environnement estime qu’une douzaine de déversements (chacun représentant environ 4000 litres de pétrole) sont déclarés chaque jour au pays. Cela représente plus de 17,5 millions de litres de pétrole qui se retrouvent annuellement dans les écosystèmes marins canadiens[7].
Le principe du pollueur privé-payeur public s’applique donc au Canada (et au Québec) sans retenue ni gêne : on laisse la corporation faire ses dégâts d’affaires et l’État nettoie le tout.
Mars 2007 : Environnement Canada indique dans le rapport du BAPE sur Rabaska qu’elle n’est pas en mesure de faire des modélisations pour un accident de méthanier survenant au large de l’île d’Orléans. Le rapport indique que les méthaniers navigueront à 500 m de la rive sud de l’île. Cependant, la probabilité d’un tel événement est faible, jugent les commissaires (page 150 du rapport). On conclut donc que le rapport rassure complètement.
Mars 2008 : deux déversements coup sur coup surviennent chez Ultramar. Après divers incidents, dont une explosion, depuis 2005. La probabilité de telles séquences était tellement faible qu’on les a tenues secrètes pour ne pas « ameuter inutilement les gens » (Le Soleil, 28 mars 2008). Le plan de communication avec la Ville de Lévis n’a pas été appliqué, sous prétexte que l’incident est arrivé dans les limites de la raffinerie. Aucune précision n’a été donnée sur les impacts physiques à plus long terme sur le milieu.
16 mars 2008 : une fuite de 400 tonnes de fioul lourd et toxique à la raffinerie de Donges touche l’estuaire de la Loire, site écologique et touristique sensible. Total commence son enquête interne le 20 mars. Plusieurs manquements sont identifiés. Plusieurs communes sont touchées, la nappe se propage jusqu’aux îles de Ré et d’Oléron, à plusieurs centaines de kilomètres de là. L’alerte a trop tardé sur ce site classé SEVESO II (Le Monde, 25 mars 2008). L’estuaire de la Loire avait été touché sur une vingtaine de kilomètres, notamment dans le secteur de Paimboeuf. Une fissure de 20 centimètres sur un tuyau reliant le poste n° 6 à la raffinerie Total serait à l’origine de la fuite de fioul lourd (Mer et Marine, 23 mars). « La population locale est plus méfiante, qui est excédée par cette nouvelle mésaventure, huit ans après celle de l’Erika. Une “marche de la colère” est appelée samedi à Saint-Nazaire » (Libération, 19 mars).
21 mai 2011 : un déversement de 4 000 litres à la station de pompage de Terrebonne du pipeline 9-B, dont 3 000 sont « retournés » au pipeline, ne sera dévoilé que le 12 novembre 2013, étant « passé inaperçu » dans le milieu et les médias. Une situation pancanadienne, semble-t-il. La Ville de Terrebonne n’a pas été avisée[8].
1er septembre 2013 : la fuite de pétrole des réservoirs de Cliffs Natural Resources sur la pointe Noire à Sept-Îles (450 000 litres, dont 5 000 fuient dans la baie) dérive jusqu’aux installations de la Ferme maricole Purmer, sur l’île Grosse-Boule, quelque 18 kilomètres plus loin, en passant entre le port et l’île Grande-Basque. 250 000 livres de moules bleues doivent être jetées, cinq ans de travail son perdus ; le directeur de l’usine parle aux médias le 10 octobre et précise que 300 travailleurs sont à l’œuvre.
En 1990, près de deux ans après que l’Exxon Valdez eût perdu 40 millions de litres de pétrole sur les côtes de l’Alaska, en janvier 1989, un rapport produit par M. David Brander-Smith, un avocat de Vancouver, avait recommandé que tous les pétroliers canadiens soient munis d’une double coque d’ici 1998.
Le rapport recommandait aussi que seuls les navires étrangers munis de double coque soient autorisés à circuler dans les eaux du Saint-Laurent, à compter de l’an 2000.
Le gouvernement fédéral n’a toutefois jamais donné suite à ces recommandations, provoquant la colère de l’auteur du rapport qui estimait que les chances « statistiques » pour que se produise un déversement de un à 10 millions de litres au Canada revenaient une fois tous les deux ans.
De plus, le rapport estimait qu’un « déversement catastrophique » de plus de 10 millions de litres, soit neuf fois moins que la cargaison du Braer, pouvait se produire au Canada tous les 15 ans[9].
Le document de travail de Transports Canada intitulé Transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses : responsabilité et indemnisation (octobre 2010) commence ainsi.
Au Canada, au cours des neuf dernières années (2001-2010), au moins 98 déversements de produits chimiques provenant de navires en eaux canadiennes ont été recensés. Même si, dans la plupart des cas, il s’agissait de petits déversements, le volume important de SNPD transportées par des navires de mer, en particulier dans le cadre de nos échanges commerciaux internationaux, fait que le risque d’un déversement majeur de produits chimiques en eaux canadiennes est très réel.
Ce document analyse la Convention des substances nocives ou potentiellement dangereuses (SNPD) de 2010. Fait intéressant et même crucial pour un terminal québécois, ce document nous apprend que la contribution du transporteur au Fonds SNPD ne s’applique pas dans le cas de transbordement de SNPD, d’un navire à l’autre ou via un terminal ou un port. Ce transfert de cargaison est considéré en tant qu’étape (double) de son transport par mer vers une destination finale. Le transport par camion ou par train n’est pas touché par cette disposition (p. 12).
Avec le transit pétrolier sur toute la longueur du Saint-Laurent, on peut donc constater que le risque global augmente. Dans l’hypothèse où Valero ferait de l’exportation en situation de surplus, ce qui peut se déceler dès à présent, on aurait deux ports d’exportation, en plus du transport en eaux intérieures (Montréal-Lévis) par les navires d’Enbridge et de Valero.
Le déversement et ses effets
Un expert reconnu, Émilien Pelletier, professeur à la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie marine de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER) à l’Université du Québec à Rimouski, brosse un tableau succinct de ces problèmes en cas d’accident :
Il est assez évident qu’un accident important (quelques dizaines de tonnes et plus) à St-Romuald ou dans tout le secteur de Lévis-Québec aurait des conséquences immédiates et très néfastes sur le fleuve Saint-Laurent qui débite en moyenne 12 500 m3/sec avec un fort courant d’environ 7 nœuds à marée basse. En plus, les vents sont souvent de l’ouest-nord-ouest ce qui pousse encore plus la nappe vers l’aval en direction des Îles et de toute la rive sud de l’estuaire moyen du St-Laurent de l’île aux Coudres jusqu’à Rivière-du-Loup. Un petit accident (quelques tonnes seulement) survenu au quai d’Ultramar au printemps 1988 (le navire Czantoria) avait clairement démontré le cheminement du pétrole vers l’aval jusqu’à l’île aux Grues en moins de 24 heures.
Toute la rive sud de l’estuaire et toutes les villes et les villages jusqu’à la pointe du parc Forillon pourraient être plus ou moins touchés selon l’ampleur du déversement. Il faudrait un déversement très important pour atteindre le golfe. Le pétrole n’aurait pas tendance à coller à la rive nord à cause des vents dominants et des courants de surface qui se dirigent principalement vers l’avant à l’exception des périodes de marées hautes.
Dans la région immédiate de Québec-Lévis, la marée montante est assez forte pour renverser la direction des courants et faire remonter une nappe de pétrole vers le pont de Québec et même la pousser vers Québec (avec un vent du sud) et le bassin Louise et même probablement pousser du pétrole vers le chenal nord de l’île d’Orléans. Mais dans ce cas il faut parler de grands volumes, c.-à-d. des centaines de tonnes.
En hiver, c’est la catastrophe annoncée ! Il n’y a pratiquement rien à faire contre le pétrole qui se disperse à travers les glaces fracturées et mouvantes comme on les voit en face de Québec pendant la traversée en canots. Le pétrole restera prisonnier des glaces un certain temps et va ensuite descendre l’estuaire avec les glaces surtout en longeant la rive sud de nouveau et ainsi laisser le pétrole se disperser sur une immense superficie sans qu’il soit possible d’intervenir. Il faudra attendre à la fonte des glaces pour découvrir le pétrole tout le long des rives probablement jusque dans le golfe et au sud du Nouveau-Brunswick[10].
En hiver, il y a la dérive des glaces, qui peuvent partir sans avertissement, et de nombreux problèmes qui sont rarement rencontrés dans les zones tempérées ou tropicales. Un déversement pendant cette période de l’année serait la pire situation que l’on puisse connaître puisque nous n’aurons aucun contrôle sur ce qui va se passer. Un déversement en face de Rimouski pourrait se retrouver à Gaspé, puis aux Îles de la Madeleine[11].
Le portrait le plus réaliste des conséquences d’un déversement fluvial majeur a été dressé par le Groupe Océan, dans un mémoire présenté à un comité d’experts de Ressources Canada en juin 2013 :
De 2002 à 2011, 90 événements maritimes impliquant exclusivement des navires-citernes ont été déclarés aux autorités au Canada (ANNEXE B-tableau 4).
Considérant que la capacité canadienne d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures est insuffisante, un seul de ces événements aurait pu mener à une catastrophe nationale. Cette donnée n’inclut ni les barges, ni les vraquiers transportant du pétrole. Dans la région des Laurentides seulement (qui comprend en gros le territoire québécois), 53 événements maritimes impliquant des navires-citernes sont survenus de 2002 et 2011 (ANNEXE B-tableau 4). Un seul déversement d’hydrocarbures aurait pu souiller la vallée du Saint-Laurent en entier et avoir des répercussions dans la région des Maritimes et dans les eaux canadiennes de l’Atlantique et au-delà, et pour des décennies comme ce fut le cas de l’Exxon Valdez en 1989[12].
[…] Les navires à fort tirant d’eau qui doivent profiter d’une marée suffisamment haute pour passer la Traverse du Nord doivent maintenir une vitesse minimale de 9 à 10 nœuds afin de pouvoir la franchir sans risque. Lorsque le navire est engagé dans la Traverse, s’il survient une erreur humaine ou une défaillance, il est impossible de faire demi-tour et il faut absolument la franchir en entier à marée haute pour ne pas s’y échouer. Tous ces éléments, vitesse et marée haute, ont de fortes chances de pousser le navire loin hors du chenal navigable. Une fois le navire échoué, les contraintes exercées sur la coque à marée basse pourraient le fracturer. Dans pareil cas, une double coque n’est d’aucun secours et un déversement est presque inévitable.
De plus, les manoeuvres de remise à flot des navires échoués sont souvent très longues, et peuvent durer plusieurs heures, jours, voire semaines […] Il ne faut pas oublier que le Saint-Laurent est la source d’eau potable de dizaines de communautés riveraines ; un accident maritime impliquant des navires transportant des cargaisons dangereuses et toxiques, ou la déchirure de soutes à carburant, pourrait avoir des répercussions désastreuses sur le bien-être d’un grand nombre de riverains. Enfin, le dommage, possiblement irréparable, aux fragiles écosystèmes du Fleuve et de ses berges et la destruction des habitats d’une faune qui est riche et variée constitueraient aussi une perte incalculable.
[…] De la frontière Ontario-Québec jusqu’à Gaspé, le Saint-Laurent abrite plus de 750 aires protégées totalisant près de 652 000 hectares (6 520 km2), soit 17 fois la superficie de l’île de Montréal. Cela comprend les aires de concentration d’oiseaux aquatiques, les habitats de mammifères marins ou dépendant du Fleuve, les milieux naturels de conservation volontaire, les parcs nationaux, les refuges d’oiseaux migrateurs, les refuges fauniques, les réserves écologiques, les réserves nationales de la faune et les réserves naturelles.
[…] De plus, le Saint-Laurent abrite trois réserves mondiales de biosphère de l’UNESCO, celles de Charlevoix, du lac St-Pierre (la plus importante héronnière d’Amérique du Nord avec plus de 1300 nids dénombrés, et la première halte migratoire printanière de l’oie des neiges sur le Saint-Laurent, classée site RAMSAR) et de Manicouagan-Uapishka.
[…] La prévention constitue un élément clé pour limiter les risques de déversement d’hydrocarbures. Le fait demeure que, malgré plusieurs avancées technologiques, les hydrocarbures déversés sont extrêmement difficiles à nettoyer. Par exemple, seulement 10 % des hydrocarbures déversés lors de l’échouement de l’Exxon Valdez ont été récupérés[13].
La faune et la flore des rives du Saint-Laurent sont en effet uniques et fragiles. Le fleuve se caractérise dans sa majeure partie par ses herbaçaies à scirpe, aussi nommées zosteraies ou estrans à zostère, ce « foin de mer » avec lequel les ancêtres confectionnaient oreillers et matelas, tout le long des rives, particulièrement du côté sud, moins habité, moins accessible et plus sauvage. Les effets de la contamination d’un déversement sont donc « durables » et à très long terme. Davantage que les oiseaux touchés, ces plantes marines retiendraient le pétrole qui serait pratiquement impossible à nettoyer.
Le Saint-Laurent et plusieurs rivières du Québec étant des sources majeures d’approvisionnement en eau potable, la protection de cette ressource constitue un enjeu majeur de santé publique. Par ailleurs, les populations avoisinantes peuvent également être affectées, à plus ou moins long terme, par la contamination des sols, de la faune et de la flore (alimentation), et de l’air ambiant. Pour certaines substances (persistantes et bioaccumulables), la contamination de mollusques ou de poissons peut perdurer plusieurs mois, voire plusieurs années[14].
Le dossier qu’a monté le gouvernement du Québec en vue des consultations sur l’inversion du pipeline d’Enbridge se veut assez explicite sur la réalité d’un déversement :
En cas d’incident, le danger premier est l’exposition des populations avoisinantes aux produits pétroliers.
— Si les effets sont variables, les symptômes généralement rapportés sont des irritations des yeux, du nez et de la gorge, des maux de tête, des étourdissements et des somnolences.
— Certaines substances composant les produits pétroliers sont reconnues comme cancérigènes. Cependant, ces risques sont à relativiser, considérant leurs toxicités à long terme et les temps d’exposition généralement courts dans un contexte d’accident industriel.
— À la suite d’un déversement, il n’est pas exclu que le produit déversé prenne feu. Un certain nombre de personnes pourraient être potentiellement exposées à des radiations thermiques et aux fumées résultant de la combustion du pétrole brut.
— Les conséquences d’un accident d’envergure sur la santé des populations touchées ne se limiteraient pas uniquement à la dimension physique. À la suite d’un déversement pétrolier majeur et ce, même sans victimes à déplorer, la prévalence de troubles psychologiques pourrait augmenter.
— Un déversement touchant un cours d’eau, un lac ou la zone de recharge d’un aquifère pourrait menacer des sources d’eau potable.
— Dans sa portion québécoise, la canalisation 9B traverse de nombreux cours d’eau. Certaines de ces traversées sont particulièrement sensibles d’un point de vue de santé publique puisqu’elles sont en amont de prises d’eau majeures desservant jusqu’à 100 000 personnes.
— Le parcours de l’oléoduc traversant des zones densément peuplées, l’effort doit porter sur la définition précise du risque et sur la mise en oeuvre par le promoteur des mesures de sécurité et de mitigation inhérentes, en collaboration étroite avec les intervenants de première ligne[15].
La Ville de Montréal a aussi fait état de ses inquiétudes quant à l’inversion de la ligne 9-B d’Enbridge. La Ville craint tout particulièrement l’impact d’un déversement sur ses sources d’eau. L’oléoduc 9B traverse la rivière des Outaouais, en amont de la métropole, et une fuite pourrait compromettre l’approvisionnement en eau de 2 millions de personnes. Le mémoire cite également des données de l’Institut Polaris selon lesquelles Enbridge est responsable de 804 déversements en Amérique du Nord, entre 1999 et 2010. Aux États-Unis, l’entreprise a été vertement critiquée par le gouvernement américain après un déversement dans la rivière Kalamazoo, au Michigan.
En raison notamment des conséquences et des délais d’intervention de l’entreprise, il devient légitime de soulever des questions sur l’état de sa préparation réelle en cas de fuite, de déversement ou autre incident reconnu comme sinistre[16].
Le pipeline traverse la couronne nord de Montréal à la hauteur de Mirabel et Saint-Janvier, passe sous des quartiers résidentiels de Terrebonne, Saint-François à Laval et Rivière-des-Prairies. À Terrebonne, là où se situe une station de pompage, on trouve à proximité trois bâtiments scolaires et une garderie ouverte 24 heures sur 24. Une carte interactive a été tracée par Équiterre, Environmental Defence et d’autres groupes locaux, permettant aux résidents de voir pour la première fois par où passe ce tuyau sous leurs pieds[17]. L’accident maritime qu’est le déversement est le plus souvent dû au facteur humain :
La plupart des incidents sont des fuites et des débordements attribuables à l’erreur humaine. Ils se produisent lors des opérations normales des navires, chargements ou déchargements, nettoyage des citernes, rejets des eaux contaminées… Exemple typique : un cargo qui laisse échapper 200 litres de pétrole à l’eau, lors d’une opération de pompage. Il y a aussi beaucoup de déversements d’origine inconnue, comme cette nappe de mazout de près 4000 litres qui s’est promenée au large de Rimouski, en 1992[18].
Les pires conséquences d’un accident avec explosion, qui peut survenir dans le cas de collision ou de heurt sur l’eau par exemple, ou lors d’une fuite d’oléoduc, sont assez dramatiques, comme on l’a vu à Lac-Mégantic. Règle générale, tout déversement est susceptible de provoquer une explosion par inflammation des vapeurs, qui sont très concentrées près des nappes et qui se répandent avec les vents et les courants. C’est ce que savaient fort bien les sapeurs-pompiers de Lac-Mégantic, habitués à regarder passer les convois de bombes noires dans leur ville et redoutant davantage une rupture d’essieu ou de rail que le scénario inimaginable qu’ils ont vécu. « C’est notre cocktail de train… C’est notre cocktail de train ! », s’est exclamé Denis Lauzon, chef pompier, au petit matin du 6 juillet 2013, reflétant ainsi les inquiétudes longtemps entretenues exprimées par la mairesse depuis que ces convois traversaient la ville.
Aucun plan d’urgence, si détaillé soit-il, ne peut parer à une catastrophe de cette vitesse. Les sapeurs n’ont eu qu’à regarder brûler les wagons et les arroser avec de l’eau puis avec de la mousse ignifuge expédiée par Valero de Lévis. Il y a eu premier BLEVE (Boiling Liquid Expanding Vapor Explosion) à 3 h 45, une boule de feu s’élevant en champignon au-dessus de la ville. Plusieurs suivent. Plusieurs wagons éclatent comme un pop-corn. La température a grimpé à 1 500 C, la température maximale que peut atteindre un feu d’hydrocarbures. On ne peut approcher à moins de 700 mètres. Les pompiers savent alors que le feu pouvait brûler pour 7 à 10 jours. Ce n’est finalement que le 7 juillet à 11 h que la conflagration est éteinte[19]. Le nombre de victimes aurait pu être plus élevé si l’accident était arrivé le jour ou si quatre agents de la sécurité publique n’avaient averti les résidents.
Pour le milieu naturel, les conséquences sont insoupçonnées. Des zones marines inestimables bordent le site de Cacouna, entre autres.
« Les déversements d’hydrocarbures constituent également une autre menace pour les oiseaux qui fréquentent l’estuaire du Saint-Laurent, étant donné le nombre important de navires qui empruntent cette voie », réitère Environnement Canada à propos de la réserve nationale de faune des Îles-de-l’Estuaire, qui abrite des zones de protection intensive d’espèces nordiques rares, tels les guillemots et les petits pingouins. Cette réserve, qui comprend l’île aux Lièvres, s’étend de Kamouraska à Cacouna.
Quant à la réserve marine du Saguenay, qui s’étend dans le fleuve de Cap-à-l’Aigle jusqu’aux Escoumins, elle fait face à Cacouna. Les précieux bélugas qui s’y nourrissent et se reproduisent sont déjà en danger :
[…] la population de ce mammifère marin de l’estuaire du Saint-Laurent a chuté de près de 20 % en 10 ans en passant de 1100 à un peu moins de 900 individus. Cette situation a été décrite comme alarmante compte tenu que la population de bélugas était déjà plutôt mal en point. Cette population, qui avait à peine survécu à la chasse effrénée du 20e siècle, puis qui s’est vue aux proies de contaminants persistants dans l’environnement (BPC, DDT), semble maintenant crouler sous le poids d’une combinaison de facteurs (conditions environnementales défavorables, dont la hausse des températures de l’eau, niveaux élevés de contaminants polybromés (PBDE), une exposition accrue au bruit et au trafic maritime et un « bloom » d’algue toxique).
Bien que les facteurs responsables de ce déclin soient toujours sous la loupe des chercheurs, le véritable problème réside sans doute dans le fait que les coupures fédérales des dernières années en matière de recherche scientifique et environnementale n’aideront en rien à résoudre la problématique, tel que l’affirme Robert Michaud, président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). En abolissant des postes de scientifiques travaillant en écotoxicologie, tout comme le poste d’un chercheur spécialiste des bélugas, en plus de pratiquement ignorer la question des changements climatiques, le gouvernement fédéral, bien qu’affirmant le contraire, laisse à son propre sort l’une des espèces phares du Saint-Laurent[20].
Enfin, les effets plus difficiles à déceler et invisibles des contaminants qui s’introduisent dans la chaîne alimentaire, à la fois des animaux et des humains, ouvrent une boîte de Pandore dont on ne connaît pas encore la fin.
Les types d’interventions existants
Bien que l’industrie semble s’orienter vers une planification de contingence plutôt que les plans traditionnels de contingence, il reste que la prévention des risques a ses limites. Cette planification protège l’industrie en termes d’exigences juridiques, parfois imposées par l’État (cf. le dévoilement des substances en transit ferroviaire aux municipalités… après que les convois soient passés) et fournit des lignes d’action aux entreprises pour atténuer les conflits avec les populations, mais elle semble d’abord être une stratégie de coordination des ressources d’information et de main-d’œuvre sur le terrain de l’accident.
Les moyens qui sont disponibles à l’heure actuelle pour contrer une marée noire dans le fleuve, autant que dans le golfe, seraient dérisoires d’après les experts avisés :
[…] sans même l’arrivée d’une seule plate-forme pétrolière, pas moins de 82 navires de 150 000 tonnes – un tous les quatre jours – remontent le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent pour alimenter la raffinerie d’Ultramar à Lévis en plus des 10 000 navires commerciaux qui remontent le chenal du Saint-Laurent.
« Il n’y a rien qui a été fait en hiver pour connaître les conséquences d’un déversement pétrolier. Nous avions demandé du financement pour faire une expérience, mais en été, et ça n’avait pas été soutenu », a souligné Gustavo Ferreyra, chercheur à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, Émilien Pelletier, directeur de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicologie marine à l’Institut des sciences de la mer :
« Nous sommes encore avec des barricades et des systèmes de pompage. Il n’y a pas presque pas eu de progrès depuis 30 ans dans la récupération du pétrole. Que ferions-nous s’il y avait un déversement de pétrole en présence de glace qu’il provienne d’un port, d’un pétrolier ou d’une plate-forme ? On a pratiquement les mains liées avec les techniques que je connais actuellement[21]. »
[…] Si l’on a affaire à un déversement de produits chimiques, il est le plus souvent impossible de procéder à un nettoyage. Au mieux, on pourra tenter de neutraliser le produit à l’aide… d’autres produits chimiques.
Mais dans le cas d’un déversement de pétrole, il y a généralement plus de possibilités d’intervention : déploiement d’estacades, pompage des hydrocarbures et effarouchement des animaux, pour ne nommer que les plus courantes.
Quand un incident est repéré en dehors des limites d’un port, on avise le Service de trafic maritime ou la station côtière la plus proche. L’alerte est ensuite donnée à tout un réseau dont font partie, entre autres, Transports Canada, Environnement Canada, le ministère de l’Environnement et de la Faune, le Service canadien de la faune et la Société d’intervention maritime pour l’est du Canada (SIMEC), afin de fournir des services et conseils en cas de déversement, à la Garde côtière et aux organismes qui en font la demande[22].
[…] Les déversements majeurs les plus récents dans le Saint-Laurent remontent à 1990 (Rio Orinoco : 185 tonnes) et 1988 (Czantoria : 400 tonnes). La SIMEC, fondée en 1995, n’est donc intervenue jusqu’à maintenant que dans une vingtaine de déversements mineurs (moins de 1000 litres). Chaque année, la Société participe toutefois à une simulation provinciale réunissant les principaux intervenants dans un lieu à risque. Elle assure également la formation du personnel des firmes avec lesquelles elle pourrait être appelée à travailler sur le fleuve ou sur ses berges.
Mais Pierre Samson, directeur régional de la SIMEC, se garde bien de promettre l’impossible. « Notre but, dit-il, est de répondre à l’urgence, de minimiser l’impact. »
Selon Émilien Pelletier, professeur-chercheur à l’INRS-Océanologie à Rimouski, les bélugas et les phoques pourraient très bien s’enfuir, à la vue d’une nappe de pétrole. Mais rien n’est moins sûr. Or, « si des hydrocarbures entraient en contact avec leurs yeux ou leurs poumons, les réactions seraient certainement dramatiques ». Un moyen d’éviter ou de réduire au minimum l’engluement des animaux, des berges, des infrastructures et des bateaux, consiste à déployer des estacades le plus vite possible. Ces boudins flottants, de 60 à 150 cm de diamètre, confinent à l’intérieur d’un périmètre restreint les hydrocarbures échappés, en attendant qu’on les récupère. Mais de forts courants, ou la nature même du produit déversé rendent parfois ces barrières inefficaces[23].
Les pêcheries commerciales, qu’on trouve dans le lac Saint-Pierre et en plus petit nombre et envergure dans l’estuaire (anguille, crabe, éperlan), ne sont pas protégées par la réglementation.
Le bitume présente encore plus de risques que le pétrole ou le gaz. Comme il est plus lourd, il se dépose au fond de l’eau et rend le nettoyage plus difficile, sans compter les impacts négatifs sur l’environnement qui se font sentir plus longtemps. Bien entendu, grâce aux changements apportés par le projet de loi C 38 du gouvernement fédéral, nous n’aurons plus à nous soucier des dommages que pourraient subir les cours d’eau et les terres où passera l’oléoduc, sauf s’ils abritent des poissons visés par une pêche commerciale, récréative ou autochtone[24].
L’implication de la population riveraine est aussi une avenue qui a été considérée dans la course au pétrole : au lieu de rester spectateur et de regarder passer les bateaux, le citoyen peut se faire milicien et s’armer contre la viscosité. Cependant, penser à sa santé serait déjà un premier pas :
[…] je crois pouvoir l’affirmer : nous ne sommes pas prêts. J’ai participé, en 1998, à une simulation en temps réel d’un déversement majeur 10 000 tonnes de mazout sur l’eau près de l’île d’Orléans. Imaginez le scénario : du pétrole à perte de vue de Lévis à Rivière-du-Loup. Durant cet exercice des premières 48 heures du déversement, j’ai proposé de faire de la santé des populations côtière un enjeu important. Prévoyons les effets respiratoires chez des riverains, qu’il faudra évacuer, ai-je dit. Autre scénario suggéré : des centaines de bénévoles débarquant de partout, émus devant les oies blanches noircies et voulant « aider », mais sans endroit où se loger. Ces deux cas arrivent lors de déversements majeurs. Pourtant, les intervenants ont mal réagi. C’était la première et la dernière fois que j’étais invité à participer à une telle simulation. Depuis des années, je me bats aussi pour implanter le Programme CORVAE, afin de former des citoyens pour en faire des premiers répondants efficaces en cas de déversement. La seule réponse que j’ai obtenue, c’est qu’il n’y aura pas d’accident chez nous… Notre manque de préparation amplifiera les conséquences humaines, écologiques et économiques lorsque l’accident surviendra. C’est notre déni de la réalité qui en sera responsable. Cessons de nier et prévoyons la catastrophe. C’est souvent la meilleure façon de la prévenir[25].
Ultramar avait mis en garde contre le transport fluvial lors de ses « corrections » au témoignage d’un participant à la commission du BAPE sur son projet de pipeline :
Page 10 : « Une fuite dans l’eau est grave, mais facilement récupérable. »
Rectificatif au mémoire [de Martin Scott] (DM-26)
Une fuite sur le fleuve Saint-Laurent peut être passablement complexe à récupérer. La vitesse du courant de l’ordre de 2 à 3 nœuds entre Montréal-Est et Grondines, puis d’intensité et de direction variables entre Grondines et Lévis en fonction des marées, fera en sorte qu’un déversement se sera déplacé plusieurs kilomètres une fois que les équipes d’intervention seront en mesure d’agir sur le terrain. Si ce déversement survenait dans un port et que le produit déversé était de l’essence, il pourrait y avoir accumulation de vapeurs et risque d’explosion. Enfin, la probabilité de bris d’un pipeline est au moins 7 fois moindre que pour un navire[26].
Les composés du pétrole
En plus du pétrole lui-même, diverses substances composées sont dangereuses, dont l’arsenic. En août 2010, le Globe and Mail a révélé des statistiques d’Environnement Canada démontrant l’augmentation de 26 % entre 2006 et 2009 des résidus d’arsenic et de plomb, avec d’autres substances toxiques, dans les bassins de décantation des gisements de l’Alberta des sables bitumineux (Canal Argent, 11 août 2010).
Le gouvernement albertain, quant à lui, minimise l’importance de la présence de l’arsenic et des substances toxiques dans son pétrole en exigeant des sociétés des « techniques de pointe » pour mieux gérer son output[27].
On sait déjà que le produit transporté sur la ligne 9-B proviendra de plusieurs champs pétrolifères de l’Ouest, dont celui des champs de Bakken au Dakota[28].
L’arsenic trouvé dans la rivière Chaudière à Lac-Mégantic témoigne de la composition du pétrole de Bakken. Le MDDEP et son ministre Yves-François Blanchet ont tenté de banaliser cette présence, affirmant que l’arsenic se trouvait en concentration naturelle dans cette zone des Appalaches,
[…] suite aux prélèvements faits par la Société pour vaincre la pollution qui avaient décelé trois fois la norme en arsenic dans la rivière Chaudière qui prend naissance au lac. Il contient aussi des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) qui, mélangés avec l’arsenic, forment un cocktail des plus toxiques et cancérigène. Absorbés par les matières organiques et les plantes, ils sont absorbés par l’organisme humain et se lient à l’ADN et provoquent des dysfonctions cellulaires.
« Les pétroles de schiste sont des mélanges très complexes, et très peu de leurs composés ont été identifiés », indique l’Agence Internationale de recherche sur le cancer (IARC). Leur haute teneur en arsenic est cependant établie précise l’IARC, car c’est justement un des facteurs qui différencie ce carburant du pétrole brut.
Aux États-Unis, l’Agence de protection de l’environnement a relevé de hauts niveaux d’arsenic dans les eaux souterraines près des puits d’extraction par fracturation au Wyoming et en Pennsylvanie. Des chercheurs de l’Université du Texas à Arlington ont fait des découvertes similaires dans leur État.
Empoisonnement
Au Dakota du Nord, l’Institut Earth Island a ainsi documenté des cas de travailleurs de l’industrie pétrolière malades suite à un empoisonnement à l’arsenic. Chez certains, le niveau de ce poison retrouvé dans leur urine est près de trois fois supérieur à la norme.
Wagon de pétrole vidé et nettoyé à Lac-Mégantic
En plus de l’arsenic, l’IARC précise que le contact avec du pétrole de schiste expose l’organisme à une foule d’autres contaminants, dont le benzo(a)pyrène. Cet hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) cancérigène a justement été retrouvé dans les sédiments de la rivière Chaudière, par Greenpeace et la SVP, à des taux excédant parfois dix fois la norme[29].
L’équipement existant est rudimentaire (lorsqu’entretenu et réparé, ce qui n’est pas le cas au Québec du moins actuellement). Pompes, brosses, râteaux, barrières, voire écrémeurs comme ceux de l’entreprise finlandaise Lamor (lamor.com) qui séparent les huiles de l’eau avec des brosses avant de la pomper. Le pétrole ainsi récupéré ne contient pas plus que 5 % d’eau, soutient le fabricant. Ces équipements sont conçus pour la côte ouest américaine, l’Europe du Nord et l’Arctique. À l’été 2013, la ministre Leona Aglukkaq, nommée présidente du Conseil de l’Arctique, a visité les installations de Lamor.
Des superpétroliers de haute mer dans le fleuve : un risque évalué ?
Les responsables de la Voie maritime sont eux aussi conscients du péril grandissant de la circulation de pétrole sur le fleuve ; dans son témoignage devant une commission fédérale, un administrateur reconnu du domaine maritime est explicite :
Czantoria : le 8 mai 1988, un pétrolier de 100 000 tonnes rate son accostage au quai d’Ultramar à St-Romuald et laisse s’échapper 400 tonnes de brut léger qui contaminent 70 km de rives. Il en coûte 2 millions $ pour ramasser le tout. Il s’est produit trois déversements d’importance dans le fleuve Saint-Laurent : près de l’île d’Anticosti, le Rio Orinoco, en 1990, a déversé 260 tonnes ; en 1988, le Czantoria, près de Saint-Romuald, a déversé entre 100 et 400 tonnes ; le Pointe-Lévy, en 1985, a déversé à Matane 400 tonnes […][30]
Les grands cargos, surtout pétroliers et méthaniers bien sûr, sont des navires de haute mer, pas des navires de fleuve. Ils sont faits pour se rendre d’un point A à un point B avec le moins de manoeuvres possible. Le directeur adjoint de l’IFP (Institut français des pétroles) affirmait devant les parlementaires français :
Il faut savoir que les grands pétroliers sont des bateaux intrinsèquement fragiles dans la mesure où, non rigides, ils utilisent de manière poussée les caractéristiques des aciers modernes. En conséquence, il faudrait à mon sens, pouvoir contrôler non seulement la route qu’ils empruntent […], mais les conditions météo dans lesquelles ils s’aventurent. […] D’une certaine manière, bien qu’ils soient équipés de moteurs très puissants et de gouvernails adéquats, de tels bateaux sont très peu maniables[31] !
Le Saint-Laurent est une voie reconnue difficile pour plusieurs raisons. Il faudrait y privilégier le trafic cabotier, de tonnage moyen, répondant aux besoins locaux et portuaires et non pas pousser les opportunités pour faire augmenter le chiffre du tonnage brut manipulé afin d’enrichir l’image des autorités portuaires, ce qui semble être l’option privilégiée actuellement, dans la poursuite de la tradition.
Les glaces posent un problème supplémentaire puisqu’elles peuvent obstruer les entrées d’eau de refroidissement des moteurs, provoquant ainsi leur arrêt. Il est arrivé plusieurs incidents et accidents dans le chenal fluvial à cause de ce problème. De plus, le balisage normal est enlevé l’hiver.
La coque des navires est le plus souvent renforcée, et non brise-glace. La distinction est importante : l’aide des brise-glace et de remorqueurs est et reste nécessaire. De plus, la contribution des remorqueurs dits d’escorte est limitée. Ces derniers ne peuvent pas intervenir à la seconde près et sont soumis aux circonstances, parfois complexes, des incidents qui surviennent. Une nouvelle génération de ces remorqueurs d’escorte, dite Rototug, va faciliter et sécuriser les manœuvres. Le remorqueur est contrôlé par trois hélices rotatives et peut tourner sur lui-même. Encore là, on ne peut écarter la défaillance technique ni le facteur humain.
En septembre 2003, inquiets des exigences sur le pilotage qui pourraient être assouplies, les pilotes du St-Laurent dénoncent les conséquences de cette volonté du gouvernement fédéral. Ils écrivent que la proposition d’alléger les règles, dont la présence même des pilotes à bord des navires, ne fait aucun sens :
[…] au surplus, la proposition de DDH [Environnement ltée] ne considère aucunement la nature des cargaisons et ne tient nullement en considération les navires transportant des marchandises dangereuses, alors que la réalité est à l’effet que les principaux bénéficiaires de cette hausse proposée d’exemption seraient des pétroliers.
Considérant par ailleurs que le public n’a nullement été consulté quant à l’acceptabilité des risques aggravés découlant de cette proposition – ce qui est pourtant en théorie au cœur même de la MGRP [méthodologie de gestion des risques en matière de pilotage de Transports Canada] – et la nature névralgique de la zone concernée (haute densité de populations riveraines, Parc marin, Réserve de la Biosphère), la proposition de DDH est à nos yeux tout à fait déplacée[32].
En 2007, le représentant de cette Corporation siège aux côtés du promoteur lors des audiences du BAPE et n’invoque plus ces risques cruciaux dans le projet Rabaska. Le rapport TERMPOL révèle en outre l’influence prépondérante de la Corporation dans sa rédaction (voir le mémoire de Pierre-Paul Sénéchal déposé à cette commission).
Un navire-cargo moderne n’est pas une structure autoportante. Il est susceptible de se casser en deux lorsqu’il s’échoue et n’est plus supporté par l’eau. C’est ce qui est arrivé à l’Alcor en décembre 1999 au large de l’île d’Orléans. Ce cargo était un « navire-poubelle » chargé de ciment. Il a touché le fond au kilomètre 108 de la Traverse. Il a cassé avec l’action des marées, en attendant les pourparlers entre intervenants pour déterminer qui allait financer les opérations de renflouement. Malgré les calculs modélisés de DNV commandés par Rabaska, avec les effets de marées de 6 mètres, on peut douter de la résistance de la poutre navire en cas d’accident et d’échouement (sur fond soit sableux ou rocheux) : les plus grands pétroliers s’y sont abîmés au large des côtes européennes ou de l’Alaska, des déversements ont eu lieu malgré les doubles coques. Les déchirures sont toujours plus grandes que le 1 m 50 posé comme hypothèse majeure… La possibilité d’échouement est conditionnée par la latitude prise en navigation just-in-time et par la mouvance des fonds sableux ou vaseux qui, bien que dragués régulièrement, sont changeants.
Puisque le tirant d’eau d’un navire est un facteur prépondérant de rentabilité, les pratiques commerciales tendent à une navigation le plus près possible du fond[33].
En vertu du Règlement sur la prévention de la pollution par les navires et sur les produits chimiques dangereux pris en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, tout pétrolier construit après le 6 juillet 1993 doit posséder une double coque pour être exploité dans les eaux canadiennes. Une double coque est un type de coque dont le fond et les côtés sont composés de deux couches étanches. Les pétroliers qui ne sont pas munis d’une double coque sont progressivement retirés des eaux canadiennes
Plus grand est le navire, plus grands sont les risques d’accident et leurs conséquences. Les responsables des installations méthanières européennes affirment, avec raison, qu’il faut « une combinaison de facteurs bien précis pour créer un accident et cela n’est jamais survenu en 25 ans d’activité » à Montoir-en-Bretagne (concentration de gaz entre des pourcentages précis, présence d’une source d’inflammation, etc.). N’est-ce pas justement une combinaison de facteurs précis qui a causé la catastrophe du Concorde le 25 juillet 2000 ? Et ce, en dépit de toutes les mesures de sécurité ou du relâchement calculé de ces mesures, ce qui fait aussi partie de la gestion économique de la technologie… Un avion qui n’a jamais eu d’accident grave en 40 ans d’opération (malgré un avertissement sérieux à Washington qui a risqué de dégénérer en accident du même genre qu’à Paris) est-il un avion automatiquement sûr ? Ou un avion qui a simplement été chanceux ?
La technologie est un système à multiples facettes, l’accident technologique étant la résultante d’une défaillance d’une maille de ce système. L’accident technologique n’a d’ailleurs jamais qu’une cause unique. Dans cet ordre d’idées, on a pu constater suite à l’événement de juillet 2000 que la statistique et la sécurité sont deux choses bien distinctes en technologie.
Mis dans le contexte de la rentabilité et de la compétitivité effrénées, le risque prend une proportion supérieure. Voici ce que M. Charles Pouliot, alors président de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent, disait sur la sécurité lors d’une entrevue à l’émission Contrechamp à Radio-Canada en décembre 1978. C’est rapporté par M. Jean Gauthier, biologiste de la Société linnéenne de Québec, lors des audiences du BAPE en 1979 sur le projet de TransCanada de terminal de GNL à Pointe La Martinière à Lévis, un précédent de cette entreprise au Québec (pages 208 à 210). M. Gauthier dit lui-même avoir travaillé un an et demi sur des pétroliers (notez bien vers la fin du témoignage) :
Question : Est-ce que vous prenez des risques ?
Réponse : Oui, on prend des risques – c’est le représentant des pilotes du St-Laurent
Q : Quels sont les risques que vous prenez ?
R : Les risques, on peut les qualifier de risques calculés, et c’est de prendre des navires et de les amener à destination dans des conditions de mauvaise visibilité, de tempêtes.
Q : Ce sont des risques d’accident ?
R : Ce sont des risques d’accident, mais je dois dire – notre passé est garant de l’avenir. À ce jour, on a un excellent record et je pense que c’est là le point fort des pilotes […]
Q : Est-ce que les pilotes suivent méticuleusement toute la réglementation du ministère des Transports ?
R : On fait notre possible pour la suivre. Par contre…
Q : Est-il possible de la suivre ?
R : À mon avis, non.
Q : À cause de la grosseur des bateaux ?
R : Pas seulement à cause de la grosseur des bateaux, à cause du trafic maritime en général. Ce n’est pas, si on peut dire, rentable de suivre toute la réglementation. […]
Q : Peut-on penser que si vous suivez toute la réglementation du MTC, vous ne pourriez pas naviguer quasiment tous les bateaux ?
R : C’est sûr qu’on ne pourrait pas. Ce ne serait pas rentable pour les navires de venir ici parce qu’il y aurait énormément de retard.
Q : Est-ce que cela n’occasionne pas des dangers ?
R : Comme je vous le dis, cela occasionne des dangers.
M. Pouliot conclut en disant que le ministère se lave les mains avec une réglementation qu’il sait inapplicable. Ce qui fait conclure à M. Gauthier :
– Je pense qu’il y a de quoi s’interroger et on doit se demander qui croire et à qui se fier. M. Pouliot citait d’ailleurs Sainte-Croix dans Lotbinière (Pointe Platon) et l’est de l’île d’Orléans (chenal de la Traverse du Nord) comme les deux zones les plus problématiques pour le pilotage sur le fleuve. Ces deux régions sont aussi les plus riches et les plus sensibles au plan écologique selon les experts.
Le fils de M. Pouliot, lui-même pilote, pensait à peu près la même chose 15 ans plus tard :
Ça fait 27 ans que je fais ce métier et j’assiste à une dégradation continuelle de la flotte de pétroliers. Les navires vieillissent et se détériorent. Les armateurs rognent sur la maintenance et embauchent des marins à rabais. Tout ça pour sauver de l’argent […][34]
Le trafic fluvial de superpétroliers n’était pas chose acquise au début des années 90. On évaluait tous les scénarios, soit le rail et le pipeline ou une combinaison des deux. Ironiquement, ces scénarios, abandonnés avec le temps, refont surface aujourd’hui et entrent en contradiction avec les prétentions formulées par le passé quant aux moyens les plus sécuritaires de transport. Ultramar va réintroduire du transport par rail supplémentaire vers Lévis alors qu’il a construit un pipeline pour, selon elle, éliminer les dangers du transport par rail, et veut aussi transporter par navire ses cargaisons de Montréal à Québec alors qu’elle soulignait les dangers du transport fluvial dans son rapport au BAPE lors des consultations sur son projet Pipeline Saint-Laurent…
Le docteur Gilles LaRoche, expert en matière de protection des mers, anciennement directeur du consortium des universités québécoises en matière de protection de l’eau, a récemment rédigé un rapport sur le transbordement des navires-conteneurs dans le golfe du Saint-Laurent pour le compte de la Société de développement du Saint-Laurent.
Il a dit hier à La Presse qu’en matière de protection du Saint-Laurent tout le monde « doit marcher sur la pointe des pieds ». Étant donné l’extrême complexité de la navigation dans le golfe du Saint-Laurent, il croit qu’à cause de la loi des nombres, un grand accident de pétrolier se produira « inévitablement ». Or, a-t-il fait valoir, l’estuaire du Saint-Laurent (soit grosso modo la partie entre Les Escoumins et Québec) est l’un des lieux de reproduction biologique les plus riches du monde, une sorte de garde-manger universel qu’il faut protéger à tout prix.
On sait que le ministre fédéral de l’Environnement, M. Jean Charest, interrogé lundi par La Presse au sujet d’une éventuelle interdiction de la circulation des pétroliers dans l’estuaire a dit vouloir examiner « toutes les hypothèses ».
Un porte-parole d’Ultramar, le propriétaire de la raffinerie de Québec (Saint-Romuald), M. Louis Forget, a rappelé hier qu’un pipeline est actuellement en construction pour acheminer vers Montréal à partir de la raffinerie de Québec[35], diverses matières raffinées (« des produits finis »), dont l’essence. Il a dit que, depuis les 21 ans de son existence, la raffinerie de Québec, située sur les berges d’une délicate zone de marées, « a pris les meilleurs moyens disponibles » pour s’alimenter en pétrole brut et qu’aucun grave accident n’est survenu[36].
Un cas concret de gestion d’un déversement de pipeline :
la fuite de la conduite de transfert d’Ultramar à Lévis
L’incident suivant a eu lieu en 2008. Il témoigne clairement des actions et des complicités manifestes lors de ces événements. Il est relaté par Daniel Green, de la SVP (Société pour vaincre la pollution).
Le 26 janvier dernier, le pipeline de 3 kilomètres qui relie le port à la raffinerie Ultramar de Lévis se rompt. Il échappe du mazout lourd, hautement polluant. Petite histoire d’un accident environnemental où tout n’a pas encore été dit.
Jour 1 : Alerté par la forte odeur d’hydrocarbures, un citoyen sonne l’alerte. Le lendemain, jour 2, Environnement Québec confirme que 8 000 à 10 000 litres de mazout se sont répandus à 1 km du fleuve, qui n’a pas été touché. La Ville de Lévis, Québec et Ultramar affirment dans les médias que le déversement n’est pas grave.
Jour 3 : Ultramar et les autorités reconfirment les 10 000 litres déversés. Un ruisseau contaminé coule au fleuve, mais le fleuve n’est pas touché, disent-ils, grâce à des digues. Environnement Québec annonce qu’Ultramar ne sera pas poursuivie en justice.
Jour 4 : Un média nous apprend que du mazout s’est malgré tout retrouvé dans le fleuve, entraîné par les fortes marées.
Jour 6 : En soirée, un témoin prévient des médias. C’est l’état d’alerte, dit-il. Il y a beaucoup plus de mazout que les autorités ne le disent. Pourtant, Environnement Québec annonce encore 10 000 litres, dont 10 % a coulé dans le fleuve.
Jour 7 : Ultramar persiste : le pétrole ne s’est pas rendu au fleuve. À 15 h 49, en ce vendredi d’une tempête telle qu’on annule le début du Carnaval de Québec, un média rapporte : Ultramar avoue que 200 000 litres se sont déversés, soit 20 fois plus que ses premières affirmations. Ultramar dit divulguer l’information par souci de transparence.
Ce serait le pire déversement de l’histoire d’Ultramar au Québec.
Bon. Maintenant, on sait. Et moi, j’ai des questions. Dans un pipeline, il y a des valves, des jauges à pression et des surveillants. Et des systèmes, on l’espère, de fermeture automatique en cas de problème. Qui a donné l’alerte, un citoyen ou le système d’alerte d’Ultramar ?
Pendant sept longs jours, Environnement Québec a été le portevoix d’Ultramar sur les 10 000 litres déversés, sans le remettre en doute. Les citoyens ont cru l’État, il s’est trompé. Ou s’est-il fait tromper ? Quelles preuves, quels relevés d’opération, Ultramar a-t-elle fournis aux inspecteurs ? Ont-ils même réclamé des preuves ?
A-t-on vraiment pris 7 jours avant de découvrir les 200 000 litres réellement déversés ? Ultramar est une raffinerie haute technologie. Cette compagnie doit suivre son mazout au litre près.
Pourtant, ils auraient perdu 190 000 litres pendant une semaine sans s’en apercevoir ? Si c’est le cas, je vous suggère de ne pas payer vos 40 litres à la pompe d’Ultramar ! Ils ne verront rien !
Et comment peut-on annoncer qu’Ultramar ne sera pas poursuivie en justice avant toute enquête ? On est sûr qu’il n’y a pas eu faute ? Du mauvais entretien ? Une erreur humaine ?
Ironiquement, en plein déversement, monsieur Louis Forget d’Ultramar a pressé le gouvernement d’autoriser son projet de construction de pipeline de 238 km. Monsieur Forget doit d’abord nous prouver qu’il peut opérer son petit trois kilomètres existant sans s’échapper dans l’environnement[37].
On peut d’autre part consulter une carte interactive des incidents de pipeline au Québec et au Canada au http ://www.cbc.ca/news2/interactives/pipeline-incidents/
Un cas de gestion de menace de déversement fluvial :
le Kathryn Spirit à Beauharnois
En août 2011, l’épave d’un cargo désaffecté, le Kathryn Spirit, est amarrée près du barrage de Beauharnois pour être démolie. D’après Radio-Canada Montérégie,
Le Kathryn Spirit, immobilisé sur le bord du fleuve depuis plus de deux ans, contient des matières dangereuses pour le fleuve Saint-Laurent. Radio-Canada a appris qu’une entreprise mandatée par le propriétaire mexicain du navire pompe depuis mardi des centaines de tonnes de diesel, de mazout lourd et d’eaux souillées de la carcasse du cargo[38].
En date du 25 novembre 2013, elle s’y trouve encore et a laissé échapper des eaux d’origine inconnue ainsi que de l’huile en quantité inconnue. Elle tangue dangereusement, touchant le fond. Aucun plan de remorquage n’a été proposé par son propriétaire mexicain. Or, le MDDEP est impuissant et s’est même vu refuser une inspection le 25 janvier 2012. Le député provincial déclare : « Seul le gouvernement fédéral a compétence sur le navire. Les règles du fédéralisme canadien imposent au ministère de l’Environnement de jouer, au mieux, un rôle d’observateur[39] ».
Le 19 septembre 2013 :
[…] les agents du MDDEP ne faisaient qu’accompagner ceux de Transports Canada, à qui revient la responsabilité du dossier. «Nous n’avons pas juridiction sur ce qui se passe sur l’eau. Mais nous étions présents pour nous assurer que Transports Canada joue son rôle» (Idem).
S’il est prouvé que la compagnie a procédé à un déversement volontaire de matières toxiques dans l’eau du lac, elle s’expose à une amende d’un million $ selon la loi sur la marine marchande. Or, d’après les informations obtenues par le Soleil, aucun échantillonnage de l’eau rejetée n’aurait été fait[40].
Le maire est convaincu qu’il y a eu rejet de matière toxique dans le fleuve par la compagnie qui gère les travaux sur le Kathryn Spirit. « Nos pompiers ont tout filmé, et curieusement, Transports Canada, la Garde côtière et le ministère de l’Environnement sont intervenus juste après[41] ».
Un communiqué du 20 novembre émis par le ministre Blanchet du MDDEP, demande toutefois au fédéral « d’agir avec célérité » afin d’évacuer le rafiot qui menace depuis deux ans la santé et l’environnement de Beauharnois et de la portion fluviale adjacente, ainsi que du lac Saint-Louis, un réservoir d’eau potable pour Montréal. Précisons aussi que la réserve de faune des Îles-de-la-Paix, à Léry, se trouve à deux kilomètres de l’épave. Cette forêt inondée constitue un refuge essentiel pour la nidification de nombre d’espèces d’oiseaux et de canards. C’est un des derniers milieux humides naturels du lac St-Louis.
La députée néo-démocrate de Beauharnois-Salaberry, Anne Minh-Thu Quach, n’a pas réussi à savoir qui peut bien octroyer une « Green Pass » demandée par le propriétaire pour faire escorter le navire et lui « faire prendre le large » (« Le navire s’incruste », 19 décembre 2012).
Curieusement, cette affaire n’a pas fait grand bruit dans les médias en dehors de la région touchée, un signe certain d’une trop grande discrétion qui règne sur la question environnementale et fluviale au Québec.
Aucun intérêt politique pour le Saint-Laurent au fédéral
Aucun engagement concret ne peut être trouvé sur le Saint-Laurent dans l’énoncé de stratégie canadienne de développement durable, à part une mention du fleuve dans les objectifs. L’accent est plutôt mis sur Grands Lacs, la baie Georgienne, les lacs Simcoe et Winnipeg.
Cible 3.5 : Le fleuve Saint-Laurent. Prendre les mesures fédérales pour réduire les polluants et améliorer la qualité de l’eau, conserver la biodiversité et assurer la pérennité des usages du fleuve Saint-Laurent d’ici 2016. Indicateur : • Concentrations de phosphore dans le fleuve Saint-Laurent[42] .
La première version de cette stratégie, formulée il y a trois ans et demi, accusait les mêmes carences.
Pour Stratégies Saint-Laurent, le principal constat fait à la lecture de cette stratégie est que le gouvernement du Canada ne prévoit aucune mesure spécifique pour le fleuve Saint-Laurent. Or, au Canada, le système hydrographique Grands Lacs/Saint-Laurent constitue le principal bassin versant du pays, en termes de ressources hydriques, mais également en termes de bassin de population qui y habite. De fait, les Grands Lacs sont mentionnés à de nombreuses reprises dans la stratégie, mais le Saint-Laurent est quant à lui absent des préoccupations. Le Saint-Laurent est pourtant l’une des principales portes d’entrée maritimes du continent nord-américain. Plus de 80 % de la population du Québec vit sur ses rives ou celles de ses tributaires[43] .
Conclusion : pourquoi risquer (ou que risquer) ?
Il y a presque vingt-cinq ans, simultanément à la commission du BAPE sur le projet d’importation de GNL Soligaz[44], l’ancien président du BAPE et spécialiste en environnement reconnu André Beauchamp écrivait :
Par définition, un accident est quelque chose de rare, voire d’exceptionnel. Mais la fréquence et la diversité des accidents dans l’industrie permettent d’entrevoir ce que Patrick Lagadec appelle « le risque technologique majeur » [Le Courrier du CNRS, dossier scientifique no 72, mai 1989]. Nous rêvons constamment d’une société sans risque, dotée d’une technologie parfaite et peuplée d’humains toujours compétents et responsables au point que l’accident ne puisse se produire. C’est là un monde de rêve. Dans la réalité, toute technologie a des faiblesses de conception et des défaillances. Une auto finit toujours par tomber en panne un jour ou l’autre. Même une industrie aussi spécialisée et surveillée que l’aérospatiale a ses défaillances : le 28 janvier 1986, la navette spatiale Challenger explose après 74 secondes de vol. L’accident de Three Mile Island est attribuable à une défaillance technique, à une erreur de conception et à une erreur humaine. Les responsables de Tchernobyl, pour leur part, n’avaient pas tiré de l’accident de Three Mile Island les leçons nécessaires pour eux.
Nous vivons ainsi avec des technologies de grande puissance qui représentent des risques potentiels de très grande envergure, exigeant des conduites humaines spécialisées et psychologiquement irréprochables […] Aucune technologie ne peut parvenir à un risque zéro. Plus encore, toute technologie connaît fatalement des incidents, qui peuvent mener à des accidents, lesquels peuvent mener à des catastrophes. En ce sens, la crise écologique moderne est constituée pour une part non négligeable d’un facteur de risque savamment occulté et pourtant toujours résurgent sous l’image de la catastrophe […]
On se prend à rêver qu’au lendemain d’un accident comme Bhopal, Torrey Canyon, Exxon Valdez, Bâle, Seveso, la liste des administrateurs et membres du conseil d’administration soit publiée avec adresse personnelle et numéro de téléphone, non seulement au plan international, mais aussi au niveau local pour que les gens réalisent que les décisions d’organisation sont aussi des décisions personnelles prises par leurs semblables[45].
Qu’est-ce qui a tant changé depuis ce temps en matière d’évaluation et de prise en considération de risques dans les projets énergétiques majeurs au Québec ?
Une bonne étude d’impact doit démontrer qu’un projet donné est opportun sociétalement, elle doit faire la liste des différentes hypothèses de solution et procéder à une analyse comparative (y compris l’hypothèse zéro), procéder à un choix en retenant normalement la solution de moindre impact, prédire les effets éventuels, élaborer des mesures pour les corriger (mitigations et mesures d’atténuation) et prévoir les formes de compensation pour les citoyens lésés[46].
Le développement durable, identifié par le rapport Brundtland, est d’abord un développement viable et juste, socialement et économiquement.
Les prochaines décennies auront une importance cruciale. Le moment est venu où il faut rompre avec d’anciens systèmes. Chercher à maintenir la stabilité sociale et écologique en conservant les vieilles approches par rapport au développement et à la protection de l’environnement ne ferait qu’accentuer le déséquilibre[47].
En fin de compte, le risque est chose politique : il est accepté et acceptable par la grande corporation et l’appareil étatique et par la population qui doit l’accepter. C’était la grande conclusion du rapport du BAPE sur Rabaska : « Le risque semble acceptable », phrase très politique, « acceptable » aux yeux de qui, pour qui et dans quel but ? Après quelle optique d’analyse ? Selon quelle vision de la société ? On nous répète que le risque zéro n’existe pas : il n’existe pas pour les investisseurs et les financiers qui se lavent toujours les mains des conséquences d’un accident ou d’un incident, qui les font payer par l’État, qui disent que le risque imposé est nécessaire et même, pour certains, qu’ils aiment vivre dangereusement ; mais le risque inéluctable, incrusté dans le quotidien, invivable parfois, existe bel et bien pour le citoyen et l’homme de la rue.
Le véritable risque zéro, c’est de ne pas vivre de technologies à risque inacceptables (mais liées à des institutions et à la « croissance », celle des profits) alors qu’il existe d’autres technologies avérées ou en développement qui, elles, le sont. C’est le principe de précaution, qui semble ne pas faire le poids face aux pouvoirs des capitaux et à ses mythologies sociales implantées. Pour une région comme celle de la Capitale nationale ainsi que pour le Québec entier, pour un Québec de l’avenir qui cesse de miser sur des paradigmes économistes anciens devenus des dogmes, n’est-ce pas là un sujet d’études, de commissions et de méditation ?
[1] Frédéric Back, entretien avec Sophie Vaillancourt, À Bâbord !, no 29, Avril-Mai 2009
[2] L’organisme American Rivers a désigné en 2008 le fleuve Saint-Laurent comme étant le quatrième fleuve le plus menacé en Amérique du Nord et cela en raison des dommages causés à l’écosystème par ce barrage. American Rivers, « America’s Most Endangered Rivers : 2008 Edition », March 2008
[3] Philippe Cannon, porte-parole de TransCanada à la présentation de Lévis en octobre 2013. Pierre Duquet, « Les environnementalistes demeurent sur leurs positions », Le Peuple Lévis, 10 octobre 2013
[4] Centre Saint-Laurent, 1996. Rapport-synthèse sur l’état du Saint-Laurent. Vol. 2, « L’état du Saint-Laurent ». Environnement Canada, région de Québec, Conservation de l’environnement. Éditions MultiMondes, Montréal. Coll. « BILAN St-Laurent ».
[5] Bureau de la sécurité des transports du Canada, Rapports MARINE – 1999, M99L0098.
[6] « Quelques idées récentes sur les glaces de l’estuaire du Saint-Laurent ». Jean-Pierre Deveau, Revue de géographie alpine, 1968, Volume 56, Nos 3-4, p. 607
[7] « Des milliers de déversements de pétrole au Canada, selon le gouvernement », La presse canadienne, lesaffaires.com , 11 juin 2010
[8] Véronick Talbot, « 4 000 litres de pétrole déversés à Terrebonne », La Revue, 12 novembre 2013
http ://www.larevue.qc.ca/actualites_4-000-litres-petrole-deverses-a-terrebonne-n27943.php
Max Paris, “Enbridge breaks safety rules at pipeline pump stations across Canada – Company’s defence is that National Energy Board is interpreting rules differently”, CBC News, May 06, 2013
[9] Bruno Bisson, « À Saint-Romuald, le « jumeau » du Braer a aussi des ennuis de moteur », La Presse, 6 janvier 1993, p. A1
[10] Émilien Pelletier, communication personnelle, 12 novembre 2013
[11] Geneviève Génier Carrier, « Entrevue avec Émilien Pelletier », Le Mouton Noir, 1er octobre 2010
[12] Groupe Océan, Mémoire soumis au comité d’experts sur la sécurité des navires-citernes par le Groupe Océan, 19 juin 2013, p. 7-10
[13] Groupe Océan, Mémoire soumis au comité d’experts sur la sécurité des navires-citernes par le Groupe Océan, 19 juin 2013, p. 7-10
[14] Gouvernement du Canada, Mieux comprendre les enjeux de santé environnementale pour mieux communiquer (s.d.)
[15] Inversion du flux de l’oléoduc 9B d’Enbridge – Consultation publique.
Document déposé par le gouvernement du Québec, novembre 2013, p. 43
[16] Enbridge : « Montréal émet de sérieuses réserves sur l’inversion du pipeline », La Presse, Martin Croteau, 5 juillet 2013
[18] Lyne Lauzon, « Un fleuve à haut risque », Franc vert, Volume 14, numéro 6, décembre 1997-janvier 1998
[19] Radio-Canada, Découverte, 17 novembre 2013
[20] Jean-Patrick Toussaint, Ph. D., chef de projets scientifiques de la Fondation David Suzuki, « Les bélugas abandonnés à leur sort par le gouvernement fédéral », 30 octobre 2013, http ://www.davidsuzuki.org/fr/blogues/cercle-scientifique
[21] Carl Thériault, « Ni plan ni étude pour parer à un déversement de pétrole dans le Saint-Laurent », Le Soleil, 24 octobre 2013
[22] Société de gestion privée mise sur pied par l’Association canadienne des carburants et appartenant à Ultramar, Shell, Suncor et Imperial Oil. La SIMEC opère à partir de Verchères, Québec et Sept-Îles. À Québec, la société COPIM, formée par Ultramar, Esso et Shell en décembre 1990, a été dissoute et ses ressources acquises par SIMEC
[23] Lauzon, id.,
[24] David Suzuki, « Un déversement de pétrole à chaque jour sur la planète ! », davidsuzuki.org, 1er juillet 2012
[25] Daniel Green, « Bienvenue à Mazoutville, PQ », Journal de Québec, 18 novembre 2007
[26] « Rectificatifs sur les mémoires et les transcriptions, Audience du 18 avril 2007 ». BAPE, Pipeline Saint-Laurent, Mai 2007
[27] La gestion environnementale des sables bitumineux de l’Alberta : une question de ressources, d’ingéniosité et de responsabilité, décembre 2008. http ://environment.gov.ab.ca/info/library/8123.pdf
[28] « Inverser le flux ? », Philippe Leblanc, Téléjournal de Radio-Canada, 13 novembre 2013
[29] « Québec ne sait pas d’où vient le pétrole », Anne Caroline Desplanques, Journal de Montréal, 7 novembre 2013
[30] Guy Véronneau, président de la Société de développement économique du Saint-Laurent en 2005 et coprésident du Conseil maritime et industriel national, aussi président de la Corporation de gestion de la voie maritime du Saint-Laurent de 1998 à 2003 et président du chantier naval de MIL Davie, à Québec, de 1989 à 1996. Délibérations du comité sénatorial permanent de l’Énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, Fascicule 12 – Témoignages du 21 avril 2005
[31] Édouard Freund, témoignage devant la Commission d’enquête sur la sécurité du transport maritime des produits, Assemblée nationale française, 29 avril 2003.
[32] Corporation des pilotes du Bas-St-Laurent, dans Le pilotage maritime sur le St-Laurent et l’analyse des risques, Société linnéenne et Les Amis de la Vallée du St-Laurent, 2003, p. 104-105. L’italique est de nous).
[33] « Le pilotage maritime sur le St-Laurent », op. cit., p. 75-76
[34] Michel Pouliot, président de la Corporation des pilotes du Bas-St-Laurent, Le Soleil, 7 janvier 1993
[35] Ce pipeline n’a été construit qu’en 2011. Gaz Métro a achevé un gazoduc en 1995 entre Montréal et Québec.
[36] Jean-Pierre Bonhomme, « La protection du Saint-Laurent pourrait passer par une utilisation accrue du pipeline Montréal-Portland », La Presse, 13 janvier 1993, p. A6
[37] Daniel Green, « La mare noire d’Ultramar », Journal de Montréal, 10 janvier 2008
[38] Radio-Canada, « Une épave inquiétante à Beauharnois », 18 septembre 2013
[39] « Épave du Kathryn Spirit à Beauharnois – Guy Leclair précise que Québec n’a pas juridiction », INFOSuroît, 22 octobre 2013
[40] Patricia Blackburn, « Opération de pompage de mazout et de diesel » , Le Soleil de Châteauguay, 19 septembre 2013
[41] Patricia Blackburn, « Le maire outré par la réaction du ministère », Le Soleil de Châteauguay, 24 septembre 2013
[42]Planifier un avenir durable : stratégie fédérale de développement durable pour le Canada 2013-2016, Bureau du développement durable, Environnement Canada. Novembre 2013, p. 55
[43] Stratégies Saint-Laurent, communiqué, 13 juillet 2010.
[44] Projet qui avait été refusé par le BAPE au vu des risques trop élevés. Il impliquait le transport de GNL par voie fluviale en amont jusqu’à Varennes.
[45] André Beauchamp, Pour une sagesse de l’environnement, Novalis, 1991, pp. 43-44 et 122.
[46] Idem, p. 125-126. Le gras est de nous.
[47] Commission mondiale sur le développement et l’environnement [Commission Brundtland], Notre avenir à tous, Publications du Québec/Éditions du Fleuve, 1988, p. 28. Le gras est de nous.