Les désastres annoncés du pilotage à vue

Note critique sur Dominique Lebel. Dans l’intimité du pouvoir. Journal politique 2012-2014, Montréal, Boréal, 2015, 432 pages

lebeldanslintimiteOn sort perplexe de la lecture des notes quotidiennes rédigées par Dominique Lebel et réunies sous le titre Dans l’intimité du pouvoir. Ce qui étonne au premier chef dans ces notes de l’ex-directeur de cabinet adjoint de Pauline Marois, c’est d’y découvrir au détour de chaque page un amateurisme désolant. Une parfaite démonstration de ce que peut être le pilotage à vue en politique.

Ce qu’on y constate, c’est le tourbillon dans lequel sont engagées les quelques personnes qui gravitent autour de la première ministre. Une succession de faits, de rencontres, de réunions, d’appels qui nous sont présentés sans, dans l’immense majorité des cas, qu’on y retrouve la moindre trace d’une réflexion ou d’une analyse. Les rencontres se succèdent à un rythme infernal, laissant peu ou pas de place à la préparation. On dîne avec Jean Lapierre. On discute avec le directeur de cabinet à la Culture de la fusion de deux musées. On tente de faire en sorte que Nicolas Marceau et Martine Ouellet s’entendent sur la nouvelle politique minière. On se désole que le gouvernement Harper veuille couper les crédits d’impôt accordés aux cotisants des fonds de travailleurs. Après une rencontre avec le ministre de la Santé Réjean Hébert, on y va d’une observation : « C’est un idéaliste qui refuse de voir les contraintes du monde politique. » Petit déjeuner avec Esther Gaudreault, du cabinet de Pierre Duchesne, pour parler du Sommet sur l’enseignement supérieur.

Note critique sur Dominique Lebel. Dans l’intimité du pouvoir. Journal politique 2012-2014, Montréal, Boréal, 2015, 432 pages

lebeldanslintimiteOn sort perplexe de la lecture des notes quotidiennes rédigées par Dominique Lebel et réunies sous le titre Dans l’intimité du pouvoir. Ce qui étonne au premier chef dans ces notes de l’ex-directeur de cabinet adjoint de Pauline Marois, c’est d’y découvrir au détour de chaque page un amateurisme désolant. Une parfaite démonstration de ce que peut être le pilotage à vue en politique.

Ce qu’on y constate, c’est le tourbillon dans lequel sont engagées les quelques personnes qui gravitent autour de la première ministre. Une succession de faits, de rencontres, de réunions, d’appels qui nous sont présentés sans, dans l’immense majorité des cas, qu’on y retrouve la moindre trace d’une réflexion ou d’une analyse. Les rencontres se succèdent à un rythme infernal, laissant peu ou pas de place à la préparation. On dîne avec Jean Lapierre. On discute avec le directeur de cabinet à la Culture de la fusion de deux musées. On tente de faire en sorte que Nicolas Marceau et Martine Ouellet s’entendent sur la nouvelle politique minière. On se désole que le gouvernement Harper veuille couper les crédits d’impôt accordés aux cotisants des fonds de travailleurs. Après une rencontre avec le ministre de la Santé Réjean Hébert, on y va d’une observation : « C’est un idéaliste qui refuse de voir les contraintes du monde politique. » Petit déjeuner avec Esther Gaudreault, du cabinet de Pierre Duchesne, pour parler du Sommet sur l’enseignement supérieur.

Ici, l’expression : les jours se passent, serait tout à fait inappropriée. Il serait davantage indiqué de dire : les journées déboulent d’un évènement à l’autre. Après un petit déjeuner enfilé à la première heure suivent huit, dix, douze rencontres. Les restaurants étant l’un des lieux privilégiés.

Voyons par exemple ce mardi 3 septembre 2013.

Rencontre de préparation du Conseil des ministres avec Madame, Nicole et Jean St-Gelais. Breffage sur la rencontre des gouverneurs et des premiers ministres de l’Est qui se tiendra à La Malbaie. Avec Carl Gauthier du bureau de St-Gelais, je rencontre des consultants mandatés pour analyser la situation dans le secteur de l’aluminium et voir les possibilités pour le gouvernement. 18 h 20 : rencontre pour aligner tout le monde en vue du Rendez-vous de la forêt qui aura lieu à Saint-Félicien. (p. 271).

Y a-t-il un être normalement constitué qui puisse prétendre qu’il soit possible de livrer des conseils pertinents sur autant de sujets aussi hétéroclites que difficiles ?

Moment de lucidité le 19 août :

Sur les questions sociales, 2013 a été très difficile jusqu’à maintenant. Nous avons semblé nous renier. Il y a eu la taxe santé, où nous avons paru improviser avant de reculer. Puis le dossier des changements à l’aide sociale est venu renforcer l’image d’un gouvernement auquel on ne peut pas se fier. Le danger de l’éparpillement dans un trop grand nombre de priorités nous guette toujours (p. 262).

Bien d’accord ! Ce n’est pas dans la fréquentation assidue des chambres de commerce et des grands industriels auquel il s’est livré que le gouvernement pouvait trouver matière à l’inspirer dans ces domaines…

La souveraineté

Un constat saute aux yeux. La question nationale était très loin d’être une préoccupation importante pour ce noyau constitué autour de Madame, comme l’appelle affectueusement l’auteur. Et quand la souveraineté – qui est quand même l’article 1 du programme de ce parti – se retrouve sur le tapis, le premier réflexe semble consister à trouver le moyen de la glisser… sous le tapis ! C’est cette désinvolture qui est à la source de la débandade à laquelle on a assisté durant la campagne alors que la première ministre prenait la poudre d’escampette quand les libéraux et les journalistes la pressaient de préciser sa démarche.

Pourtant, nul besoin d’être prophète pour se douter qu’au moment opportun, les libéraux se mettraient à crier Au loup ! en agitant la menace d’un référendum ! Le mardi 11 décembre, trois mois après l’élection du PQ, le directeur du parti Sylvain Tanguay avait pourtant prédit que le Parti libéral ferait la prochaine campagne sur la souveraineté. Il avait insisté : « La vraie question stratégique pour nous est de savoir comment nous allons placer la question de la souveraineté dans la prochaine campagne, parce que les libéraux, eux, c’est le positionnement qu’ils vont prendre » (p. 97). Presque un an plus tard, le 27 novembre, quelques ministres et conseillers sont réunis avec la première ministre :

[…] au sujet de la souveraineté. Il est question du livre blanc. C’est une proposition qui a émané du Comité sur la souveraineté. Il s’agirait d’un livre blanc sur l’état des relations entre le Québec et le fédéral. Si je vais plus loin, je crois qu’on se tire dans le pied, conclut la première ministre (p. 323).

Deux mois plus tard, le 28 janvier, la question revient sur le tapis :

Sur la souveraineté : consensus pour proposer un livre blanc sur les relations Québec-Canada. Nous pourrions lancer l’idée rapidement pour tester le message. Personne ne recommande d’y aller de front sur la question nationale en s’engageant à tenir un référendum au cours du prochain mandat (p. 359).

C’est plutôt la question nationale qu’ils ont reçue en plein front un peu plus tard ! Le 5 février, à Trois-Rivières, le projet de livre blanc est testé. La première ministre annonce ses couleurs : « Je vous l’annonce ce soir : au cours du prochain mandat, nous allons recommencer à réfléchir collectivement. […] Dans un prochain mandat, un gouvernement du Parti québécois va présenter un livre blanc sur l’avenir du Québec » (p. 364). Lebel précise quelques lignes plus loin qu’il ne s’agit pas d’un exercice sur la souveraineté, mais sur l’avenir du Québec… Penaud, l’auteur doit constater que le PQ ne contrôle pas son ordre du jour durant la campagne électorale : « Depuis le début, la souveraineté est très présente dans la campagne. Ce qui n’était pas le plan de match » (p. 389). Et l’article 1, on l’avait oublié dans une valise peut-être ?

Le cabinet

Le meilleur exemple de cette mainmise du cabinet de la première ministre en est l’anecdote suivante relatée par Lebel. À quelques jours de la publication d’un important document portant sur la politique économique, quelques ministres sont convoqués à la dernière minute par madame Marois pour en prendre connaissance. Aucun ministre n’a vu cette politique dans son ensemble. Seulement des parties. Lebel raconte :

À son arrivée, Lisée me prend à part. […] « Vous êtes à risque. Il y a un manque de respect des élus. C’est un danger pour la cohésion ». […] Il se plaint de l’attitude trop directive dont aurait fait preuve Nicole dans un dossier. Tout le monde est nerveux alors que le gouvernement entre dans une phase décisive. Je crois que sa mise en garde est sincère et qu’il craint pour la suite (p. 290).

Revenant très tard à son hôtel, il se dit conscient que le bureau de la PM bouscule. Il plaide cependant qu’il est difficile de faire autrement.

La pression est telle qu’il est de plus en plus difficile de faire de la stratégie ouverte et d’avoir des discussions en profondeur avec un grand nombre de personnes, comme un caucus par exemple. Aussi, la rapidité des décisions à prendre fait qu’on finit par ne consulter que peu de gens. Quoi qu’il en soit, l’exercice de tout pouvoir laisse beaucoup plus de place aux intuitions et à l’improvisation qu’on veut bien le croire (p. 291).

Improvisation. Le mot est lâché. Et les quelque 300 pages qui précèdent, et la centaine qui suit en font malheureusement la douloureuse démonstration !

Le monde des affaires

Autre constat effarant : la hantise de ne pas déplaire au monde des affaires. Cette peur de déplaire qui anime le gouvernement Marois est vite saisie par les minières, les entreprises forestières, les alumineries, les pétrolières et autres géants de l’industrie qui se livrent à quelque chose qui s’approche beaucoup du chantage. C’est Brian Coates d’Osisko qui « juge la situation catastrophique en Abitibi » (p. 322). C’est ce monsieur Richard Garneau, de Papiers forestiers Résolu, qui joue les Cassandre de malheur et qui se dit victime des environnementalistes. Ce sont les dirigeants d’Alcoa qui, le 30 octobre 2013, menacent de fermer l’usine de Baie-Comeau si le gouvernement ne rajuste pas le prix de l’électricité. C’est aussi le patron d’Arcelor-Mittal, Lakshmi Mittal père, qui dit à madame Marois qu’il est « très content. Lorsque vous êtes arrivés au pouvoir, je croyais que vous étiez socialistes, lance Mittal dans un grand rire » (p. 354). Deux mois après l’élection, une autre tentative de séduction auprès des gens d’affaires.

Souper en soirée au Club Mont-Royal, rue Sherbrooke. Nous avons réuni une vingtaine de chefs de la communauté d’affaires de Montréal pour une discussion à bâtons rompus sur les grands enjeux. La première ministre excelle dans ce genre de rencontres. Bien que la quasi-totalité des leaders en présence ne partage pas ses idéaux politiques, la magie opère (p. 71).

Rebelote cinq mois plus tard, le 15 avril 2014. Toujours au Club Mont-Royal. S’y retrouvent Michael Sabia, de la Caisse de dépôt, Alain Bouchard, de Couche-Tard, Louis Vachon, de la Banque Nationale, Jacynthe Côté, de Rio Tinto Alcan. C’est Marcel Aubut qui a le dernier mot : « Si les gens savaient que cette rencontre se tient, ils ne le croiraient pas. Je vous remercie, madame » (p. 182).

Le 31 janvier 2014, alors qu’est annoncée en grandes pompes la construction d’une cimenterie en Gaspésie, Lebel plastronne. « Pauline Marois et Laurent Beaudoin. La première ministre et le capitaine d’industrie. La chef du mouvement indépendantiste et l’une des figures les plus emblématique du fédéralisme québécois. Deux conquérants » (p. 360). On croirait assister à un adoubement, ma foi ! Cela se poursuit : « Lorsque la première ministre et Laurent Beaudoin se mettront debout pour la poignée de main officielle, chaque personne présente aura le sentiment d’assister à un moment historique » (p. 361). Lebel en veut pour preuve la présence de la journaliste Sophie Cousineau, du Globe & Mail. « Je me dis que cet investissement n’a rien de banal » (p. 361). Une réflexion de l’auteur qui en dit long, plusieurs mois avant ce lancement de cimenterie en Gaspésie : « Le chef d’entreprise et le ministre. L’entrepreneur et le politique. Il y aurait un livre à écrire là-dessus. Ils ont plus en commun qu’il n’y paraît » (p. 253).

L’idée n’est pas d’ignorer les entreprises et leurs dirigeants. Il est normal de travailler à entretenir des relations cordiales avec le monde des affaires. Mais ce qui ressort de ces 400 pages qui égrènent les rencontres au jour le jour, c’est la place absolument disproportionnée qu’occupe le monde des affaires dans la gestion quotidienne des affaires de l’État. Et si on a fait le reproche au gouvernement Marois de s’être éloigné de la dimension sociale de l’activité politique, la chose est certes en bonne partie due à cet incessant racolage auquel on se livre auprès de ce monde qui, décidément, en mène trop large. Je n’ai pas mesuré scientifiquement les occurrences comme le fait le professeur Monière, mais je ne crois pas me tromper en soutenant que pour une mention d’un dirigeant syndical, on trouve une centaine de références à un représentant du monde des affaires.

Les « coms »

« Nominations : Hubert Bolduc devient secrétaire général associé à la communication gouvernementale. Un poste névralgique. Il a été attaché de presse de Bernard Landry avant de faire un brillant passage aux communications chez Cascades » (p. 35). Bolduc ? Celui-là même qui faisait partie des prix Nobel autour de Landry qui lui avaient conseillé de se retirer, n’ayant recueilli que… 76,4 % des voix au congrès du parti ? C’est sans doute là l’une des sources des problèmes que traverse ce parti : confier des rôles stratégiques à des personnes issues des « coms » et des relations publiques. L’auteur avait lui-même passé dix ans chez Cossette avant de revenir prendre place dans la garde rapprochée de la première ministre. Ce sont des spécialistes de la gestion de crise, des contorsions intellectuelles et du pilotage à vue. Il ne faut pas compter sur eux pour garder le cap, identifier les objectifs de fond et demeurer fidèle à sa raison d’être.

Le lundi 16 décembre 2013, on peut lire un aveu : « L’histoire d’un mandat s’écrit jour après jour. Et souvent, on ne comprend que bien plus tard ce qu’on a fait (p. 332). »

Comprendre plus tard. Oui, en effet.

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