Le ciel était morose. La journée s’étirait. Mais pas la réunion. Il a fallu une sonnerie impromptue pour rappeler l’équipe à l’ordre. Nos échanges avaient duré plus de deux heures et personne ne s’en était rendu compte. Le comité de rédaction des Cahiers était entré en phase passion. Les discussions avaient emporté tout le monde. Nous avions à revoir et sélectionner les textes pour composer le sommaire du présent numéro et c’est Le Québec à 5 km/h qui a tout déclenché. Nos expériences de lecture, nos récits de randonnée pédestre, le plaisir de profiter des paysages, tout cela partait dans tous les sens. Et nos discussions ne cessaient de rebondir sur les titres que nous avions à ordonner pour composer le présent sommaire. Et nous passions des sentiers de randonnée aux paysages démesurés que célèbre Monique Durand. Et nous revenions à cette célébration de la lenteur par Nathalie Le Coz. Et nous avions plaisir à en rajouter sur le temps que nous prendrions pour lire cet ouvrage que nous présentait Pascal Chevrette. Le temps long, le temps de l’été et des vacances. Et cela aura donné sa trame et son horizon au présent numéro.
Ce numéro d’été nous le souhaitons inscrit dans une autre temporalité. Nous souhaitons le voir reçu comme un éloge de la lenteur. Une lenteur qui est en quelque sorte inhérente aux attentes nourries à l’endroit de l’été rêvé. La lenteur pour échapper au stress d’une vie trépidante. La lenteur pour savourer un livre à peine découvert ou s’offrir un titre depuis longtemps reporté. La lenteur pour se sentir rêvasser. Et s’imaginer plongé dans un ailleurs qu’il fait bon lire.
C’est une étrange association que celle de la lenteur à la lecture. Toutes les études montrent, en effet, qu’on tire meilleur parti d’une lecture menée à un rythme assez pressé. Les gros liseurs le reconnaîtront aisément : l’expression « dévorer son livre » est tout à fait juste. Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, plus rapide est la lecture, plus on s’enfonce dans le récit, mieux on apprécie les nuances de l’argumentation, et mieux on parvient à suspendre le temps. C’est parce qu’elle change notre rapport au temps que la lecture est une force de régénération aussi bienfaisante. Et c’est en cela qu’elle reste un formidable privilège pour ceux et celles qui en ont la discipline et qui en maîtrisent les rudiments d’une pratique assidue.
Apprendre à lire et à lire bien, c’est la tâche première de l’école, le plus précieux legs qu’elle peut transmettre. Un legs qui reste à entretenir toute la vie durant. Et qui puisse résister aux sirènes des gadgets pédagogiques en tout genre. Quoi qu’en disent les fétichistes de l’écran, c’est par le livre que cet apprentissage se réalise le mieux, car le livre fait passer par tous les sens l’acquisition des habiletés de lecture. Il faut que ces dernières passent par le corps pour que se tissent les liens entre les mots et la temporalité. Lire ne fait pas que suspendre le temps, la pratique du livre accorde la pensée au rythme du corps de chacun. Mais pour que cela advienne et s’intensifie, il faut acquérir les compétences et l’agilité suffisantes pour s’élever au-dessus des mots, pour ne plus buter sur eux et goûter le rythme d’une phrase, pour apprécier la portée des paragraphes et découvrir, en les enfilant, l’architecture d’un chapitre et, de là, l’ouvrage tout entier. Truismes que cela ? Pas si sûr. Pour arracher la lecture à l’utilitarisme qui tient lieu de dogme en trop de quartiers, il faut cultiver le livre pour ce qu’il permet de gratuité, précisément. C’est par là que fait et se goûte si intensément l’association entre la lecture et l’été et que s’y expriment les liens entre elle et les échappées dans le temps.
Par une espèce de nécessité intrinsèque, la lecture en vacances est très souvent associée à la marche. Se plonger durant de longues heures dans un bon livre, quelle excellente manière de se préparer à la marche de rêverie ! Nourri à hautes doses d’images, d’idées et d’évocations de toutes natures, l’esprit fixera d’autant mieux leur bienfait pour le corps que le pas qu’elles dicteront fera de la marche le prolongement naturel de la lecture. Qu’on s’y adonne dans les sentiers ombragés ou en déambulant plus lentement sur des boulevards que font vibrer des passants affairés, la lecture de vacances change notre rapport à l’environnement. Pratiquée avec une certaine constance et à bonne intensité, elle prolonge la communion de l’esprit avec des mondes imaginaires ou des univers de pensée qui nous aident à voir la vie autrement, pour un temps, du moins, et qu’il appartient à chacun de prolonger dans des projets qui feront la différence dans le cours de sa vie.
Souvent abordée comme une période de rattrapage, la boulimie à laquelle se ramène souvent la lecture de vacances ne se résume pas seulement à une tentative pour rattraper le temps qui a manqué pour faire baisser les piles qui se sont accumulées en cours d’année au retour des visites en librairie. Ces livres qu’on place dans les bagages ne sont pas là d’abord pour nous déculpabiliser de les avoir négligés, ils sont là, au contraire, comme autant de rendez-vous cultivés dans l’ambivalence des sentiments de hâte mêlés à celle de cultiver la gratification différée. Le plaisir n’en sera que plus grand les jours de pluie ou dans l’ombre fraîche d’un arbre préféré, dans un temps qui s’éloignera du calendrier des vacances, un temps suspendu aux splendeurs de la grâce.
Voici donc un numéro pour lire l’été.
Robert Laplante
Directeur des Cahiers de lecture