Les femmes et la retraite au Québec: l’inégalité se perpétue

Malheureusement, il n’est pas surprenant d’apprendre que les femmes ont moins de revenus à la retraite que pendant les années antérieures et qu’en moyenne, elles sont plus souvent pauvres que les hommes à tous les âges. Les femmes appartenant à des minorités visibles, issues de l’immigration ou ayant une limitation fonctionnelle sont les plus mal en point. Pendant leur vie active, les femmes gagnent moins que les hommes, en partie parce qu’elles s’absentent plus souvent du marché du travail en raison de leurs responsabilités familiales, mais aussi parce qu’elles font encore face à des stéréotypes négatifs concernant la valeur de leur travail et à une discrimination sur le plan des salaires et des promotions.

Les revenus à la retraite

5. Les femmes et la retraite Rose 2Selon la figure 1, le revenu moyen des femmes âgées de 65 ans et plus représente tout juste 60 % de celui des hommes du même groupe d’âge. En comparaison, les femmes âgées de 25 à 54 ans reçoivent 72 % du montant reçu par les hommes du même âge, mais le ratio est également de seulement 60 % pour les personnes âgées de 55 à 64 ans. De plus, le revenu moyen des hommes est à son plus élevé entre 55 et 64 ans, alors que celui des femmes diminue à mesure que les femmes vieillissent.

Les hommes peuvent compter davantage que les femmes sur des sources de revenus privés ; ceux-ci comptent pour 70 % de leur revenu après 65 ans comparativement à seulement 52 % du revenu beaucoup plus faible des femmes.

Parmi les sources de revenus privées, les régimes complémentaires de retraite (RCR), à savoir les régimes collectifs offerts par les employeurs, constituent le bloc le plus important. Les hommes (17 226 $) en reçoivent plus de deux fois le montant reçu par les femmes (7 898 $). Paradoxalement, en 2017, 43,8 % des femmes adhéraient à un tel régime, comparativement à 35,8 % des hommes ; les femmes travaillent plus souvent dans le secteur public où les RCR à prestations déterminées sont encore en santé. Dans le secteur privé, 26,5 % des hommes, mais seulement 16,4 % des femmes pouvaient compter sur un RCR en 2017 et ces pourcentages sont en diminution1.

Davantage d’hommes que de femmes âgées sont encore actifs sur le marché du travail ; les salaires et revenus nets d’entreprise représentent 14 % des revenus des hommes (7 296 $), mais seulement 8 % de celui des femmes (2 442 $). Les revenus de patrimoine (intérêts, dividendes, gains en capital et revenus nets de location) sont aussi inégalement répartis : les hommes (9 805 $) reçoivent deux fois plus que les femmes (4 831 $). Les retraits d’un Régime enregistré d’épargne-retraite (REER) et les « autres revenus » sont peu importants comme sources de revenus, mais les hommes en profitent davantage que les femmes, là aussi.

Un système de retraite public essentiel pour les femmes

Les trois programmes publics de retraite décrits ici comptent pour presque la moitié des revenus des femmes de 65 ans et plus, mais pour seulement 30 % de ceux des hommes. Les trois programmes sont les suivants :

  • La Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV), un programme quasi universel, permet à grand nombre de femmes d’atteindre au moins le seuil de pauvreté officiel. Selon la Figure 1, les femmes reçoivent environ 100 $ de plus par année que les hommes puisque ceux-ci sont davantage touchés par la récupération mise en place pour les personnes à revenu élevé. Malheureusement, les personnes issues de l’immigration ne reçoivent qu’un montant partiel dans la majorité des cas parce qu’il faut avoir vécu au Canada pendant 40 ans pour recevoir le plein montant.
  • Le Régime de rentes du Québec, ou le Régime de pensions du Canada dans le reste du Canada (RRQ/RPC), est une assurance sociale dont les rentes sont basées sur les cotisations, donc sur le revenu d’emploi antérieur à la retraite. Dans une assurance privée, on fixe les bénéfices anticipés en fonction des contributions et au risque individuel de devoir recourir à l’assurance. En revanche, une assurance sociale permet délibérément d’effectuer des transferts entre différents groupes de cotisants afin d’atteindre des objectifs sociaux. Comme nous allons voir plus loin, il y a quatre mécanismes dans le RRQ/RPC qui bonifient les revenus des femmes relativement à ceux des hommes. Néanmoins, en moyenne les femmes reçoivent seulement 78 % du montant reçu par les hommes.
  • Le Supplément de revenu garanti (SRG), est un programme d’assistance destiné aux personnes âgées à faible revenu. Ensemble avec la PSV, il offrait, en 2019, un revenu minimum de 17 997 $ par année pour une personne seule et de 27 413 $ pour un couple2. En comparaison, la Mesure du panier de consommation (MPC) pour le Québec était de 20 258 $ pour une personne seule et de 28 644 $ pour un couple. En 2021, selon cette mesure, environ 7 % des personnes âgées d’au moins 65 ans vivant seules et 1,6 % de celles vivant en couple étaient considérées comme pauvres. L’écart entre le seuil de pauvreté et le revenu des personnes seules était de 26 % ; 31 % dans le cas des couples3. Il y avait peu de différences entre les femmes et les hommes.

Comme tous les programmes d’assistance, le montant accordé par le SRG est récupéré lorsque la personne a d’autres sources de revenus. Dans le cas du SRG, la récupération varie de 50 % à 75 % selon l’intervalle de revenu et la récupération d’autres programmes d’assistance ou des taxes grugent encore plus les revenus tirés d’autres sources. En conséquence, il est très difficile pour les personnes âgées de s’éloigner du minimum, particulièrement dans le cas des personnes seules. Quant aux couples, la ponction exercée par le SRG est moins importante parce que le SRG compte pour une plus petite part du revenu et il y a deux revenus. Néanmoins, le SRG reçu par la femme, par exemple, est réduit en fonction non seulement de son propre revenu, mais aussi de celui de son conjoint.

La récupération du SRG est tellement envahissante que la différence entre le revenu total reçu des trois régimes publics par une personne dont la rente de retraite du RRQ est au maximum (13 855 $ en 2019) par rapport à celui de la personne qui ne reçoit rien du tout du RRQ est de seulement 5 261 $. En d’autres mots, le gouvernement fédéral récupère plus de 60 % de la rente du RRQ qui est, pourtant, financé par les cotisations du bénéficiaire. Pire, même avec la rente maximum du RRQ, la personne reçoit encore 2 186 $ du SRG, ce qui veut dire que les deux gouvernements vont encore récupérer plus de 50 % de tout autre revenu comme le retrait d’un REER, une pension privée ou même des dividendes ou intérêts. En 2019, 45 % des femmes recevaient un montant moyen de 5 521 $ du SRG ; 36 % des hommes recevaient un montant moyen de 4 751 $. Les taux de pauvreté officiels ont beau être relativement faibles, grand nombre de personnes âgées, surtout des femmes, doivent se débrouiller avec des ressources financières très limitées.

Le travail non rémunéré des femmes

Il est bien documenté que les femmes gagnent moins pendant leur vie active que les hommes parce qu’elles continuent d’assumer la plus grande part du travail non rémunéré, soit les tâches ménagères et les soins aux proches, enfants et adultes. Selon la dernière enquête de Statistique Canada sur l’emploi du temps, en 2015, au Canada, les femmes effectuaient au total 7,8 heures de travail par jour de travail, comparativement à 7,6 heures par les hommes. Toutefois, la moitié des heures des femmes, 3,9 par jour, était consacrée à des activités non rémunérées comparativement à seulement 2,4 heures ou moins du tiers dans le cas des hommes. Quels que soient l’âge, la situation familiale, le niveau de scolarité ou le revenu personnel, les femmes effectuaient davantage du travail non rémunéré que les hommes4.

Selon une étude québécoise récente, la maternité coûte cher aux femmes au Canada et dans une multitude de pays5. Les femmes ayant eu un enfant gagnent moins que les femmes sans enfant, sans compter les écarts par rapport aux hommes. La pénalité associée à la maternité est à son maximum dans l’année qui précède la naissance et les années qui la suivent immédiatement, mais elle se manifeste la vie durant. Par contre, plusieurs études montrent que les pères de famille gagnent plus cher que les hommes sans enfant, même lorsqu’on tient compte des différences dans le niveau de scolarité et le statut marital.

Le RRQ prévoit des mesures pour aider les femmes

Lorsque le RRQ/RPC a été créé en 1965, le modèle traditionnel de famille prédominait encore au Canada : les hommes gagne-pain et les femmes au foyer pour s’occuper des enfants et entretenir la maison. La presque totalité des couples avait des enfants et les responsables de famille monoparentale, presque toujours des femmes, subissaient l’opprobre social. Les couples de même sexe n’étaient pas reconnus et n’avaient aucun droit public. Les femmes et les enfants étaient, alors, financièrement dépendants de leur conjoint et certains programmes sociaux comme le RRQ/RPC étaient configurés pour en tenir compte.

Quatre mesures sont prévues dans le RRQ/RPC pour compenser les revenus inférieurs des femmes :

  • une table unisexe pour établir les rentes de retraite malgré le fait que l’espérance de vie des femmes est plus longue que celle des hommes ;
  • des rentes de conjoint survivant et d’orphelin ;
  • le partage des crédits de rente en cas de divorce ou de séparation ;
  • dans le calcul de la rente de retraite, l’exclusion des années où une femme (rarement un homme) avait la charge d’un enfant de moins de 7 ans.

Une table unisexe

Le fait que pour un même niveau de cotisations, une femme reçoit la même rente qu’un homme est un grand avantage. Selon la Loi sur les RCR du Québec, un régime est à prestations déterminées « si la rente normale est soit un montant déterminé, indépendant de la rémunération du participant, soit un montant qui correspond à un pourcentage de cette rémunération ». De plus, les rentes doivent être viagères et sont garanties à moins d’une faillite6. Donc, un tel régime, comme le RRQ, ne distingue pas les femmes et les hommes en fonction de leur espérance de vie. Toutefois, un même employeur peut offrir un régime différent à un corps d’emploi à prédominance féminine comme le personnel administratif qu’à un groupe à prédominance masculine comme les ouvriers de la production. Même s’ils sont à prestations déterminées, les deux régimes risqueraient d’avoir des paramètres différents ce qui fait que, pour un même niveau de cotisation, les femmes recevraient des rentes plus faibles.

Dans un régime à cotisations déterminées dans lequel un employeur doit payer au moins la moitié des cotisations, « la rente normale est fonction des sommes portées au compte du participant ». Dans ce cas, chaque personne participante doit se débrouiller avec les sommes accumulées. En héritant d’une même somme qu’un homme, une femme doit planifier son utilisation sur une plus longue période puisqu’elle peut s’attendre à vivre environ quatre années de plus. De même, lorsqu’un assureur offre un plan de rentes viagères à un individu, il tient compte du sexe : avec la même somme disponible, une femme recevra une plus petite rente qu’un homme en raison de sa plus grande longévité anticipée.

Des rentes de conjoint survivant et d’orphelin

Dès le début, le RRQ/RPC prévoyait une rente de veuve et des rentes d’orphelin dans le cas du décès du mari. Lorsque la femme décédait en premier, un veuf avait droit à une rente seulement s’il pouvait démontrer qu’il était dépendant, généralement en raison d’une maladie ou d’une incapacité. Face à la contestation des femmes qui n’avaient pas le droit de pourvoir pour leurs conjoints, en 1975, année internationale de la femme, les rentes de veuves sont devenues des rentes de conjoints survivants. Plusieurs autres modifications ont eu lieu depuis ce moment, entre autres, la bonification des rentes d’orphelin pour rattacher l’aide davantage aux enfants dépendants.

Le RRQ distingue les rentes de conjoint survivant avant et après la retraite de la personne survivante. La rente avant la retraite est composée d’un montant fixe dont la valeur dépend de l’âge de la personne bénéficiaire, la présence d’un enfant à charge ou d’une invalidité. La partie variable représente 37,5 % de la rente de retraite accumulée de la personne décédée. En 2020, le rente de conjoint survivant maximum était de 11 372 $ pour un bénéficiaire âgé de 45 à 64 ans ou de moins de 45 ans et invalide7.

Après la retraite, la rente de conjoint survivant représente 60 % de la rente de la personne décédée avec un maximum de 8 480 $ en 2022. Toutefois, la grande majorité des bénéficiaires d’une rente de conjoint survivant après la retraite ont aussi leur propre rente de retraite. Ces personnes bénéficient d’une rente combinée calculée selon deux formules possibles :

  • 100 % de sa propre rente + 37,5 % de la rente de la personne décédée : un meilleur choix pour la plupart des hommes dont la rente propre est beaucoup plus importante que la rente de leur conjointe décédée ;

60 % de la somme des deux rentes – un choix plus intéressant pour un grand nombre de femmes qui ont elles-mêmes une faible rente.En 2020, les trois-quarts des rentes de conjoint survivant, avant et après la retraite, étaient versées aux femmes et près de 80 % des bénéficiaires avaient déjà 65 ans ou plus. En effet, les hommes meurent plus jeunes en moyenne que les femmes. De plus, les femmes recevaient davantage que les hommes parce que leurs conjoints masculins avaient des rentes de retraite plus élevées que celles des conjointes décédées des veufs. Pour les plus de 65 ans, la rente de conjoint survivant moyenne des femmes était de 4 424 $ par année, plus de trois fois les 1 393 $ reçus par les hommes. Par contre, dans le cas des rentes combinées, les hommes recevaient 16 % de plus que les femmes, leurs propres rentes de retraite étant plus généreuses.

Pour les femmes veuves, les rentes de conjoint survivant font une différence importante dans leur revenu. Avant la retraite, la partie fixe donne un minimum de plus de 6 100 $ en 2020. La rente d’orphelin pour chaque enfant de moins de 18 ans était un peu supérieure à 3 000 $. Après 65 ans, la rente de retraite moyenne des femmes était de 5 418 $ alors que la rente combinée retraite-survivant, qui touchait environ le quart des femmes, ajoutait 3 555 $.

À l’origine, la rente de conjoint survivant visait à assurer une certaine sécurité du revenu aux femmes qui n’étaient pas sur le marché du travail, ou qui réduisaient leur temps de travail afin de s’occuper de la maison du mari gagne-pain et de ses enfants. Au cours des années, les divorces et les unions en série, légales ou libres, sont devenus beaucoup plus fréquents. Puisque la loi ne reconnaît qu’un-e seul-e conjoint-e, la rente est souvent payée à un-e conjoint-e qui a eu une relation relativement courte avec la personne décédée et qui n’a pas du tout pris soin de ses enfants. De plus, les mères séparées, divorcées ou jamais mariées, celles qui ont le plus sacrifié leur capacité de gagner un revenu pour s’occuper des enfants, ne sont pas admissibles à une rente de conjoint survivant, sauf exception. Cette question est revisitée plus loin.

Le partage des crédits de rentes en cas de divorce ou de séparation

Le Code civil prévoit que, sauf exception, lors d’un divorce, tous les actifs accumulés par le couple au cours d’un mariage ou une union civile sont partagés à parts égales, à moins d’une renonciation de la part du membre du couple susceptible de gagner quelque chose. Ces actifs comprennent les crédits de rente dans le RRQ et dans un RCR, ainsi que les montants thésaurisés dans un compte d’épargne-retraite. Toutefois, dans le cas d’une union libre, le partage doit être demandé par les deux conjoints, soit au moyen d’un contrat d’union, soit en vertu d’une entente au moment de la séparation. Dans les autres provinces, le common law accorde les mêmes droits aux partenaires dans une union libre qu’aux personnes mariées.

En 2019, sur un total de 11 908 demandes de partage, 4 414 ont été accordées et 7 494 (63 %) ont été refusées, principalement en raison d’une renonciation8. En moyenne, 4,1 années additionnelles de crédits ont été accordées à des femmes et 0,6 à des hommes. La durée moyenne des mariages concernés était de 14,4 ans.

Pourquoi une femme (ou un homme) renoncerait-elle à un partage ? Si les crédits de part et d’autre sont à peu près égaux ou si l’union a été de courte durée, elle n’a pas grand-chose à gagner. Plus inquiétant, il se peut que, lors des négociations entourant le divorce, elle a cédé le droit au partage en échange d’un autre actif comme la maison familiale ou une somme forfaitaire plus utile dans l’immédiat. Il faut aussi souligner que dans le cas d’un RCR à prestations déterminées, la valeur de ce que la personne détentrice des droits perdra est généralement plus grande que ce que va gagner la personne qui en bénéficiera. Ce qui a été cédé sera calculé sur les salaires du début d’une carrière pour la cessionnaire, alors que l’éventuelle pension du titulaire, amputée de ces mêmes crédits, sera généralement calculée sur les meilleurs salaires ou les salaires de fin de carrière.

L’exclusion des années où la personne avait la charge d’un enfant de moins de 7 ans

Cet avantage est accordé à la personne qui a reçu les prestations pour un enfant de moins de 7 ans ou un supplément pour un enfant handicapé de moins de 18 ans, presque toujours une femme. Lorsque la personne demande sa rente de retraite du RRQ, on calcule la moyenne des années cotisées, exprimées en pourcentage du maximum des gains admissibles (MGA) de chaque année. Dans ce calcul, on exclut d’abord les mois où la personne avait la charge d’un jeune enfant et où la cotisation était inférieure à la moyenne des autres années. Ensuite, pour tous les bénéficiaires, hommes comme femmes, on exclut le 15 % des mois où la cotisation a été la plus faible. Pour déterminer la rente, le pourcentage ainsi obtenu est multiplié par la rente de retraite maximum de l’année.

Que faut-il faire pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes à la retraite ?

Selon la figure 1, en 2019, la rente RRQ moyenne – ce qui comprend les rentes de retraite et de conjoint survivant – des femmes était de 5 981 $, soit 78 % des 7 676 $ reçus par les hommes. Même si le RRQ est plus égalitaire que les revenus de source privée on est loin de l’égalité entre femmes et hommes malgré les quatre mesures décrites ci-haut. Tant que les revenus des femmes et des hommes pendant la vie active ne sont pas égaux, les revenus à la retraite ne le seront pas non plus. Les deux mesures les plus importantes pour réduire les inégalités de revenu entre femmes et hommes, avant et après la retraite, sont l’équité salariale, non seulement à l’intérieur d’une même entreprise, mais dans l’ensemble de l’économie, et un meilleur partage des tâches familiales non rémunérées.

En ce qui concerne les programmes publics de retraite, nous proposons cinq réformes.

Premièrement, une bonification de la Pension de la sécurité de vieillesse et une réduction du Supplément de revenu garanti auraient pour effet de réduire la ponction sur les autres revenus. Il serait aussi loisible, dans le cadre du programme fédéral de la Sécurité de la vieillesse, d’ajouter à la PSV un montant complémentaire pour les personnes qui ont eu la charge d’un jeune enfant. Contrairement à l’exclusion prévue dans le RRQ/RPC, une telle mesure aurait un effet direct sur les revenus à la retraite pour la grande majorité des femmes. Elle serait particulièrement bénéfique pour les mères monoparentales et les femmes qui ont eu des familles nombreuses qui profitent le moins des mesures de compensation du RRQ/RPC.

Deuxièmement, le Code civil du Québec devrait être modifié afin de donner aux partenaires d’une union libre les mêmes droits en matière de partage du patrimoine qu’à un couple marié en cas de séparation. En 2021, 42 % des personnes vivant en couple au Québec étaient en union libre, comparativement à seulement 16 % dans le reste du Canada. Ce pourcentage est en croissance continuelle ; chez les couples de moins de 30 ans plus de 80 % sont en union libre9. Beaucoup de femmes dans cette situation ne savent pas que, lors d’une séparation, à moins d’une entente explicite, elles n’ont aucun droit en ce qui concerne les actifs cumulés par le conjoint pendant la relation, y compris ceux prévus pour la retraite.

Troisièmement, dans le calcul de la rente, à la place de l’exclusion des années à faible cotisation en raison de la présence d’un jeune enfant, beaucoup de groupes de femmes demandent un crédit de 60 % du MGA et du Maximum supplémentaire des gains admissibles (MSGA). Ce crédit devrait être accordé à toutes les femmes (et hommes) ayant la charge principale d’un enfant de moins de 7 ans même si elles travaillent. Les femmes avec de jeunes enfants travaillent plus souvent à temps partiel, s’absentent plus souvent du travail ou refusent des promotions. L’exclusion a peu d’effet sur les rentes finales, parce que les salaires et les cotisations des femmes sont inférieures à ceux des hommes à tous les âges et parce que les rentes payées par le RRQ/RPC sont faibles de toute façon. De plus, l’exclusion profite davantage aux femmes qui ont gagné de bons salaires après la période périnatale plutôt qu’aux femmes gagnant de modestes salaires ou qui ont eu plusieurs enfants. Un crédit minimum pour toutes serait plus équitable. Toutefois, la somme de ce crédit et les gains cotisés ne devrait pas dépasser 100 % du MGA plus le MSGA.

Pourquoi 60 % ? En 2020, l’âge moyen approximatif auquel les femmes et les hommes demandaient leur rente de retraite était 62. La rente moyenne des femmes nouvellement bénéficiaires représentait 53 % de la rente maximum à cet âge et celle des hommes 66 %. Donc, un crédit de 60 % du MGA se trouve à mi-chemin entre ces deux chiffres. Un tel crédit représenterait une réelle reconnaissance du travail essentiel auprès des enfants et servirait à réduire les écarts entre les deux sexes au chapitre de la rente du RRQ.

Quatrièmement, comme discuté plus haut, les rentes de conjoint survivant sont importantes pour beaucoup de femmes, avant et après la retraite, mais elles sont souvent versées à la mauvaise personne. Partager la rente de conjoint survivant entre les conjoints successifs en proportion à la durée de leur union, comme c’est le cas dans plusieurs pays européens, serait plus équitable. Il serait aussi loisible d’améliorer les prestations pour enfants des familles monoparentales et des couples à revenu faible ou modeste, en dehors des régimes de retraite.

Finalement, les revenus peu élevés à la retraite sont attribuables en grande partie à la faiblesse du RRQ/RPC. Parce qu’il s’agit d’un régime de retraite à prestations déterminées obligatoire, il protège contre les risques de longévité, de la volatilité des marchés financiers et de l’inflation. Malheureusement, il remplace moins de 25 % des revenus d’emploi d’avant la retraite et une grande partie de ses rentes disparaissent en raison de la récupération du SRG. Depuis 1996, au lieu d’améliorer le RRQ/RPC, les deux paliers du gouvernement ont augmenté les taux de cotisation, tout en réduisant les prestations. En 2017, ils avaient la chance d’y apporter une vraie réforme qui aurait permis à la plupart des gens d’éviter de gaspiller leur argent dans des véhicules d’épargne-retraite qui servent surtout à enrichir les institutions financières. Non seulement le régime supplémentaire qui a été créé est-il totalement inadéquat, mais il prendra près de 50 ans pour atteindre sa maturité. Ce sont plusieurs générations qui auront encore de la difficulté à joindre les deux bouts à la retraite, les femmes davantage que les hommes.


1 Retraite Québec, Statistiques 2017, Régimes complémentaires de retraite et Luc Cloutier-Villeneuve, « Les régimes de pension agréés au Québec : mise à jour » Cap sur le travail et la rémunération, septembre 2019, n° 17.

2 Certaines personnes ayant immigré ne reçoivent même pas ce montant, quoiqu’il existe un supplément au SRG qui remplace une partie de la PSV manquante pour certaines personnes.

3 Statistique Canada, Tableau 98-10-0113-01, Recensement de la population de 2021.

4 Melissa Moyser et Armanda Burlock, Emploi du temps : la charge totale, le travail non rémunéré et les loisirs, Statistique Canada 2018, N° 89-502-X au catalogue.

5 Marie Connolly, Marie Mélanie Fontaine, Catherine Haeck, 2018, État des lieux sur les écarts de revenus entre les parents et les femmes et hommes sans enfants au Québec et dans le reste du Canada. Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

6 Loi sur les régimes complémentaires de retraite, R-15.1, articles 7 et 58.

7 Retraite Québec, Statistiques 2020, Régime de rentes du Québec. Toutes les informations citées sur le RRQ proviennent de cette source.

8 Ibid. p. 39 et suivants. Les chiffres de 2019, plutôt que ceux de 2020, ont été présentés parce qu’il y a eu une diminution importante du nombre de demandes en 2020, sans doute à cause de la pandémie.

9 Institut de la statistique du Québec, Le bilan démographique du Québec, Édition 2022.

* Département de sciences économiques, Université du Québec à Montréal

Source : Agence du revenu du Canada, Statistiques finales de la T1, année d’imposition 2019. Les statistiques originales ont été ajustées pour tenir compte de l’effet de certaines mesures fiscales qui occultent le revenu réel reçu. Plus spécifiquement, les gains en capital ont été multipliés par deux et on a tenu compte du montant réel des dividendes plutôt que du montant imposable. Dans le cas de la pension fractionnée, on a attribué la valeur à la conjointe ou au conjoint qui a reçu l’argent plutôt qu’à la personne qui l’a déclaré dans son revenu.